Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PACHE (Jean-Nicolas), homme d’État français

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 1p. 5).

PACHE (Jean-Nicolas), homme d’État français, né à Verdun en 1746, mort à Thin-le-Moutier (Ardennes) en 1823. Son père, Suisse d’origine, était concierge de l’hôtel de Castries. Le maréchal de Castries, frappé de la remarquable intelligence du jeune Pache, le chargea d’élever ses enfants, puis le fit nommer premier secrétaire au ministère de la marine. Nicolas Pache devint successivement intendant de la marine à Toulon, munitionnaire général des vivres de la marine et, sous le ministère Necker, contrôleur des dépenses de la maison du roi. Dans ces diverses fonctions, il fit preuve d’une rare aptitude aux affaires, d’une grande assiduité au travail et acquit de solides connaissances administratives. Mais, ayant au plus haut degré le goût de l’indépendance, auquel il joignait une austérité de mœurs qui lui rendait singulièrement désagréable le commerce des grands, Pache se démit de ses fonctions, fit remise au roi des brevets de ses pensions, montant à 11, 000 francs, et alla habiter la Suisse avec sa famille. C’est là qu’il vivait lorsque les événements de 1789 vinrent annoncer l’effondrement de l’ancien régime. Pache, ayant perdu sa femme, quitta la Suisse et retourna à Paris, sans autre ambition que celle de contribuer à l’établissement de la liberté naissante. À son arrivée, le maréchal de Castries voulut le faire nommer commissaire de la marine, mais il refusa cette fonction. Sur ces entrefaites, Roland fut appelé au ministère de l’intérieur (1792). Chargé d’une tâche écrasante et au-dessus de ses forces, le nouveau ministre désirait vivement trouver un homme capable de venir en aide à son inexpérience et de prendre la direction des affaires courantes. Un ami de Roland, Gilcery, lui désigna Pache, dont il connaissait la haute valeur. Dans ses Mémoires, la femme du ministre, la célèbre Mme Roland, a raconté comment son mari fit la connaissance de ce dernier, et elle en a tracé un portrait qui mérite d’être reproduit. « Pache connaissait à fond la triture des affaires, dit-elle ; il avait un sens droit, du patriotisme, des mœurs qui font honorer le choix de l’homme public et cette simplicité qui n’indispose jamais contre lui. On fait parler à Pache, qui manifeste aussitôt le plus grand empressement à servir Roland, en étant utile à la chose publique, mais sous la condition qu’il conserverait son indépendance, sans prendre aucune espèce de titre, d’appointements… Pache se rendit chez Roland, dans le cabinet duquel il arrivait tous les matins à sept heures, avec son morceau de pain à la poche, et demeurait jusqu’à trois heures sans qu’il fût possible de lui faire jamais rien accepter ; attentif, prudent, zélé, remplissant bien sa destination, faisant une observation, plaçant un mot qui ramenait la question à son but, adoucissant Roland, quelquefois irrité des contradictions aristocratiques de ses ennemis. » En peu de temps, Pache eut organisé le ministère de l’intérieur et assuré la marche des affaires. Le ministre de la guerre Servan, l’ayant vu à l’œuvre, pria Roland de lui céder son utile collaborateur, pour l’aider à débrouiller son ministère. Avec la même abnégation et le même désintéressement, Pache alors des bureaux de l’intérieur passa à ceux de la guerre, où il dépassa les espérances de Servan. Après la retraite du cabinet girondin (18 juin 1792), Pache fréquenta les clubs, où il combattit vivement les prétentions menaçantes de la cour. Lorsque Roland reprit le portefeuille de l’intérieur, à la suite de la journée du 10 août, il fit appel à son ancien collaborateur, pour qui il avait autant d’estime que d’affection ; mais Pache refusa son concours et lui désigna Faypoul. Désireux de rester éloigné de la vie publique, Pache refusa également les fonctions d’intendant général du Garde-Meuble. Toutefois, sur les instances de son ami Monge, qui le pressait d’utiliser ses talents au service de la République, il consentit à remplir une mission dans le Midi.

