Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PAUL Ier PÉTROVITCH, empereur de Russie

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 423-424).

PAUL Ier PÉTROVITCH, empereur de Russie, né à Saint-Pétersbourg le 1er octobre 1754, assassiné dans la même ville le 12 mars 1801. Il était fils de Catherine II et de Pierre III, qui le regardait comme le fruit d’un adultère. Après l’assassinat de Pierre III (1762), Catherine II s’empara du trône. Elle confia l’éducation de Paul, pour qui elle ne montra jamais d’affection, au comte Panine et à quelques hommes distingués. Intelligent et spirituel, le jeune prince fit de rapides progrès et il montra des qualités qui firent bien augurer de son avenir ; mais, à mesure qu’il grandissait, il devenait triste et soupçonneux. Il s’imagina que sa mère, qui ne l’aimait pas, qui l’éloignait systématiquement des affaires, qui surveillait toutes ses démarches, voulait l’écarter à jamais du trône. Lorsqu’il eut dix-neuf ans, Catherine lui choisit pour femme la princesse Natalie de Hesse-Darmstatlt, qu’il épousa en 1774. Après ce mariage, il continua à être mis à l’écart. Sa mère vit avec inquiétude l’accueil chaleureux qu’il reçut à Moscou, où ils s’étaient rendus ensemble (1775). Quelques paroles qu’il avait prononcées au sujet de la mort de Pierre III firent craindre à Catherine qu’il ne cédât à des idées ambitieuses, et elle fit exercer sur lui une surveillance encore plus active. Une situation aussi humiliante pesait cruellement au jeune prince qui, naturellement faible, courbait la tête. Son caractère s’altérait de plus en plus. « On apercevait dans toute sa personne et principalement lorsqu’il parlait de sa position présente et future, dit M. de Ségur, une mobilité, une inquiétude, une méfiance, une susceptibilité extrême, enfin ces bizarreries qui, dans la suite, furent les causes de ses fautes, de ses injustices et de ses malheurs. » Après la mort de sa femme, la princesse Natalie (avril 1776), il se rendit à Berlin pour y voir une nièce de Frédéric le Grand, la princesse Dorothée-Sophie-Augusta de Wurtemberg, dont la main lui était offerte. Frédéric lui fit un brillant accueil. Après avoir causé avec lui, il écrivait à d’Alembert : « Ce prince possède de grandes et nobles qualités. Il est un peu grave ; cela tient à son caractère, mais le fond est excellent. » Au mois d’octobre 1776, Paul épousa la princesse Dorothée, qui prit alors le nom de Marie-Fœdorovna, et il trouva auprès d’elle le bonheur domestique. En 1780, sous le nom de comte du Nord, il quitta la Russie avec sa femme et visita avec elle la Pologne, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Hollande, laissant partout la meilleure impression. De retour en Russie, il se retira au château de Gatchina. Tel était encore à cette époque le joug sous lequel on le tenait, qu’il ne put obtenir l’autorisation de visiter la flotte de Cronstadt, bien qu’il portât le titre de grand amiral. Épris, comme tous ceux de sa race, des choses militaires, il voulut, en 1787, prendre le commandement des troupes russes contre la Turquie. Catherine s’y opposa, et comme il insistait vivement en disant : « Que pensera de moi l’Europe, instruite de mon dessein, quand elle saura que je ne l’exécute pas ? » Sa mère lui répondit froidement : « Elle pensera que vous êtes un fils respectueux. » Plus tard, ce ne fut pas sans de grandes difficultés qu’il obtint d’assister à la campagne de Finlande contre les Suédois. Il vivait dans la retraite, aigri, tourmenté par la crainte de complots imaginaires contre sa vie ou contre ses droits, lorsque la mort de Catherine II le fit soudain monter sur le trône (17 novembre 1796). Le vertige que donne le pouvoir ne devait pas tarder à achever de troubler son intelligence et à faire de lui le plus odieux des despotes.

