Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution religieuse au XIXe siècle (LA), par F. Huet

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1125).

Révolution religieuse au XIXe siècle (LA), par F. Huet (Paris, 1868, in-12). M. Huet, qui a commencé par poursuivre la conciliation du catholicisme avec la philosophie, se révèle dans ce dernier ouvrage comme un libre penseur religieux. L’auteur n’appartient à aucune secte, à aucune religion établie. Il se place en dehors et au-dessus de toutes les religions. Aussi, avec quelle sereine impartialité il fait à chacune sa part ! Il montre tour à tour que toutes les Églises actuelles traversent une crise analogue, qu’il y a révolution à la fois dans le judaïsme, dans le protestantisme et dans le catholicisme. Toutes les religions ont leurs orthodoxes et leurs libêraux ; partout la lutte, c’est-à-dire partout un besoin de transformation. Le libéralisme chez les Israélites est représenté par MM. Salvador, Grætz, Philippson, Cohen ; chez les protestants, par MM. Coquerel, Martin-Paschoud, Scholten, Réville, Colani, Pécaut, Reuss, Nicolas, Buisson, Fontanès, Pellissier, etc. ; enfin, chez les catholiques, par les vrais gallicans, dont Bordas a été le plus hardi et le plus libéral. Ainsi, de toutes parts le même mouvement, les mêmes aspirations. Toutes les religions sont en travail, et l’exégèse moderne a mis à nu leurs fondements. Leur base est ébranlée, elles le sentent elles-mêmes ; de là leurs efforts pour se transformer et se raffermir. Vains efforts ! le genre humain touche à son âge de raison. « Les vérités morales, dit Huet, ne peuvent plus être acceptées sous l’ancienne forme de l’orthodoxie. Le peuple lui-même, dans les pays civilisés, aspire à la certitude de la science. Après avoir bercé la jeune imagination du genre humain, les conceptions surnaturelles et légendaires ont perdu leur sens pour une raison plus mûre, et le rôle des vieilles institutions religieuses est terminé. Les services rendus dans d’autres âges ne sauraient suppléer à l’impuissance de satisfaire les besoins du nôtre. »

Examinant la situation actuelle des esprits, Huet voit, d’un côté, la philosophie issue de l’hellénisme grec et, de l’autre, la religion. À cette occasion, il s’occupe du christianisme et de l’objet que se proposa le Christ. « Jésus, dit-il, voulut une révolution à la fois morale, religieuse, sociale et politique ; ses actes le prouvent plus clairement encore que ses paroles. Jésus ne fut point étroitement Juif, mais il fut patriote, et il ne devait point se détacher d’une des nationalités les plus nobles de l’ancien monde. Jésus ne fut point un ambitieux vulgaire, mais il poursuivit le triomphe de la justice de Dieu sur la terre comme au ciel, et, pour le triomphe de la justice, il compta sur le secours de Dieu et du peuple. » Cette thèse, combattue par la plupart des théologiens de l’école libérale protestante, paraît à Huet une des originalités du christianisme tel que, selon lui, le comprit Jésus. Il en est autrement dans le quatrième évangile et dans les épîtres de saint Paul. La réforme sociale y est passée sous silence ; le christianisme y est présenté comme une religion purement spirituelle, intérieure et mystique. Au lieu de la réforme sociale, on prêche la résignation et le droit divin des rois. Aussi Huet n’hésite-t-il pas à proclamer la supériorité de la tendance judéo-chrétienne sur la théologie paulinienne et la théologie johannique. Selon lui, Jean et Paul semblent prendre à tâche de dissimuler l’idée messianique ; ils l’embaument, pour ainsi dire, et la mettent en sûreté au ciel jusqu’à ce que les temps s’accomplissent et qu’elle puisse redescendre sur la terre. C’est dans l’alliance des institutions religieuses et politiques que Huet voit la grandeur de la race juive et de la religion chrétienne. Sur ce point, il se sépare, comme on voit, de nos penseurs qui réclament avec tant d’énergie la séparation de l’Église ou plutôt des Églises et de l’État. L’auteur, arrivé à la conclusion de sa thèse, laisse entrevoir en ces termes l’avenir des religions et l’issue, d’après lui nécessaire, de la crise actuelle ;

« Dans l’ordre moral, dit-il, comme dans l’ordre physique, rien ne périt, tout se transforme. À mesure qu’elle se dégagera du surnaturalisme de son enfance pour se fondre avec la philosophie, la religion, loin de perdre son influence, satisfera plus complètement un vrai, un impérissable besoin de l’âme humaine. La philosophie, à son tour, ne développera toute sa force qu’en s’étendant jusqu’à devenir religieuse. J’entends par là qu’elle doit embrasser la vie humaine entière et dans tous ses rapports, reprendre le domaine abandonné’aux sacerdoces, concilier le sentiment avec la raison et, au besoin, susciter des institutions protectrices de la moralité et de la vertu. Une religion scientifique et par conséquent progressive, une philosophie religieuse, ou, pour mieux dire, la synthèse, la combinaison supérieure des religions et des philosophies du passé, revivifiées, agrandies par le concours fécond de toutes les sciences, telle est, à nos yeux, l’issue naturelle et nécessaire de la révolution actuelle. Le salut est devant nous ; il n’est point dans un inutile retour au passé. Notre âge n’a pas le choix ; les récriminations, les plaintes n’y peuvent rien ; des lamentations n’ont pas le pouvoir de ressusciter les morts… On sent qu’une époque organique va s’ouvrir. Le XIXe siècle, sur la fin de son cours, doit affirmer la foi nouvelle ; mais le premier acte de cette foi est de renoncer au passé. »