Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolutions de France et de Brabant, par Camille Desmoulins

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1125-1126).

Révolutions de France et de Brabant, et des royaumes qui, demandant une assemblée nationale et arborant la cocarde, mériteront une place une place dans ces fastes de la liberté, par Camille Desmoulins, de la Société de la Révolution.

Tel est le titre, un peu singulier, il faut en convenir, de ce journal célèbre, l’une des feuilles les plus intéressantes de la période révolutionnaire et certainement la plus remarquable au point de vue littéraire.

Déjà classé au premier rang des publicistes par sa France libre et son Discours de la lanterne aux Parisiens, Desmoulins publia le premier numéro de ses Révolutions le 28 novembre 1789 ; il avait pris pour épigraphe : Quid novi ? Quant à son titre, il s’explique par l’enthousiasme qu’avait provoqué chez nous le soulèvement de la Belgique ; il partageait les illusions de la Franco d’alors sur ces troubles fomentés par les prêtres et auxquels on prêtait gratuitement un caractère démocratique. Mieux éclairé, il déclara dans son n° 60 qu’il abandonnait un peuple assez stupide pour baiser la botte du général Bender. Mais ce ne fut qu’au n° 73 qu’il effaça le mot Brabant de son titre.

Dans ce journal, qui était en réalité bien plutôt un pamphlet périodique qu’une gazette, Camille fut ce qu’il était dans tous ses écrits, étincelant de verve, d’enthousiasme et de gaieté, mordant et railleur, parfois même jusqu’à la cruauté, avec ses contradictions, ses engouements, ses naïvetés piquantes, ses attendrissements et ses colères. Dans cette guerre d’avant-garde qu’il faisait à la monarchie, à la noblesse et au clergé, il se déclara, avec sa hardiesse habituelle, partisan convaincu de la république, comme il l’avait fait déjà dans son premier écrit, la France libre, appelant Marie-Antoinette la femme du roi, Louis XVI M. Capet l’aîné, etc.

Après la fuite de Varennes surtout, il redouble de véhémence :

« Qu’un roi, dit-il, soit corrupteur, accapareur, escroc, féroce, faux-monnayeur, parjure, traître, c’est sa nature de dévorer la substance des peuples et d’être mangeur de gens, et je ne peux pas avoir plus de haine contre lui que contre un loup qui se jette sur nous ; comme le tigre quand il suce le sang du voyageur, l’animal roi ne fait que suivre son instinct quand il suce le sang du peuple… »

À propos de la fuite du roi, il écrit :

« La motion suivante fut faite en plein Palais-Royal (probablement par lui) : Messieurs, il serait très-malheureux, dans l’état actuel des choses, que cet homme perfide nous fût ramené ; qu’en ferions-nous ? Il viendrait, comme Thersite, nous verser ces larmes grasses dont parle Homère. Si on le ramène, je fais la motion qu’on l’expose pendant trois jours à la risée publique, le mouchoir rouge sur la tête, qu’on le conduise ensuite par étapes jusqu’aux frontières, et qu’arrivé là on lui donne du pied au c..,. >

À propos de ce passage, Michelet dit :

« Cette folie était peut-être ce qu’il y avait de plus sage. Si Louis XVI était dangereux dans les armées étrangères, il l’était bien plus encore captif, accusé et jugé, devenant pour tous un objet d’intérêt et de pitié. La sagesse était ici dans les paroles de l’enfant… On trouvait le roi avili, dégradé par son mensonge ; il fallait le laisser tel ; plutôt que de le punir, on devait l’abandonner comme incapable et simple d’esprit ; c’est ce que dit Danton aux Jacobins ; le déclarer imbécile, au nom de l’humanité. »

Une autre fois qu’on avait lu à l’Assemblée des bulletins de la santé du roi, qui était enrhumé, l’impitoyable journaliste, trouve que c’est avilir la représentation nationale, et il s’écrie :

« Je m’étonne que les médecins n’apportent pas en cérémonie l’urinal et la chaise percée du prince sous le nez du président et de l’Assemblée, et que celle-ci ne crée pas exprès un patriarche des Gaules pour faire la proclamation des selles du grand lama… Quel est le plus vil adulateur, du sénat dans la cuisine de Tibère ou du sénat dans la garde-robe de Louis XVI ? »

Toutes ces hardiesses attirèrent à l’audacieux journaliste des persécutions de toute nature. Découragé, d’ailleurs, par la marche rétrograde des événements, il fut définitivement obligé de quitter la lice après le massacre du Champ-de-Mars et même de se dérober aux poursuites, comme les principaux patriotes. Du fond de sa retraite, il lança son 86e et dernier numéro, dans lequel il envoie ironiquement à La Fayette sa démission de journaliste :

« Libérateur des deux mondes, fleur des janissaires agas, phénix des alguazils-majors, don Quichotte des Capets et des deux Chambres, constellation du Cheval blanc, je profite du premier moment où j’ai touché une terre de liberté pour vous envoyer ma démission de journaliste et de censeur national… Je sais que ma voix est trop faible pour s’élever au-dessus des clameurs de vos trente mille mouchards, etc. »

Un outre journaliste, Dusaulchoy, continua le journal les Révolutions, dans la même forme, et publia ainsi dix-huit numéros (87-104), qu’on joint quelquefois, mais à tort, au journal de Camille, qui ne fut absolument pour rien dans cette publication. En 1792, il fit paraître, avec Merlin de Thionville, une deuxième série des Révolutions de France et de Brabant (55 numéros), qui est moins recherchée que la première. Celle-ci paraissait tous les samedis en un cahier d’au moins trois feuilles in-8o. Les numéros étaient souvent accompagnés d’une caricature.