Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PONTMARTIN (Armand-Augustin-Joseph-Marie DE), critique et littérateur français

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 4p. 1415).

PONTMARTIN (Armand-Augustin-Joseph-Marie de), critique et littérateur français, né à Avignon (Vaucluse) le 16 juillet 1811. Il fit ses études au collège Saint-Louis, à Paris, et commença son droit ; après la révolution de Juillet, il retourna dans sa province et s’inspira dans sa famille même des préjugés et des ressentiments du parti légitimiste. Ces préjugés et ces ressentiments devaient le suivre dans sa carrière littéraire, peser sur ses travaux et faire d’un esprit bien doué un écrivain taquin, agacé, ne voyant ni d’assez haut ni d’assez loin, n’ayant ni la retenue ni le sang-froid indispensables pour bien juger des hommes et des choses. Ses débuts eurent lieu dans la Gazette du Midi (1833-1838) et dans une revue mensuelle qu’il fonda, l’Album d’Avignon. De 1839 à 1842, il envoya à la Quotidienne, pauvre vieille feuille qui représentait les principes du droit divin, des Causeries provinciales ; mais il aspirait à faire des articles plus en vue. Il avait déjà écrit quelques contes ou nouvelles pour la Mode, lorsqu’il vint à Paris et s’adressa pour ses premiers essais critiques à la Revue des Deux-Mondes. Il avait, selon Sainte-Beuve, la plume facile, distinguée, élégante, de cette élégance courante qui ne se donne pas le temps d’approfondir, mais qui sied et suffit au compte rendu de la plupart des œuvres contemporaines. Une de ses prétentions fut d’être l’organe de la société polie, de ses dégoûts et de ses révoltes contre les œuvres du temps, où tout ce qu’elle aime et ce qu’elle honore est sacrifié et insulté. Cette prétention fut moins visible dans la Revue des Deux-Mondes que dans certains autres organes d’une couleur politique différente, où il a répandu ensuite ses diverses productions ; ce qui faisait dire à Sainte-Beuve : « Il est toujours délicat de toucher aux convictions de quelqu’un. Si j’imitais pourtant M. de Pontmartin, qui tranche dans le vif quand il s’agit de nos admirations et de nos amours, je dirais hardiment qu’il a, en littérature, des opinions de position encore plus que de conviction ; quand il écrit à la Revue des Deux-Mondes, par exemple, ce n’est plus le même homme que quand il écrit dans l’Union ou dans le Correspondant. Lui aussi, il est plusieurs. Mais je le préfère et je le souhaite, dans son intérêt autant que dans le nôtre, écrivant à la Revue des Deux-Mondes. Ce n’est pas mauvais pour lui d’être un peu dépaysé et de ne pas se sentir trop poussé du côté où il penche. Moins il sera tenté de se livrer aux thèmes tout faits de l’esprit de coterie et de parti, plus il sera lui-même, jugeant des ouvrages de l’esprit par la pratique et le sentiment immédiat, et mieux il vaudra. Sa réputation s’est faite par quelques-uns de ses excès mêmes ; sa croisade contre Béranger et contre George Sand l’a désigné aux colères des uns et aux applaudissements des autres ; il a désormais à justifier tout ce bruit, en devenant plus équitable, s’il le peut, et en restant spirituel. »

