Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PIERRE DE VÉRONE (saint), inquisiteur italien

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 985).

PIERRE DE VÉRONE (saint), inquisiteur italien, né à Vérone dans les premières années du xme siècle, mort en 1252. Sans le célèbre tableau du Titien qui l’a immortalisé (v. l’art, ci-après), ce moine, qui mourut victime de sa cruauté, ne mériterait guère que ’ l’on parlât de lui ; on n’a, du reste, sur sa personnalité, que les récits légendaires des Vie* des saints, avec lesquels il est impossible de constituer une biographie sérieuse. Ses parents étaient hérétiques et appartenaient a la secte des manichéens ; mais « Dieu, qui sait faire sortir du feu de la pierre à fusil, « dit le bon Père Ribadeneira, sut aussi faire, sortir, de cette souche coupable, une des lumières de l’Église. Il étudia la théologie à l’université de Bologne, où saint Dominique le fit entrer dans l’ordre qu’il venait de fonder et lui donna l’habit de sa propre main, Dès l’âge de vingt ans, i) passait pour un théologien consommé et pour un des plus austères de l’ordre. Cependant, au couvent Sau-Giovannt-Battista, près de Côme, il lui arriva une mauvaise affaire. Un moine, passant près de sa cellule, y entendit distinctement des voix de femmes, et le prieur, devant lequel il fut mandé, n’ayant pu obtenir de lui aucune explication satisfaisante, le condamna au cachot. Le Père Ribadeneira dit qu’il recevait souvent la visite de sainte Catherine, de sainte Agnès et de sainte Cécile, descendues du ciel pour converser avec lui, et que c’étaient leurs voix que le méchant moine avait entendues ; mais Pierre de Vérone ne voulut jamais révéler, pour se disculper, les faveurs célestes dont il était l’objet. Il fallut que Dieu lui-même prit la parole et fit connaître tout ce mystère aux religieux. Au sortir de ce couvent, il commença à prêcher, spécialement à Florence, dans la Romagne,

pieu

les Marches d’Aneône et à Milan, où il séjournait de préférence ; le pape Innocent IV l’appela aux fonctions d’inquisiteur dans cette dernière ville vers 12-fs. La Vie des saints ne raconte aucune des exécutions qu’il ordonna en cette qualité ; en échange, elle rapporte des miracles surprenants, comme les luttes de Pierre de Vérone avec le diable, apparaissant en public sous diverses formes quand il prêchait, et l’histoire singulière d’un jeune garçon qui, s’étant confessé à l’inquisiteur d’avoir donné un coup de pied à sa mère, fut tellement frappé de ses reproches, que, rentré chez lui, il se coupa le pied d’un coup de hache ; Pierre de Vérone le lit venir au couvent, le gronda de sa violence et, s’étant fait apporter le pied qui était resté à la maison, le rejoignit facilement à la jambe. Ce n’est point par de tels faits que l’inquisiteur se serait attiré la haine des Habitants ; Ce qui est certain c’est qu’une conspiration se trama contre lui, provoquée non par ses miracles, comme le donne à entendre le Père Ribadeneira, mais, plus probablement, par ses rigueurs. Un assassin, payé par les conjurés, un certain Carino, le guetta au coin d’un bois, entre Côme et Milan, au lieu appelé Barlasine, et le tua à coups de couteau. Un moine qui voyageait avec lui s’enfuit éperdu jusqu’à Milan et raconta ta nouvelle. L’assassin trouva un asile à Porli, fit pénitence et entra lui-même comme frère lai’dans l’ordre des dominicains. Pierre de Vérone fut canonisé pur Innocent IV en 1253, un an après sa mort, et Sixte V fixa sa fête au 29 avril.

— Iconog. Le moine de Vérone n’eût-il inspiré que le chef-d’œuvre du Titien, dont nous donnons ci-après la description, qu’il mériterait de survivre à la foule des bienheureux inconnus dont le catholicisme a peuplé le paradis. Comme s’il eût pressenti que cette admirable toile était destinée à disparaître duns un avenir prochain, Lanzi disait d’un tableau que le Garofalo peignit sur le même sujet pour l’église des dominicains de Ferrare : « L’œuvre du Garofalo est exécutée avec une grande vigueur et passe, parmi quelques professeurs, pour avoir été faite en concurrence aveu le Saint J’ierre martyr du* Titien, et ils jugent que, si celui-ci venait à périr, l’autre serait digne de le remplacer, ■ Le tableau du Garofalo a été transporté, il y a quelques années, à la pinacothèque de Ferrare. Vasari en a fait l’éloge et nous apprend que l’auteur y avait déployé une manière beaucoup plus tière et moins affectée que celle de ses premiers temps. Sur la façade du Bigallo, à Florence, un artiste, que l’on eroit être Taddeo Gaddi, peignit a fresque, vers le milieu du xivB siècle, deux compositions relatives k saint Pierre martyr ; dans l’une, il le représenta préchant la parole de Dieu au peuple ; dans l’autre, il le lit voir donnant un étendard blanc avec une croix rouge à douze nobles florentins qui, sous le nom de capitaines de sainte Marie, se vouèrent à la-répression des hérétiques ; ces peintures ont été à peu près détruites par les intempéries. La pinacothèque de Bolugne possède plusieurs tableaux consacrés à saint Pierre le dominicain ; celui de Fr. Brizzi nous le montre ressuscitant un enfant ; dans celui d’A. Albini, if voit apparaître sainte Catherine, sainte Agnès et sainte. Cécile ; L. Garbieri l’a représenté priant devant un crucifix et visité par un ange ; le Guerchin et Cavedone ont peint son martyre. Ce dernier sujet a été traité encore par Soderini (église San-Domenico-nel-Maglio de Florence), A. Salimbeni