Pache avait terminé cette mission lorsque, le 18 octobre 1792, la Convention le nomma ministre de la guerre en remplacement de Servan, par 441 voix sur 560 votants. Prenant la direction des affaires militaires dans un moment où la situation était des plus critiques, il se montra complètement à la hauteur de sa tâche et fit preuve d’une fermeté, d’une sagacité, d’un talent d’organisation qui, joints à ses autres qualités, font de lui un des hommes les plus éminents de la Révolution. Avec sa remarquable perspicacité, il comprit que les girondins manquaient de la hardiesse, de l’unité de vue, de l’esprit politique nécessaires pour triompher des difficultés effrayantes de la situation. Ayant manifesté ses sympathies pour les montagnards, il se vit aussitôt en butte aux attaques les plus virulentes des girondins qui, en le poussant au pouvoir, avaient cru trouver en lui l’instrument docile de leur politique. Les brissotins, Servan, Biron, Carnot lui-même s’unirent contre lui et trouvèrent dans les royalistes des auxiliaires, charmés de pouvoir accabler de calomnies et d’outrages l’austère républicain. Pache, l’organisateur habile, l’homme désintéressé par excellence, ne fut plus que « l’ignoble » Pache. Non-seulement on l’accusa d’ineptie, d’ignorance, mais encore de malversation. Ce furent les girondins qui se chargèrent de porter à la tribune ces dénonciations ineptes, et, comme ils étaient en majorité dans l’Assemblée, ils firent porter contre lui un décret de destitution (2 janvier 1793). Peu après, les Parisiens le vengèrent de ses ennemis en le mettant à la tête de la mairie. Dans ce poste important, Pache facilita la mise à exécution de toutes les mesures hardies de la Commune, mais s’efforça constamment de conjurer les troubles et les révoltes. Les hébertistes le désignèrent, sous le nom de Grand Juge, comme le dictateur qui devait réaliser leurs espérances le lendemain d’une nouvelle révolution populaire qu’ils méditaient. En frappant ceux-ci, le comité de Salut public n’osa pas toucher au maire de Paris, généralement aimé de la population, et ce ne fut que quelques mois après qu’on le remplaça par Fleuriot ; il rentra définitivement alors dans la vie privée. Mais, lors de la réaction qui suivit le 9 thermidor, ses ennemis, qui ne l’avaient point oublié, firent intenter contre lui des poursuites qu’on dut abandonner. Après les journées de prairial, il se vit de nouveau poursuivi comme étant de connivence avec les insurgés, fut arrêté, traduit devant le tribunal criminel d’Eure-et-Loir, où il se justifia sans peine et fut absous. Malgré cet acquittement, la haine implacable des réacteurs l’aurait fait déporter à la Guyane si l’amnistie du 4 brumaire n’était venue le protéger contre la haine de ses ennemis. Retiré dans son-domaine de Thin-le-Moutier, qui lui rapportait 3,000 à 4,000 francs de revenu, il y passa le reste de sa vie, dans la solitude, profondément attristé de la tournure qu’avaient prise les événements, des palinodies écœurantes dont il était le témoin, s’attachant à rendre des services aux paysans au milieu desquels il vivait et donnant gratuitement des leçons aux jeunes gens intelligents du voisinage. Impliqué, sous le Directoire, dans la conjuration de Babeuf, il publia de sa retraite, en 1795, trois Mémoires très-curieux, contenant des particularités peu connues de l’époque de la Terreur. Sous le Consulat, Monge se rendit secrètement à Thin-le-Moutier, pour porter à son ancien ami Pache une lettre dans laquelle Bonaparte proposait des fonctions élevées au vieux républicain ; mais celui-ci, toujours désintéressé, toujours fidèle à ses convictions, repoussa ces offres et resta dans sa retraite. Il passa les dernières années de sa vie à composer un grand ouvrage de métaphysique, que l’affaiblissement de ses facultés intellectuelles l’empêcha dé terminer et qui est resté manuscrit. C’est à tort qu’on a attribué à Pache la devise : Liberté, égalité, fraternité, qui est de Momoro : il n’y eut d’autre part que d’ordonner, comme chef de l’administration municipale, qu’elle fût peinte sur les monuments de Paris.