Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PROCONSUL

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 208-209).
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PROCONSUL

PROCONSUL S. m. (pro-kon-sul — mot lat. formé de pro, pour, et de consul). Hist. rom. Ancien magistrat chargé du gouvernement d’une province ou du commandement d’une armée : Les fonctions des proconsuls pouvaient être prorogées pendant plusieurs années. (Mérimée.)

— Par anal. Gouverneur despotique, exerçant une autorité sans contrôle : Les proconsuls aux pouvoirs illimités sont une monstruosité dans toute organisation sociale. (E. de Gir.)

D’avides proconsuls dévorent nos provinces.

C. Delavigne.

Encycl. Les proconsuls étaient des magistrats romains chargés du gouvernement d’une province et qui étaient investis de tous les pouvoirs, militaire, civil et judiciaire. Ils avaient sous leurs ordres les questeurs chargés de la répartition des impôts.

Avant la guerre des alliés, les proconsuls n’étaient nommés que pour un an ; maison prolongeait quelquefois le temps de leur administration, quand il était nécessaire de leur laisser terminer quelque guerre ; cette prolongation ne pouvait être décrétée que par le peuple romain assemblé en comices. Les proconsuls se faisaient précéder par douze licteurs, tandis que les propréteurs n’en avaient que six.

À l’origine, les proconsuls, une fois élus, tiraient au sort, entre eux, la province qui devait échoir à chacun d’eux, mais la loi Sempronia (123 av. J.-C.) ordonna que le sénat désignerait les provinces. Les lieutenants des proconsuls (legati) étaient ordinairement d’un rang élevé, soit sénateurs, soit prétoriens ou consulaires. D’ailleurs, les proconsuls pouvaient donner cet emploi à de simples chevaliers, mais ils devaient toujours faire approuver leur choix par le sénat, qui confirmait les commissions par un sénatus-consulte.

Le nombre des lieutenants des proconsuls était proportionné à l’importance de la province ; il était généralement de trois ou de quatre ; mais Jules César en eut jusqu’à dix, lorsqu’il obtint le gouvernement des deux Gaules. Lieutenants et questeurs provinciaux se faisaient précéder de licteurs. Lorsqu’un lieutenant venait à remplacer un proconsul dans ses fonctions, il prenait le titre de legatus pro prætore.

Le proconsul nommait à tous les emplois civils et militaires, excepté pour les tribuns militaires, dont la moitié était élue par le peuple.

Dans l’origine, la cohorte prétorienne, dont il est si souvent parlé chez les historiens, n’était qu’une garde particulière du proconsul. Ce fut Scipion l’Africain l’Ancien qui, le premier, eut l’idée d’une pareille troupe, et son exemple paraît n’avoir pas été bien uniformément suivi ; on donnait plus ordinairement le titre de cohorte prétorienne à une troupe d’amis ou d’officiers de confiance qui formaient en quelque sorte la maison du proconsul, et même cette cohorte comprenait souvent les contubernales, jeunes gens qui venaient, sous les yeux du chef et pour ainsi dire sous sa tutelle, se former à la guerre et à l’administration ; elle comprenait aussi les greffiers, les interprètes, les aruspices, les hérauts, les huissiers, les licteurs et, en un mot, tous les officiers qui accompagnaient le chef.

Dans l’origine, les proconsuls voyageaient aux frais du trésor romain ; mais, peu à peu, ils finirent par se faire défrayer par les pays conquis ; cette dérogation aux anciennes coutumes a fourni à Cicéron l’occasion d’un éloquent plaidoyer, dans lequel il accuse Pison, proconsul de Macédoine, de s’être fait donner par cette province, pour sa vaisselle seulement, 8 millions de sesterces. Auguste essaya vainement de faire cesser cet état de choses, en fournissant aux proconsuls l’argent nécessaire à leurs voyages. Alexandre Sévère fit mieux encore ; il leur donnait, à leur départ, des meubles, des habits, des chevaux, des esclaves, et, lorsque le temps de leur gestion était terminé, ils devaient rendre les esclaves et les bêtes de somme ; pour le reste, ils le gardaient s’ils avaient bien rempli leur ministère, mais ils étaient condamnés à en rendre le quadruple si l’empereur était mécontent. Il ne paraît pas que cette loi ait été appliquée sous les autres empereurs.

Au temps de la république, les femmes étaient absolument bannies de la suite des proconsuls, qui étaient considérés comme se rendant à la guerre ; mais, sous le règne d’Auguste, les proconsuls se firent accompagner de leur femme. La loi les rendait responsables des fautes que ces femmes pouvaient commettre. Plus tard, les mœurs s’affaiblissant permirent aux gouverneurs d’emmener leurs maîtresses lorsqu’ils ne possédaient pas d’épouse légitime, et Alexandre Sévère leur en fournissait dans leur équipage, comme chose nécessaire.

