Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PALMYRE, grande ville ruinée de la Turquie d’Asie

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 1p. 84-85).

PALMYRE, grande ville ruinée de la Turquie d’Asie, ancienne province de Syrie, au milieu du désert, entre Damas et l’Euphrate, par 33° 75’ de latit. N. et 36° 40’ de longit. E. Longtemps cette grande ville, dont on disait vaguement que les débris existaient encore, à 240 kilom. N.-O. de Damas, au pied d’une petite chaîne de montagnes, a passé pour légendaire ; ce n’est qu’au XVIIIe siècle que ses ruines ont été explorées par Dawkins et Halifax, qui en ont relevé la topographie et décrit les principaux restes. On acquit alors la certitude que cette fabuleuse Palmyre n’était autre que la Tadmor de l’Ancien Testament, dont les livres juifs faisaient remonter la fondation à Salomon. Le nom de Palmyra n’est que la traduction grecque de Tadmor, qui en hébreu veut dire Ville des palmiers, et les tribus arabes campées sur ses ruines l’appellent encore Tatmor ou Tumar, termes qui ont le même sens que l’expression hébraïque. Elle fut vraisemblablement appelée Ville des palmiers parce que Salomon, ou tout autre, la bâtit au milieu d’une de ces oasis verdoyantes dont le désert est parsemé. Elle acquit vite une importance considérable ; située à moitié chemin entre la Mésopotamie et la Syrie, au milieu d’un désert torride, elle était destinée, par sa position sur la route des caravanes, à devenir un grand entrepôt de commerce. La ville hébraïque n’a presque pas laissé de traces ; elle devait cependant être grande et populeuse ; mais les rois d’Assyrie, en s’en emparant, en firent un monceau de décombres. Elle se releva et atteignit son plus haut point de prospérité dans les premiers siècles de l’ère moderne.

L’histoire ne donne que de bien faibles renseignements sur Palmyre, sur le choix de sa situation extraordinaire, sur ses sources de richesses. Comment de si magnifiques monuments, dont les ruines ont encore tant de grandeur, furent-ils construits au milieu des sables ? On en est réduit à des conjectures. Selon les livres juifs, Salomon fit bâtir Tadmor dans le désert, après avoir fait la conquête du pays d’Hamath-Zoba ; et la ville fut entièrement détruite par Nabuchodonosor, lorsqu’il marcha sur Jérusalem. L’histoire romaine ne fait mention pour la première fois de Palmyre que lorsque Marc-Antoine voulut s’en rendre maître, espérant y trouver de quoi payer ses troupes. Mais les Palmyriens, instruits de ses projets, abandonnèrent la ville, sans doute mal fortifiée alors, et se transportèrent avec leurs familles et leurs richesses au delà de l’Euphrate, dont ils défendirent si bien le passage que l’armée d’Antoine fut obligée de s’en retourner. Palmyre était alors un État libre et l’entrepôt d’un commerce considérable ; les caravanes de la Perse et des Indes s’y arrêtaient, et de là les marchandises étaient transportées dans les ports de la Méditerranée, d’où elles se répandaient par tout l’Occident ; les marchandises occidentales pénétraient en Orient par le même chemin. Une inscription en langue grecque, datant d’un siècle environ après l’ère chrétienne et relevée sur les débris d’une colonne, montre qu’au moment de l’érection de ce monument, Palmyre était une ville libre, gouvernée par un sénat, et que le pouvoir exécutif y était exercé par un chef ou prince. Au IIe siècle de l’ère moderne, sous Adrien (130), Palmyre fit sa soumission à Rome, accepta le titre de colonie et prit le nom d’Adrianopolis. « Ce fut pour elle, dit M. Louis de Ségur, un acte de bonne politique. Située à l’extrémité de l’empire romain, elle pouvait, à la faveur de son éloignement et de ses déserts, ne lui être que nominalement soumise ; en même temps, la puissante protection de l’empire la défendait contre les Parthes et les Perses, ses dangereux voisins ; aussi voyons-nous Palmyre être une alliée fidèle de Rome dans les guerres contre ces peuples. Adrien la décora d’édifices magnifiques, mais elle conserva ses lois, ses institutions ; les conquérants du monde ne purent y laisser leur empreinte ordinaire : parcourez les ruines, vous n’y trouverez pas trace de théâtre ou de cirque. Or, les Romains, en asservissant les nations lointaines, apportaient, en échange de la liberté, leurs jeux, leurs spectacles, leurs combats de gladiateurs. C’est le propre de tout despotisme de rechercher l’amitié de la populace. En même temps qu’ils maintenaient les vaincus sous leur domination par les armes, ils les corrompaient par les plaisirs. Rien de semblable à Palmyre. »

