Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Wallenstein, tragédie en cinq actes de B. Constant

Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 4p. 1262).

Wallenstein, tragédie en cinq actes, en vers, par Benjamin Constant (1809). Cette pièce, qui n’est qu’un arrangement de la grande trilogie de Schiller, est précédée de quelques réflexions sur le théâtre allemand. Réfugié à Weimar (1803), B. Constant s’y était lié avec Schiller, dont il résolut de traduire l’importante création de Wallenstein. Cette traduction, ou plutôt cette imitation estimable et consciencieuse, laissa à désirer sous le rapport de la couleur et de l’éclat poétique. Le discours préliminaire a paru bien supérieur. Les littératures, comme les langues et les peuples, ont leurs divers génies qu’il ne faut ni méconnaître ni violenter. Benjamin Constant l’a un peu oublié. Quant à la pièce, celle de Schiller est trop connue pour qu’il soit nécessaire de la rappeler.

« Le mobile de la guerre de Trente ans, dit Benjamin Constant, fut pour les peuples le besoin d’acquérir la liberté religieuse, pour les princes le désir de conserver leur indépendance politique. La paix de 1648 satisfit tout le monde ; elle assura aux protestants le libre exercice de leur culte et aux petits souverains la jouissance et même l’accroissement de leurs droits. Aussi n’est-il pas étonnant que, par sa durée et l’importance de ses résultats, elle ait tant occupé l’histoire et la littérature. » Avec la paix, l’esprit militaire s’affaiblit ; on ne voit plus de condottieri tels que Mansfeld, Christian de Brunswick, Bernard de Weimar et, le plus célèbre de tous, Wallenstein, duc de Friedland. Wallenstein sert l’Autriche, mais avec une armée levée, payée et entretenue par lui. Il perçoit des contributions et négocie comme un potentat, du milieu de son camp, avec les monarques sur leur trône. S’il échoue à le devenir lui-même, c’est par un mélange singulier d’audace, de superstition et d’incertitude. L’originalité de ce personnage avait séduit Schiller, qui, à son époque, lui aurait vainement cherché un pendant, car, « l’originalité résultant de l’indépendance, à mesure que l’autorité se concentre, les individus s’effacent. » Il s’efforça donc de retracer les derniers efforts de l’esprit militaire et cette vie indépendante et presque sauvage des camps, à laquelle les progrès de la civilisation ont fait succéder, dans l’armée, l’uniformité, l’obéissance et la discipline. Son Wallenstein se compose de trois pièces : 1° le Camp de Wallenstein ; 2° les Piccolomini ; 3° la Mort de Wallenstein. L’action commence à la seconde seulement et se développe et s’achève dans la troisième ; la première n’est qu'un prologue sans action. Le camp n’est qu’un tableau mouvant de la vie du soldat, n’ayant aucun trait ni avec le passé ni avec l’avenir ; mais le génie de Wallenstein préside à tout, remplit tout, et les soldats se promettent bien de le servir toujours, même contre l’empereur. Il n’aurait qu’un signe à faire pour qu’une révolte éclatât. C’est une peinture des armées au XVIIe siècle, d’une exactitude merveilleuse, mais qui serait impossible sur notre scène, où tout plie sous la discipline. Les deux premières parties ne contiennent pas moins de quatre mille vers, ce qui se comprend en Allemagne, où le public s’accommode d’une représentation qui dure plusieurs jours ; le spectateur français ne serait pas si complaisant. D’autres différences fondamentales séparent la pièce de Schiller de celle de B. Constant. Le dialogue est familier chez le premier, ce qui chez nous semblerait trivial dans une tragédie. Les personnages secondaires, en Allemagne, jouent à peu près le même rôle que le chœur antique ; aussi ne regarde-t-on pas à les multiplier. La pièce de Schiller a quarante-huit acteurs, celle de B. Constant n’en met en scène que douze ; tout se passe en action dans la tragédie allemande ; le récit est généralement préféré dans la tragédie française.

Telles sont les considérations exposées par B. constant dans son discours préliminaire ; elles sont justes pour la plupart, mais « trop empreintes de germanisme », a dit la critique. Le mot ne rend pas bien l’impression qu’elles laissent. Il serait mieux de dire que B. Constant y prend trop le parti des Allemands contre les Français, ce qui est un peu la conséquence de l’exil.