Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RICHARD ou RICHARD-LENOIR (François), manufacturier français

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 4p. 1182).

RICHARD ou RICHARD-LENOIR (François), manufacturier français, né à Epinay-sur-Odon (Calvados) le 16 avril 1755, mort le 19 octobre 1839. Son père était un fermier peu favorisé de la fortune ; aussi son éducation première fut-elle fort négligée. À dix-sept uns, ayant amassé quelques économies, Richard quitta ses sabots, sa famille et sor. village et se rendit pédestrement à Rouen. Il entra chez un marchand, qui l’employa comme domestique, au lieu de lui apprendre le commerce. Pendant trois ans, il mena une vie des plus pénible* et, en 1785, il se fit garçon de café. Après avoir tenu cet emploi k Rouen pendant un an, il se trouvait possesseur d’une trentaine de francs, avec lesquels il entreprit le voyage de Paris. Il y trouva une place de garçon limonadier au café de la Victoire, l’un des plus fréquentés de la rue Saint-Denis. Aux bénéfices de son état, il sut joindre ceux de quelques petites spéculations lucratives et il eut bientôt amassé une somme de 1,000 francs. Alors il laissa de côté le tablier blanc, loua une chambre dans le quartier des Halles et, avec son petit pécule, acheta quelques pièces de basin anglais, marchandise de luxe et de contrebande. Il trafiqua si bien que, six mois plus tard, il possédait 6,000 livres et, au bout d’un an, 25,000 livres. Mais, après ce premier succès, Richard ne devait pas tarder à éprouver un revers de fortune. Victime de la mauvaise foi ou des fausses spéculations d’un faiseur d’affaires, il perdit non-seulement ce qu’il avait amassé, mais encore se trouva débiteur d’une somme qu’il ne pouvait payer ; il fut enfermé à la Force, qui était alors là prison pour dettes. Lors de 1 incendie de la manufacture de Réveillon, les prisonniers de la Force s’évadèrent (1789). Une fois libre, Richard trouva quelques avances chez plusieurs de ses amis et, par ce moyen, il put remettre sa barque à flot. De 1790 à 1792, il rétablit ses.affaires, acquitta ses engagements en souffrance, ’renouvela son crédit et fit même assez promptement fortune. Il acheta le beau domaine de Fayl, près de Nemours. Après le 10 août, il alla se réfugier dans le Calvados, à la ferme de son père, et ne rentra à Paris qu’après la chute de Robespierre. Ce fut en 1797 que Richard entra en relation avec un habile négociant de Paris, avec lequel il devait se lier d’intérêts et d’amitié, nous voulons parler de Lenoir-Dufresne, d’Alençon.’ Un jour qu’il voulait acheter une pièce de drap anglais, Richard se trouva en concurrence avec Lenoir-Dufresne ; il lui offrit d’arrêter son enchère, ce qui fut accepté ; l’achat se fit en commun, et dès ce moment ils formèrent l’association si connue sous le nom de Richard-Lenoir. Les basins anglais étaient une des branches les plus lucratives du commerce de ces négociants. Après avoir longtemps cherché le secret de la fabrication de ces tissus, Richard le découvrit, se procura du coton, se fit monter par un prisonnier anglais quelques métiers dans une guinguette de la rue Bellefonds et parvint à fabriquer des basins anglais, dont Lenoir trouva le moyen d’obtenir le gaufrage. Après avoir établi sa fabrique à l’hôtel Thorigny, au Marais, Richard dut, en raison du développement considérable que prirent en peu de temps ses affaires, chercher un emplacement plus vaste. Il demanda l’autorisation d’occuper l’ancien couvent de