Sous le règne de Gallien (260-268), un des princes de Palmyre, Odénat, s’acquit une gloire immortelle en repoussant l’invasion de Sapor ; il fit de Palmyre la reine de l’Orient, et la fameuse Zénobie, qui lui succéda, rêva de reconquérir une partie de la souveraineté du monde. Elle avait déjà conquis l’Égypte lorsque Rome s’effraya de ses progrès ; battue à Emèse, Zénobie vint se réfugier dans Palmyre, qui fut emportée d’assaut par Aurélien et livrée au pillage (272). La reine, faite prisonnière, figura au triomphe du vainqueur : elle était si chargée de perles qu’elle pouvait à peine marcher ; les grands de sa cour, captifs comme elle, la soulageaient du poids de ses chaînes d’or. Elle finit ses jours à Tibur, non loin de la villa d’Horace ; son conseiller Longin avait été mis à mort dans Palmyre. La grande cité fut d’abord respectée par les Romains, qui se contentèrent d’y mettre une garnison ; mais, dès que l’armée se fut éloignée, les Palmyriens se révoltèrent ; toute la garnison fut massacrée. « Cette révolte, dit l’auteur cité plus haut, apprit à Aurélîen que la destruction d’une telle forteresse, l’extermination ou l’asservissement de ses fiers habitants étaient nécessaires à la domination impériale en Syrie ; car, située si loin de Rome, si près de la Perse, elle eût offert à tout rebelle, dans un temps où chaque général d’armée aspirait à l’empire, un refuge sûr et facile. Sa liberté perdue, ses richesses pillées, son ancienne population décimée, son commerce et sa grandeur ne se relevèrent plus. C’est en vain que Dioclétien rebâtit les murs de Palmyre ; la suite de son histoire est celle d’une longue agonie. Après la conquête arabe, elle resta une ville forte, destinée à protéger la route commerciale entre Bagdad et Damas et à tenir en repos les tribus nomades. En 1519, les Turcs la prirent ; depuis ce temps, le mauvais gouvernement de ce peuple a laissé l’antique cité dépérir jusqu’au point où elle est aujourd’hui. Les Bédouins ont pris l’empire du désert, et sur les ruines de tant de splendeurs, on ne trouve plus qu’un pauvre village et quelques centaines d’âmes qui disputent aux nomades des dattes et des troupeaux, leur unique subsistance. C’est tout ce qui reste de la population d’une ville qui dut contenir, au temps de Zénobie, plus de 100,000 habitants. Les pauvres fellahs qui leur ont succédé vivent dans l’enceinte du temple du Soleil, sous des huttes de boue. Pénétrez dans cette enceinte : des hommes déguenillés, avertis de votre présence par l’aboiement des chiens, sortent d’affreux réduits et accourent en demandant l’aumône. Çà et là une légère fumée monte sous les colonnes et noircit quelques sculptures ; elle s’élève d’un amas d’herbes sèches, dans la cendre desquelles une mère de famille fait cuire un pain grossier. Celle-ci se détourne et tend la main d’un air suppliant. Tout le luxe de bas-reliefs, de portes, de colonnades ruinées, seul héritage que les Palmyriens modernes aient reçu de leurs prédécesseurs, fait vivement ressortir cette scène de misère et de désolation. »

Les ruines de Palmyre ont excité dans le monde savant, dès qu’elles ont été connues, la plus grande admiration ; elles sont loin cependant d’avoir le caractère des monuments helléniques ou même dés monuments romains de la bonne époque ; elles surprennent par le nombre prodigieux et les dimensions colossales des monuments dont on retrouve les restes, et plus encore par leur situation au milieu des sables ; mais la valeur artistique de ces débris n’est pas très-considérable ; ce ne sont que des œuvres de décadence. « Le nom de Palmyre, dit Volney, avait laissé un beau souvenir dans l’histoire ; mais ce n’était qu’un souvenir, et, faute de connaître en détail les titres de sa grandeur, on n’en avait que des idées confuses ; à peine les soupçonnait-on en Europe, lorsque, sur la fin du siècle dernier (XVIIe siècle), des négociants anglais d’Alep, las d’entendre les Bédouins parler de ruines immenses qui se trouvaient dans le désert, résolurent d’éclaircir les récits prodigieux qu’on leur en faisait. Une première tentative, en 1678, ne fut pas heureuse ; les Arabes les dépouillèrent complètement et ils furent obligés de revenir sans avoir accompli leur projet. Ils reprirent courage en 1691 et parvinrent enfin à voir les monuments indiqués. Leur relation, publiée dans les Transactions philosophiques, trouva beaucoup d’incrédules : on ne pouvait ni concevoir, ni se persuader comment, dans un lieu si écarté de la terre habitable, il avait pu subsister une ville aussi magnifique que leurs dessins l’attestaient. Mais depuis que le chevalier Dawkins, Anglais, a publié, en 1753, les plans détaillés qu’il en avait pris lui-même sur les lieux en 1751, il n’y a plus lieu d’en douter, et il a fallu reconnaître que l’antiquité n’a rien laissé, ni dans la Grèce, ni dans l’Italie, qui soit comparable à la magnificence des ruines de Palmyre. » Nous avons déjà dit qu’il faut entendre cette magnificence dans le sens d’une grandeur matérielle plutôt que dans celui de la perfection artistique.