Le premier soin de Paul Ier en prenant possession du pouvoir fut de faire exhumer les restes de Pierre III et de punir ses meurtriers ; puis, lors de son couronnement, il régla par un acte constitutionnel l’ordre de succession au trône, laissé jusqu’alors au bon plaisir du souverain, et il décida que la succession au trône aurait lieu par ordre de primogéniture par les mâles. Parmi les premières mesures qu’il prit, plusieurs firent bien augurer de son règne. Ainsi, il diminua considérablement les charges du trésor, supprima des emplois inutiles, réforma des abus dans la marine et dans l’armée, favorisa le commerce et s’occupa activement de joindre par des canaux la Baltique à la mer Noire. Un instant il eut la pensée de rétablir le royaume aux Polonais exilés ou emprisonnés ; mais en même temps il prenait à tâche de bouleverser tout ce que sa mère avait fait. L’armée, l’administration, les tribunaux, même la division politique des provinces, subirent une entière transformation et il frappa d’exil les plus fidèles serviteurs de Catherine. « À des mesures dignes d’un vrai politique, dit M. de Ségur, succédaient tout à coup des caprices absurdes et des tracasseries sans nom. Sa manie de tout réglementer ne connaissait pas de limites, et son despotisme s’exerçait de préférence là où il est le plus insupportable, dans les petites choses. Tantôt il proscrivait, par haine pour la France, les modes françaises, déterminait la forme des chapeaux et des vêtements ; tantôt, joignant l’odieux au ridicule, il ordonnait que sur son passage tout le monde, hommes et femmes, descendît de voiture et s’inclinât devant lui. Un jour, il dit à un ambassadeur étranger, qui s’excusait d’un retard en alléguant la visite d’un personnage considérable de sa cour, cette parole que Louis XIV, dans tout l’enivrement de sa gloire, n’eût point osé prononcer : « Apprenez, monsieur, qu’il n’y a de considérable ici que la personne à qui je parle et pendant le temps que je lui parle. » Logique dans son orgueil et sa folie, il se mit en tête de dire la messe, en sa qualité de chef suprême de l’Église orthodoxe : « Puisque je suis leur chef, disait-il, j’ai le droit de faire tout ce qu’ils font. » En dépit de toutes les observations, il commanda des ornements somptueux, fit disposer une chapelle digne de son souverain pontificat, et il eût accompli sa folie sacrilège si un évêque russe n’eût imaginé de lui dire que, d’après saint Paul, un veuf remarié ne pouvait être admis aux ordres sacrés. Ce raisonnement le désarma, et avec sa mobilité habituelle, une fois le projet ajourné, il n’y pensa plus. On souffrait cruellement autour de lui de ses caprices et de ses folies. Sa méfiance, qui voyait partout des complots, les préparait en voulant les prévenir. Il passait son temps à exiler les gens en Sibérie par colère ou par soupçon, à les rappeler par des retours de sa bonté et de sa justice naturelles, et à les exiler de nouveau. »