Ce fut la révolution de février 1848 qui donna à l’esprit et à ce qu’on peut appeler le talent de M. de Pontmartin une impulsion et une direction décidée. Elle lui conféra son baptême et le lança dans la littérature et la critique politiques. Il fut un des rédacteurs de l’Opinion publique, journal franchement légitimiste de l’école de l’Union et de la Quotidienne, mais plus hardi et plus vif dans ses allures, et de l’Assemblée nationale, feuille réactionnaire devenue, en 1851, la propriété d’un comité fusionniste, se composant, à l’exclusion de quelques noms de la légitimité, de la réunion des hommes qui avaient été aux affaires sous la monarchie de Juillet. C’est dans l’Assemblée nationale qu’il a donné, pendant quatre ans, jusqu’en 1856, des Causeries littéraires, auxquelles certaines attaques contre les gloires du parti libéral donnèrent quelque retentissement. Il a continué ce travail de critique, soit sous le même titre, soit sous celui de Causeries du samedi ou simplement de Revue littéraire, dans les divers recueils ou journaux auxquels il a collaboré, tels que l’Union, la Revue contemporaine, le Correspondant, la Gazette de France, etc. Dans un genre où ont brillé Gustave Planche et Sainte-Beuve, il s’est conquis peu à peu une certaine renommée, tout en restant loin toutefois de ces deux maîtres. Doué à ses bons moments des instincts du critique, il n’en a pas, ainsi que le fait remarquer M. Jouvin, la main fine et ferme. « M. de Pontmartin a beaucoup écrit sur les hommes et sur les œuvres de ce temps-ci, disait en 1865 cet écrivain ; cherchez dans les pages un peu passables sorties de sa plume, vous ne rencontrerez pas une seule page de critique. Pourtant il a, à doses suffisantes, de la finesse, de l’ingéniosité, de l’esprit, du bon sens ; ajoutez encore : une sincérité passionnée qui le pousse, au risque du qu’en adviendra-t-il ? au milieu des plus chaudes mêlées littéraires. Un travers intellectuel rend toutes ces qualités inefficaces : M. de Pontmartin n’est pas un écrivain, c’est un taquin. Agitez devant lui une question de littérature, discutez une grande renommée, revisez une réputation surfaite, il prendra un parti sur-le-champ, et ce sera un parti pris. La foule va-t-elle de ce côté, il lui fait obstacle de l’autre côté. L’opinion se prononce-t-elle pour Jean contre Pierre, il embrasse la cause de Pierre, qu’il n’a jamais vu, et se déclare contre Jean auquel il serre la main. Il est l’avocat-né du non contre le oui, du reflux contre le flux, du bateau remorqueur contre le courant de la rivière. Le moyen d’en vouloir à ce grand fabricateur de bâtons à mettre dans les roues ? Il est sincère, il est loyal ! » Observateur superficiel, la mauvaise humeur du critique fait tort à son discernement. M. de Pontmartin l’a bien prouvé dans ses malheureuses et inconcevables sorties contre Alfred de Musset, qu’il ne paraît pas avoir compris (article du Correspondant, août 1865). Le défaut le plus choquant de ses causeries, c’est l’abus du détail. Il dit des choses charmantes, justes parfois, mais sa pensée manque de souffle et sa voix de sonorité. Aussi, une fois réunis en volumes, ses feuilletons montrent une faiblesse qui fait paraître un peu osée l’ambition de prendre place dans une bibliothèque. On s’aperçoit trop bien et trop vite, a-t-on dit avec raison, que le lien qui relie l’une à l’autre ces jolies petites phrases est le fil du brocheur. Néanmoins, il cause avec facilité, avec grâce, avec esprit même ; mais il lui arrive de perdre ses avantages toutes les fois qu’il veut forcer l’expression. Il a eu des invectives violentes, excessives, des qualifications personnelles, flétrissantes ou légères et que le prétexte de la morale, n’excuse pas, notamment contre les écrivains dits réalistes. Tout en prétendant représenter la société polie, il n’est guère plus poli parfois, que l’ami Veuillot lorsqu’il parle de Lamennais, de Béranger, de Victor Hugo, de Voltaire, de Henry Murger et de tous ceux qui ne partagent ni les petites passions, ni les petites rancunes, ni les gros ridicules des gens d’Église et des têtes à perruque. Tout en se prétendant un homme bien né (qu’est-ce que cela, un homme bien né ? est-ce Molière ou le marquis de Sade ?), tout en se prétendant, disons-nous, un homme bien né, un gentilhomme parlant au nom des principes aristocratiques (il y a donc encore des principes aristocratiques ?), M. de Pontmartin, fils de gentilhomme, invective, tout comme ce mal appris nommé Veuillot, fils de marchand de vin, hélas ! avec moins d’emportement comico-trivial cependant, les auteurs modernes qui ont le malheur irréparable de n’être ni marquis ni catholiques, ou de n’avoir pas pour le moins pignon sur rue. Mais quand il loue les siens, ce n’est qu’en de grands morceaux où abondent des tons demi-poétiques, des inversions d’adjectifs et surtout des métaphores qu’il serait curieux d’examiner de près. Elle lui a joué des tours pendables, cette vieille douairière de métaphore qu’il caresse, ce semble, avec un peu trop de laisser-aller pour un amant du rococo. Rien que dans l’étude sur Cousin on peut faire une moisson. « Personne ne songeait à s’étonner que M. Cousin abusât de l’action oratoire et de la pantomime. Ses gestes multipliés nous semblaient le télégraphe de l’avenir.  » Le Tintamarre ne dirait pas mieux. Voici maintenant du précieux dans le goût de Cathos et Madelon : « Les philosophies allemande et française, rompant leurs premiers essais d’alliance, s’étaient renvoyé lettres et portraits. » Il y a là aussi certaine société veuve des pavots de Tarquin qui vaut son pesant d’or ; mais écoutez : « M. Cousin possédait le don de faire jaillir de son propre fonds et de son propre discours assez d’étincelles pour éclairer les obscurités et dissiper les ténèbres. » Les étincelles sont des pointes d’or qui paillettent les ténèbres, mais qui n’éclairent point. C’est la remarque que fait M. Jouvin, dont le pédantisme devrait pourtant s’accommoder de celui de M. de Pontmartin ; mais à pédant, pédant et demi, paraît-il. Sainte-Beuve a aussi noté quelques-unes des faiblesses d’un écrivain qui se présente pourtant en redresseur de tous ses confrères et qui devrait bien détonner moins souvent : « Telles sont les questions que je veux effleurer ici, comme on plante un jalon à l’entrée d’une route. » (La littérature et les honnêtes gens, Causeries du samedi, p. 5.) Effleurer une question comme on plante un jalon, c’est drôle ; il n’y a guère de rapport naturel entre effleurer et planter ; qui fait l’un ne fait pas l’autre, et fait même le contraire de l’autre. Voilà pour le français. Quant au latin, on lui a reproché de le citer de façon à faire mentir ceux qui affirment qu’écolier il a été un fort en thème. Voir à ce sujet, dans les Nouveaux lundis, p. 13, 11e vol., deux exemples concluants.