Ces ruines gisent au pied d’une colline qui servait de nécropole à la grande cité et occupent un espace de plus de 3 lieues. On y reconnaît des débris appartenant à deux époques : les uns, accumulés en monceaux, sont informes et paraissent les restes de la ville détruite par Nabuchodonosor ; les autres, encore en partie debout, sont des trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Des inscriptions grecques et latines qu’on y a trouvées, aucune n’est antérieure à Jésus-Christ ni postérieure à Dioclétien. Les monuments, visibles encore par l’amoncellement de leurs matériaux, sont au nombre de quarante-cinq. 11 ne reste aucune trace des murailles et des fortifications, qui sans doute furent soigneusement démolies pur les Romains ; le plan de la ville reste donc encore tout à fait hypothétique. Le voyageur anglais Halifax, dont la relation publiée dans les Transactions philosophiques mit en éveil le monde savant, s’est extasié sur la beauté, selon lui incomparable, des ruines de Palmyre, qu’il n’a décrites que très-confusément ; la vérité est qu’elles ne peuvent supporter la comparaison, au point de vue artistique, avec les ruines d’Athènes ou avec celles de Paestum ; elles appartiennent, pour la plupart, à un style corinthien très-orné, mais ces longues files de colonnes qui produisent de loin, dans le désert, un majestueux effet, manquent de proportion et de grandeur. Le style général démontre un lourd plagiat de l’architecture grecque. « Le temple du Soleil, dit M. L. de Ségur, approche par sa grandeur du gigantesque temple de Karnac, à Thèbes. Je fus frappé surtout de la hauteur de ses portes ; mais, dans tout l’édifice, aucun bas-relief, aucune sculpture ne mérite d’arrêter la vue. Ici, comme à Baalbek, les hommes ont fait plus de mal que le temps ; l’édifice religieux fut transformé eu forteresse par les Sarrasins, et les quelques habitants de la nouvelle Palmyre ont assis leur village dans cette enceinte, afin de s’y défendre contre l’incursion des tribus. Les œuvres d’art sont mutilées, les tours de défense composées de colonnes brisées. Les tombeaux ont été exploités comme des carrières par les mêmes Sarrasins pour construire le château qui domine la ville. On s’étonne, à la vue de cette destruction, que tant de monuments soient encore debout ; mais il est à regretter que ces monuments soient plutôt un témoignage de la richesse des Palmyriens que de leur bon goût. Si l’on veut éviter une déception, l’on ne doit considérer que l’ensemble ; alors, ce spectacle si étrange d’une cité entière couchée sur le sable séduit l’imagination par des attraits mystérieux. »

Nous ne croirions pas avoir assez parlé de Palmyre, si nous ne citions encore quelques lignes du philosophe et du savant dont le nom s’attache à ses ruines par le prestige de l’éloquence. « Pour bien concevoir tout l’effet de ces ruines, dit Volney, il faut suppléer par l’imagination aux proportions. Il faut se peindre cet espace si resserré, comme une vaste plaine, les fûts si déliés comme des colonnes dont la seule base surpasse la hauteur d’un homme ; il faut se représenter que cette file de colonnes debout occupe une étendue de plus de 1,300 toises et masque une foule d’autres édifices cachés derrière elle. Dans cet espace, c’est tantôt un palais dont il ne reste que les cours et les murailles, tantôt un temple dont le péristyle est à moitié renversé, tantôt un portique, une galerie, un arc de triomphe ; ici les colonnes forment un groupe dont la symétrie est détruite par la chute de plusieurs d’entre elles ; là elles sont rangées en files tellement prolongées que, semblables à des rangs d’arbres, elles fuient sous l’œil dans le lointain et ne paraissent plus que des lignes accolées. Si, de cette scène mouvante, la vue s’abaisse sur le sol, elle y en rencontre une autre, presque aussi variée : ce ne sont de toutes parts que fûts renversés, les uns entiers, les autres en pièces ou seulement disloqués dans leurs articulations ; de toutes parts, la terre est hérissée de vastes pierres à demi enterrées, d’entablements brisés, de chapiteaux écornés, de frises mutilées, de reliefs défigurés, de sculptures effacées, de tombeaux violés et d’autels souillés de poussière. »

Les ruines de Palmyre sont décrites et gravées dans le grand ouvrage de Wood, les Ruines de Palmyre (Londres, 1753, in-8o, avec 27 pl. ; trad. en français, Paris, 1819, in-4o).