Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/STAËL-HOLSTEIN (Anne-Louise-Germaine NECKER, baronne DE)

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 3p. 1046-1048).

c’est un genre de succès qu’il n’est pas indifférent d’obtenir, mais qu’on est rarement dispensé d’expier. Plusieurs journalistes, dont on connaît d’avance l’opinion sur un livre d’après le seul nom de son auteur, se sont déchaînés contre Delphine ou plutôt contre Mme de Staël, comme des gens qui n’ont rien à ménager… Ils ont attaqué une femme, l’un avec une brutalité de collège, l’autre avec le persiflage d’un bel esprit de mauvais lieu, tous avec la jactance d’une lâche sécurité. »

Dès 1797, Mme de Staël était revenue à Paris habiter son hôtel de la rue de Grenelle, prés de la rue du Bac. Son mari la suivit et reprit ses fonctions d’ambassadeur de la cour de Suède près la République française ; il devait mourir cinq années après, en 1802. Au sein de cette société qu’elle aimait, elle recommença à ouvrir un cercle. Bien que particulièrement liée avec Benjamin Constant, Camille Jordan et tous les membres du parti clichien, elle les abandonna, dit-on, au 18 fructidor. C’est à ce propos qu’on a dit d’elle : « Pour faire une révolution, elle ferait jeter tous ses amis dans la rivière, quitte à les repêcher le lendemain par bonté d’âme. » Nous ne discuterons pas ici en détail la conduite de la fille de Necker ni la ligne politique qu’elle suivit. Ceux qui voudront l’étudier ne devront s’adresser ni aux royalistes ni davantage aux conventionnels, mais à elle-même et lire ses Considérations sur la Révolution française. On dit encore qu’elle fut l’âme du cercle constitutionnel créé pour soutenir la constitution de l’an III. Quoi qu’il en soit, elle eut assez d’influence pour faire donner le portefeuille de l’extérieur à Talleyrand, qu’elle estimait beaucoup alors et que depuis elle peignit dans Delphine sous les traits d’une vieille coquette égoïste et sèche. C’est que Talleyrand, qui devait tout à Mme de Staël, la paya de la plus profonde ingratitude. Du jour où il y eut danger pour lui, pour son portefeuille, il s’éloigna sans vergogne de son ancienne protectrice. Le 18 brumaire avait mis fin au crédit de Mme de Staël. Sur la scène politique du nouveau régime, il n’y avait pas place pour les femmes. À partir de ce moment, il y eut une lutte sans merci entre elle et Bonaparte, lutte qui dura quinze années et qui n’est pas l’épisode le moins curieux de la vie de Mme de Staël. Son salon devint le rendez-vous des mécontents, le lieu d’où partaient les propos hostiles dirigés contre le premier consul. Avertie par le ministre de la police, Fouché, des conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter pour elle, elle n’en tint pas compte. Les fréquents voyages qu’elle faisait à Coppet, auprès de son père, enfin la publication des Dernières vues de politique et de finances de M. Necker, à laquelle on suppose qu’elle avait pris une large part, achevèrent de faire prendre ombrage au pouvoir naissant, qui lui rendit le service de l’exiler. L’hostilité de Napoléon lui valut plus de sympathie qu’elle n’en avait jusqu’alors rencontré. Elle quitta Paris ou plutôt Saint-Brice, où elle demeurait avec Mme Récamier, et partit pour l’Allemagne. À Weimar, où elle séjourna durant les années 1803 et 1804, elle se prit d’un vif enthousiasme pour Goethe et Schiller. Une lettre de celui-ci à Goethe montre combien ces deux illustres maîtres prirent plaisir à l’étudier, à l’analyser, pour ainsi dire. « Elle représente, lui écrit-il, l’esprit français sous un jour vrai et très-intéressant. Dans tout ce que nous appelons philosophie, par conséquent dans toutes les questions élevées et décisives, on se trouve en désaccord avec elle, et toutes les conversations n’y peuvent rien. Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. Elle veut tout éclaircir, tout comprendre, tout mesurer ; elle ne vous concède rien d’obscur, d’inaccessible, et tout ce qu’elle ne peut pas éclairer de son flambeau n’existe point pour elle ; aussi a-t-elle une peur affreuse de la philosophie idéaliste, qui, à son insu, mène au mysticisme et à la superstition, et c’est là l’atmosphère où elle s’anéantit. Il n’y a pas en elle de sens pour ce que nous appelons poésie ; d’une œuvre de ce genre elle ne s’assimile que la passion, l’éloquence et l’esprit général ; mais si le bon lui échappe parfois, elle n’estimera jamais le mauvais. » De Weimar, Mme de Staël se rendit à Berlin et reçut à la cour de Prusse un accueil empressé. C’est alors que, rappelée à Coppet par la mort de Necker, après avoir fait, en 1805, une courte excursion en Italie, elle se fixa définitivement au château paternel et y tint une espèce de cour qui eut, sous l’Empire, une grande célébrité.

Mme de Staël avait mis à profit ses voyages en Allemagne et en Italie pour ébaucher deux grands ouvrages : De l’Allemagne et Corinne. Corinne parut d’abord (1807, 2 vol. in-12). Le succès de ce roman fut plus grand encore que celui de Delphine ; il retentit dans l’Europe entière. Jamais Mme de Staël n’avait atteint à une telle hauteur ; jamais elle n’avait été plus profonde et à la fois plus poétique, plus éloquente. Corinne, c’est la glorification de l’Italie et en même temps la personnification idéale de la femme moderne. « C’est Delphine encore, dit Benjamin Constant, mais perfectionnée, mais indépendante, laissant à ses facultés un plein essor et toujours doublement inspirée par le talent et par l’amour. » On raconte que Napoléon ressentit une profonde irritation du concert d’éloges qui s’éleva autour de cette œuvre. Est-ce parce qu’elle était l’œuvre de son ennemie, de celle qui depuis cinq ans le bravait, ou bien parce que cette image radieuse, idéale de Corinne couronnée de lauriers contrariait son but ? S’il faut en croire une anecdote que rapporte Villemain, le dominateur de la France fut tellement blessé du bruit que faisait ce roman, qu’il en composa lui-même une critique insérée au Moniteur.

