SOCIALISME s. m. (so-si-a-li-sme —du lat. socialis, social). Système de gouvernement qui a pour base un ensemble de réformes sociales : Le socialisme austère de Bousseau et de Mably sacrifie tout à l’égalité. (Frank.) Le bon socialisme, c’est l’anéantissement durable du paupérisme. (Colins.) Le socialisme est le contraire de l’absolutisme social, qui tue la dignité humaine, et de l’individualisme, qui tue la société. (Laurent de 1’A.vdèehe.) J’entends par socialisme un groupe de doctrines et de sectes qui concluaient passionnément à charger l’État du bonheur public. (Dupoot-White.) Le socialisme, c’est le despotisme incarné. (Bastiat.) Le socialisme est de tous les temps. (S. de Sacy.) Le socialisme n’est pas une doctrine déterminée, (V. Considérant.) Le socialisme est dans l’opinion, dans l’air, dans le peuple. (V. Considérant.) Le socialisme affirme l’anomalie de la constitution présente de la société et, partant, de tous les établissements antérieurs. (Proudh.) Le socialisme oppose au principe de propriété celui d’association et se fait fort de recréer de fond en comble l’économie sociale. (Proudh.) Le socialisme envahit sournoisement le domaine de l’industrie, (j. Simon.) Le socialisme, c’est la civilisation. (E. de Gir.) La science est le vrai nom du socialisme, comme la charité fut le vrai nom du christianisme. (E. de Gir.) Le mouvement de 1789 fit du socialisme, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. (L. Ulbach.)
— Encycl. Dans le passé, l’histoire du socialisme se confond avec celle du communisme (v. ce mot). Il s’en distingue de nos jours en ce qu’il est plutôt une nouvelle économie politique issue du mouvement intellectuel né sous l’influence des principes de 1789. On le voit poindre avec les idées saint-sinioniennes. » Le saint-simonisme, ditun hégélien allemand, M. Charles Grûn, est comme une boîte pleine de semences ; la boite a été ouverte ; son contenu s’est envolé on ne sait où, mais chaque grain a trouvé son sillon et on les a vus sortir de terre l’un après l’autre. Ce fut, en premier lieu, le socialisme démocratique, puis le socialisme sensuel, puis le communisme, puis Proudhon lui-même. »
Ce fut la destinée du saint-simonisme de jeter au vent toutes sortes de ferments, puis de rester les mains vides et de laisser à d’autres doctrines le soin de récolter, ce qui faisait dire au même Charles Grûn : à Le saintsiinonisroe est une pièce de théâtre pleine tout ensemble d’émotions et de bouffonneries. L’auteur q.uitta ce monde avant qu’on eût joué son œuvre ; le régisseur mourut pendant la représentation ; alors les acteurs jetèrent là leurs costumes, reprirent leurs habits de villé et s’en allèrent chacun chez soi. » Ces acteurs furent Pierre Leroux, Fourier, Cabet, Considérant ; chacun devint chef d une doctrine
séparée, élabora le système qu’il était donné à Proudhon de formuler. Les prédécesseurs de Proudhon n’a’vaient envisagé le problème social que sous des aspects particuliers. Proudhon le vit d’ensemble et comprit de bonne heure que le socialisme ne pouvait être qu’un système d’économie politique, enté sur une philosophie. Avant de s’emparer de la société, de remanier ses intérêts généraux et de les réorganiser, il fallait s’emparer des mœurs, c’est-à-dire des croyances, des convictions morales, si l’on veut. L’examen des lois suivant lesquelles évoluent les sociétés humaines révèle dans leur sein l’existence d’antinomies sans nombre. Toujours un fait a pour conséquence un fait contraire, ayant la oième importance négative s’il est lui-même positif. Des actions et des réactions continuelles, voilà la vie sociale. Prenons pour exemple un des grands principes de l’industrie, celui de la division du travail. La division du travail est une loi féconde, progressive, sans laquelle l’industrie est impossible. Eh bien, dit Proudhon, elle mène a des résultats effrayants ; elle fait de l’homme un être passif et finit par l’abrutir complètement.