La Révolution française inspira à ce fou couronné une haine profonde. Pour empêcher les idées nouvelles de pénétrer dans son empire, il eut recours à toutes sortes de mesures arbitraires, qui parurent des vexations gratuites. Il rappela de l’étranger tous ses sujets, entrava l’accès de la Russie aux voyageurs, défendit l’importation des livres français et même de tous livres étrangers, etc. Se déclarant le champion des vieilles idées monarchiques, il aspira bientôt à devenir le chef de la coalition européenne formée contre la République française. Il venait d’accepter le protectorat de l’ordre de Malte, lorsque l’île de Malte fut occupée par les Français. Sur l’offre de quelques chevaliers, il s’empressa de se proclamer grand maître de l’ordre à la place de Hompesch, qui venait d’accepter une pension du Directoire, et ce fut sous le prétexte de défendre l’ordre de Malte qu’il entra dans la coalition contre la France, non-seulement avec l’Autriche et l’Angleterre, mais encore avec la Turquie (1798). Pendant qu’une flotte russo-turque enlevait aux Français les îles Ioniennes, Paul envoyait contre l’héroïque République trois armées, l’une qui allait rejoindre le duc d’York en Hollande, la seconde qui allait opérer en Suisse, sous les ordres de Korsakof, la troisième qui, sous les ordres de Souvarof, entrait dans le nord de l’Italie. Mais bien que ce dernier eût vaincu les républicains français à Caztano, à la Trebbia et à Novi (1799), la fortune changea bientôt de face. L’armée de Hollande éprouvait un échec grave ; Korsakof était battu à Zurich par Masséna, et le vieux Souvarof, épuisé par ses victoires mêmes, était contraint de battre en retraite. L’insuccès de cette campagne, dans laquelle il avait engagé 100,000 Russes, indisposa vivement Paul contre ses alliés, qu’il abandonna à eux-mêmes. Ce qui mit le comble à son irritation, ce fut de voir l’Angleterre mettre la main sur Malte et la garder. Bonaparte, qui était devenu alors premier consul, profita habilement de l’état d’esprit du czar et de l’admiration qu’il avait su lui inspirer : il reconnut à Paul le titre de grand maître de l’ordre de Malte, dont il s’était décoré par un puéril orgueil ; il lui renvoya tous les prisonniers russes, sans rançon, équipés et vêtus de neuf ; il lui montra dans l’Inde une proie facile à saisir sur l’Angleterre, avec la coopération de la France. Dès lors, l’autocrate fut gagné. « Que m’importe, dit-il un jour, que ce soit Louis XVIII, Bonaparte ou un autre qui soit roi de France ; l’essentiel, c’est qu’il y en ait un ! » Un traité fut alors conclu entre lui et le premier consul, dont il avait placé le buste dans le palais de l’Ermitage, et, pour gage de sa sincérité, il chassa les Bourbons, auxquels il avait accordé jusque-là l’hospitalité et des subsides (23 janvier 1801). En même temps, il rompait complètement avec l’Angleterre, bien décidé à lui déclarer la guerre, et fit contre elle des traités avec le Danemark, la Suède et la Prusse.

Cependant l’état mental de Paul était devenu une menace perpétuelle pour ses sujets et pour sa famille. Il encouragea et organisa la délation, multiplia les condamnations arbitraires et alla jusqu’à provoquer en duel les souverains qui différaient d’opinion avec lui. Ce fut alors que se forma, pour le renverser, une conjuration à la tête de laquelle se trouvait un de ses favoris, le comte de Pahlen, gouverneur général de Saint-Pétersbourg, et dont les principaux membres étaient le comte Panine, les frères Zoubof, les généraux Benningsen et Ouvarof. Pour s’assurer l’impunité et le concours du futur empereur, Pahlen fit connaître ses projets au jeune Alexandre, en lui disant que l’abdication de son père était nécessaire au salut de l’empire et en lui promettant qu’il ne serait point attenté à sa vie. En ce moment, Paul, devenu de plus en plus ombrageux, paraissait avoir comme le pressentiment du danger qui le menaçait. Peu de jours avant sa mort, il se trouvait avec Pahlen lorsque, le regardant fixement, il lui dit : « On veut recommencer aujourd’hui la révolution de 1762. — Je le sais, répondit Pahlen, je connais le complot, j’en fais partie. — Quoi ! vous êtes du complot ? — Oui, sire, mais pour être mieux averti et plus en mesure de veiller sur vos jours. » Grâce à son sang-froid, Pahlen détourna les soupçons qui pouvaient peser sur lui ; mais, par sa révélation, il jeta un trouble encore plus grand dans l’esprit du czar. Le 12 mars 1801, Paul fit écrire à Berlin une dépêche dans laquelle il enjoignait au roi de Prusse de se déclarer immédiatement contre l’Angleterre. Pahlen lut la dépêche et y ajouta ces mots : « Sa Majesté est indisposée aujourd’hui. Cela pourrait avoir des suites. »