Après la publication de Corinne, Mme de Staël ne se crut plus momentanément en sûreté même en sa résidence de Coppet ; elle dut fuir et, en 1808, retourna en Allemagne pour y terminer le livre qu’elle avait ébauché lors de son premier voyage en 1803 et 1804. C’est de Vienne qu’elle data la lettre suivante adressée à Talleyrand et par laquelle elle essayait, sinon de rentrer en grâce, du moins de se faire rendre par Napoléon 2 millions, prêtés autrefois par Necker à Louis XVI. Cette lettre, pleine de finesse et de réticences, a de l’importance au point de vue biographique :

« Vienne, ce 3 avril 1808.

« Vous serez étonné de recevoir une écriture dont vous avez perdu le souvenir. À la distance où nous sommes, il me semble que je m’adresse à vous comme d’un autre monde, et ma vie a tellement changé que je puis aisément me faire cette illusion. J’ai dit à mon fils d’aller vous trouver et de vous demander franchement et simplement de vous intéresser à la liquidation des 2 millions qui font plus de la moitié de notre fortune et de l’héritage de mes enfants. C’est une douleur cruelle pour moi de penser que je nuis à ma famille, qu’ils seraient payés si demain je n’existais plus ; car cette dette a un caractère si sacré, que les préventions de l’empereur contre moi peuvent seules l’empêcher de statuer sur elle, et cependant il me semble qu’aux yeux de l’Europe, si Europe il y a pour moi, l’exil paraîtrait moins cruel si l’on se montrait juste envers la fortune. J’en ai assez dit sur ce sujet à vous qui devinez tout. Vous m’écriviez, il y a treize ans, d’Amérique : « Si je reste encore un an ici, j’y meurs. » J’en pourrais dire autant du séjour de l’étranger : j’y succombe ; mais le temps de la pitié est passé, la nécessité a pris sa place. Voyez cependant si vous pouvez rendre service à mes enfants. Je le crois ; si vous le pouvez, vous le ferez. Je n’ai aucun moyen quelconque de vaincre les préventions de l’empereur contre moi. S’il ne croit pas que six ans d’exil et six ans de plus sont un siècle pour la pensée, s’il ne croit pas que je suis une autre personne, ou du moins que la moitié de ma vie est éteinte et que le repos de la patrie me paraîtrait les champs Élysées, je n’ai aucun moyen, dans ma situation, de le lui prouver ; mais vous, qui vous souvenez peut-être encore quelquefois de moi, ne pourriez-vous pas lui dire quelle personne je dois être à présent, quelle personne la reconnaissance envers lui me ferait ; enfin, tout ce que vous savez aussi bien que moi ?

« Adieu ; ne causerai-je donc pas une fois avec vous avant la vallée de Josaphat ? J’ai le projet d’aller en Amérique ; il me faut une patrie pour mes fils ; je demanderai à New-York où vous avez logé. Il y a des moments où, malgré mon dégoût profond de la vie, je suis assez aimable ; alors je pense que j’ai appris cette langue de vous ; mais avec qui la parler ! Adieu. Êtes-vous heureux ? Avec un esprit si supérieur, n’allez-vous pas quelquefois au fond de tout, c’est-à-dire jusqu’à la peine ? Moi, je voudrais me distraire et je ne le puis. Ce qui me fait mal surtout, c’est de ne pouvoir donner à mes enfants ni leur patrie ni l’héritage de mon père. Si vous me soulagez de cela, je joindrai ce moment-ci à notre dernier entretien, et l’intervalle sera comblé. Adieu, encore une fois ; je ne sais finir qu’ainsi avec vous.

             « Necker de Staël. »

