Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Occam

Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 3p. 1209-1210).
◄  occabe
occase  ►

OCCAM ou OCKAM (frère Guillaume d’), moine cordelier d’origine anglaise, une des illustrations de la philosophie scolastique, né à Ockam, dans le comté de Surrey, vers le milieu du xiiie siècle, mort à Munich (Bavière) le 7 avril 1347. Il fit ses études au collège de Morton, dépendant de l’université d’Oxford. Nommé, en 1300, archidiacre de Stow, dans le comté de Lincoln, il refusa cette fonction, mais accepta en 1302 une prébende à Bedford, puis en 1305 une autre à Stowe, dont il se démit en 1319. Il avait commencé par être le disciple de Scot, le chef des réalistes. Ses connaissances étendues et son assiduité au travail lui avaient acquis dès sa jeunesse une autorité que la vivacité de son talent et sa merveilleuse dialectique avaient encore rehaussée. Les disputes théologiques dont il fut l’occasion le firent chasser de l’université d’Oxford ; il se réfugia à Paris, où il professa la théologie. Philippe le Bel, en quête de défenseurs dans sa querelle avec Boniface VIII, lui confia le soin de démontrer, à l’aide d’arguments puisés dans le droit canon et les autres sources du droit ecclésiastique, que les rois, au temporel, sont indépendants du saint-siége. Ses confrères d’Angleterre l’ayant choisi en 1322 pour provincial de l’ordre des cordeliers, il se rendit en cette qualité h rassemblée générale tenue à Pérouse, où il attaqua la prétention de ceux qui voulaient que les franciscains cessassent d’être un ordre mendiant, c’est-à-dire pussent posséder des biens en propre. Il objectait que Jésus-Christ n’avait rien possédé, que les apôtres avaient été dans la même cas, et qu’il était bon de les imiter en renonçant aux biens de la terre. Au lieu de lui répondre, ses adversaires eurent recours au pape, qui imposa silence à Occam. A son retour en France, le moine, grâce à l’appui de Michel de Césène, général des cordeliers, put entreprendre contre les vices privés des souverains pontifes une campagne qui le fit excommunier en 1330. Il se sauva en Allemagne pour échapper aux effets de l’excommunication. L’empereur Louis de Bavière, alors en guerre avec le saint-siége, accueillit Occam avec empressement. La polémique engagée en faveur du prince, par le célèbre cordelier, avec les partisans du pape, faillit lui coûter cher ; il ne dut la vie qu’à l’intervention de Louis de Bavière. Occam mourut à Munich en 1347.

Goldast a réuni, sous le titre collectif de Monarchia sancti romani imperii, les écrits d’Occom composés pour la défense de Louis de Bavière. Quelques autres ont été recueillis par Brown à la fin de son Fasciculus rerum expetendarum.

Les principaux ouvrages du célèbre moine sont : Dialogorum libri seplem adversus hæreticos (Paris, 1476, 1 vol. in-fol.), très-rare ; Quodlibeta ex emendatione Cornelii Oudendrick (Paris, 1487,1 vol. in-4°) ; Super quatuor libros sententiarum (1495, 1 vol. in-fol.) ; Super potestate summi pontificis quæstionum octo decisiones (Lyon, 1490, 1 vol. in-fol.) ; Summa logices (Venise, 1491, 1 vol. in-4o) ; Quæstiones in libros physicorum (Strasbourg, 1491, 1 vol. in-fol.) ; Expositio aurea super totam artem veterem videlicet in Porphyrii prædicabilia et Aristotelis prædicamenta (Bologne, 1496, 1 vol. in-fol.)

Les franciscains étaient scotistes et Guillaume eut à lutter contre les tendances de son ordre dans ses attaques contre la philosophie de Scot ; mais, d’autre part, les dominicains étaient thomistes parce que saint Thomas d’Aquin était un des leurs. À la fois adversaire de Scot et de saint Thomas, Occam fut en butte aux attaques des partisans de ces deux chefs d’école. Les néoplatoniciens du xve siècle, qui étaient réalistes, l’ont également maltraité dans leurs écrits. Il a fallu l’autorité d’Arnauld et de Leibniz pour remettre en honneur la mémoire du chef des nominalistes, princeps nominalium, comme on l’appelait.

Sa doctrine entière se réduit à la question des idées. Duns Scot est d’avis que l’universel (les genres et les espèces) existe in re, c’est-à-dire a une existence réelle ; saint Thomas n’admet l’existence réelle que dans les individus, en d’autres termes, il soutient que les gen- res et les espèces sont des abstractions de l’esprit. Quant à la substance d’une idée, saint Thomas et Duns Scot pensent l’un et l’autre qu’elle constitue une entité dont l’âme est le lieu et que cette entité, permanente de sa nature, est distincte de la pensée. En définitive, le réalisme de Duns Scot consiste à dire que les idées sont des êtres distincts, que les idées générales sont également des êtres substantiels ; saint Thomas admet l’entité pour les idées individuelles, mais non pour les idées générales.

