Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Roncevaux (DÉFAITE DE)
Roncevaux (DÉFAITE DE). En 778, à l’appel des chrétiens qui souffraient du joug des Sarrasins et sur la proposition d’un chef arabe, Soliman Ibn-el-Arabi, wali de Saragosse, qui voulait se rendre indépendant de l’émir de Cordoue, Charlemagne passa en Espagne avec une formidable armée et descendit dans la Vasconie espagnole par la vallée de Roncevaux-L’expédition n’eut point le résultat qu’il en espérait. Les chrétiens n’osèrent se joindre à lui ; les musulmans, au contraire, oubliant leurs dissidences, se soulevèrent contre l’envahisseur. Après avoir pris Pampelune, Charlemagne entreprit sans succès le siège de Saragosse. Ayant reçu sur ces entrefaites la nouvelle d’une rébellion saxonne, il consentit à traiter et à évacuer le pays moyennant une somme considérable, et après avoir reçu des walis de Pampelune, de Saragosse et de Jacca des otages garantissant que ces chefs se reconnaissaient ses vassaux, Charlemagne ordonna alors à son année de rentrer en France et de franchir les Pyrénées par les vallées d’Engui, d’Erro et de Roncevaux. Il franchit sans encombre la gorge d’Hayeta, avec le gros de son armée ; « mais, dit M. Henri Martin, quand l’arrière-garde, qui protégeait les bagages et qui comptait dans ses rangs la fleur des leudes et la plupart des paladins, eut commencé de se déployer le long de l’étroit sentier qui serpente sur le flanc de l’Altabizcar, une avalanche de quartiers de rocs et d’arbres déracinés roula avec un horrible fracas du sommet de la montagne, broyant, écrasant ou entraînant au fond des précipices tout ce qu’elle rencontra. Tout ce qui n’avait pas été balayé par cette effroyable tempête se rejeta en désordre au fond du val de Roncevaux, où les Vascons s’élancèrent après les Francs. Là s’engagea une lutte atroce, implacable, une lutte d’extermination. Ni la discipline des Francs, ni leurs armes redoutables, auxquelles ils avaient dû tant de victoires, ne les sauvèrent à cette heure ; entassés les uns sur les autres dans l’étroite vallée, embarrassés par leurs heaumes, leurs hauberts, leurs pesantes haches et leurs longues lances, ils tombèrent sans pouvoir se défendre ni se venger sous les javelines acérées des Vascons, qui perçaient les cottes de mailles comme si elles eussent été de laine ; leur courage ne leur servit qu’à mourir. » Là pétrirent Eginhard, prévôt de la table royale (ou sénéchal), Anselme, comte du palais, et Roland (Hroudlandus, Rotlandus), commandant de la marche de Bretagne, et bien d’autres. « La nuit vint et la vallée rentra dans un silence qu’interrompaient seulement les plaintes des blessés et le râle des mourants ; l’arrière-garde franque, jusqu’au dernier homme, gisait dans le val et dans les gouffres qui l’environnent. » Cet effroyable massacre, dont Charlemagne ne put tirer vengeance, devint aussitôt fameux et son souvenir passa de génération en génération, grâce à la tradition, à la poésie qui en fit le sujet de chants et de poëmes héroïques, à la légende qui transforma Roland, officier obscur, en un héros, dont les hauts faits, de pure invention, ont passé et passent peut-être encore auprès de bien des gens pour historiques.
Les populations de la montagne répètent encore aujourd’hui le chant d’Altabizcar (Altabizcaren cantua), composé par les bardes vascons du xie siècle, pour perpétuer le souvenir de ce grand désastre de l’armée française.
« Ils viennent, ils viennent ! enfant, compte-les bien. — Un. deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt. — Vingt et des milliers d’autres encore. — Mais les rochers en tombant écraseront les troupes ; le sang ruisselle, les débris de chair palpitent. Oh ! combien d’os broyés ! quelle mer de sang !
« ... Ils fuient, ils fuient.... Où est donc la haie de lances ?... Combien sont-ils ? Enfant, compte-les bien. — Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept, seize, quinze, quatorze, treize, douze, onze, dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois deux, un ! — C’est fini.......
« La nuit, les aigles viendront manger ces chairs écrasées, et tous ces os blanchiront dans l’éternité ! » V. Roland et chanson de Roland.