Napoléon fit la sourde oreille, et Mme de Staël n’obtint le remboursement de sa créance que sous la Restauration, mais elle put revenir sans crainte à Coppet. « La vie de Coppet, dit Sainte-Beuve, était une vie de château. Il y avait souvent jusqu’à trente personnes, étrangers et amis ; les plus habituels étaient Benjamin Constant, M. Auguste Wilhelm de Schlegel, M. de Sabran, M. de Sismondi, M. de Bonstetten, les barons de Voigt, de Balk, etc. ; chaque année y ramenait une ou plusieurs fois M. Matthieu de Montmorency, M. Prosper de Barante, le prince Auguste de Prusse, la beauté célèbre désignée par Mme de Genlis sous le nom d’Athénaïs (Mme Récamier), une foule de personnes du monde, des connaissances d’Allemagne ou de Genève. Les conversations philosophiques, littéraires, toujours piquantes ou élevées, s’engageaient déjà vers onze heures du matin, à la réunion du déjeuner ; on les reprenait au dîner, dans l’intervalle du dîner au souper, lequel avait lieu à onze heures du soir, et encore au delà, souvent jusqu’après minuit. Benjamin Constant et Mme de Staël y tenaient surtout le dé. C’est là que Benjamin Constant, que nous, plus jeunes, n’avons guère vu que blasé, sortant de sa raillerie trop invétérée par un enthousiasme un peu factice, censeur toujours prodigieusement spirituel, mais chez qui l’esprit à la fin avait hérité de toutes les autres facultés et passions plus patentes, c’est là qu’il se montrait avec feu et naturellement ce que Mme de Staël le proclamait sans prévention, le premier esprit du monde. Il était certes le plus grand des hommes distingués. Leurs esprits du moins à tous les deux se convenaient toujours ; ils étaient sûrs de s’entendre par là. Rien, au dire des témoins, n’était éblouissant et supérieur comme leur conversation engagée dans ce cercle choisi, eux deux tenant la raquette magique du discours et se renvoyant, durant des heures, sans manquer jamais, le volant de mille pensées entre-croisées. Mais il ne faudrait pas croire qu’on fût là de tout point sentimental ou solennel ; on y était souvent simplement gai : Corinne avait des jours d’abandon. On jouait souvent à Coppet des tragédies, des drames ou des pièces chevaleresques de Voltaire, Zaïre, Tancrède, si préféré de Mme de Staël, ou des pièces composées exprès par elle ou par ses amis. Ces dernières s’imprimaient quelquefois à Paris, pour qu’on pût ensuite apprendre plus commodément les rôles. L’intérêt qu’on mettait à ces envois était vif, et quand on avisait à de graves corrections dans l’intervalle, vite on expédiait un courrier et, en certaines circonstances, un second pour rattraper ou modifier la correction déjà en route. La poésie européenne assistait à Coppet dans la personne de plusieurs représentants célèbres. Zacharias Werner, l’un des originaux de cette cour et dont on jouait l’Attila et les autres drames avec grand renfort de dames allemandes, Werner écrivait vers ce temps (1809) au conseiller Schneffer (nous atténuons pourtant deux ou trois traits, auxquels l’imagination, malgré lui sensuelle et voluptueuse, du mystique poëte s’est trop complue) : « Mme de Staël est une reine, et tous les hommes d’intelligence qui vivent dans son cercle ne peuvent en sortir, car elle les y retient par une sorte de magie. Tous ces hommes-là ne sont pas, comme on le croit follement en Allemagne, occupés à la former ; au contraire, ils reçoivent d’elle l’éducation sociale. Elle possède d’une manière admirable le secret d’allier les éléments les plus disparates, et tous ceux qui l’approchent ont beau être divisés d’opinion, ils sont tous d’accord pour adorer cette idole. Mme de Staël est d’une taille moyenne, et son corps, sans avoir une élégance de nymphe, a la noblesse des proportions… Elle est forte, brunette, et son visage n’est pas à la lettre fort beau, mais on oublie tout dès que l’on voit ses yeux superbes, dans lesquels une grande âme divine, non seulement étincelle, mais jette feu et flamme. Et si elle laisse parler complètement son cœur, comme cela arrive si souvent, on voit comme ce cœur élevé déverse encore tout ce qu’il y a de vaste et de profond dans son esprit, et alors il faut l’adorer comme mes amis A.-W. Schlegel et Benjamin Constant, etc. » Il n’est pas inutile de se figurer l’auteur galant de cette peinture, Werner, bizarre de mise et volontiers barbouillé de tabac, muni qu’il était d’une tabatière énorme, où il puisait à foison durant ses longues digressions érotiques et platoniques sur l’androgyne ; sa destinée était de courir sans cesse, disait-il, après cette autre moitié de lui-même, et, d’essai en essai, de divorce en divorce, il ne désespérait pas d’arriver enfin à reconstituer son tout primitif.

Le poëte danois Œhlenschlager a raconté en détail une visite qu’il fit à Coppet ; nous emprunterons quelques traits à son récit : « Mme de Staël vint avec bonté au-devant de moi, raconte-t-il, et me pria de passer quelques semaines à Coppet, tout en me plaisantant avec grâce sur mes fautes de français. Je me mis à lui parler allemand ; elle comprenait très-bien cette langue et ses deux enfants la comprenaient et la parlaient très-bien aussi. Je trouvai chez Mme de Staël Benjamin Constant, Auguste Schlegel, le vieux baron Voigt d’Altona, Bonstetten de Genève, le célèbre Simonde de Sismondi et le comte de Sabran, le seul de toute cette société qui ne sût pas l’allemand… Schlegel était poli à mon égard, mais froid… Mme de Staël n’était pas jolie, mais il y avait dans l’éclair de ses yeux noirs un charme irrésistible, et elle possédait au plus haut degré le don de subjuguer les caractères opiniâtres et de rapprocher par son amabilité des hommes tout à fait antipathiques. Elle avait la voix forte, le visage un peu mâle, mais l’âme tendre et délicate… Elle écrivait alors son livre sur l’Allemagne et nous en lisait chaque jour une partie. On l’a accusée de n’avoir pas étudié elle-même les livres dont elle parle dans cet ouvrage et de s’être complètement soumise au jugement de Schlegel. C’est faux. Elle lisait l’allemand avec la plus grande facilité. Schlegel avait bien quelque influence sur elle, mais très-souvent elle différait d’opinion avec lui et elle lui reprochait sa partialité… Schlegel, pour l’érudition et pour l’esprit duquel j’ai un grand respect, était en effet imbu de partialité. Il plaçait Calderon au-dessus de Shakspeare ; il blâmait sévèrement Luther et Herder. Il était, comme son frère, infatué d’aristocratie… Si l’on ajoute à toutes les qualités de Mme de Staël qu’elle était riche, généreuse, on ne s’étonnera pas qu’elle ait vécu dans son château enchanté comme une reine, comme une fée ; et sa baguette magique était peut-être cette petite branche d’arbre qu’un domestique devait déposer chaque jour sur la table à côté de son couvert et qu’elle agitait pendant la conversation. »