Il faut quinze ouvriers pour parfaire une épingle ; chacun d’eux, borné à une parcelle de l’œuvre, s’habitue à ne la point voir d’ensemble, ne fait plus que la fonction d’un marteau. Puis il cite M. de Tocqueville. « A mesure, dit l’auteur de la Démocratie eu Amérique, que la division du travail reçoit une application plus complète, l’ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant ; l’art fait des progrès : l’artisan rétrograde. » Une réaction naturelle et conforme au principe des antinomies a procuré au monde moderne la découverte des machines, à L’apparition incessante des machines est l’antithèse, la formule inverse de la division du travail. C’est la protestation du génie industriel contre le travail parcellaire et homicide. Qu’est-ce, en effet, qu’une machine ? Une manière de réunir diverses particules de travail que la division avait séparées. Toute machine peut être définie un résumé de plusieurs opérations, une simplification de ressorts, une simplification du travail, une réduction de frais. Jsious tous ces rapports, la machine est la contre-partie de la division. Donc, par la machine, il y aura restauration du travail parcellaire, diminution de peine pour l’ouvrier, baisse de prix, pour le produit, mouvement dans le rapport des valeurs, progrès vers de nouvelles découvertes, accoissement du bienêtre général. » Mats à côté de ces bienfaits il y a des maux à considérer. La machine, d’abord, enlève à l’homme son travail etl’usservit a des fonctions inférieures. Au lieu d’être un ouvrier, il n’est plus que le domestique d’une machine. Proudhon va plus loin. « Qu’on ne m’accuse pas, s’éerie-t-il, de malveillance envers la plus belle invention de notre siècle ; rien ne m’empêchera de dire que le principal résultat des chemins de fer, après 1 asservissement de l’industrie, sera de créer une population de travailleurs dégradés, cantonniers, balayeurs, chargeurs, camionneurs, gardiens, pontiers, peseurs, graisseurs, nettoyeurs, chauffeurs, pompiers, etc.... 4,000 kiloin. de chemins de fer donneront à la France un supplément de 50,000 serfs. •
Ju3qu’où cela ira-t-il ? Voilà le problème à résoudre. Peut-on espérer qu’il y aura une solution finale et que l’humanité, au sommet du calvaire de douleur dont elle est condamnée à faire l’ascension, trouvera la paix ? Proudhon n’y compte guère. « Entre l’hydre aux cent gueules de la division du travail, s’éerie-t-il, et le dragon des machines, que deviendra l’humanité ? » La concurrence est née récemment à l’ombre des principes de 1789. Elle a produit des résultats merveilleux, compensés encore par des misères sans nom, ce qui est une nouvelle antinomie naturelle. Il eu est de même du monopole, il en est de même de l’impôt : chaque victoire du travail est suivie d’un désastre équivalent. Le remède, s’il existe, ne peut être cherché que dans la science ; mais il ne s’agit pas de la science d’apparat qui siège dans les académies et les universités. Celle-ci n’est qu’une collection de jouets, un assortiment d’enfantillages sérieux ; il s’agit de la science économique, de la science sociale, ce que le positivisme a depuis nommé sociologie. La science sociale est destinée a régénérer l’humanité, à modifier profondément notre condition intellectuelle et physique.
Une fraction importante de l’école socialiste, représentée par Pierre Leroux et plus récemment par Auguste Comte et l’élite de ses disciples, a essayé de substituer aux anciennes croyances religieuses ce qu’on appelle la religion de l’humanité. Proudhon proteste. Suivant lui, le problème social est purement économique. Il ne faut pas sortir du domaine des intérêts. Hester sur ce tenain est une garantie de succès ; en sortir est une défaite définitive, une rentrée dans l’ornière des préjugés.
En définitive, la formule du socialisme contemporain résulte de la théorie d’Auguste
(Jointe sur l’état successif de la nature humaine. L’homme, jeté sur la terre par on ne sait quelle force inconnue, débute dans la vie sociale par l’état tbèologique, âge des religions. À cette période succède la période métaphysique, âge transitoire où l’homme vit
d’abstractions philosophiques et de métaphysique pure. La période finale commence ; c’est 1 âge scientifique, dans lequel le genre humain, désormais adulte, se conduira d’après les seuls principes de sa raison, appliquées exclusivement à la création du bien-être pour tous.