RICH

Bon-Secours, rue de Charonne, et il vint s’y installer un matin à la tête de ses ouvriers. L’établissement prospéra et acquit en peu d’années une importance considérable. Ri. chardy reçut la visite du premier consul, qui voulut se rendre compte de tous les détails de la fabrication. En 1801, trois cents métiers furent montés dans différents villages de la Picardie ; l’abbaye de Samt-Martin-de-Séess contintcentmule-jennyset deux centsmétters de tisserand ; celle des Bénédictines à Alençon, celle d’Aunay, les fabriques de Laigle, de Caen, de Chantilly occupèrent un grand nombre d’ouvriers. La fortune des associés devint immense, comme leur renom et leur crédit. Lorsque Lenoir-Dufresne mourut, en 1806, Richard-Lenoir, car il conserva ce nom ainsi qu’il avait promis de le faire, ne se contenta pas d’avoir créé en France une grande industrie, il voulut encore y joindre la culture du coton. Il en fit semer dans le royaume de Naples, alors soumis à l’influence française, et, dès 1808, il en recueillit plus de 50,000 kilogrammes. La prospérité de Richard Et élever en France quelques fabriques rivales ; mais un coup fâcheux fut porté, en 1810, à l’industrie cotonnière par les droits imposés à l’entrée du coton en France, même de ceux de Naples. Dès ce moment commencèrent pour Richard-Lenoir des embarras qui devaient amener fatalement sa ruine. Dans l’impossibilité de faire marcher ses six filatures, dé payer ses cinq fermes et d’alimenter sa fabrique d’impressions à Chantilly, il fut obligé d’emprunter plusieurs millions. S’il n’eût consulté que ses intérêts personnels, il eût pu alors liquider ses affaires et se retirer avec une fortune de 300,000 francs de revenu ; mais il ne voulut pas laisser sans travail et livrés à la misère ses ouvriers qu’il regardait comme se3 enfants. Richard-Lenoir lutta vainement contre, une législation funeste c-t contre les suites, non moins funestes pour lui, de la réunion de la Hollande à la France, qui jeta tout à coup dans la circulation une énorme quantité de marchandises anglaises. Richard-Lenoir, ne trouvant plus à vendre ses produits ni à se procurer des fonds sur leur valeur, s’adressa à Napoléon, qui lui fit un prêt de 1,500 ;000 francs. En 1810, il fut nommé membre du conseil des manufactures et chevalier de la Légion d’honneur. Dans la décadence prévue de ses belles manufactures de coton, il avait songé à reporter sou activité sur la filature des laines, pour laquelle le gouvernement impérial avait proposé un prix d’un million. Lorsque, par suite des désastres qu’il venait d’ess jyer en Allemagne en 1813, Napoléon ordonna la formation de la garde nationale, il nomma Richard-Lenoir chef de la huitième légion. Celui-ci se prononça pour la défense de Paris et occupa, le 31 mars, l’avenue de Vincennes avec sa légion et quelques pièces de canon. L’ordonnance du 23 avril 1814, en supprimant sans indemnité pour les détenteurs les droits sur les cotons, acheva la ruine de Richard-Lenoir qui, le 22 avril, occupait encore

20,000 ouvriers. Lors’de la seconde rentrée des Bourbons, Richard-Lenoir fut inscrit sur la liste de proscription et d’exil (24 juillet 1815). Ce fut l’empereur de Russie, à qui il s’adressa en désespoir de cause, qui obtint de Louis XVIII la radiation de son nom de la liste fatale. En 1814, Richard avait fait une semblable démarche auprès de l’étatmajor des alliés en faveur de beaucoup de gardes nationaux pris sous les murs de Paris et qui allaient comparaître devant un conseil de guerre comme ayant porté les armes sans uniforme. Il lit craindre aux officiers étrangers un soulèvement populaire si ces infortunés tardaient à être rendus à leurs familles alarmées, et ils furent sur-le-champ mis en liberté. Resté en France, Richard-Lenoir se vit forcé de vendre une à une toutes ses propriétés et réduit à vivre d’une pension qu’il accepta de son gendre, le frère dû général Lefebvre-Desnouettes. Bientôt oublié, il vécut jusqu’à l’âge de soixante-dix-huit ans. Il fut accompagné à sa dernière demeure par plus de 2,000 ouvriers, témoignant de leur sympathie pour l’homme de bien qui avait doté sa patrie d’une immense industrie. On a publié, sous le nom de Richard-Lenoir, un premier volume de Mémoires (Paris, 1837, in-S°). Cette publication n’est pas digne de celui qui en a été l’objet, aussi a-t-elle eu peu de succès. Son nom a été donné, sous le second Empire, à un des boulevards de Paris.