En 1810, Mme de Staël se hasarda à venir incognito à Paris pour y faire imprimer son livre De l’Allemagne. Fouché eut vent de cette affaire, fit saisir l’édition entière chez l’imprimeur, et dix mille exemplaires, prêts à être mis dans le commerce, furent détruits. Trois ans après seulement l’ouvrage parut à Londres. C’est en somme le meilleur titre littéraire de Mme de Staël ; il offre un tableau complet et intéressant, malgré ses inexactitudes, de la philosophie et de la littérature d’outre-Rhin. « À l’époque où il parut, la littérature allemande, dit M. Demogeot, était encore pour nous un monde inconnu, bien plus, un monde dédaigné et moqué. Voltaire se bornait à souhaiter aux Allemands plus d’esprit et moins de consonnes. Mme de Staël prit une glorieuse initiative. Elle osa pénétrer la première dans cette forêt hercynienne, et non-seulement elle y entra avant tous, mais encore elle en dressa le plan avec plus de vérité que ne l’ont fait ceux qui y sont entrés à sa suite ; la plus grande partie des ouvrages écrits en France sur l’Allemagne restent fort au-dessous de ce premier essai, destiné à faire connaître l’Allemagne aux Français. Déjà, dans ses œuvres précédentes, Mme de Staël avait montré toute la force de son esprit ; dans l’Allemagne, elle s’élève au-dessus d’elle-même en s’arrachant aux préjugés français et en renonçant au point de vue sensualiste de la philosophie du XVIIIe siècle. C’est peut-être là le plus grand service que ce généreux esprit ait rendu à la France et à la philosophie. La sphère où vivaient Goethe, Schiller, Kant et Hegel s’ouvrit à nos regards. Si l’auteur ne comprit pas toujours ces grands hommes, elle donna du moins le désir de les connaître. Ses erreurs même sont moins nombreuses qu’on ne s’est plu à le dire. L’instinct du vrai et du beau chez elle suppléait à l’imperfection nécessaire des connaissances. »

Cet ouvrage, cependant, est-il sans reproche ? Il a un défaut capital, qu’il partage avec Delphine et Corinne. Dès le premier de ces romans, ne semble-t-il pas que Mme de Staël rende la France entière solidaire de l’oppression de Bonaparte et se venge en la dénigrant ? Cette tendance fâcheuse, blâmable chez un esprit si élevé, s’accuse davantage encore dans Corinne et définitivement dans l’Allemagne. Que de passages, en effet, où elle rabaisse les gloires littéraires de sa patrie et la dénigre ! Voyageant en Allemagne en 1808, elle disait souvent : « Tout ce que je vois ici est meilleur, plus instruit, plus éclairé que la France. » Il est vrai qu’elle ajoutait aussitôt : « Mais qu’un petit morceau de France ferait bien mieux mon affaire ! » C’était là au fond son vrai sentiment.

La destruction de son livre ne fut pas le seul châtiment infligé à l’auteur de l’Allemagne ; Mme de Staël fut obligée de se retirer à Coppet, avec défense de s’en écarter de plus de deux lieues. De plus, on fit le vide autour de la prisonnière. Schlegel reçut l’ordre de ne pas la voir, et Mme Récamier et Matthieu de Montmorency furent exilés pour avoir mis les pieds chez elle. En 1812, elle parvint à s’échapper, parcourut le Tyrol, l’Autriche, la Galicie, la Pologne, alla à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, ranimant partout sur son passage l’ardeur des ennemis de Napoléon ; enfin, elle alla à Londres, d’où elle revint en France après les désastres de 1814.

Elle avait connu en Angleterre Louis XVIII, et elle voyait volontiers en lui l’homme apte à doter la France de la royauté constitutionnelle à l’anglaise, qui avait été son rêve à l’aurore de la Révolution ; mais elle connaissait aussi ces émigrés qui rentraient avec elle, pleins d’arrogance et d’entêtement. « Ils perdront les Bourbons, » disait-elle. Ce qui ne manqua pas d’arriver. Durant les Cent-Jours, elle se retira en Suisse. Napoléon lui fit savoir qu’elle pouvait revenir à Paris et lui laissa espérer le remboursement par le Trésor des 2 millions qu’elle réclamait. Elle répondit : « Napoléon s’est bien passé de constitution et de moi pendant douze ans, et à présent même il ne nous aime guère plus l’un que l’autre. »