Du reste, le soi.int-.sme avoue lui-même que la plupart des questions qu’il a posées ne sont pas résolues et que ses travaux n’ont en vue que de les mettre à l’étude. (I l’avoue spécialement pour la propriété, le travail, les salaires, l’organisation politique de l’État. Jl n’a presque pas touché aux mœurs et à la
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philosophie. D’une part, il nie la métaphysique, mais consent néanmoins à raisonner. Quant à la morale, il a bien entrepris de détruire les croyances anciennes, de refaire la famille ; il a surtout misa l’ordre du jour l’institution du mariage. Au fait, il n’a encore tien accompli de sérieux dans cette direction, car nier n’est pas édifier. Les intérêts économiques ont absorbé l’esprit de ses partisans. La famille, le mariage et les cultes violemment mis en cause par l’école saint-simonienne l’ont distrait un moment sans parvenir à le préoccuper. Proudhon n’était pas l’homme qu’il fallait pour aborder le sujet et n’en disconvenait point. Pierre Leroux, Auguste Comte, Louis Blanc n’avaient pas la même répugnance ; mais d’autres soins las ont détournés d’agir. Considérant et Cabet avaient soulevé le problème de l’amour, déjà tumultueusement agité dans les réunions et les
livres de l’école saint-simonienne ; mais ils n’en ont pas trouvé la solution.
Une autre question agitée par le socialisme et peut-être la plus importante de toutes est celle de l’hérédité. Le droit d’hériter et de transmettre son bien est un corollaire du droit de propriété. L’hérédité- est sans contredit un soutien des mœurs traditionnelles aussi puissant que le droit de posséder lui-même. Par lui, en l’absence des lois, le souvenir de3 castes et de la différence des conditions se transmet, les principes politiques et les croyances se perpétuent. Les tempéraments aussi se maintiennent, parce que le sang de la race se mélange moins, que les habitudes de la vie pratique changent peu. L’hérédité à elle seule suffit à maintenir 1 empire du passé dans les familles de siècle en siècle et quelquefois durant le cours entier d’une civilisation.
Le socialisme, dans son désir de refondre la société, a compris tout de suite, l’énergie de cet agent conservateur des mœurs anciennes ; il a vu l’impossibilité de créer des mœnrs nouvelles sans l’abolition de l’héritage. Aussi est-ce un point de doctrine sur lequel il ne transige point. « Que l’homme, dit-il, jouisse du produit de son travail, qu’il mange le fruit cueilli sur les arbres qu’il a plantés, rien n’est plus légitime. > Le socialisme admet donc la propriété personnelle au profit de celui qui l’a créée par son travail. L’inégalité des conditions résultant de l’inégalité des altitudes ne lui répugne pas non plus. Mais il refuse de trouver légitime qu’un homme puisse transmettre à un autre hommo le fruit de son travail. Il donne pour prétexte l’oisiveté probable de celui qui hérite et les vices qu’engendre l’oisiveté.
Jusqu’ici les doctrines socialistes sont à peu près négatives. Il s’agit de savoir comment on se propose de reconstruire après avoir démoli. À vrai dire, on ne propose rien en vue de refaire le monde moral. On le néglige volontiers pour s’attacher au monde économique et politique, que le socialisme a pris à tâche de refondre entièrement. Trois moyens principaux d’arriver à réaliser ce dessein ont été proposés par divers socialistes : ce sont l’association, la réciprocité et le droit au travail.
Jl faut, dit l’un, associer les travailleurs ; associés, ils auront le moyen d’obtenir le capital qui se refuse à eux, de lui tenir tête, de ne pas se laisser opprimer par ses exigences. En outre, ils se concerteront et mettront un terme à cette guerre cruelle de la concurrence en ne produisant que suivant des quantités et des prix convenus. Les capitaux, dit un autre, se résument dans le numéraire, dans l’or. C’est l’or qui se refuse à qui en a besoin pour vivre et travailler. C’est donc l’or qui est coupable. Punissez-le en le supprimant. Créez un moyen direct d’échange à l’aide d’une banque dont le papier, accordé à tout homme qui voudra produire, ne iui manquera pas comme l’or, et il en résultera à l’instant même un phénomène prodigieux de production et de consommation, car il est bien certain que tout homme veut consommer sans mesure. Il y aura dès lors dans les appétits humains certitude d’une consommation infinie et certitude aussi d’un débouché infini pour le travail.
