Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PAULE (Paule DE VIGUIER, baronne DE FONTENILLE, généralement connue sous le nom de la Belle), femme célèbre française

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 426).

PAULE (Paule de Viguier, baronne de Fontenille, généralement connue sous le nom de la Belle), femme célèbre française, née à Toulouse en 1518, morte dans la même ville en 1610. Elle était issue, par son père et par sa mère, de deux anciennes et nobles familles du Languedoc. Son père, Antoine Viguier, dont les ancêtres avaient combattu dans les rangs des Anglais, épousa Gabrielle de Lancefoc, qui donna le jour à la belle Paule. Par les charmes de son visage, par les grâces de son esprit et par ses qualités morales, Paule de Viguier excita bientôt l’admiration de tous ses contemporains. « Cette belle fille, dit Taille en ses Annales de Toulouse, unissait l’illustration de la naissance aux charmes extérieurs… La nature semblait l’avoir formée avec complaisance ! Vertus morales, qualités brillantes de l’esprit, mœurs irréprochables, tout ce qui charme le cœur, tout ce qui inspire le respect et l’admiration était réuni chez la belle Paule. »

Lorsque, en 1533, François Ier visita Toulouse, les capitouls choisirent la belle Paule pour être leur interprète auprès du galant monarque. Il passait devant la tour d’Arnaud-Bernard lorsque, du haut de cette tour, le roi vit descendre, au moyen d’une machine, la belle jeune fille, alors âgée de quatorze ans. « Elle était vêtue d’une robe blanche ornée de fleurs, dit un biographe ; une guirlande de roses ceignait sa tête, d’où tombaient par ondes ses cheveux dorés et bouclés ; le contour pur et gracieux de sa taille élancée que ceignait une écharpe bleue rappelait les statues grecques que l’on découvrait à cette même époque en Italie. » Le jeune et charmant messager débita une harangue poétique et puis offrit les clefs de la ville à François Ier qui ne put retenir, lui amoureux de toute beauté, un cri d’admiration. Il lui donna le surnom de Belle Paule, qui lui resta, et sous lequel, depuis, on devait toujours la désigner.

Aussi séduisante que vertueuse, la belle Paule avait toute une cour d’adorateurs. Entre tous, elle avait distingué un jeune gentilhomme, Philippe de Laroche, baron de Fontenille, et c’est à lui qu’elle désirait donner sa main ; mais sa famille en avait décidé autrement. Elle dut épouser le sire de Baynaguet, conseiller au parlement. Mais devenue veuve au bout de deux années, elle se maria avec celui qu’elle avait été obligé de sacrifier à la volonté de ses parents et qu’elle n’avait pas cessé d’aimer.

La belle Paule, baronne de Fontenille, trouva dans cette union un bonheur complet. En 1563, alors qu’elle avait déjà quarante-cinq ans, elle était encore dans tout l’éclat de sa beauté, qu’elle devait conserver jusqu’à un âge très-avancé. Catherine de Médicis, qui, à cette époque, visitait, avec Charles IX, les provinces méridionales, désira qu’elle lui fût présentée. La reine, à son apparition, fut saisie d’étonnement et dit à la belle Paule « qu’elle était bien au-dessus de sa réputation. » Le connétable de Montmorency, qui l’accompagnait, enchérit encore. « La baronne de Fontenille, s’écria-t-il, est une des merveilles de l’univers ; c’est l’honneur de Toulouse et de son siècle. »

Belle d’une incomparable beauté, sage autant que belle, Paule de Viguier fut aussi douée de toutes les qualités de l’esprit. Elle recevait dans sa maison les hommes les plus distingués de son temps ; elle cultivait les lettres et composait des vers élégants et gracieux, comme le prouve le dizain suivant, intitulé :

DE LA MORT D’UN MIEN FILS.

Le tendre corps de mon fils moult chéri
Gît maintenant dessous la froide lame ;
Aux lieux très-clairs doit triompher son âme,
Car en vertus toujours il fut nourri.
Las ! j’ai perdu ce beau rosier fleuri,
De mes vieux ans l’orgueil et l’espérance ;
La seule mort peut donner allégeance
Au mal cruel qui mon cœur a meurtri ;
Ors, adieu donc, mon enfant moult chéri,
De toi mon cœur gardera souvenance !

La belle Paule était regardée comme la première des quatre merveilles de Toulouse, énumérées dans un distique patois :

La bello Paoulo, San Sarni,
Lou Bazaclé, Mathali.