Mme de Staël avait, en 1810, contracté un second mariage avec M. de Rocca, jeune officier italien au service de la France. En 1816, M. de Rocca tomba malade à Pise ; elle s’y rendit pour le soigner, mais elle-même était atteinte d’un mal incurable ; elle fut obligée de revenir à Paris, où elle mourut bientôt après, le 14 juillet 1817. Sainte-Beuve a donné sur ses dernières années des détails intimes, par lesquels nous compléterons cet article ; « L’amertume que lui causa la suppression inattendue de son livre (l’Allemagne) fut grande. Six années d’études et d’espérances détruites, un redoublement de persécution au moment où elle avait lieu de compter sur une trêve, et d’autres circonstances contradictoires, pénibles, faisaient de sa situation, à cette époque, une crise violente, une décisive épreuve, qui l’introduisait sans retour dans ce que j’ai appelé les années sombres. Jusque-là les orages mêmes avaient laissé jour pour elle à des reflets gracieux, à des attraits momentanés, et, selon sa propre expression si charmante, à quelque air écossais dans sa vie. Mais, à partir de là, tout devient plus âpre. La jeunesse d’abord, cette grande et facile consolatrice, s’enfuit. Mme de Staël avait horreur de l’âge et de l’idée d’y arriver ; un jour qu’elle ne dissimulait pas ce sentiment devant Mme Suard, celle-ci lui disait : « Allons donc, vous prendrez votre parti, vous serez une très-aimable vieille. » Mais elle frémissait à cette pensée ; le mot de jeunesse avait un charme musical à son oreille ; elle se plaisait à en clore ses phrases, et ces simples mots : « Nous étions jeunes alors, » remplissaient ses yeux de larmes. « Ne voit-on pas souvent, s’écriait-elle (Essai sur le suicide), le spectacle du supplice de Mézence renouvelé par l’union d’une âme encore vivante et d’un corps détruit, ennemis inséparables ? Que signifie ce triste avant-coureur dont la nature fait précéder la mort, si ce n’est l’ordre d’exister sans bonheur et d’abdiquer chaque jour, fleur après fleur, la couronne de la vie ? » Elle se rejetait le plus longtemps possible en arrière, loin de « ces derniers jours qui répètent d’une voix si rauque les airs brillants des premiers. » Le sentiment dont elle fut l’objet à cette époque de la part de M. de Rocca lui rendit encore un peu de l’illusion de la jeunesse ; elle se laissait aller à voir dans le miroir magique de deux jeunes yeux éblouis le démenti de trop de ravages. Mais son mariage avec M. de Rocca, ruiné de blessures, le culte de reconnaissance qu’elle lui voua, sa propre santé altérée, tout l'amena à de plus réguliers devoirs. L’air écossais, l’air brillant du début, devint bientôt un hymne grave, sanctifiant, austère.

Trop à l’étroit dans Coppet, elle sentait que, pour être heureuse, il lui fallait ressaisir l’air libre, l’espace immense. Le préfet de Genève, M. Capelle, qui avait succédé à M. de Barante père révoqué, lui insinuait d’écrire quelque chose sur le roi de Rome ; un mot lui eût aplani tous les chemins, ouvert toutes les capitales ; elle n’y songea pas un seul instant, et, dans sa saillie toujours prompte, elle ne trouvait à souhaiter à l’enfant qu’une bonne nourrice. Les Dix années d’exil (1821, in-8°) peignent au naturel les vicissitudes de cette situation agitée. Les Considérations sur la Révolution française (1818, 3 vol. in-8°), dernier ouvrage de Mme de Staël, celui qui a scellé le jugement sur elle et qui classe naturellement son nom en politique entre les noms honorés de son père et de son gendre, la font connaître sous ce point de vue libéral, mitigé, anglais et un peu doctrinaire, comme on dit, beaucoup mieux que nous ne pourrions faire. Aussitôt après son retour en France, elle ne tarda pas à voir se dessiner les exigences des partis et toutes les difficultés qui compliquent les restaurations. Les ménagements, les mesures de conciliation et de prudence furent dès l’abord la voie indiquée, conseillée par elle. Dans son rapprochement de Mme de Duras et de M. de Chateaubriand, elle cherchait à s’entendre avec la portion éclairée, généreuse, d’un royalisme plus vif que le sien. « Mon système, disait-elle en 1816, est toujours en opposition absolue avec celui qu’on suit, et mon affection la plus sincère pour ceux qui le suivent. » Elle eut dès lors à souffrir incessamment dans beaucoup de ses relations et affections privées par les divergences qui éclatèrent ; le faisceau des amitiés humaines se relâchait autour d’elle. Jours pénibles et qui arrivent tôt ou tard dans chaque existence, où l’on voit les êtres préférés, qu’on rassemblait avec une sorte d’art au sein d’un même amour, se refroidir, se déplaire, se rembrunir l’un après l’autre, se tacher, en quelque sorte, dans la fleur d’affection où ils brillaient d’abord.

Mme de Staël n’eut pas d’enfants de son union avec M. de Rocca, qui ne lui survécut que six mois. De M. de Staël, elle avait eu deux fils et une fille ; celle-ci épousa M. de Broglie, pair de France. Des deux fils, le puîné mourut fort jeune ; l’autre fut le baron de Staël, l’écrivain philanthrope, dont la biographie suit.

Outre les ouvrages énumérés au courant de cet article, on a encore publié de Mme de Staël : Essais dramatiques (1821, in-8°) ; Œuvres inédites (1836, in-8°) ; Lettres inédites (dans la Revue rétrospective, tome III).

STAËL-HOLSTEIN (le baron Auguste-Louis de), littérateur, philanthrope, fils aîné des précédents, né à Paris en 1790, mort à Coppet en 1827. Il passa ses premières années à Coppet, où Necker et sa mère, Mme de Staël, dirigèrent sa première éducation, suivit pendant quelque temps les cours d’une école protestante de Genève, puis vint avec sa mère à Paris, Lorsque sa mère fut exilée de France par Bonaparte, il retourna avec elle en Suisse, voyagea ensuite en Allemagne et reçut des leçons de Guillaume de Schlegel. Pour obtenir la fin de l’exil de sa mère, il alla voir Napoléon à Chambéry et fit preuve dans cette entrevue, dont le résultat fut négatif, de beaucoup de présence d’esprit et de dignité, De retour à Coppet, il s’occupa d’une façon toute particulière d’économie rurale. Après la chute de Bonaparte, le baron de Staël revint à Paris, où sa mère venait d’accourir. Il fit alors divers voyages en Angleterre et dans le midi de la France, et fit, comme un des chefs de la Société biblique, une active propagande protestante. Possesseur d’une grande fortune, il la consacra à des œuvres de bienfaisance, au perfectionnement des méthodes de culture, et s’occupa avec zèle de l’abolition de la traite des noirs. Ses Œuvres diverses ont été réunies en 1829 (3 vol. in-8°), avec une notice biographique, par la duchesse de Broglie, sa sœur. Parmi ses écrits, inspirée par des idées essentiellement libérales, nous citerons : Du nombre et de l’âge des députés (Paris, 1819, in-8°) ; le Renouvellement intégral de la Chambre (1818, in-8°) ; Notice sur M. Necker (in-8°) ; Lettres sur l’Angleterre (1825, in-8°) ; Élégies (1827, in-8°), etc.