Les lacunes et les défauts de M. de Pontmartin comme critique ne doivent pas faire oublier ses qualités. « Elles sont immédiates, dit Sainte-Beuve, sans rapport nécessaire avec ses grandes théories et tiennent à la personne même de l’écrivain : il est ce qu’on appelle un homme d’esprit. La plupart de ses débuts d’articles sont heureux ; sa plume a de l’entrain. Sur maint sujet moderne, il reste dans une moyenne de jugement très-bonne, très-suffisante. Quand il parle de ce qu’il sait bien et de ce qu’il ne se croit pas tenu d’anathématiser au nom d’un principe, des romans de Charles de Bernard, des nouvelles de M. Octave Feuillet, des vers de M. Autran, des poésies de Brizeux, du Constantinople de Théophile Gautier, des œuvres de Mme Émile de Girardin, etc., etc., il est très-agréable ; il a, chemin faisant, quantité de choses fort bien dites ; ce sont celles qui lui échappent et qui ressemblent à des saillies. Il a de la gaieté dans la moquerie. Son esprit, très-prompt, très-délié, a une grande activité de lecture, une grande facilité d’assimilation. Je le suppose entrant dans un salon ; un livre nouveau vient de paraître, personne ne l’a lu encore ; on l’interroge : qu’en pense-t-il ? qu’en dit-il ? Et il le raconte, il l’analyse avec vivacité, bonne grâce, une veine de malice ; il glisse et n’appuie pas. Ce n’est pas précisément un critique que M. de Pontmartin ; mais c’est un aimable causeur et chroniqueur littéraire, à l’usage du beau monde et des salons… Ma conclusion bien sincère sur l’ensemble du talent de M. de Pontmartin, et malgré toutes ces critiques auxquelles je me suis vu forcé, ayant à combattre avec lui pied à pied et me trouvant réduit à la défensive, est qu’il a de la distinction, de l’élégance, que c’est un homme d’esprit et d’un esprit délicat, auquel il n’a manqué qu’une meilleure école et plus de fermeté dans le jugement et dans le caractère pour sortir de la morale de convention et pour atteindre à la vraie mesure humaine, sans laquelle il n’est pas de grand goût, de goût véritable. »

M. de Pontmartin n’est pas seulement une plume fertile en articles critiques ; il est auteur de nombreux romans, contes et nouvelles qui ont la prétention de reproduire les mœurs et le ton du monde et de respecter la saine morale. Ce n’est pas sur ce terrain qu’il est le plus à son avantage. Citons, par ordre de dates : Contes et rêveries d’un planteur de choux (1845, in-18) ; Mémoires d’un notaire (3 vol. in-8° ; nouv. édit., 1869, 1 vol. in-18) ; Contes et nouvelles (1853, in-18), contenant Aurêlie, une de ses productions les plus goûtées de ses amis, qui débute d’une manière agréable et délicate, mais qui se gâte à mi-chemin sous l’empire d’une fausse idée morale, d’un odieux et horrible orgueil aristocratique ; le Fond de la coupe (1854, in-18) ; Réconciliation (1855, in-18) ; Pourquoi je reste à la campagne (1857, in-18) ; Or et clinquant (1859, in-18) ; Entre chien et loup (1866, in-18) ; les Corbeaux du Gévaudan (1867, in-18) ; la Fin du procès (1855, in-18 ; nouv. édit., 1869, in-18) ; la Revanche de Séraphine, pièce injouable, en deux actes et un prologue (1869, in-18). On lui doit en outre un pamphlet littéraire : les Jeudis de Mme Charbonneau (1862, in-18), qui a eu plusieurs éditions et a fait scandale à son apparition. Cette attaque personnelle à toutes nos célébrités contemporaines a été sévèrement jugée par les hommes de goût. Elle est peu digne d’une plume qui se respecte et a valu a son auteur des démentis peu flatteurs pour un homme qui aspire à la réputation d’homme sérieux et impartial. Inutile de dire que les héros de prédilection de l’écrivain sont, dans ce livre comme ailleurs, MM. de Falloux et Louis Veuillot, ce qui le juge d’un seul coup. Les articles critiques de M, de Pontmartin ont été réunis en volumes au fur et à mesure de leur publication, sous les titres suivants i Causeries littéraires ; Nouvelles causeries littéraires ; Dernières causeries littéraires (1854-1856, 3 vol. in-18) ; Semaines littéraires, trois séries (1861-1864, 3 vol. in-8°) ; Causeries du samedi ; Nouvelles causeries du samedi ; Dernières causeries du samedi ; Nouveaux samedis (1859-1874, 13 vol. in-18). L’ensemble des Semaines, des Causeries et des Samedis, formant en réalité la même collection sous ces titres divers, se compose actuellement de 19 vol. in-18.