(église San-Domenico de Sienne), F. Moraadiu (musée du Belvédère, k Vienne), Beruardo Castello (église Santa-Maria-di-Castello de Gênes), Bonaventura Lainberti (église Santa-Maria-sopra-Minerva, à Rome), Alonso-Sanchez

Uoello (église de l’Escurial), Emile Lafon (Salon de 1848, lithographie par Soulange Teissier), etc. Des images de Saint Pierre martyr ont été gravées par MathiasGreuter, Lobeck (d’après J.-W. Baumgartner), Cornelis Galle (d’après Antoine Kaïlaeri), etc.

Pierre de Vérone, martyr (MEURTRE DE

saint), tableau du Titien, une de ses œuvres capitules. Il était à Venise, dans l’église des Saints-Jean-et-Paul (communément Sun-Zanipolo), où il a péri dans-un incendie en 1867, C’est une perte irréparable, car il passait pour un des trois grands chefs-d’œuvre de la peinture, avec la Transfiguration de Raphaël et la Communion de saint Jérôme du Duuiiiiiquin. Le sujet était le meurtre du farouche inquisiteur qui s’attira tant de haines en exerçant à Milan ses horribles fonctions avec la plus cruelle insensibilité. Le peintre, idéalisant ce personnage peu sympathique, avait représenté la scène de façon à produire une impression profonde. On ne peut plus maintenant admirer ce chef-d’œuvre que dans les belles gravures de Martin Rota, de V. Lefèvre, 11. Laurent et Réveil. À l’entrée d’un bois, sous de hauts arbres qui dominent toute la composition, l’assassin, à figure bestiale et repoussante, frappe Pierre de Vérone, qu’il a terrassé, d’un large coutelas qu’il tient à la main ; l’inquisiteur, étendu par terre, a la physionomie calme et résignée d’un martyr ; son compagnon fuit éperdu, et le génie de l’artiste se manifeste surtout dans cette opposition de la terreur de l’assassin avec la sérénité de celui qui va mourir. Dans la haut du tableau, deux anges apportent au nouveau saint les palmes du martyre. « Tout est grand,

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énergique et expressif dans cette belle peinture, dit Duchesne ; la noblesse des figures, la hardiesse et la vérité des raccourcis, l’expression mâle des têtes, le développement des draperies agitées par le vent" la chaleur du coloris, la vigueur du paysage, sont également dignes d’admiration. ■ Nul genre d honneur n’avait manqué k ce tableau. D’abord, le sénat de Venise, ayant appris qu’un certain Daniels Nil en offrait aux dominicains, possesseurs de l’église San-Zanipolo, 18,000 écus, défendit, par un décret spécial et sous peine de mort, que ce tableau sortit du territoire de la république ; puis le Dominiquin en fit une répétition, qui se trouve à la’ pinacothèque de Bologne et qui, malgré ses beautés éininentes, n’a pas atteint la hauteur de l’original ; enfin, il était venu à Paris après la conquête de Venise par nos armées républicaines, et c’est là qu’une opération hardie et heureuse lui avait rendu une nouvelle vie et tout l’éclat de la jeunesse en le faisant passer d’un bois vermoulu sur une toile neuve et plus durable. «Tantd’honneurs sont pleinement justifiés, dit M, Viardot. La mystérieuse horreur du paysage, l’effroi du. meurtrier qui s’enfuit, la sainte résignation du martyr qui, tombé sous le couteau, voit s’ouvrir les cieux, l’arrangement naturel et bien entendu de la scène, son effet puissant et pathétique, relevé par ceua-iucomparable vigueur de coloris que le nom de Titien porte avec lui, tout concourt à faire de ce tableau une œuvre grande, supérieure, et à justifier le mot de Vasari ; • Jamais, dans toute sa vie, Titien n’a produit un morceau > plus achevé et mieux entendu. • Il aurait pu ajouter que c’était probablement le premier essai de paysage historique où, par l’abaissement de la ligne horizontale, la justesse de la perspective et la profundeur des plans, le peintre produisait enfin une vue vraie de la nature. • Le même critique demandait, dans ses Musées d’Italie, que ce chef-d’œuvre fût transporte à l’Académie des beaux-arts, pour lui assurer une plus certaine conservation. Il est fâcheux que son vœu n’ait pas été exaucé. Titien avait peint le Meurtre de Pierre de Vérone en 1528, à la suite d’un concours avec Palma le vieux.

II. PIERRE (SOUVERAINS ET PRINCES).