STÆLIE s. f. (sté-ll). Bot. Genre de plantes, de la famille des rubiacées, tribu des spermacocées, comprenant trois espèces, qui croissent au Brésil.

STJÎLIN (Christophe-Frédéric de), historien allemand, né k Kalw (Wurtemberg) en 1805. Il fit ses études à Tubingue et à Heidelberg, obtint en 1825 une place d’adjoint à la bibliothèque royale de Stuttgard ety devint successivement sous-bibliothécaire (1826), bibliothécaire (1828), professeur (1830) et bibliothécaire en chef et conseiller supérieur

des études (18-46). Il est, en outre, chargé, depuis 1830, de la surveillance du cabinet des monnaies et des antiques de la même ville et collabore aux travaux du bureau de statistique. L’ouvrage qui a surtout établi sa réputation est son excellente Histoire du Wurtemberg (Stuttgard, 1812, et suiv., 6 vol.), qui peut, sous tous les rapports, être placée au premier rang parmi les livres qui donnent l’histoire particulière des différents États de l’Allemagne. Outre cette œuvre capitale, Siœlin a encore écrit la partie historique des Descriptions des grands bailliages du Wurtemberg, dont 48 parties avaient été publiées en 1867. Il a, de plus, fourni un grand nombre d’articles aux Annales du Wurtemberg et il est l’un des collaborateurs les plus actifs des Recherches sur l’histoire d’A demagne. Rn 1850, il a été créé chevalier de l’ordre de la Couronne de Wurtemberg, qui confère la noblesse personnelle.

STASIHPPLl (Jacques), homme d’État suisse, né à Schûpfen, canton de Berne, en 1820. Issu d’une famille peu aisée, il ne reçut qu’une éducation élémentaire etentraàl’âge de douze ans chez Un notaire comme petit clerc. Il vint ensuite en France, où, pour upprendre notre langue, il eut le courage de se faire domestique, et après un assez long séjour il regagna Berne-avec quelques économies quilùi permirent de faire son droit et de passer ses examens d’avocat en 1843. À partir de ce moment, on le vit se jeter dans les agitations de la politique, et il compta rapidement parmi les membres les plus ardents du parti radical. Il entra, en 1845, à la Gazette de Berne, le journal le plus avancé du canton, et ne cessa de demander la nomination d’une commission chargée de reviser le pacte fédéral. Sa réclamation fut accueillie, et il fut un des premiers nommé membre de cette commission, ainsi que M. Ochsenbein, dont il devait devenir l’adversaire. Au mois d’août 18*6, M. StœmpHi fut appelé au conseil d’État et s’y occupa de l’organisation d’une force militaire centrale ; puis il représenta, en 1847, le canton do Berne k la.diète qui décréta l’anéantissement du Sonderbund. Durant la

courte campagne contre les sept cantons révoltés, M. Stœmpfli exerça "les fonctions de trésorier de la guerre. Il se prononça, en 1848, contre la constitution qui venait d’être promulguée, opposition qui l’empêcha tout d’abord de faire partie du conseil national ; mais il fut, l’année suivante, nommé président du canton de Berne. En 1850, après la chute de son parti, il reprit sa profession d’avocat, tout en participant à la rédaction de la Gazette de Berne, et continua avec la plume la lutte en faveur des idées radicales. En 1851, le parti qui les représentait obtint de nouveau la majorité, et AI. Stœmpfli fut élu président du conseil national, où il joua, grâce à ses talents et à son énergie, un rôle capital. Nommé, en juillet 185S, vice-président fédéral, il devint président l’année suivante. En 1860, il prit le département de la guerre dans le ministère de la confédération et fut, l’année suivante, nommé président de la confédération suisse. En 1863, il reprit le ministère de la guerre, dans lequel il fut remplacé par M. Fornerod à la fin de la même année. Depuis 1865, M. Stœmpfli a renoncé à la politique active pour s’occuper definances, et il est devenu directeur de la banque fédérale de Berne.

STAÎUDL1N (Charles-Frédéric), théologien protestant allemand, [né à Stuttgard le 25 juin 1761, mort à Gœttingue le 5 juin 182S. Il étudia h Tubingue et Ait nomme, en 1790, professeur de théologie à Gœttingue. Son principal ouvrage est une Histoire universelle de l’Église chrétienne (Hanovre, 1806 ; 1833, 5e édit.). Il a, en outre, publié divers ouvrages de théologie et de philosophie, parmi lesquels nous citerons l’Histoire de la philosophie morale (Hanovre, 1822).

STJÎWA11TS ou STEVERTS (Palamède), peintre hollandais, né à Londres en 1607, mort en 1638. Il apprit tout seul la peinture en étudiant surtout les œuvres d’isaïe van den Vcldo, dont il fut un des plus habiles imitateurs. Il excellait à représenter des échoppes de vivandière, des combats do cavalerie et d’infanterie. — Son frère aîné, Antoine-Palainède StjEWarts, né à Delft eu 1604, mort en 1GS0, avait moins de talent. Il a peint des tableuux représentant des couver STAP

sations, des joueurs ou des concerts et un grand nombre de portraits.

