Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Mireille, en provençal Mireïo, poème provençal, de Frédéric Mistral

Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 321).

Mireille, en provençal Mireïo, poème provençal, de Frédéric Mistral (1859, in-8o). L’auteur l’a publié avec une traduction française en regard. C’est une sorte d’épopée familière, domestique, dans laquelle il a encadré de pittoresques descriptions, des peintures naïves de la vie rustique, de pieuses légendes ; elle est divisée en douze chants, dont voici les titres : 1° le Mas des Micocoules ; 2° la Cueillette ; 3° le Dépouillement des cocons ; 4° les Prétendants ; 5° le Combat ; 6° la Sorcière ; 7° les Vieillards ; 8° la Crau ; 9° l’Assemblée ; 10° la Camargue ; 11° les Saints ; 12° la Mort. Le sujet du poème est des plus simples. C’est l’éternelle histoire de deux jeunes cœurs s’ouvrant à l’amour, sans songer à la différence de leurs conditions. Mireille est riche, Vincent est pauvre ; ils aiment, leurs parents calculent ; la voix de l’intérêt sera plus forte que celle de l’amour ; les enfants seront sacrifiés à l’égoïsme paternel. Mireille meurt en pardonnant à ses parents, dont le consentement, accordé trop tard, n’a pu rattacher les fils brisés de son existence.

Mireille est une jolie et riche fermière de la vallée de la Crau ; Vincent un pauvre vannier ambulant, raccommodeur de paniers troués, mais beau gars, bien découplé, dont la jeune fille s’éprend un jour qu’il vient travailler chez son père. La cueillette des feuilles de mûrier les rapproche encore ; c’est, dans le poème, un des nombreux tableaux de mœurs provençales très-réussis. La naissance de cet amour, aussi chaste que fort, est racontée avec une sensibilité exquise. Le bonheur du couple amoureux est bientôt mis en danger, d’abord par d’autres prétendants à la main de Mireille, le berger Alari, le maquignon Veran, pompeusement appelé, en style homérique, « maître de cent belles cavales blanches, » et le toucheur Ourias, aussi sauvage que ses bœufs. Les deux premiers, repoussés par Mireille, se retirent tristement ; mais le farouche Ourias provoque Vincent et le blesse en traître. Vincent est transporté mourant au mas des Micocoules, puis, de là, à la grotte des Fées, où Mireille, éperdue de douleur, va demander aux sorcières des remèdes pour guérir son amant. Vincent rétabli, leur amour rencontre un obstacle bien autrement insurmontable dans l’inflexible volonté du père de Mireille. Celle-ci se rappelle, dans sa douleur, que Vincent lui a dit un jour : « Si jamais un chien enragé, un loup ou un serpent énorme, ou toute autre bête errante vous fait sentir sa dent aiguë ; si le malheur vous abat, courez, courez aux Saintes, vous aurez tôt du soulagement. » Ces Saintes, c’est l’église des Saintes-Maries, au delà de la Crau. Confiante en la parole de Vincent, elle commence son pèlerinage. La pauvre enfant avait trop présumé de ses forces ; les fatigues de la route, le soleil de plomb qui dardait sur sa tête tandis qu’elle traversait la vaste plaine aride et rocailleuse de la Crau lui occasionnent un transport au cerveau. En vain ses parents désolés consentent à lui donner celui qu’elle aime ; elle expire entre les bras de son père, de sa mère et de Vincent. Que devient celui-ci ? Le poète a eu le tact de n’en pas parler, sentant que, Mireille morte, Vincent n’est plus qu’un corps sans âme, qui se traînera languissant et morne jusqu’au moment où la mort le réunira à celle que le destin lui a ravie.

Comme composition, Mireille a de l’originalité et de la grâce ; ce n’est pas sans un certain plaisir que l’on a vu un poëte contemporain renouveler dans un idiome presque perdu les grandes traditions épiques oubliées depuis Homère ; il y a dans Mireille comme un vague souvenir de l’Odyssée. Lamartine, qui a présenté cette épopée rustique au monde lettré dans son Cours familier de littérature, l’accueillit avec enthousiasme. « La littérature villageoise est trouvée ; grâce et gloire à la Providence ! Un grand poète épique est né. La nature occidentale n’en fait plus, mais la nature méridionale en fait toujours : il y a une vertu dans le soleil ! Un vrai poète homérique en ce temps-ci ; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d’un caillou de la Crau ; un poète primitif dans notre âge de décadence ; un poète grec à Avignon ; un poète qui crée une langue d’un idiome comme Pétrarque a créé l’italien ; un poëte qui d’un patois vulgaire fait un langage classique, plein d’images et d’harmonie, ravissant l’imagination et l’oreille ; un poète qui joue sur la guimbarde de son village des symphonies de Mozart et de Beethoven ; un poëte de vingt-cinq ans qui, du premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et mélodieux, une épopée agreste, où les scènes descriptives de l’Odyssée d’Homère et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé de Longus, mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l’aveugle de Chio. » Cet éloge est juste. Mistral en avait remercié d’avance Lamartine par la dédicace de Mireille : « Je te consacre Mireille, c’est mon cœur et mon âme. C’est la fleur de mes années. C’est un raisin de Crau qu’avec toutes ses feuilles t’offre un paysan. »