Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SAVAGE (Richard), poète anglais

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 1p. 283).

SAVAGE (Richard), poète anglais, né à Londres en 1698, mort en 1743. Il était le fils adultérin de 1a comtesse de Macclesfield et de lord Rivers ; pendant sa grossesse, la comtesse fit publiquement l’aveu de son infidélité à son mari qu’elle détestait, et qui obtint du Parlement l’annulation de leur mariage. Lord Rivers reconnut d’abord l’enfant, dans l’intention de lui donner son nom, mais il l’abandonna ensuite aux soins de la comtesse, qui montra le cœur d’une marâtre envers son malheureux fils et le fit élever par une pauvre femme, qui se donna pour sa mère. Grâce, cependant, à la charitable intervention de lady Mason, mère de lady Macclesfield, Richard reçut une éducation convenable, mais n’en fut pas moins placé plus tard en apprentissage chez un cordonnier de Londres. Peu de temps après, la femme qui avait pris soin de son enfance mourut et il découvrit parmi ses papiers des lettres qui lui révélèrent le secret de sa naissance, qu’on lui avait soigneusement caché jusqu’alors. Il fit aussitôt tous ses efforts pour obtenir une entrevue avec sa mère, mais celle-ci refusa obstinément de le voir. Savage avait, de bonne heure, débuté dans la littérature, et ce fut à l’âge de dix-huit ans qu’il publia sa première œuvre, une comédie intitulée : Une énigme de femme (1715), qui fut suivie, deux ans plus tard, d’une autre pièce, l’Amour dans un voile (1717). Elles sont l’une et l’autre imitées de l’espagnol. Quoique ce fussent des œuvres fort imparfaites, elles procurèrent à Savage la connaissance de sir Richard Steele et d’un acteur, nommé Wilkes, qui le fit entrer au théâtre. Peu après, il obtint une certaine réputation par sa tragédie intitulée : Sir Thomas Overbury, dans laquelle il joua lui-même la rôle du personnage qui donne son nom à la pièce. Grâce au bénéfice qu’elle lui rapporta, ainsi qu’au produit d’une souscription publique faite à cette époque en sa faveur, il se trouva à l’abri des étreintes de la misère ; mais il ne profita de ce succès temporaire que pour se livrer sans réserve à la débauche. En 1727, dans une rixe de taverne à laquelle il prit part, un homme fut tué. Accusé d’être son meurtrier, Savage fut traduit et condamné à mort sur la déposition de témoins subornés, mais il fut gracié par George II, grâce à l’intercession de la comtessé d’Hertford et malgré tous les efforts de sa mère dénaturée, qui osa, à cette occasion, l’accuser d’avoir attenté à sa vie. Le bruit que fit son procès attira sur lui l’attention publique, et, lorsque son histoire fut connue, ses infortunes lui concilièrent un grand nombre d’amis et de protecteurs. Un membre de la famille de sa mère, lord Tyrconnel, pour empêcher que Savage ne fît connaître l’indigne conduite de la comtesse de Macclesfield, lui fit de sa bourse une grasse pension. Savage, qui avait presque constamment mené jusque-là une existence misérable, put alors parader en grand seigneur et mener la vie à grandes guides. « La nature, qui lui avait refusé le nécessaire, dit Mme Blanchecotte, lui avait donné le superflu et l’avait créé distingué, brillant, avec l’amour du luxe, des goûts de satrape et une facilité d’élégance toujours prête à dépasser le but. Il n’avait d’habitudes chez personne ou plutôt il en avait chez tout le monde, il habitait partout à force de n’habiter nulle part. On le voyait à chaque instant passer de la table d’un grand seigneur à de misérables tavernes, et tous les genres de vie lui convenaient également ; la vie était pour lui un spectacle : il courait indifféremment d’une scène à une autre. » Sa mobilité de caractère, son insouciance, sa vie de désordre, son esprit satirique ne tardèrent pas à lui nuire singulièrement auprès de ceux qui avaient pris d’abord sa défense et le protégeaient. S’étant brouillé avec lord Tyrconnel, il perdit sa pension et retomba dans sa misérable vie de bohème. Vivant de hasard et d’aventures, « il dînait quand il était invité, dit l’écrivain précité et, n’ayant pas de gîte, s’efforçait d’attendre à table le jour du lendemain. Ses hôtes étaient vite fatiguée d’un tel sans-gêne et ne renouvelaient guère leurs invitations ; il recrutait sans cesse des amitiés nouvelles, lesquelles, du reste, ne chômaient guère, car son esprit séduisait les plus prudents et ses manières de grand seigneur entraînaient les plus chiches. Si, par-ci par-là, un secours lui arrivait, à son tour il invitait tout le monde et mettait vite fin à ses modiques ressources. » Son manque de dignité finit par le faire tomber dans un complet discrédit. Désespérant de jamais se réconcilier avec sa mère, il écrivit son poème le Bâtard, dans lequel il raconte sa propre histoire et qui souleva contre lady Macclesfield l’indignation générale, sans toutefois réveiller aucune sympathie pour son fils. Après avoir vainement essayé de se faire nommer poëte lauréat, il obtint de la reine une pension de 50 livres sterling (1,250 fr.), qu’il perdit en 1739. Les quelques amis qui lui restaient résolurent de lui faire, par souscription, une pension annuelle de 50 livres sterling et de l’envoyer vivre en province. Savage accepta, quitta Londres en 1739, mangea à Bristol la plus grande partie de l’argent qu’on lui avait donné et arriva presque sans ressource à Swansea, où il devait habiter. Peu après, fatigué de vivre dans l’isolement, il reprit la route de Londres, manquant de tout, et y fut arrêté, en 1742, à la requête d’une cabaretière, à qui il devait 8 livres sterling. Transféré à la prison de Newgate, il y fut emporté par une fièvre violente à l’âge de quarante-cinq ans. Savage était lié d’amitié avec Steele, Pope et Johnson. Outre les écrits déjà mentionnés, nous citerons de lui : la comédie intitulée l’Auteur à louer (The author to be let) ; de remarquables pièces humoristiques et critiques, publiées dans les revues The Volunter laureat, The Progress of a Divine, The Progress of a Free-Thinker, etc. ; enfin, son poème intitulé The Wanderer (le Vagabond), publié en 1729 et fort admiré lors de sa publication. On y chercherait vainement un plan ; il abonde en divagations, mais le style en est élégant et clair. Ses Œuvres complètes furent publiées à Londres en 1777. Sa biographie a été écrite d’une manière intéressante par Johnson, le compagnon de sa misère, qui l’a insérée dans ses Vies des poêles anglais ; enfin, son histoire a fourni au poëte allemand Gutzkow le sujet de sa tragédie intitulée : Richard Savage (1839).