Enfin d’autres disent : Le seul moyen de faire cesser les souffrances sociales, un moyen qui est direct, point ruineux, point attentatoire à la propriété, telle que les hommes l’entendent, c’est le droit au travail. N’est-il pas vrai que, dans l’état actuel de la société, les capitaux appartenant aux capitalistes, qui, suivant leur bon plaisir ou leur intérêt personnel, las prêtent ou ne les prêtent pas, la terre aux propriétaires de biensfonds, qui, à leur volonté encore, les afferment ou ne les afferment pas, il résulte de cette concentration en certaines mains de toutes choses refusées souvent par ceux qui les détiennent à ceux qui en ont besoin que beaucoup de bras restent sans emploi ? Le remède n’est-il pas dès lors indiqué ? C’est que la société garantisse le travail à ceux qui en manquent ut se charge de leur en procurer. À cette condition, que la propriété soit une institution légitime ou non, ses effets les plus fâcheux seront corrigés, puisque, le cas arrivant où les possesseurs de capitaux mobiliers ou immobiliers refuseraient l’argent à ceux-ci, la terre à ceux-là, il y aurait un capitaliste ou un propriéuire tout trouvé qui serait l’Etat et qui assurerait de l’emploi à qui en manquerait.
Eu résumé, le communisme est une simple
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utopie, quand il n’est pas un moyen d’exploiter des passions furieuses. Le socialisme est une théorie pratique et pleine d’avenir. Il n’a pas encore résolu beaucoup do problèmes, mais il en a posé un grand nombre d’une façon saisissante. Il n’aurait fait que les poser qu’il n’y aurait point à déplorer les excès plus apparents que réels dont il porte en ce moment le poids très-lourd. Il aura du moins servi à réviser une foule de dogmes sociaux décrépits ou nuisibles, et concouru, dans une mesure impossible encore à déterminer, mais à coup sur considérable, à l’évolution sociale qui s’opère sous nos yeux.
Socialisme devant lo vieux monde (le) OU le Vivant d«vnm Jr« morts, par V. Considérant, ex-représentant (Paris, 1849, in-8<>). Le livre a pour épigraphe ces paroles de Jeanne Darc aux Anglais : « Aux horions, nous verrons qui a le meilleur droit. » Voilà au moins un prospectus qui n’y va pas par quatre chemins. Le tout se compose de quatre parties : l« Qu’est-ce que le socialisme ? 2° Développements du socialisme. 3<> Caractères et dangers du socialisme. 4° Adversaires du socialisme.
D’abord, qu’est-ce que le socialisme ? Considérant pose en fait, avant d’aller plus loin, que la société moderne ne peut plus tenir. « La société moderne, dit-il, est en proie a une décomposition définitive. Le vieux monde, le monde de l’esclavage, de la féodalité, du prolétariat, le monde païen, attaqué dans sa base il y a dix-huit cer.ts ans par la grande explosion de la doctrine de liberté, d’égulité et de fraternité que le Christ eut pour mission d’apporter à la terre ; le monde de la misère, de la lutte, do l’exploitation de l’homme par l’homme est ébranlé jusque dans ses fondements ; il craque de toutes parts sous ses étais vermoulus... Toute la question est de savoir si la fonte des glaces qui couvrent le vieux monde se produira par un phénomène de transition douce, bienfaisante et régulière ou par une débâcle générale. »
Considérant est d’avis, comme ses frères les phalanstoriens, qu’il est possible de ménager une transition entre l’état de choses actuel et ce qui doit exister dans l’avenir. On ne peut plus arrêter la vie universelle et le développement de l’histoire ; mais, si on ne peut comprimer tout cela, on peut le régler. Il importe de commencer par l’affranchissement des prolétaires, sinon la guerre sociale est imminente. Que l’on discute posément le problème de la destinée sociale, rien de mieux, et tout le monde peut avoir à y gagner ; mais l’auteur a recours au terrorisme : • Pour toute l’Europe civilisée, dit-il, le temps est venu de l’émancipation sociale des prolétaires qui travaillent et qui souffrent, qui créent les produits et les richesses et qui végètent dans les privations et l’indigence, tout comme en 1789, en France, avait sonné l’heure de l’émancipation politique [jour l’avant-garde des prolétaires, pour la bourgeoisie que le vieux monde féodal et clérical maintenait jusque-là en dehors de l’enceinte sacrée des droits. Vouloir entraver aujourd’hui l’émancipation sociale du peuple, au lieu d’y travailler avec une ardente fraternité, avec 1 intelligence des idées nouvelles, des besoins nouveaux, c’est élever des digues contre la mer qui monte, a’est provoquer un cataclysme, c’est préparer à 1 Europe entière un 1793 démocratique et social ; en un mot, c’est exposer la civilisation actuelle à une crise plus redoutable que la chute de la civilisation romaine. » Plus loin, l’écrivain annonce que la sanglante révolution de Juin n’aura été que la première escarmouche d’avant-garde de cette guerre horrible ; mais il n’indique pas les moyens de prévenir de pareilles éventualités ; il se contente de récriminer contre tout le monde et de prophétiser un incendie sans exemple dans 1 histoire.
