Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Waller (Edmond)

Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 4p. 1262).

WALLER (Edmond), célèbre poète anglais, né à Coleshill, comté de Hertford, en 1605, mort à Beuconsfield en 1687. Par sa mère, Anne Hampden, il était cousin de Cromwell et du fougueux patriote John Hampden. Après avoir fait de brillantes études à Eton et à Cambridge, il fut envoyé, à peine âgé de seize ou dix-huit ans, à la Chambre des communes par le bourg d’Amersham et parut, à la même époque, à la cour, où il ne tarda pas à se concilier les bonnes grâces de Jacques Ier par son esprit et par ses productions littéraires, dont la première, écrite en 1623, avait pour sujet un naufrage essuyé par le prince royal en revenant d’Espagne. Marié, à peu près vers la même époque, à une riche héritière de la Cité, il devint veuf à l'âge de vingt-cinq ans. Quelques années plus tard, il adressa ses hommages à Dorothée Sydney, fille du duc de Leicester ; mais ils furent repoussés, et après le mariage de Dorothée, qui épousa, en 1639, lord Henri Spencer, Waller se remaria lui-même avec Marie Bresse ou Breaux, de laquelle il eut treize enfants. Il n’en a pas moins immortalisé dans ses vers, sous le nom de Sacharissa, celle qui avait repoussé son amour.

Lorsque le gouvernement parlementaire eut été rétabli en 1640, après une interruption de douze années, Waller siégea de nouveau à la Chambre des communes, devint ensuite membre du Long Parlement, où il fit d’abord partie de l’opposition ; mais il s’en sépara lorsqu’on voulut porter atteinte à la juridiction ecclésiastique et entra dans un complot royaliste sur lequel on n’a que des données obscures. Tomkyns, son beau-frère, et un nommé Challoner, qui y étaient impliqués, furent pendus devant la porte de leur maison (1643) ; Waller sauva, dit-on, sa vie en dénonçant ses complices. Quelques historiens disent qu’il se borna à exciper de son droit d’être jugé par la Chambre des communes, à laquelle on n’osa pas le déférer. Après être resté une année en prison, il fut condamné à une amende de 10,000 livres sterling, qu’il paya, et dut quitter l’Angleterre (1643). Il se retira d’abord à Rouen, puis à Paris, où il vécut avec une grande magnificence, à laquelle il suffisait par la seule vente des bijoux de sa femme. Au bout de dix années d’exil, cependant, cette ressource finit par s’épuiser, et il se trouva réduit à ce qu’il appelait lui-même « le bijou croupion, » (rump jewel). Enfin, au bout de dix ans, grâce probablement à l’entremise d’un de ses beaux-frères, le colonel Scrope, il obtint de Cromwell la permission de rentrer en Angleterre. Il ne tarda pas à se mettre fort avant dans les bonnes grâces du protecteur, dont il écrivit, en 1654, un Panégyrique, qui est regardé comme l’une de ses meilleures compositions. Un peu plus tard, célébrant la victoire de Blake sur les Espagnols (1656), il saisit cette occasion pour engager Cromwell à prendre le titre de roi. C’est dans le même esprit d’adulation qu’est écrit son poème Sur la mort de milord Protecteur ; malheureusement, dans la collection des œuvres de l’auteur, ce poème est immédiatement suivi d’une autre pièce adressée à Charles II et intitulée : Félicitation au roi sur l’heureux retour de Sa Majesté, dans laquelle il s’est montré, sinon aussi heureusement inspiré, du moins aussi adulateur envers la royauté qu’envers la république. Sa conduite, en cette occasion, a été jugée sévèrement par Johnson : « Un tel changement de sentiments, s’écrie-t-il, excite le mépris et l’indignation ; le poëte qui prostitue ainsi son esprit peut encore conserver l’éclat du talent, mais il a perdu la dignité de la vertu. » Waller, du reste, supportait assez légèrement la honte d’avoir chanté tous les partis. Charles II lui reprochant un jour la supériorité poétique des louanges qu’il avait données à Cromwell sur celles qu’il avait adressées à son souverain légitime, il répondit avec une spirituelle outrecuidance : « Cela tient à ce que nous autres poëtes nous réussissons mieux dans la fiction que dans la vérité. »