STAFFA, lie d’Écosse, une des Hébrides, à 8 kilom. O. de l’Ile de Mull, comprise dans le comté d’Argyle, par 56» 20’ de latit. N. et 80 40’ de longit. O, Staffa a une forme ovale, mais irtégulière ; son étendue est de 5 kilom. de longueur et de 3 kilom. de largeur ; elle présente un plateau inégal qui repose sur des falaises d’une hauteur variable, dont le point culminant, au S.-O., est de 44 mètres. On n’y voit ni arbres, ni arbustes, ni habitations ; quelques maigres pâturages couvrent en partie sa surface, et des troupeaux viennent brouter cette herbe pendant les deux mois que dure l’été ; le reste de l’année elle est abandonnée, l’hivery est très-rude. Mais les nombreuses et belles curiosités naturelles qu’elle renferme l’ont rendue depuis longtemps célèbre. Outre la grotte de Clam, longue de 40 mètres, large de 5 et présentant une hauteur perpendiculaire de 9 mètres, avec des parois formées de prismes recourbés comme les côtes d’un navire ; outre la curieuse et grande colonnade prismatique qui forme une partie des falaises de l’Ile, on y admire la fameuse grotte de Fingal ou la grotte Mélodieuse. Voici la description que M. Panckoucke fait de cette merveille de la nature : <■ La largeur de l’entrée de la grotte de Fingal, prise à l’ouverture et à fleur d’eau, est de 1101,36 ; la hauteur, prise depuis le niveau de la mer jusqu’au cintre du niveau de la voûte, est de 18m,19 ; la profondeur de la mer en face de la grotte, à 4 mètres de distance de l’entrée, est de 4m,87 ; l’épaisseur de la voûte, mesurée a l’extérieur depuis le cintre jusqu’au plus haut point de lu Voûte, est de cro,49 ; la profondeur intérieure de la grotte, depuis l’entrée jusqu’à son extrémité, est de 45nl,47 ; la hauteur des plus grandes colonnes vers le côté droit de l’entrée est de 14>n16i ; la profondeur de la mer dans l’intérieur de la grotte est de 3m,49, et de 2tn,59 dans certains endroits et un peu moins dans le fond.

Le premier sentiment qu’inspire la régularité de tout ce que l’on voit est que Ton entre dans un édifice taillé par la main de l’homme ; cette longue voûte élevée dans une proportion élégante, ces colonnes droites, ces angles rentrants et saillants dont les arêtes sont si pures, tout semble indiquer que le ciseau d artistes nubiles s’y est exercé, car cette grotte n’est point basse comme les cavernes ordinaires, et on n’y distingue aucune pierre, aucun fragment qui ne soit prismatique, c’est-à-dire parfaitement et régulièrement taillé. Le fond de la grotte est fermé et obscur comme le chœur d’une église. Sur les deux côtés s’élèvent et se prolongent, en lignes parfaitement droites, deux grands murs composés de colonnes prismatiques hautes à peu près de 50 pieds ; ces colonnes présentent entre elles, de loin eu loin, quelques renfoncements de 3 a 4 pieds do profondeur au

plus, et se succèdent ainsi dans une longueur de 140 pieds jusqu’au fond de la grotte ; là se trouvent de plus petites colonnes prismatiques d’un seul jet. Ces prismes ont de 1 à 3 jiieds de diamètre ; ils sont d’un noir de jais, les uns triangulaires, d’autres quadrangulaires, pentagones, hexagones, quelques-uns à sept ou huit pans, mais parfaitement soudés. Les colonnes sur lesquelles on marche différent entre elles, en hauteur seulement, de 3 à 4 pieds. Lorsque la mer est tranquille, on distingue parfaitement le fond de la grutle qui offre un beau parquet noir, composé de carreaux à quatre, cinq ou six pans bien découpés. La lumière du jour, en perdant graduellement son éclat, arrive jusqu’au fond de la grotte, et, lorsque l’œil est habitué à l’obocuritè de ces lieux, il peut y distinguer très-bien tous les objets. »

Du fond de la grotte, le regard tourné vers l’entrée découvre un tableau ravissant, formé r>arla mer et la petite lie d’iona qu’on aperçoit à peu de distance. L’Ile de Staffa possède encore deux autres grottes plus petites : la grotte du Bateau, ainsi appelée parce qu’on ne peut y entrer qu’en bateau, et ia grotte des Cormorans.

STAFFARDE, village du royaume d’Italie, dans la province de Coni, district et à 6 kilom. N. de Saluées, près du Pô. Il est célèbre par la victoire que Catinat y remporta sur le duc de Savoie, le 18 août 1690.

Staffnrde (bataillb de), gagnée par Catinat sur Victor-Amédée, duc de Savoie, le 18 août 1690. La ligue d’Augsbourg nous avait mis toute l’Europe sur les bras ; cependant, le duc de Savoie ne s’était pas encore déclaré contre la France. Ce prince, peu redoutable par lui-même, tirait une grande importance de la situation de ses États, intermédiaires entre la France et l’Autriche. Ou devait donc le ménager ; mais c’était un art qu’ignorait Louis XIV, Son orgueil et les hauteurs brutales de Louvois jetèrent le duc dans les rangs de nos ennemis. Au lieu de le rassurer, on l’effraya en menaçant de conquérir ses États. Catinat, qui commanduit une armée rassemblée en Dauuhiué, reçut ordre de marcher sur le Piémont et de faire au duc, dont on ne connaissait pas encore la défection, bien qu’on la soupçonnât, sommation d’avoir à livrer les meilleures places à l’armée française, puis de réunir ses troupes à celles du général français. Catinat soutint ces impérieuses dépêchas en descendaut des montagnes sur C’a STÀP

