Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SAINT-ARNAUD (Arnaud-Jacques-Achille LEROY DE), maréchal de France

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 1p. 57).

SAINT-ARNAUD (Arnaud-Jacques-Achille LEROY DE), maréchal de France, né à Paris le 20 août 1798, mort le 29 septembre 1854. Il était fils d’un ancien avocat au parlement de Paris, qui fut préfet sous le Consulat. Sa mère, issue de la famille Papillon de La Tapy, étant restée veuve toute jeune encore, avec deux fils et une fille, se remaria, en 1811, avec M. de Forcade La Roquette. Le jeune Saint‑Arnaud entra, à la fin de 1816, dans les gardes du corps. Passionné pour les plaisirs et les aventures, il ne tarda pas à être criblé de dettes, fut envoyé, comme sous‑lieutenant, dans la légion corse, puis passa successivement dans la légion des Bouches‑du‑Rhône et dans le 49e de ligne. En 1827, Saint‑Arnaud quitta l’armée pour se rendre en Grèce. Après avoir assisté au siège de Modon, il visita Constantinople, Smyrne, Gallipoli, revint en France, puis parcourut successivement l’Italie, la Belgique et l’Angleterre. « Lancé en plein dans les hasards et les expédients de la vie nomade, vrai héros de la bohème, dit M. Taxile Delord, il fut successivement commis voyageur en France, comédien à Paris et à Londres, prévôt d’armes à Brighton. »

Après la révolution de Juillet, Saint‑Arnaud obtint de rentrer comme sous-lieutenant dans l’armée (22 février 1831), reçut le grade de lieutenant au mois de décembre suivant et prit part à la compression de l’insurrection royaliste qui venait d’éclater en Vendée. Lorsque la duchesse de Berry, faite prisonnière, eut été enfermée à la citadelle de Blaye, Leroy de Saint‑Arnaud, devenu officier d’ordonnance du général Bugeaud, suivit à Blaye le général chargé d’être le gardien de la duchesse. Là, il sut gagner complètement les grâces de la prisonnière, qui l’admit dans ses réunions intimes, où il chantait et faisait de la musique. Après les couches de la duchesse, Saint‑Arnaud fit partie des personnes désignées pour l’accompagner à Palerme. De retour en France, il mena pendant quelques années la vie de garnison, se livrant, comme toujours, à des prodigalités qui le mettaient dans une situation difficile, puis il entra dans la légion étrangère qui se trouvait en Afrique (1836) et devint capitaine l’année suivante.

Si, comme homme privé, Saint‑Arnaud jouissait d’une considération plus que médiocre, il avait du moins un incontestable courage, dont il ne tarda pas à donner des preuves et qui lui valut bientôt un avancement extrêmement rapide. La façon dont il se conduisit à l’assaut de Constantine (1837), à la prise de Djidjelly, au passage du col de Tenlah‑de‑Mouzaïa (1839) le fit nommer, en 1840, chef de bataillon au 18e léger. L’année suivante, il quitta ce régiment pour entrer dans les zouaves, prit part aux expéditions de Mascara et de Mostaganem, reçut la croix d’officier de la Légion d’honneur (1841) et fut chargé, en 1842, de diverses opérations contre des tribus situées entre Cherchell et Milianah. Nommé en 1842 lieutenant-colonel, puis commandant supérieur de Milianah, il fit fortifier cette ville, prit part ensuite à l’expédition de Laghouat, devint colonel du 23e de ligne le 1er octobre 1844 et décida de la victoire au combat de Manselt‑el‑Maelha. Saint‑Arnaud fut alors nommé commandant de la subdivision d’Orléansville. En ce moment, Bou‑Maza prêchait la guerre sainte et tout le Dahra se trouvait en insurrection. Le commandant d’Orléansville, à la tête d’un corps surnommé la colonne infernale, opéra dans le Chélif, contribua puissamment à comprimer le soulèvement, et, traqué de toutes parts par des colonnes mobiles, Bou‑Maza finit par aller se constituer prisonnier (13 avril 1847). Peu après, Saint‑Arnaud était promu commandeur de la Légion d’honneur et, au mois de novembre suivant, général de brigade. Il se trouvait en congé à Paris lors de la révolution de février 1848. Dans la nuit du 23 au 24, le maréchal Bugeaud lui donna le commandement d’une brigade. Chargé le 24 février de dégager les abords du Carrousel, il enleva, à la tête de deux bataillons, les barricades de la rue Richelieu. Il commandait la colonne qui occupait la préfecture de police et qui comptait un corps de gardes municipaux dans ses rangs, lorsque cette colonne, forcée de capituler, fut dirigée vers Vincennes par des gardes nationaux. En passant par le quai de Gèvres, Saint-Arnaud, précipité de son cheval, fut assailli par une foule furieuse. Les gardes nationaux l’arrachèrent au péril. Il se jeta dans l’Hôtel de ville et y trouva, près du maire de Paris, un refuge assuré.

Peu après, Saint-Arnaud retournait en Algérie, où il prit successivement le commandement de la subdivision de Mostaganem et celui de la subdivision d’Alger (1849). Il fit alors dans la petite Kabylie une expédition pendant laquelle il soumit une douzaine de tribus. Nommé commandant de la province de Constantine (1849), il eut à surveiller un grand nombre de transportés politiques, répartis sur différents points de sa province, et montra envers eux une extrême sévérité. Au mois de mai 1851, il fut mis à la tête d’un corps expéditionnaire de 7,000 hommes dirigés contre les Kabyles, livra vingt-six combats et parvint à soumettre des tribus jusqu’alors insoumises. Nommé général de division le 10 juillet 1851, il fut appelé, le 26 du même mois, à commander la 20e division de l’armée de Paris.