Suivant lui, l’idée du siècle est le socialisme. La Révolution de 1789 a tué les vieilles aristocraties au profit exclusif de la bourgeoisie. Devant le socialisme, il n’y a plus d’obstacle que la bourgeoisie ; il faut la tuer. Le socialisme a ses rucines«dans l’humanité historique. Il a toujours été victime ; il a été victime dans toutes les sociétés humaines. Dans la tradition dont le monde actuel est issu, il a été l’objet de persécutions particulièrement âpres. Il a eu contre lui les Écritures, les apôtres, les saints, les Pères de l’Église, la féodalité et, en dehors des institutions, la philosophie et la pensée, » qui sont des privilèges à détruire. » Arrivé au xixo siècle, l’auteur fait l’inventaire de tous les systèmes dont le socialisme est le couronnement ; ce sont : le babouvisme, le système coopératif d’Owen, le communisme icarien, le saint-simonisme, le système phalanstérien de Fourier, le communisme proprement dit, celui de MM. Pierre Leroux, Louis Blanc, Proudhon. Il y a un chapitre intitulé, * Portrait de la tête. La bête, c’est Proudhon. Considérant trouve Proudhon affreux, anlisocialiste. Ailleurs, pourtant, il définit la doctrine de t’roudhou : un socialisme noueux.
Considérant est pour la communauté des femmes ; « Je le- dis carrément, à la barbe des tartufes de tous les genres, des cafards de la morale et de la religion, en face de toutes les hypocrisies que je déteste r Je ne vois rien de criminel en soi ni dans l’amour ni dans la variété et le changement des affections. S’il est immoral d’aimer sans autorisation et sans
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contrat, s’il est damnable d’avoir aimé plus d’une fois, je demande à être lapidé par ceux qui sont sans péché, à moins qu’ils ne Soient en même temps sans cœur. >
Autre chose est le cœur, autre chose l’intérêt social qui exige le respect de la famille dans l’intérêt de tous, sans compter l’intérêt de l’humanité en général, qui demande que l’homme n’abandonne ni sa femme ni son enfant, parce qu’il est démontré que l’un et l’autre ont besoin de la famille pour vivre. Considérait termine par une apostrophe aux phalanstériens : à Restons, dit-il, les disciples de notre maître Fourier, c’est-à-dire fidèles à la loi d’harmonio universelle. Il n’y a contre nous que l’égoïsme et la peur. Les égoïste.^ et les peureux sont des infirmes. Traitons-les par notre dévouement et sachons les guérir. »
I. œuvre eut pendant quelques années une vogue immense ; elle, .n’est plus aujourd’hui qu’un monument à consulter dans l’histoire des idées politiques en France.
Socialisme rationnel et le sociulistue autoritaire (Lu), par Jules Gay (Genève, 1863). Sur le seul titre de cet opuscule, on pourrait croire que M. Gay met en parallèle les systèmes socialistes qui portent au maximum les attributions et la puissance de l’État et ceux qui voient dans la liberté individuelle le principe et le but de la réforme qu’ils poursuivent. On se tromperait ; le socialisme rationnel dont il s’agit ici n’est autre chose que lo communisme de Robert Owen. Le socialisme autoritaire, c’est la conception sur laquelle repose la société actuelle, c’est-à-dire la conception d’un régime politique d’association basé sur le pouvoir souverain d’un individu, d’une caste ou même d’une délégation. La première partie du livre est consacrée à la critique de ce socialisme autoritaire et do ses fâcheux résultats. Après cette critique, M. Gay expose les bases du socialisme rationnel. Il part du grand principe d’Owen, l’irresponsabilité personnelle. Les pensées, les sentiments, la volonté de l’homme, selon Owen et M. Gay, résultent de son organisation et des influences extérieures ; or, l’homme n’est le maître de modifier ni son organisation ni les circonstances qui l’entourent, donc il n’est pas libre. Puisqu’il n’est pas libre, il ne saurait être déclaré responsable de ce qu’il dit ni de ce qu’il fait. Jusqu’ici la société a été organisée sur la fiction de la liberté ot de la responsabilité ; de là le rôle que jouent la louange, le blâine, la récompense et le châtiment. Blâme et louange, récompense et châtiment sont les moteurs et forment la loi d’équilibre de ce monde irrationnel. Ils créent ici-bas l’inégalité des rangs, la hiérarchie des