Waller dut à la Restauration plus encore qu’il n’avait dû à Cromwell ; il redevint tout à la fois un important personnage politique et l’un des ornements de la cour frivole de Charles II. Réélu, en 1661, au Parlement, il en fit partie jusqu’en 1680 et, après l’avénement de Jacques II, y fut élu de nouveau en 1685. Bien qu’octogénaire, il continua à prendre une part active aux débats ; il ne paraît pas, cependant, avoir jamais exercé une influence quelconque au sein de cette assemblée, si nous en croyons Burnet, qui, après nous avoir dit qu’à quatre-vingts ans il était de tous les membres de la Chambre celui qui parlait avec le plus d’enjouement, ajoute : « Il ne s’occupait que de dire ce qui pouvait lui attirer des applaudissements ; mais il ne prit jamais à cœur les affaires de la Chambre, car c’était un homme vain et frivole, quoique plein d’esprit. » Une des dernières œuvres poétiques de Waller fut une pièce de vers intitulée : Présage de la chute de l’empire ottoman, qu’il présenta à Jacques II le jour anniversaire de sa naissance, on ne dit pas en quelle année. Peu de temps avant sa mort, il écrivit un poëme en six chants, l’Amour, qui, au rapport de Johnson, n’était pas inférieur à la plupart de ses autres productions et prouvait qu’il avait jusqu’à la fin conservé toutes ses facultés. Il était, paraît-il, aussi bien conservé sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel. « De Bonrepeaux, dit Walckenaer, qui se trouvait en Angleterre peu de mois avant la mort de Waller, parle du poëte anglais comme menant joyeuse vie avec l’épicurien Saint-Evremond, et il assure qu’à quatre-vingt-deux ans il était encore amoureux et poète... » Dans une lettre que La Fontaine écrivait, peu de temps après, à la duchesse de Bouillon, alors à Londres, près de sa sœur la duchesse de Mazarin, notre fabuliste se flatte de l’espoir de rencontrer Waller dans cette société toute française :

Parmi ceux qu’admet à sa cour
Celle qui des Anglais embellit le séjour,
Partageant avec vous tout l’empire d’Amour,
    Anacréon et les gens de sa sorte,
    Comme Waller, Saint-Evremond et moi,
    Ne se feront jamais fermer la porte.
    Qui n’admettrait Anacréon chez soi ?
    Qui bannirait Waller et La Fontaine ?
    Tous deux sont vieux, Saint-Evremond aussi ;
    Mais verrez-vous aux bords de l'Hippocrène
    Gens moins ridés en leurs vers que ceux-ci ?

La Fontaine -dit qu’à l’exemple d’Apollonius de Tyane, qui ressuscita une jeune fille, il ressuscitera Anacréon ; « et alors, ajoute-t-il, vous et Mme de Mazarin nous rassemblerez. Nous nous rencontrerons en Angleterre, M. Waller, M. de Saint-Evremond, le vieux Grec et moi. Croyez-vous, madame, qu’on pût trouver quatre poètes mieux assortis ?

Il nous ferait beau voir, parmi des jeunes gens,
Inspirer le plaisir, danser et nous ébattre,
Et de fleurs couronnés, ainsi que le printemps.
        Faire trois cents ans à nous quatre. »


Ces vers ne sont pas les seuls que Waller ait inspirés à La Fontaine. Lorsqu’il apprit la mort du poëte anglais, que lui annonçait Saint-Evremond, il envoya à ce dernier la pièce suivante :

Les beaux esprits, les sages, les amants
Sont en débats dans les champs Élysées ;
Ils veulent tous en leurs départements
Waller pour hôte, ombre de mœurs aisées.
Pluton leur dit : « J’ai vos raisons pesées ;
Cet homme sut en quatre arts exceller :
Amour et vers, sagesse et beau parler.
Lequel d’eux tous l’aura dans son domaine ? »
Sire Pluton, vous voilà bien en peine.
S’il possédait ces quatre arts en effet.
Celui d’amour, c’est chose toute claire,
Doit l’emporter ; car, quand il est parfait,
C’est un métier qui les autres fait faire.

Le mérite de Waller comme poëte a été longuement étudié par Johnson. Il est difficile aujourd’hui d’admettre qu’il ait été, comme le dit la Biographie britannique, le plus célèbre poëte lyrique que l’Angleterre ait jamais produit, car ses compositions, légères et faciles, sont plutôt remarquables par la pureté harmonieuse de la versification et l’élégance de la forme que par l’élévation des pensées et la pompe du style, et, du reste, il n’en est qu’un petit nombre qui appartiennent au genre lyrique. Waller était poète cependant, mais le bel esprit l’emportait en lui. Une partie de ses Œuvres avait été publiée à Londres en 1645, pendant son séjour en France. Le recueil complet en a été édité plusieurs fois. Les meilleures éditions sont celles de 1729 (Londres, in-4°) et de 1829 (Londres, 2 vol. in-12). Une des plus récentes est celle d’Édimbourg (1855),