Saint‑Arnaud avait acquis la réputation d’un homme décidé à ne reculer devant rien. En Algérie, il n’avait point hésité à imiter l’exemple de l’enfumeur des grottes du Dahra. « Une troupe d’Arabes s’étant enfermée dans la caverne du Shelas, située sur le territoire de son commandement, dit M. Taxile Delord, le colonel Saint‑Arnaud s’y rendit et somma les réfugiés de faire leur soumission. Tous obéirent, sauf quelques centaines d’individus. Instruit de ce détail, il fit boucher les ouvertures de la caverne avec des fascines selon les procédés du général Pélissier, et il y mit le feu. » Et il écrivait à ce sujet à son frère : « Ma conscience ne me reproche rien ; j’ai fait mon devoir. » Ce général, à la conscience accommodante, était un homme précieux pour Louis Bonaparte, qui préparait alors son coup d’État et qui avait besoin, pour tenter sa tragique aventure, d’hommes prêts à tout et parfaitement décidés à risquer « leur peau », selon l’expression de Morny, pour obtenir les richesses et le pouvoir. Lorsque Saint-Arnaud arriva, en 1851, à Paris, « sa figure maigre et pâle, dit l’historien que nous venons de citer, portait déjà les traces de la maladie qui devait l’emporter quatre ans plus tard. Son œil fatigué, son air insolent plutôt que fier, son attitude, qu’il s’efforçait de rendre hautaine et qui n’était que provocante décelaient l’homme usé, blasé, qui va tenter la dernière aventure d’une vie d’aventures. » Appelé aussitôt à l’Élysée, il prit part, avec de Morny et Magnan, aux fréquentes réunions dans lesquelles on prépara l’attentat qui devait donner à la France dix-huit ans de despotisme, couronnés par de terribles désastres. Le 27 octobre, il reçut le portefeuille de la guerre dans le ministère qui fut alors constitué et il adressa aussitôt à l’armée un ordre du jour qui était une protestation virulente contre le droit de requérir la force publique attribué par la constitution au pouvoir législatif. Cet ordre du jour produisit une vive émotion et donna lieu à la fameuse proposition des questeurs (v. QUESTEUR). Saint‑Arnaud y répondit en donnant l’ordre d’arracher le décret du 11 mai 1848, affiché depuis 1849 dans toutes les casernes de Paris, et déclara que, en fait de réquisition militaire, il ne reconnaissait pas à l’Assemblée d’autre droit que celui de fixer le nombre de troupes pour sa garde et de leur donner le mot d’ordre par les questeurs. Lors de l’orageuse séance pendant laquelle fut discutée et repoussée la proposition de ces derniers, le général Saint‑Arnaud quitta le palais législatif en disant au ministre de l’intérieur : « On fait trop de bruit dans cette maison, je vais chercher la garde. » Quelques jours plus tard avait lieu l’attentat du 2 décembre, et, pendant que de Morny faisait procéder aux arrestations, Saint‑Arnaud prenait toutes les dispositions militaires pour assurer le succès de l’entreprise. Voulant briser à tout prix la résistance des défenseurs de la loi, il donna l’ordre aux troupes de fusiller quiconque serait pris les armes à la main. Louis Bonaparte, après avoir affermi son pouvoir en faisant couler des flots de sang et terrifié la France par d’innombrables proscriptions, s’empressa de récompenser ses complices. Saint‑Arnaud fut nommé maréchal de France (2 décembre 1852), grand écuyer (31 décembre suivant), grand‑croix de la Légion d’honneur, et conserva le portefeuille de la guerre. Il s’attacha à gagner l’armée au nouveau régime en augmentant la solde des sous‑officiers, en améliorant la paie du soldat, reconstitua le cadre d’état‑major, modifia l’organisation de la gendarmerie, de l’artillerie, du corps de santé, de l’École polytechnique, du Prytanée, de l’École de cavalerie. À cette époque, Saint‑Arnaud eut avec le général Cornemuse, aux Tuileries mêmes, un duel au sujet de la disparition d’une somme de 200,000 francs, faisant partie d’une liasse de billets de Banque déposée par le prince‑président sur la cheminée de son cabinet. Ce duel, dans lequel Cornemuse trouva la mort, eut, à tort ou à raison, le plus fâcheux retentissement pour la réputation du maréchal.

Lorsque éclata la guerre d’Orient, le maréchal Saint-Arnaud reçut le commandement de l’armée française, qui s’embarqua du 24 au 29 avril 1854. Arès avoir franchi les Dardanelles, il débarqua en Crimée le 14 septembre et, de concert avec les troupes alliées, il remporta, le 20, la victoire de l’Alma, qui ouvrit la route de Sébastopol. Mais, accablé par une maladie dont il souffrait depuis longtemps, il dut remettre le commandement de l’armée au général Canrobert. Il s’embarqua pour la France sur le Berthollet et mourut en mer le 29 septembre. Ses restes furent déposés à l’hôtel des Invalides. On plaça son buste en bronze dans la cour d’honneur du lycée Napoléon (aujourd’hui Henri IV), où il avait été élevé, et une pension de 20, 000 francs fut donnée à sa veuve à titre de récompense nationale. Son frère, M. Adolphe Leroy de Saint‑Arnaud, a réuni les lettres qu’il avait adressées à diverses époques à sa famille et les a publiées sous le titre de Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, 1832‑1854 avec notes et pièces justificatives (1855, 2 vol. in‑8°). Cette correspondance est extrêmement curieuse et piquante.