(La belle Paule, l’église de Saint-Sernin, le moulin du Bazacle et le musicien Mathali.) Les chroniqueurs du temps racontent qu’elle ne pouvait sortir sans être suivie d’un cortège d’admirateurs. Lasse sans doute, aussi bien que son mari, d’exciter à ce point l’attention de tous, Paule prit le parti de s’enfermer chez elle et de ne plus se montrer. Alors il ne tarda pas à se former sous ses fenêtres des attroupements ; ces rassemblements dégénérèrent en une sorte d’émeute, à la suite de laquelle les capitouls crurent devoir, dit-on, intervenir dans l’intérêt de la tranquillité publique. Ils condamnèrent la belle Paule, par un arrêt en bonne forme, à se promener en public, le visage découvert, deux jours par semaine.

Paule de Viguier devint presque centenaire et resta jusqu’à la fin l’objet de l’admiration de ses compatriotes. Elle fut enterrée à Toulouse, dans l’église des Augustins.

Le plus curieux, le plus étrange monument qui nous reste de l’admiration enthousiaste qu’excita cette femme est un livre de Gabriel de Minut, baron de Casteras, sénéchal de Rouergue ; ce livre a pour titre : De la beauté, discours divers, pris sur deux belles façons de parler, desquelles le grec et l’hébreu usent ; l’hébreu Tob et le grec Calon, l’Agathon voulant signifier ce qui est naturellement beau et naturellement bon, avec la Paule-graphie ou description des beautés d’une dame toulousaine, nommée la Belle Paule. Ce livre singulier, devenu bien rare aujourd’hui, est dédié à la reine Catherine de Médicis ; il fut publié à Lyon (1587, in-8o) par Charlotte de Minut, sœur de l’auteur, « très-indigne abbesse du pauvre monastère de Sainte-Claire de Toulouse. »

Paule (la belle), comédie en un acte et en vers, par M. Louis Denayrouse, représentée au Théâtre-Français en mai 1874. L’idée de cette fantaisie poétique a été puisée dans la vie de la belle Paule de Viguier, dont nous venons de parler plus haut. L’auteur suppose qu’un jeune homme nommé Gaston, amoureux fou de la dame, et qui avait voulu d’abord se noyer par désespoir, s’est introduit chez elle sous le costume d’une fille et s’est fait accepter comme camériste. C’est alors qu’arrive Claude, le chef des capitouls. Il vient annoncer à Baynaguet, mari de Paule, que, par décision de ses collègues, sa femme devra désormais se promener deux fois par semaine dans Toulouse, en suivant un itinéraire tracé, pour que la population puisse la voir et l’admirer. Baynaguet, dont l’auteur a fait une sorte de Bartholo, proteste vainement contre cette décision. Elle l’irrite d’autant plus que ce n’est pas lui qui doit accompagner sa femme. Laid et vieux, il gâterait par sa présence le plaisir que le peuple se promet en voyant la belle Paule. Qui accompagnera sa femme ? Claude le capitoul, qui a pénétré la ruse de Gaston, imagine alors une combinaison tout à fait machiavélique. Il persuade à Baynaguet de donner à la prétendue camériste de Paule des habits de page et d’en faire le cavalier de sa femme. Quel plaisir de mystifier les Toulousains en leur jouant ce bon tour ! Baynaguet est enchanté de l’idée et il a recours à toute son autorité pour vaincre la résistance de sa femme, qui vient de découvrir le déguisement de Gaston. Telle est la trame légère de cette pièce, dans laquelle on ne trouve ni intrigue ni dénoûment. Mais si, au lieu de faire une comédie, M. Denayrouse s’est borné à écrire une simple fantaisie, on doit reconnaître que ses vers sont bien frappés et d’une heureuse inspiration, qu’il y circule une vieille veine de gaieté gauloise et qu’on y trouve une scène ravissante, la scène d’amour entre Gaston et la belle Paule. Pour en donner une idée, nous nous bornerons à citer ces vers poétiques et charmants ;

Mon humble amour n’a pu beaucoup vous irriter
Son hommage en effet n’eût pas osé monter,
Sans l’aide du hasard, jusqu’à la femme aimée.
Ainsi lorsque l’on suit du regard la fumée
Qui flotte aux jours de fête au-dessus de l’autel,
On la voit s’arrêter à mi-chemin du ciel.
L’offrande ne va pas si loin que la prière :
L’une se perd ; tandis qu’invisible et légère
L’autre atteint — seule hélas ! — l’inaccessible azur.