Occam combat à la fois la théorie de Duns Scot et celle de saint Thomas. « Il existe, disait Duns Scot, des natures universelles intrinsèques à chaque singulier, qui dans leur manière d’être absolue constituent d’une façon indivise l’essence de tous les singuliers numérables. » Il y a donc une substance universelle et logique dans laquelle subsistent des substances individuelles appelées idées. Guillaume d’Occam accuse cette théorie d’être absurde. Suivant lui, les essences universelles n’ont été imaginées que comme moyen de résistance au scepticisme. Ce point acquis, il détruit en détail les arguments du réalisme. Son argumentation est semblable à celle d’Abailard, d’Albert le Grand et de saint Thomas contre Guillaume de Champeaux, Gilbert de La Porrée et les philosophes arabes. Seulement, Occam est bien plus fort que ses devanciers en dialectique.

La question des idées résolue, il s’agissait de savoir si l’âme est une substance. Occam l’admet ; l’entendement, dit-il, a deux qualités actives qui lui appartiennent en propre ; il est d’ailleurs le sujet de phénomènes auxquels le corps ne participe en aucune manière. C’est donc une substance, mais il n’y a pas de motifs pour assimiler cette substance aux concepts intellectuels. Duns Scot et saint Thomas soutenaient que les idées étaient des substances distinctes et de la même nature que l’âme. Ce ne sont, dit Occam, que des modes de l’âme.

Suivant saint Thomas, toute sensation se produit à l’occasion d’une impression venue du dehors ; suivant les scotistes, cette sensation était l’œuvre d’une image ou corps détaché de l’objet extérieur. Les thomistes refusent d’admettre que ce corps étranger pénètre dans l’âme, mais ils concèdent qu’il vient se présenter aux sens et détermine la sensation. C’est vrai, dit Occam, mais ce corps-image accompagne la sensation et ne la détermine pas. Il y a deux choses à considérer dans la sensation : le sujet sentant et l’objet senti.

Pour les idées qui sont l’objet de la mémoire ou espèce expresse, les thomistes disaient que c’était l’image de l’objet extérieur, restée empreinte sur l’organe sensible, par exemple sur la rétine. Cela peut y rester un instant, dit Guillaume d’Occam, mais cette empreinte ne tarde pas à s’effacer. Il ajoute que la perception qu’il nomme intuition préalable dispose le sens externe (la sensibilité physique) ou le sens interne (l’imagination) a voir, percevoir les objets plus facilement quand ils reviennent ; en un mot, il suppose que l’habitude en matière de perception augmente la puissance de cette faculté. Mais il refuse d’admettre qu’il y ait dans l’âme, pour signifier les objets du dehors, des entités distinctes de ces objets.

Quant à l’entendement, il n’y a en lui que deux choses au moment de la connaissance : lui-même et la chose connue. Il rejette les espèces intelligibles, sorte d’intermédiaires adoptés par les thomistes entre l’entendement et son objet.

Les idées divines formaient dans la science psychologique de la philosophie scolastique un domaine à part. Les réalistes avaient fuit des idées de Dieu des personnes distinctes, qui formaient pour ainsi dire la cour du Très-Haut. Dieu en était tout à fait distinct, mais il ne pouvait prendre une résolution sans les consulter. Ses attributs ont conservé ce caractère dans la théologie catholique, qui les étudie isolément et comme des êtres distincts de l’essence divine. Occam se moque de cette manière de considérer Dieu. Les idées humaines, dit-il, se composent de la notion de la chose qui est ; au lieu de constater ce qui est, la pensée de Dieu a pour effet direct de créer ce qu’elle pense ; l’idée divine est donc la notion de ce qui doit être. Cette notion est-elle éternelle ? Non. Dieu est éternel, mais ses idées ne le sont pas. En d’autres termes, elles sont objectives et contingentes. En dernière analyse, le nominalisme d’Occam est une négation systématique, tandis que le réalisme de ses adversaires est une affirmation continue. Occam est pour le mouvement continu, qui est l’essence de la pensée, les autres pour la permanence des idées. Il n’y a pas d’assimilation à faire entre les doctrines scolastiques et les systèmes modernes. Le terrain des combattants n’était pas le même. Aujourd’hui, la question est posée entre la nature physique et la nature spirituelle. Alors, le monde spirituel était le seul terrain sur lequel les philosophes combattaient.

Le système d’Occam, après avoir fait un bruit qui ressemble à un scandale, est tombé avec les systèmes qu’il avait la prétention de détruire et de remplacer. Mais, malgré l’indifférence universelle qui a succédé à la passion qui animait autrefois les querelles des réalistes et des nominaux, il faut rendre à Occam cette justice, que sa philosophie fut à la fois hardie et ingénieuse. La liberté de la pensée, quelque forme qu’elle ait pu revêtir, est toujours digne d’exciter les sympathies de la postérité, surtout lorsqu’elle a suscité la persécution des contemporains.

A consulter sur Occam : Hauréau, à l’article Occam du Dictionnaire des sciences philosophiques ; G. Biel, abrégé des Questions sur les sentences, où il a résumé à peu près toutes les doctrines d’Occam.