Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolutions (ESSAI HISTORIQUE, POLITIQUE ET MORAL SUR LES), par Chateaubriand

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1124).

Révolutions (ESSAI HISTORIQUE, POLITIQUE ET MORAL SUR LES), par Chateaubriand (Londres, 1797, 2. vol. in-8o). Cet ouvrage fut le début de l’auteur dans la carrière des lettres. « Il est empreint, dit M. Demogeot, d’un scepticisme douloureux qui n’a rien de la frivolité des œuvres du XVIIIe siècle. On sent que le doute qu’il exprime n’a même plus foi en ses propres négations ; c’est un chaos des éléments confus qui fermentaient dans cette jeune âme et qui, à dire vrai, n’ont jamais pu s’y débrouiller parfaitement. »

Se proposant de considérer les révolutions anciennes et modernes dans leurs rapports avec la Révolution française, Chateaubriand établit des comparaisons entre les unes et les autres, traite du caractère des Athéniens et des Français, par exemple, et termine par l’épitaphe de Marat un chapitre qui commence par des considérations sur la poésie à Sparte. C’est assez dire que les parallèles ne cessent pas. Chateaubriand, en présence de la grande Révolution qui s’accomplit devant ses yeux, admet qu’il serait chimérique d’espérer le retour d’un passé qui s’est écroulé de lui-même ; puis il se demande sur quel terrain pourrait se produire la conciliation entre les partisans de l’ancien état de choses et du nouveau, et si le spectacle des siècles passés n’offrirait pas quelque lumière au temps présent. Abusé par une vue superficielle et égaré par son parti pris de parallélisme, il conclut que l’expérience sanglante de la France n’est qu’une répétition de ce que la Grèce et Rome ont fait maintes fois avant nous. Le passé prédit l’avenir et il n’y a rien de nouveau sous le soleil ; tel est le principe qu’il établit au bout de cette immense excursion à travers l’histoire universelle et qu’il formule en ces termes : « L’homme, faible dans ses moyens et son génie, ne fait que se répéter sans cesse ; il circule dans un cercle dont il cherche en vain à sortir ; les faits mêmes qui ne dépendent pas de lui et qui semblent tenir au jeu de la fortune se reproduisent incessamment dans ce qu’ils ont d’essentiel. » Il est impossible, comme on le voit, de méconnaître plus complètement la loi du progrès. Si elle ne s’exerce pas d’une manière continue, si la marche de l’humanité a ses temps d’arrêt, elle existe toujours et amène à la longue des améliorations sociales. La Révolution de 1789, par exemple, a reconstitué l’ordre social sur des principes plus conformes à la justice et à la raison et, sur les débris de l’ancien régime détruit par ses excès, elle a jeté, sous les auspices de la liberté, les fondements impérissables d’une société meilleure.

Il est inutile de chercher dans l’Essai sur les révolutions un plan arrêté, une idée dominante ; le scepticisme s’y dévoile à chaque ligne ; aussi l’auteur soulève-t-il les questions sans les résoudre et finit-il par se réfugier dans un retour impossible vers la nature, c’est-à-dire vers cet état primordial et sauvage de l’humanité tant prôné par Rousseau. « Dans ce livre bizarre, énorme, plein d’incohérence, mais aussi d’éclairs de génie, dit M. Ch. Benoit, Chateaubriand se révèle déjà tout entier dans sa nature sauvage et indomptée, sa vaste curiosité, son imagination grandiose, ardente, mélancolique, qui soudain prend son essor et se déploie dans les hauteurs du ciel. » Quant au style, Féletz le juge en ces termes : « Cet Essai sur les révolutions, qui était aussi pour l’auteur un essai dans l’art d’écrire, révèle déjà un grand écrivain. Sans doute le style est inégal, trop souvent vague dans les premiers chapitres et gâté par de faux ornements ou par des néologismes… Mais, dans le second volume, la pensée est toujours exprimée avec netteté, souvent avec éclat ; l’imagination colore le langage, qui devient nombreux, harmonieux, périodique ; ses figures nobles, hardies, brillantes, lui donnent du mouvement, de l’élévation, de la variété, et je ne crains pas de dire que si, parmi tant de belles pages que nous offrent les ouvrages de M. de Chateaubriand, il s’agissait de choisir les plus belles, il ne faudrait pas exclure, pour les trouver, ce second volume. »