Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SIMON (Antoine)

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 2p. 738-739).

SIMON (Antoine), gardien de Louis XVII au Temple, né à Troyes en 1736, décapité le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). On sait très-peu de chose sur ce personnage, qui est un des types légendaires de la Révolution. Les romanciers, les artistes et certains historiens se sont plu à charger cette physionomie des plus sombres couleurs, pour faire ressortir avec plus d’éclat la figure candide du jeune captif. On a pu d’autant mieux, sous ce rapport, se livrer à toutes les fantaisies que le rôle joué par ce révolutionnaire est fort obscur et que les documents historiques font défaut. Nous allons donner ici les renseignements authentiques que nous avons pu rassembler. Simon était, à l’époque de la Révolution, établi maître cordonnier dans la rue des Cordeliers (aujourd’hui rue de l’École-de-Médecine), entre l’école même et la maison où demeurait Marat. En 1788, veuf d’une première femme, il avait épousé Marie-Jeanne Aladame, ancienne domestique, possédant une petite rente. Celle-ci était une femme de la campagne, ignorante et simple, mais cependant (ce qui n’était pas alors très-commun dans cette classe) sachant écrire tant bien que mal, car il existe quelques lettres d’elle dans certaines collections. Simon était un homme honnête et estimé dans son quartier. D’abord membre du district, puis du club des Cordeliers en 1789, il se jeta avec ardeur dans le mouvement. Placé au cœur du district le plus agité de la capitale, voisin et probablement admirateur de Marat, en relation avec tous les cordeliers célèbres, Danton, Desmoulins, Legendre, etc., il suivit d’instinct, comme une foule d’autres, la marée montante de la Révolution. À la veille du 10 août, il fut nommé par sa section membre de la Commune, ce qui indique bien évidemment qu’il jouissait dans ce quartier, si riche en personnalités révolutionnaires, d’une notoriété sérieuse. À la suite de la journée du 10 août, sa femme se consacra au service des fédérés marseillais blessés à l’attaque du château et qui étaient casernés dans l’église des Cordeliers, changée en caserne. Elle montra un dévouement infatigable dans cette œuvre et sacrifia une partie de ses ressources, comme cela est attesté par des pièces authentiques. Lors des massacres de septembre, Simon fut un des commissaires nommés par la Commune, avec la mission de faire des efforts (qui furent malheureusement inutiles) pour arrêter l’effusion du sang. Lorsqu’il fut question de donner un instituteur au petit Capet, ce fut lui qui fut désigné par le conseil général de la Commune. Il parait que sa candidature avait été appuyée par Robespierre et par Marat. Il était connu d’ailleurs comme un patriote intègre et un homme sûr. Quant à l’ineptie, à l’ignorance et à la brutalité que les récits royalistes lui attribuent, il est vraisemblable, il est même certain qu’il y a dans ces accusations haineuses plus que de l’exagération. Des écrivains amis de la Révolution se sont malheureusement faits l’écho de ces assertions sans en examiner la valeur.

Nous avons déjà fait des réserves sur ce sujet à l’article biographique Louis XVII. Dans la notice bibliographique sur l’ouvrage de M. de Beauchesne (Louis XVII, sa vie, son agonie, etc.), œuvre de parti qui ne peut inspirer aucune confiance, nous avons également établi que la plupart des détails compilés dans ce livre, relativement aux mauvais traitements dont Simon aurait accablé son élève, ne reposent sur aucun témoignage sérieux, mais sur des ouï-dire dont il est impossible de contrôler l’exactitude et la réalité. Qui croirait, par exemple, que M. de Beauchesne raconte en détail telles de ces scènes d’intérieur qui n’ont eu aucun témoin que ceux mêmes qui en étaient les acteurs, c’est-à-dire Simon et le jeune prince, sur la foi de nous ne savons quelle vieille femme qui aurait autrefois connu la veuve de Simon ? Qui n’a vu aussi de ces images de fantaisie, barbouillées par des artistes de hasard, et représentant le savetier Simon, le tire-pied à la main, au milieu des outils de son métier, et frappant d’une manière barbare le jeune fils de Louis XVI. Pour le dire en passant, Simon ne travaillait pas de son état au Temple et n’avait pas besoin de travailler. Il recevait de la Commune un traitement de 600 livres par mois et, quand sa femme vint s’installer auprès de lui, une indemnité lui fut également accordée au taux de 3,000 livres par an, comme l’indiquent les registres de la Commune. Les deux époux recevaient donc, au total, 750 francs par mois, traitement considérable, et bien plus encore à cette époque.