Aussitôt nommé, le proconsul préparait son départ et, avant de l’effectuer, il se rendait au Capitole, où il offrait un sacrifice à Jupiter Capitolin et où il quittait la toge pour prendre le paludamentum ou manteau militaire. Il y faisait prendre le sagutum (autre manteau) à ses licteurs, leur faisait joindre les haches à leurs faisceaux et sortait de la ville aussitôt après avoir reçu l’imperium, qui ne lui accordait aucun pouvoir dans Rome. Ses amis et les gens composant sa suite l’accompagnaient en grande pompe jusqu’à une certaine distance des portes de la capitale. Le proconsul devait voyager à petites journées et suivre une route qui lui était assignée ; mais il ne s’assujettissait pas toujours aux règles, excepté sous les empereurs, époque où personne n’osa plus s’écarter de la route prescrite. Lorsqu’on avait quelque mer à traverser, l’État devait toujours faire les frais du passage en fournissant les navires, excepté quand on se rendait dans les provinces de l’Asie. Dans ce cas, les Rhodiens fournissaient les moyens de transport.

Le proconsul se rendait tout d’abord dans sa capitale ou dans une des villes principales de sa province, qui devait le recevoir avec la plus grande pompe. Les principaux habitants de la province et les députés des villes venaient l’y complimenter, et c’était de ce jour seulement que commençait l’année de son administration. À partir de ce jour, il lui était formellement interdit de sortir de son gouvernement sans un ordre exprès du sénat ou du peuple. Quitter son poste était un crime de haute trahison, digne de mort, et Gabinius, qui s’en était rendu coupable, ne se tira d’affaire qu’en répandant à pleines mains les trésors qu’il avait amassés et qui purent à peine apaiser ses juges en les corrompant.

Quand on envoyait un successeur à celui dont le temps était terminé, ce dernier ne pouvait différer son départ au delà de trente jours après l’arrivée de son successeur, et, dans le cas où celui-ci n’aurait point été nommé dans le délai légal, l’ancien proconsul devait remettre, en attendant, le commandement à un lieutenant ou au questeur. Dans tous les cas, il lui fallait régler les comptes de toutes les sommes qui lui étaient passées par les mains et en faire trois copies, dont deux étaient déposées dans les deux principales villes de la province et la troisième remise au trésor de Rome. Le questeur, de son côté, rendait ses comptes, qui devaient s’accorder avec ceux du proconsul. La loi Julia ordonnait que ces comptes fussent rendus dans l’espace de trente jours.

Le proconsul recevait dans sa province les mêmes honneurs que le consul à Rome ; mais, dès que le consul paraissait en province, les honneurs n’étaient plus rendus qu’à lui seul.

Dans les commencements, les proconsuls n’avaient pas droit aux honneurs du triomphe, bien qu’ils l’eussent mérité, et c’est pour cette seule raison que Scipion ne put l’obtenir après avoir conquis l’Espagne. Mais on se relâcha de cette rigueur en faveur de Lentulus, et, dans la suite, Q. P. Philo l’obtint.

Mais il existait une autre récompense qui eût pu chatouiller agréablement le cœur de gens qui n’auraient pas eu pour unique ambition de briller à Rome ; c’étaient les honneurs presque divins que les provinciaux ne manquaient pas d’accorder à ceux qui avaient usé de leur pouvoir avec modération ; on leur célébrait des fêtes, on leur élevait des autels, on leur bâtissait même des temples. Cette dernière coutume s’établit peu à peu et Suétone nous apprend que l’usage en était déjà répandu vers la fin de la république, templa proconsulibus decerni solere, autant pour honorer la mémoire des bons que pour apaiser les mânes des mauvais proconsuls, sous lesquels on avait eu à gémir, et bientôt les Romains exigèrent l’érection de monuments publics pour tous les gouverneurs, comme marque d’assujettissement des provinces, parce que ces conquérants n’ignoraient pas que par la flatterie les hommes s’avilissent, et ils avilissaient les provinciaux en leur faisant rendre des hommages divins à des hommes souvent dignes du plus profond mépris.

Enfin, les fêtes que l’on célébrait dans toutes les provinces en l’honneur des empereurs et que l’on appelait de leurs noms étaient imitées en faveur des proconsuls. Ainsi, les Syracusains célébraient une fête anniversaire en l’honneur de Marcellus, et cette fête, nommée Marcellia, consacrait le souvenir de la douceur avec laquelle il avait traité leur ville après sa victoire. Les villes d’Asie agirent de même à l’égard de Q. Mancius Scævola et de Lucullus.

La tyrannie et l’insatiable avidité des proconsuls sont restées célèbres dans l’histoire. Les ennemis de la Révolution française ont vainement essayé de flétrir les 200 représentants envoyés par la Convention aux armées ou dans les départements en les comparant aux proconsuls romains. Rien de plus arbitraire et de plus faux qu’un pareil rapprochement. À part un petit nombre d’exceptions, les commissaires conventionnels sont restés pauvres et purs de toute concussion, et leurs immortelles missions, loin d’avoir pour objet l’asservissement des peuples, avaient pour but le salut de la patrie et la liberté du monde.