Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PHILIPPE IV, roi d’Espagne, fils et successeur du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 812-813).

PHILIPPE IV, roi d’Espagne, fils et successeur du précédent, né en 1605, mort en 1665. Il succéda, en 1621, à son père, sous la tutelle de ce présomptueux comte d’Olivarès, dont la puissance fut si fatale à l’Espagne. La trêve conclue avec les Provinces-Unies étant expirée, la guerre fut reprise et conduite avec avantage par Spinola ; mais, en 1628, les Hollandais remportèrent une victoire complète ; l’Espagne perdit définitivement ces provinces, dont elle fut forcée de reconnaître l’indépendance au traité de Munster (1648). Philippe eut à se défendre ensuite contre la ligue formée par Richelieu pour l’abaissement de la maison d’Autriche et perdit plusieurs provinces importantes : la Catalogne, l’Artois et, par suite du traité des Pyrénées (1659), le Roussillon, quatorze villes de la Flandre, du Hainaut et du Luxembourg et ses droits sur l’Alsace. En même temps, le Portugal se soulevait (1640) et recouvrait pour toujours une indépendance qu’il affermit par de brillantes victoires. Les morts vont vite : la puissante monarchie fondée par le génie de Charles-Quint était tombée en moins d’un siècle et demi au rang de puissance secondaire et devait s’amoindrir encore sous l’imbécile Charles II. Philippe IV avait un caractère faible et était trop livré à la mollesse ; néanmoins, il possédait des qualités estimables, était humain, affable, bienfaisant, généreux, s’entourait de lettrés et d’artistes, cultivait secrètement les lettres ; il composa, dit-on, quelques pièces de théâtre. De sa première femme, Élisabeth de France, fille de Henri IV, il eut Marie-Thérèse, qui épousa Louis XIV en 1660, et de sa seconde femme, Marie-Anne d’Autriche, Charles II, qui lui succéda, deux autres fils et deux filles.

— Iconogr : Philippe IV a eu l’honneur d’être peint par deux des plus grands maîtres de l’art moderne, par Rubens et par Velazquez. Rubens a fait de lui deux portraits équestres : l’un est à l’Escurial ; l’autre fait partie de la collection royale d’Angleterre ; celui-ci représente le souverain revêtu d’une brillante armure et couronné par la Victoire. Au musée de Munich est un portrait à mi-corps qui représente Philippe IV, vêtu de noir, avec un manteau de velours, décoré de l’ordre de la Toison d’or et appuyant la main gauche sur la garde de son épée ; cette peinture a été gravée par P. Pontius, par Jacob Louis et par Viennot ; elle a été exécutée par Rubens pour faire pendant au portrait d’Élisabeth de Bourbon, femme de Philippe IV, qui appartient également au musée de Munich. Des répétitions de ces deux tableaux ont été achetées en Allemagne en 1827 et importées en Angleterre par M. Murch. Un autre portrait de Philippe IV, par Rubens, fait partie de la galerie Suermondt, à Aix-la-Chapelle.

Recommandé à Philippe IV par le comte-duc d’Olivarès, Velazquez exécuta en 1623 le portrait de ce monarque. M. Stirling, dans le savant ouvrage qu’il a consacré au grand maître espagnol, rapporte que ce portrait fut, en vertu d’une permission royale, exposé, un jour de fête, dans la Grande-Rue de Madrid, excita l’admiration de la foule et devint l’objet de la jalousie des autres peintres. Velazquez, se mêlant au public, entendit en plein air, comme les artistes de la Grèce, les louanges que l’on donnait à son talent. Le roi fut charmé de la reproduction de son auguste personne ; la cour partagea l’enthousiasme du monarque. Plusieurs poètes, entre autres Velez de Guevara et Gonzalez de Villanueva, célébrèrent l’œuvre de Velazquez, et Olivarès, fier de son protégé, déclara que c’était la première fois que le portrait du souverain avait été fait. Cette assertion, tombant des lèvres d’un ministre tout-puissant et qui passait pour être connaisseur, dut être aussi flatteuse pour l’artiste que mortifiante pour Carducho, pour Caxes et pour les autres peintres espagnols qui avaient déjà entrepris de fixer sur la toile les traits de Philippe. Le roi lui-même alla jusqu’à annoncer son projet de réunir tous ces vieux portraits afin de les détruire ; il accorda à l’artiste la somme de 300 ducats, fort considérable pour l’époque. Émule d’Alexandre le Grand et de Charles-Quint, et croyant avoir rencontré un nouvel Apelle ou un second Titien, il décida que nul, si ce n’est Velazquez, n’aurait désormais le privilège de reproduire sa physionomie sur la toile. « Il paraît, ajoute M. Stirling, avoir été plus fidèle à cette résolution qu’il ne le fut à ses vœux de mariage, car il ne s’en écarta que deux fois durant la vie de Velazquez, une fois en faveur de Rubens, l’autre en faveur de Crayer. » On ne sait ce qu’est devenue cette première peinture de Philippe IV par Velazquez ; quelques auteurs pensent que c’est le magnifique portrait équestre qui est au musée de Madrid ; mais, en 1623, Philippe IV, âgé de dix-sept ans, ne pouvait guère avoir les moustaches aussi fortes qu’il les porte dans ce portrait. Avant celui-ci, il faut évidemment placer le portrait de Philippe IV en costume de chasse, que l’on voit également au musée de Madrid : le jeune roi, en pied et debout, est arrêté près d’un arbre, il a des gants de chamois, un col empesé, des hauts-de-chausses d’un gris verdâtre, les manches de son pourpoint noir brodées d’argent ; il est coiffé d’une espèce de casquette et tient de la main droite une escopette. À ses pieds est un chien. « On pourrait prendre la tête de ce monarque pour une caricature, dit M. Lavice (Musées d’Espagne, p. 194), tant les lèvres et le menton, trop charnus, sont lourds et inintelligents. Son teint blafard n’annonce pas, du reste, une constitution bien saine. » Ce portrait a été lithographie par J.-A. Lopez. Il y en a au Louvre une répétition que certains connaisseurs croient être une copie exécutée par Mazo del Martinez, gendre de Velazquez. Une autre répétition ou copie figure dans la collection du colonel Hugh Baillie, en Angleterre.