Le soir même, il réunit chez lui les conjurés qui, à minuit, divisés en deux bandes, se rendirent au palais Michel, sorte de forteresse où Paul s’était enfermé. La bande de Benningsen, dit M. de Ségur, entra la première et se dirigea vers l’appartement de l’empereur ; celle de Pahlen resta à l’arrière-garde, prête à marcher au premier appel. Paul dormait, gardé par deux soldats de confiance qui veillaient à la porte extérieure de sa chambre a coucher. La troupe conduite par Benningsen arrive sans bruit, surprend les factionnaires, tue l’un, blesse l’autre qui s’enfuit, enfonce la porte et se précipite dans la chambre de l’empereur. Au bruit de la lutte, Paul subitement réveillé avait sauté hors de son lit et cherché un refuge chez l’impératrice, dont la chambre communiquait à son alcôve par un escalier intérieur. Mais, dans sa méfiance, le malheureux prince avait barricadé cette issue et s’était ainsi fermé lui-même la retraite. Éperdu, il court à la cheminée et s’y cache tant bien que mal à l’aide d’un paravent. Les conjurés marchent droit à son lit, le trouvent vide et s’écrient avec stupeur : « L’empereur n’y est plus ; nous sommes perdus ! » Déjà ils s’apprêtent à fuir quand l’un d’eux, mieux avisé, leur dit : « Le lit est encore chaud : il doit être ici ; cherchons. » Ils cherchent en effet, déplacent le paravent, aperçoivent les jambes du malheureux Paul dont le corps était caché par la cheminée et l’attirent au milieu de la chambre. Alors se passa une scène indescriptible. « Que vous ai-je fait ? » s’écria l’empereur, reconnaissant parmi les conjurés plusieurs de ceux qu’il croyait ses amis. Et, recouvrant en présence de la mort la majesté de son rang, reprenant devant ces indignes courtisans l’attitude d’un souverain, il leur parla pendant quelques minutes avec une grandeur si simple, une éloquence si touchante, que plusieurs d’entre eux, émus jusqu’aux larmes, étaient prêts à se jeter à ses pieds et à lui demander pardon. « Il est trop tard ! Il ne peut plus nous pardonner ! il faut qu’il abdique ! » répondirent tumultueusement les autres. Et serrant de plus près l’empereur, ils le pressaient de signer son abdication. Paul résiste, supplie. À dessein ou par hasard, la lampe qui éclairait cette scène lugubre tombe à terre et s’éteint, Benningsen sort et va en chercher une autre. À ce moment, un des conjurés frappe Paul au visage avec le pommeau de son épée et lui brise à demi le front et le nez. Un autre veut le percer : le malheureux prince saisit le fer de ses mains et trois de ses doigts sont coupés. Il tombe renversé, les assassins le frappent de toutes parts. On l’étrangle, on lui coupe la carotide. Quand Benningsen rentra dans la chambre, il rendait le dernier soupir. Le lendemain, on sut dans Saint-Pétersbourg que l’empereur Paul Ier était mort d’une attaque d’apoplexie foudroyante. Son corps fut exposé, suivant l’usage, revêtu de son habit d’uniforme. Des gants recouvraient ses mains mutilées et son visage était presque entièrement caché par une large cravate qui montait jusqu’à la bouche et par son chapeau qui s’abaissait jusqu’à ses yeux. Personne, ni en Russie, ni en Europe, ne se méprit sur le genre de sa mort. »

De son mariage avec Marie-Fœdorovna, morte à Saint-Pétersbourg en 1828, Paul Ier avait eu quatre fils : Alexandre Ier qui lui succéda, Constantin, Nicolas et Michel, et six filles, dont deux moururent avant lui. Les quatre qui lui survécurent étaient Hélène, qui épousa le prince de Mecklembourg-Strélitz ; Marie, qui devint grande-duchesse de Saxe-Weimar ; Catherine, qui fut reine de Wurtemberg, et Anne qui monta sur le trône des Pays-Bas.

Paul Ier, opéra en trois actes, paroles de Luce et Victor Lefebvre, musique de Bovery ; représenté à Douai vers 1830. Ce fut presque le début de ce bon musicien qui lutta pendant de longues années contre la fortune et qui est mort chef d’orchestre d’un des plus modestes théâtres de Paris. L’auteur de Jacques Artevelde, du Giaour, était un mélodiste distingué et plusieurs de ses romances sont devenues justement populaires.