Après cela, que Simon ait essayé d’élever le fils de Louis XVI en patriote, que même il lui ait appris des chansons républicaines, cela n’a rien d’invraisemblable, et l’on conviendra que ce n’était pas fort cruel. Mais, nous le répétons, pour tout ce qu’on raconte de l’intérieur du Temple, il est nécessaire de se tenir en garde, car non-seulement la fable se mêle à la vérité, mais encore, pour le plus grand nombre des faits, elle l’étouffe absolument. Demandez à tous ces historiens romanesques où ils ont puisé leurs renseignements. Si l’on pouvait, dans une notice comme celle-ci, nécessairement restreinte, les suivre pas à pas et les arrêter, pour ainsi dire, à chaque ligne pour leur demander les preuves de ce qu’ils racontent, on les embarrasserait fort et l’on verrait qu’au total il reste bien peu de chose de cette prétendue passion subie par les prisonniers du Temple. Mais notre cadre ne nous permet pas de nous livrer à ce travail d’analyse minutieuse. En ce qui louche les rapports de Simon et du jeune prince, nous dirons seulement qu’après avoir relu avec attention le livre de M. de Beauchesne, qui a compilé toutes les fables à ce sujet, nous ne trouvons aucune preuve, aucun témoignage sérieux des scènes d’odieuse brutalité qu’il rapporte, sans oublier ni une parole, ni un geste, ni un soupir ; presque constamment, il se borne à raconter sans indiquer la source où il a puisé, et l’on est réduit à supposer que, le plus souvent, il ne s’appuie que sur l’autorité des fameuses vieilles femmes inconnues, qui l’ont, cinquante ans après les événements, berné par des radotages auxquels il s’est borné à donner la forme littéraire.

Que le petit prince ait été mené parfois un peu rudement, on peut l’admettre. Mais on doit repousser tout ce qui n’est pas établi au moins par des témoignages, fussent-ils passionnés et intéressés, comme ceux de Clérv, de Madame, etc. En procédant ainsi, ne nous lassons pas de le répéter, il ne reste presque rien sur le point particulier qui nous occupe. Ce qu’il y a de certain, c’est que Simon s’employait à distraire son élève ; il jouait avec lui aux dames, aux dominos, aux quilles et aux boules, car tous les jours il le faisait promener dans le jardin, comme ses instructions d’ailleurs le lui prescrivaient.

Que, dans ces promenades avec son jeune élève, le farouche montagnard n’ait pas usé de cet atticisme de langage qui découlait si naturellement des lèvres de Fénelon dans ses conversations avec le duc de Bourgogne, cela est plus que probable. Les b... et les f... émaillaient sans doute l’entretien plus que de raison ; mais de là à des brutalités bestiales et à des actes immondes, il y a un précipice, comme le montre surabondamment la biographie que nous donnons ici.

Entré au Temple le 3 juillet 1793, c’est-à-dire près d’un an après l’emprisonnement de la famille royale, Simon y demeura six mois, ne sortant qu’à de rares intervalles et pour les nécessités du service. C’était d’ailleurs une obligation de la fonction qu’il avait acceptée de ne point quitter le prisonnier. Il finit par se lasser de cette claustration et, lorsque la loi sur le cumul vint l’obliger à opter entre sa place au Temple, si grassement rétribuée, et son siège au conseil de la Commune, fonctions gratuites, il n’hésita pas : il résigna sa place et vint reprendre son poste à l’Hôtel de ville (19 janvier 1794). Sa femme quitta le Temple en même temps que lui. Cette conduite est un témoignage de désintéressement qu’on ne saurait méconnaître. La Commune, en acceptant la démission, la reconnut en accordant la mention civique au procès-verbal.

Il n’est pas inutile non plus de faire ici un rapprochement. On ne se lasse pas de répéter, en d’ineptes écrits, que le malheureux fils de Louis XVI a succombé sous les mauvais traitements de Simon. Or, celui-ci a quitté la prison dix-huit mois avant la mort de l’enfant, qu’il a laissé bien portant, et qui précisément vit commencer le temps le plus dur de sa captivité juste après le départ de celui qu’on lui avait donné comme précepteur.

Simon reprit sans doute la direction de son petit établissement. Il n’est plus question de lui jusqu’au 9 thermidor. Compromis alors dans la révolte de la Commune en faveur de Robespierre, il fut mis hors la loi avec un grand nombre de ses collègues et envoyé à l’échafaud le lendemain.

Sa veuve, qui avait contracté une maladie au Temple, obtint, l’année suivante, son entrée à l’hospice des Incurables, où elle mourut le 10 juin 1819.