Le Portrait équestre de Philippe IV, par Velazquez, qui est au musée de Madrid, est une des merveilles de l’art. Nous lui consacrons ci-après un article spécial, où sont indiqués quelques autres portraits équestres du même prince, notamment celui qui passe pour avoir servi de modèle au sculpteur florentin Tacca, chargé de faire une statue en bronze pour les jardins du Buen-Retiro.

Le musée de Madrid possède cinq autres peintures de Philippe IV par Velazquez : deux représentent ce monarque dans sa jeunesse, et deux à un âge mûr ; le cinquième le montre agenouillé, la main appuyée sur le coussin d'un prie-Dieu,

D’autres portraits de Philippe IV en pied, à mi-corps ou en buste, en costume de cour ou en armure, se voient dans plusieurs musées et galeries particulières, notamment au Louvre (provenant de la collection La Caze), à l’Ermitage (provenant de la collection du roi Guillaume de Hollande), au Belvédère, au musée de Turin, au palais de Hampton-Court, dans les collections James de Rothschild et Schneider (à Paris), Banks, Henry Farrer et de Dulwich-College (Angleterre), etc.

La National-Gallery possède une belle peinture de Velazquez qui décorait autrefois le palais de Madrid et qui représente Philippe IV chassant le sanglier dans le parc du Pardo. Plusieurs peintres modernes, entre autres MM, Hillemacher (Salon de 1864), Édouard Ender (gravé par P. Cottin), H. Debon (Salon de 1870), ont représenté Philippe IV dans l’atelier de Velazquez.

Un portrait de Philippe IV attribué à Mazo Martinez, gendre de Velazquez, fait partie de la galerie Suermondt, à Aix-la-Chapelle. Le musée du Belvédère, à Vienne, a trois portraits de ce prince, dont deux sont attribués au peintre néerlandais Justus van Egmont, et le troisième à Jan van Hoeck. Un portrait équestre par Van Kessel est au musée de Madrid. Un portrait en buste a été dessiné et gravé par P. de Villafranca, en tête du livre du P. Francisco de los Santos sur l’Escurial (Madrid, 1657).

Philippe IV à cheval, tableau de Velazquez ; au musée de Madrid. Ce chef-d’œuvre représente le triste monarque sous un aspect plus favorable que celui qui lui est donné par les autres portraits du même maître. Le jeune roi, revêtu d’une armure bronzée à filets d’or, sur laquelle flotte une écharpe rouge, galope à travers la campagne et semble aspirer à pleins poumons l’air bienfaisant qui arrive des collines. De la main droite il tient un bâton de commandement, et sa tête est couverte d’un grand chapeau orné de plumes noires. Tous les accessoires, la selle, les harnais brodés, le mors lourd et aigu, sont traités avec un soin minutieux. Le cheval, évidemment peint d’après nature et d’après une des montures favorites du roi, est bai, avec la tête et les jambes blanches ; sa queue est une avalanche de crins noirs, et sa crinière tombe bien au-dessous de l’éperon doré ; il bondit en l’air par un élan vigoureux et justifie la réputation de force et d’élégance que les poëtes ont faite à la race andalouse. Ce portrait, qui a été gravé à l’eau-forte par Goya et lithographié par Jollivet, est exécuté avec une ampleur et une puissance extraordinaire. « L’artiste, dit M. Viardot, a placé son cavalier au beau milieu d’une campagne nue, contre un horizon sans fin, éclairé de tous côtés par le soleil d’Espagne, sans une ombre, sans un clair-obscur, sans un repoussoir d’aucune espèce ; et, malgré cette négligence hardie de tous les secours artificiels de l’art, n’a-t-il pas atteint les limites possibles de l’illusion ? N’a-t-il pas porté sur la toile tous les caractères de la vie ? Quel parfait naturel dans la pose et l’accord des membres, dans l’habitude générale du corps ! Ces cheveux ne sont-ils pas agités par le vent ? Le sang ne circule-t-il pas sous cette peau blanche et fraîche ? Ces yeux n’ont-ils pas le don du regard ? Cette bouche ne va-t-elle pas s’ouvrir et parler ? En vérité, quand on fixe quelques moments la vue sur cette toile, l’illusion devient effrayante. Oh ! c’est devant un tel tableau que l’imagination peut sans effort évoquer les hommes du passé et renouveler le miracle de Prométhée ! »