familles et des races. Il ne faut pas attribuer à une autre cause le bagage de nos vieilles vanités, de nos distinctions subtiles, des oppressions brutales et raffinées qui régnent d’individu à individu, de caste à caste, de fortune il fortune, de mérite à mérite, de caractère à caractère, de litre à titre. Pour supprimer les misères qui nous rongent et les jalousies qui nous dévoient, pour taire réjjner la bienveillance, il faut, par l’éducation, débarrasser l’esprit humain de ces idées fatales de biâine et de châtiment, de louange et de récompense, et donner à l’association la base rationnelle de l’irresponsabilité. Donc, plus de sanctions juridiques, politiques, religieuses, économiques ; plus de classification sociale, de répartition des jouissances fondée sur l’inégalité des mérites, sur l’inégalité de valeur attribuée aux actes, aux œuvres, aux personnes ; plus de contrats ni d’élections ; distribution des produits suivant les besoins, distribution des fonctions suivant les âges. Expressions économiques de la responsabilité, la propriété, la valeur, l’échange disparaissent ; la logique d’Owen et de son école raye du vocabulaire tout un ensemble de mots, de l’esprit humain tout un ensemble d’idées ; hors de la bienveillance systématique et de la communauté absolue, il n’y a que déraison et mensonge.
Nous ne discuterons pas ici le système social d’Owen ; le communisme échappe à la critique par la pauvreté de son contenu, par le Caractère simpliste de ses solutions ; ce qui est ici curieux et digne d’attention, c’est le point de départ psychologique : on voit les conséquences sociales qu’un esprit logique a pu tirer de la négation du libre aibitre et de la responsabilité humaine.
Socialisme d’bler et celui d’aujourd’hui
(lb), pur M. Tli.-N. Bènaid (1870). Dans cet ouvrage l’auteur examine, en les comparant, tes aspirations socialistes de 1848 et celles de 1870 ; il a divisé sou livre en dix chapitres, dont le titre suffira pour indiquée l’esprit : 1° le Socialisme en 1869 ; 2° la Liquidation sociale ; 3° la Gratuité du crédit ; 4° lo Communisme ; 5" Guerre an capital ; 6° le Droit au profit ; 7° le Alutuetlisvte ; 8° la Propriété ; 9° la Rente foncière ; 10° le Socialisme par en haut.
M. Bénard commence par constater avec juste raison que lo silence gardé pendant dix-huit ans sur les théories sociales qui alarmèrent si vivement la bourgeoisie durant les dernières années du règne de Louis-Philippe et sous la République n’était nullement un indice de disparition ou d’apaisement. Dès que la liberté de réunion rendit, en 1868, la parole aux aspirations des ou- Triers longtemps muettes, mais restées entières, les mêmes prétentions utopistes se
tirent jour. Leur radicalisme parut même plus net et plus complet : le premier mot prononcé fut celui de liquidation sociale. L’auteur n’a pas de peine à démontrer que nette idée, que l’on trouve pour la première fois énoncée par Proudhon, ne saurait comporter un examen bien sérieux, qu’il serait impossible d’établir d’une façon quelconque la valeur fiduciaire par laquelle l’État liquidateur payerait les citoyens liquidés. Peutêtre n’insiste-t-il pus assez sur ce point que, cette valeur fiduciaire supposée réelle, la conversion de toutes les autres, la ruine du crédit, la destruction ou seulement l’arrêt momentané de l’agencement commercial et industriel transformeraient immédiatement la liquidation en banqueroute.
On voit de même que la gratuité du crédit aurait pour premier résultat de forcer le capitaliste à vivre sur son capital, c’est-à-dire. a le consommer rapidement, sans qu’il y eût pour lui aucune chance de le reconstituer dans un pareil ordre de choses. Le citoyen pourvu de l’outillage, condamné à un travail qu’il devra produire, et dont la quantité est invariablement fixée d’avance, a pour véritable type l’habitant du Paraguay dans les possessions des jésuites, avec les distributions quotidiennes qui le nourrissaient, l’absence de toute initiative, l’impossibilité de progrèsser par le fruit de son travail. C’est le bagne, moins la contrainte brutale, et il n’y a dans l’histoire, il faut le dire bien haut, aucun despotisme, si absolu qu’il fût, qui jamais soit arrivé à une pareille négation de la justice et de la liberté.
