Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Philippes (BATAILLE DE)

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 815).

Philippes (bataille de), où périrent les derniers défenseurs de la république romaine, l’an 42 av. J.-C. Après s’être rassasiés de massacres et de rapines, les triumvirs Octave, Antoine et Lêpide songèrent enfin à se débarrasser des derniers amis de la liberté. Les deux premiers partirent pour la Grèce, où Brutus et Cassius avaient réuni leurs forces à Philippes. Là se livra une double bataille qui décida du sort de la république, Brutus et Cassius avaient établi leur camp sur deux collines que séparait un intervalle d’un quart de lieue environ. Antoine et Octave, plus faibles sous le rapport de la position, l’emportaient néanmoins par le nombre de leurs soldats, qui joignaient à cet avantage celui de l’expérience. Les deux triumvirs s’avancèrent donc résolument jusqu’à un mille seulement de leurs ennemis et prirent leurs dispositions de telle manière qu’Octavo se trouva avoir Brutus en tête, tandis qu’Antoine avait Cassius devant lui. Les généraux républicains, Cassius surtout, qui entendait très-bien la guerre, voulaient éviter une action générale et ruiner en détail l’armée des triumvirs, qui ne pouvait se procurer des vivres qu’avec la plus grande difficulté. Mais Antoine, par une manœuvre habile, le contraignit à accepter le combat. Les deux armées marchèrent l’une contre l’autre avec une égale fureur ; dès le premier choc, les soldats d’Antoine forcèrent les lignes de Cassius, dont la cavalerie prit aussitôt la fuite. L’intrépide républicain fit d’incroyables efforts pour ramener ses troupes en ligne, arrêtant les fuyards par le bras, saisissant lui-même les enseignes et les faisant planter en terre comme signal de ralliement. Tout fut inutile : son courage, son désespoir, ses reproches ne purent électriser des soldats éperdus. Son armée fut mise dans une déroute complète et son camp tomba au pouvoir d’Antoine.

Du côté de Brutus, les péripéties de la lutte avaient été toutes différentes ; ses soldats, emportés par une fureur irrésistible, avaient enfoncé du premier choc ceux d’Octave, les avaient mis en fuite et s’étaient emparés de leur camp en taillant en pièces tout ce qui essayait de résister. Par un inconcevable excès de confiance, Brutus s’imagina que le sort des armes s’était prononcé avec la même justice du côté de Cassius, et il ne songea pas à porter sur ce point ses légions victorieuses. Après avoir vaincu et dispersé l’année d’Octave, il rentrait triomphant dans son camp lorsqu’il apprit la fatale nouvelle de la défaite de son ami. Il détacha aussitôt un corps de cavalerie pour voler à son secours ; mais il était trop tard, et le mouvement ordonné par Brutus ne servit qu’à hâter la mort de son ami. En effet, à la vue de cette cavalerie qui se précipitait vers lui, il crut qu’elle appartenait à l’armée d’Antoine, et, pour ne pas tomber vivant entre les mains du triumvir, il se fit donner la mort par un de ses affranchis. À cette triste nouvelle, Brutus accourut dans sa tente et versa sur son cadavre des larmes amères, l’appelant le dernier des Romains et n’espérant plus que Rome donnât jamais le jour à un aussi inflexible ennemi de la tyrannie. Il le fit ensuite inhumer dans l’île de Thasos.

La mort de Cassius donnait l’avantage aux triumvirs ; Brutus voulut cependant tenter une seconde fois la fortune des armes et, dans cette seconde bataille, il fit des prodiges de valeur, déployant également toutes les qualités d’un soldat intrépide et d’un capitaine habile. Mais tant de généreux efforts demeurèrent inutiles ; il dut prendre la fuite après une lutte acharnée. Lorsqu’il eut mis entre sa personne et l’armée des triumvirs un petit ruisseau qui coulait au milieu d’un bois touffu, il s’assit dans un endroit profond et silencieux, environné seulement de quelques amis qui avaient voulu lui rester fidèles jusqu’à la mort. Là, élevant les yeux au ciel, il prononça ce vers d’Euripide :

Grand Dieu ! daigne punir l’auteur de tant de maux !

Puis, abaissant ses regards sur lui-même et se représentant le triomphe de l’ambition et de la tyrannie, il s’écria, suivant plusieurs historiens : « Malheureuse vertu, tu n’es qu’un vain mot, et je te cultivais comme une réalité ! Esclave de la fortune, tu ne sers que le vice honteux ! » Brutus ne voyait pas qu’en poussant ce cri de désespoir il se calomniait lui-même ; aussi a-t-on révoqué en doute l’authenticité de ce suprême blasphème. V. VERTU.

Dans ce moment, on entendit un grand bruit de chevaux, et un des amis de Brutus dit aussitôt qu’il fallait fuir. « Oui, répondit d’un air sombre le fier républicain, mais par le secours des mains et non par celui des pieds. » Il pria alors Straton, son ami et son conseiller, de lui donner la mort ; Straton hésita ; puis, saisissant à deux mains l’épée nue de Brutus, il la tint ferme et détourna le visage. Brutus, la saisissant alors de sa main droite, se poussa dessus violemment et tomba sans jeter un seul cri. Avec lui expirait la liberté romaine.

Quelques historiens ont raconté que, la veille de la bataille de Philippes, Brutus avait été visité pendant la nuit par un fantôme qui lui avait prédit sa fin prochaine par ces sinistres paroles : « Tu me reverras à Philippes. » On trouvera au mot fantôme le récit de cet épisode fantastique.