Des portraits équestres de Philippe IV jeune, répétitions plus ou moins exactes du tableau de Madrid, se voient en Angleterre dans les collections Grosvenor et Thomas Baring. Dans le palais de Gripsholm, le Versailles de la Suède, il y a un autre portrait équestre des plus remarquables : le roi est jeune et sans barbe, si jeune, dit M. Stirling, qu’il est possible que cette peinture soit une répétition de celle qui fit la fortune de l’artiste ; il est vêtu de noir, avec de hautes bottes, et il tient son chapeau dans sa main droite, contre la hanche ; le palefroi, d’un blanc de neige, sa longue crinière liée par trois nœuds de ruban rouge, marche le pas. Le cavalier et le cheval sont peints avec un esprit et une vivacité extrêmes, sur un fond simplement formé d’un mur et d’une colonne. Ce tableau fut donné à la reine Christine par Pimentel, ambassadeur d’Espagne en Suède. Au palais Pitti, à Florence, est un portrait équestre de Philippe IV, presque de profil, avec les moustaches et la royale, coiffé d’un chapeau orné de plumes, revêtu d’une armure avec une écharpe en sautoir, et tenant les rênes de son andalous qui galope à travers champs. On croit que ce tableau, qui a été gravé par L. Errant, est celui que Velazquez exécuta pour servir de modèle au sculpteur florentin Tacca. Un autre portrait équestre du même prince, qui a été attribué à Rubens et qui a été reconnu depuis comme étant de Velazquez, appartient au musée des Offices : le monarque est accompagné d’un écuyer qui porte son casque et, au-dessus de lui, sont des figures allégoriques que l’on suppose avoir été ajoutées par un artiste autre que Velazquez ; cette toile a été gravée par C. Mogalli.

Philippe IV (statue équestre de), chef-d’œuvre de Pietro Tacca, sur la place de l’Orient, à Madrid. Cette statue, exécutée à Florence d’après une peinture de Velazquez et fondue en 1840, a décoré les jardins du Buen-Retiro jusqu’en 1844, époque où elle a été transportée dans l’endroit qu’elle occupe actuellement. Elle est justement célèbre. Le cheval qui se cabre et qui n’est supporté que par ses jambes de derrière et par sa queue flottante fut longtemps regardé comme un miracle de la science mécanique, et Galilée lui-même suggéra, dit-on, à l’artiste les moyens qui furent employés pour maintenir l’équilibre. Paris, Copenhague et Saint-Pétersbourg ont eu, depuis, des statues dans la même attitude, et elles n’ont plus rien qui surprenne. « Mais l’œuvre de Tacca, dit M. Stirling, se recommandera toujours aux suffrages des connaisseurs, grâce à la hardiesse du dessin, à l’habileté attentive de la main-d’œuvre et à la vie qui anime le cavalier et sa monture. On peut dire, il est vrai, que les jambes de derrière du cheval ne sont pas placées suffisamment sous son corps, et que son attitude est plutôt celle d’un robuste cheval de chasse anglais, franchissant un obstacle, que celle d’un coursier caracolant au manège. Ce défaut est compensé par la beauté de la tête et de la partie supérieure du corps, par la pose gracieuse et l’air martial du roi, qui porte sa lourde armure et qui brandit son bâton de commandement d’un air tout à fait héroïque. L’écharpe, qui se termine en une large bordure de dentelle d’un effet heureux, flotte au vent avec une légèreté fort rare parmi les masses de marbre ou de métal qu’on a ainsi voulu représenter abandonnées au souffle de la brise. » Sur les sangles de la selle est l’inscription : Petrus Tacca f. Florentiae anno salutis MDCXXXX. Le piédestal sur lequel cette statue a été érigée en 1844 est décoré de deux bas-reliefs, dont l’un représente Philippe IV donnant à Velazquez la croix de Santiago, l’autre une allégorie relative à la protection que ce prince accordait aux arts.