M. Bénard n’admet pas plus le communisme, qu’il appelle «une maladie s’attaquant aux cerveaux incompris ou plutôt incomplets. » Il distingue plusieurs espèces de communismes politiques : 1<> le communisme pur, qui formule hardiment sa doctrine en demandant la suppression du capital et la confiscation des propriétés particulières au profit de l’État ; 2° le communisme autoritaire, genre jésuite, qui veut confisquer la propriété et le capital au profit de l’État, devenu ainsi grand entrepreneur de travail et suprême distributeur des tâches et des pitances ; 3" le communisme collectiviste, genre russe et genre arabe, partageant la terre en portions communales ou paroissiales ; 4° le communisme individualiste, réclamant le partage égal des richesses sociales et laissant ensuite chaque individu se tirer d’affaire comme il le pourra.
Les chances que pourrait avoir le communisme de s’établir en France s’expliquent et se traduisent par les chiffres suivants. En 1815, on comptait 3,805,000 familles possédant ■44,750,000 hectares de terre ; en 1860, le nombre des familles propriétaires s’élevait à 5,550,000, qui possédaient 45,000,000 d’hectares. Cette différence provenait du morcellement de la propriété, source de richesses, d’après l’auteur.
(Dans le chapitre intitulé : Guerre au capital, l’auteur expose l’opinion célèbre de Turgot : ■ Le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour assurer sa subsistance. » Cette erreur était fondée sur ce que Turgot considérait la propriété du sol comme la seule source de la richesse, tandis que tous les économistes reconnaissent aujourd’hui que la classe des travailleurs est productrice de richesses aussi bien que celle des laboureurs. À ce sujet, l’auteur, selon nous, se fait une singulière illusion lorsqu’il donne comme un fait d’expérience que, «avec la division du capital dans un nombre infini de mains, chacun des détenteurs de ce capital, voulant le faire valoir pour qu’il ne s’évanouisse pas sans retour, offre de payer le
plus cher qu’il peut pour obtenir l’aide du travail. » Cela serait exact si l’on supposait constante chez tous les capitalistes la moyenne de l’intelligence, du discernement financier ; malheureusement, il n’en est pas ainsi, et nous voyons autour de nous les petits capitalistes, c’est-à-dire ceux dont le capital provient le plus immédiatement et le plus exclusivement d’épargnes longues et pénibles,
refuser leurs ressources a l’industrie pour aller à la Bourse les épuiser dans des affaires véreuses.
Nous ne jugeons pas non plus qu’il faille attacher une grande importance a cet argument, que nia situation du travailleur tend a s’améliorer par la réduction graduelle du nombre de ceux qui ne peuvent compter exclusivement que sur le produit d’un travail
salarié pour se procurer les moyens de vivre. Il est T>ien entendu que cette réduction graduelle du nombre des salariés ne provient que du passage de ceux-ci dans la classe des petits capitalistes. » Longtemps encore, nous le croyons, ce passage sera trop lent et trop rare pour qu’on puisse le considérer comme un sérieux élément d’amélioration sociale.
Nous signalerons enfin, comme le côté le plus original de cette étude, le chapitre du Droit au profit, dans lequel, après avoir facilement établi, au moyen de l’argumentation de M. Thiers, qu’il n’est autre chose que le droit au travail déguisé, l’auteur retourne victorieusement les mêmes armes contre son allié d’un moment et prouve que les protectionnistes réclament au haut de l’échelle,
comme un droit, la garantie du bénéfice, tandis que tout le monde est à peu près d’ac SOCI
cord aujourd’hui pour reconnaître qu’il est impossible de donner au travailleur la garantie du salaire.
La réfutation du mutuellisme de Proudhon est également curieuse.
Dans sa conclusion, l’auteur aborde les réformes politiques, et l’énnmération de celles qu’il réclame prouve que, tout en combattant de généreuses utopies, il n’en est pas moins animé de sentiments fort libéraux. En effet, il demande l’abolition de tous les privilèges et la consécration de toutes les libertés, et prêche en faveur du pauvre, qu’il veut racheter de l’esclavage abrutissant de la misère.