Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Marguerite d’Angoulême (LETTRES DE)

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1171).

Marguerite d’Angoulême (LETTRES DE), publiées en 1841-1842 (2 vol. in-8o). Ce recueil des lettres de l’aimable sœur de François Ier ne manque pas d’intérêt ; il nous montre tour à tour les traits divers d’une physionomie originale et digne d’étude. Marguerite y apparaît tantôt sœur dévouée et politique habile, tantôt amie et protectrice des savants, tantôt théologienne nuageuse, tantôt apôtre de la tolérance religieuse et de la liberté de conscience. On se complaît à suivre dans ces diverses manifestations l’esprit et le cœur d’une princesse si bien douée. Toutes les lettres adressées à son frère sont empreintes de cet amour profond qui a donné lieu à des accusations étranges, que les historiens les plus scrupuleux n’ont pu ranger parmi les calomnies. Celles qu’elle écrivit au roi captif pendant les négociations du traité de Madrid, nous font apprécier en elle un diplomate expert tout autant qu’une sœur dévouée. Plus loin, à cette ardeur d’amour fraternel se mêle une note héroïque, nous dirions même patriotique, à propos du camp d’Avignon, où Montmorency rassemblait l’armée destinée à refouler l’invasion de la Provence. Elle est si émerveillée de la bonne tenue des troupes, de la haute mine des capitaines, soucieux de prendre leur revanche de Pavie, qu’elle souhaiterait presque voir arriver les troupes impériales pour assister au combat.

Marguerite est tout autre à sa petite cour de Nérac, entourée de lettrés, de savants et de calvinistes persécutés. Ce que ses lettres prêchent alors c’est l’union, la paix, la tolérance. Ceux qui étaient ailleurs traqués et mis à mort trouvent près d’elle un refuge. Plusieurs fois dans ses lettres elle sollicite, elle intrigue en faveur de ses protégés, non sans mystère et sans quelque timidité. « Le bonhomme Fabry (Lefebvre d’Étaples) m’a écrit qu’il s’est trouvé un peu mai à Blois, et pour changer d’air iroit volontiers voir un ami sien, pour un temps, si le plaisir du roi estoit d’avis de lui donner congé, » Ce qui veut dire que le vieillard, un des patriarches de la Réforme en France, inquiété pour ses idées religieuses, demandait au roi la permission de s’exiler à Nérac : ce qui lui fut accordé. Marguerite fut moins heureuse pour Louis de Berquin, auquel elle s’intéressait vivement aussi. Au milieu de ces haines furieuses se détache avec d’autant plus d’éclat la figure douce de cette Marguerite, qui s’est définie elle-même « une femme qui se laisse toujours gaaigner à tout le monde. » On trouve dans le recueil de ses lettres peu de bruits de cour, peu d’allusions aux scandales de la société polie d’un temps qui a inspiré Brantôme. Malheureusement, il nous faut dire un mot de cette fâcheuse correspondance que Marguerite a entretenue avec son directeur Briçonnet, évêque de Meaux. On y voit des lettres de cinquante et même de cent pages, mais plus effrayantes encore par leur mystique obscurité que par leur longueur. Il est difficile de démêler un sens, et surtout le bon sens de la spirituelle et aimable Marguerite, dans tout cet extravagant fatras théologique. Mais si l’on excepte de la correspondance générale de Marguerite ces singulières aberrations, on trouvera dans ce recueil de Lettres bien des pages intéressantes et tous les éléments nécessaires pour bien juger ce caractère sympathique. « Il faut en effet, dit M. Littré, à côté de la conteuse spirituelle, moitié gaie, moitié sérieuse, des Nouvelles, et sans oublier la correspondante de l’évêque Briçonnet, voir en elle la femme pleine de cœur et de sens qui se montre dans les Lettres…, celle qui, entourée de toutes les grandeurs, a dit d’elle-même « qu’elle avait porté plus que son faix de l’ennui commun à toute créature bien née, » expression généreuse et mélancolique, qui seule suffirait pour attester quel sentiment cette âme, à la fois élevée et tendre, cette créature bien née avait, sans regret de son rôle, emporté de l’expérience des Hommes et des choses. »