rignan, dans la vallée du Pô. Qu’il obéit on qu’il refusât péremptoirement, Victor-Amédée se sentit perdu ; il recourut donc k la ruse, et, fidèle à la vieille tactique de son bisaïeul Charles-Emmanuel, il entama une négociation qu’il prolongea pendant un mois. Il profita de ce délai pour presser les secours que lui avait promis la ligue et pour se réconcilier avec les barbets, les vaudois de la montagne qu’il avait persécutés k l’exemple de Louis XIV. Quand il se vit en mesure d’agir, il changea brusquement de langage, intima au général français l’ordre d’évacuer immédiatement son territoire et de payer les dégâts commis par ses troupes, et fit arrêter l’ambassadeur du roi de France, ainsi que tous les Français qui se trouvaient à Turin ; violation odieuse du droit des gens, mais dont Louis XIV le premier avait donné i’exeinple envers Gênes. Le* hostilités commencèrent aussitôt. Catinat marcha sur Turin avec sa petite armée, qui ne comptait pas plus de 12,000 hommes ; le duc en avait environ 15,000 ou 16,000 sous ses ordres. Ayant pris l’offensive avec des forces supérieures et contre un ennemi qui ne prévoyait pas un si brusque changement, il contraignit d’abord Catinat à reculer ; mais le général français eut bientôt réduit le duc à la défensive. Il se porta sur Saluées par une marche de flanc en présence de l’ennemi, afin de l’attirer au combat. Les auxiliaires espagnols, que Victor-Amédée avait dans son camp, auraient voulu qu’il attendît les renforts allemands qui arrivaient k son secours ; mais, se voyant supérieur en forces et espérant humilier l’orgueil de Louis XIV en battant un du ses meilleurs généraux, il voulut la bataille. À l’aspect de ses mouvements, qui révélaient assez son intention, les Français rirent volte-face. Le duc s’était établi dans un poste assez avantageux, situé près de l’abbaye de Staffnrde ; mais il ne sut pas en tirer parti : autrement il eût été inaccessible ; ses deux ailes étaient couvertes par des marais, en avant desquels des cassiues ou maisons de campagne étaient garnies d’infanterie. Kien n’arrêta l’élan des Français ; k peine le signal de l’attaque eut-il été donné, qu’ils se précipitèrent sur les cassiues et en chassèrent les ennemis, malgré une vive résistance. Kn même temps, notre infanterie franchissait le marais de droite, et, s’alipuyant k une vieille digue du Pô que le duc de Savoie avait négligé d’occuper, elle prit en flanc la ligne ennemie et y jeta le désordre. Sur la gauche, l’ennemi opposait une résistance plus opiniâtre, grâce à une plus forte situation ; mais enfin la cavalerie française réussit de son côté à franchir le marais. L’armée ennemie se trouva alors débordée et enfermée entre deux feux, malgré la supériorité du nombre ; elle se rompit et se répandit précipitamment et en désordre dans les bois qui s’étendaient derrière sa position. Cette retraite allait même se changer en déroute, lorsqu’un jeune officier général, dont les talents militaires devaient être un jour si fatals à la France, le prince Eugène de Savoie, arrêta, par son habileté et son énergie, le flot des fuyards effarés et continua la retraite en bon ordre. Les ennemis laissaient 4 à 5,000 hommes sur le champ da bataille, le tiers de leur armée, et 11 canons. Voltaire ne porte pas a plus de 300 le nombre des tués du côté des Français ; mais il reste sans doute au-dessous de la vérité. Voici, du reste, en quels termes il apprécie la bataille de Staffarde : « Lorsqu’il y a beaucoup de morts d’un côté et presque point de l’autre, c’est une preuve incontestable que l’armée battue était dans un terrain où elle devait être nécessairement accablée. L’armée française n’eut que 300 hommes tués ; celle du duc en eut 4,000. ■ À part le chiffre, qui est discutable, la réflexion de Voltaira est pleine de justesse.

STAFFOLO, bourg du royaume d’Italie, province et district d’Ancône, mandement d lesi : 2,264 hab.

STAFFOHD, ville d’Angleterre, chef-lieu du comté de son nom, au confluent du Soy avec le Trent ut sur le chemin de fer de. l’Ouest, à 225 kilom. N.-O. de Londres, à 60 kilom S.-E. de Chester, par 52» 48’ de latit. N et 40 30’ de longit. O. ; 11,829 hab. Fabrication importante et commerce de chaussures, cuirs, coutellerie. Stafford a la forme d’un ovale irrégulier, avec des rues bien pavées et des maisons bien bâties en brique ; les principaux de ses édifices sont : la salle du comté spacieux et beau monument moderne, contenant des appartements fort élégants ; l’infirmerie du comté ; les deux églises Sainte-Marie et Saint Chad, dont la première contient des fonts baptismaux fort curieux ; enfin, les ruines d’un château bâti par Guillaume Ier. Cette ville, dont l’origine remonte au xe siècle, était autrefois entourée d’une enceinte, fortifiée et a joui du titre de baronnie, da comté, puis de marquisat en 1786.

STAFFOBD (comté de), division administrative du centre de l’Angleterre, compris entre les comtés de Chester au N.-O., de Derby au N.-E., de Leicester à i’E., de Warwiek et de Worcester au S., et de Shrop à l’O. Sa superficie est de 2,900 kilom. carrés ; 008,716 hati.. Chef-lieu, Stufford. Sa surface est générale^ ment unie, excepté dans la partie septentrionale, où quelques collines peu élevèesucciden. tent lesol, qui, au N.-E-, est pturseiué. de quelques marais. Les principaux, cours d’euU qui