Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Marguerite Haie ou Nord et Sud, roman anglais de mistress Gaskell

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1172).

Marguerite Haie ou Nord et Sud, roman anglais de mistress Gaskell (1855, 2 vol. in-8o). Dans ce vaste tableau de mœurs anglaises, l’auteur a voulu opposer, d’un côté, la société du Sud, société aristocratique et agricole, vivant sous un climat doux, sur un sol fertile, riche en fermes et en jolis cottages, à l’âpre société du Nord, toute manufacturière et industrielle ; et, d’un autre côté, une fois qu’elle a transplanté son héroïne dans les centres manufacturiers du Nord, nous faire assister à l’implacable lutte de l’ouvrier contre le patron, du travail contre le capital. Dans cette région, aux villes toutes neuves, pleines de rumeurs et couvertes de suie, l’activité est prodigieuse, et grande la misère. Les grèves d’ouvriers s’y changent en émeutes. La bourgeoisie y professe le radicalisme américain, et la population ouvrière, qui se croit exploitée, incline, en désespoir de cause, vers le socialisme et l’athéisme. Le roman de Mme Gaskell a pour but, et la conciliation de ces intérêts ennemis, mais indivisibles, et la fusion du caractère et des mœurs des deux sociétés (Nord et Sud) en ce qu’il y a de bon, d’utile et de fort dans chaque groupe. L’action, toute morale au début, s’ouvre par un tableau d’intérieur, sous le toit d’un presbytère de campagne, où règne la paix domestique. Marguerite, l’héroïne du livre, est douée d’une âme forte et d’une beauté aristocratique. Elle est née au midi de l’Angleterre, dans ces contrées où, suivant l’expression de mistress Gaskell, « l’aristocratie traîne des jours d’une lenteur désespérante au milieu d’un luxe dont elle ne jouit même pas, empêtrée dans un miel qui l’empêche de voler et de marcher. » Fille d’un clergyman, elle a vécu longtemps éloignée du presbytère paternel, chez une tante riche, dans un monde élevé. Néanmoins, elle est sans fortune, et, lorsqu’elle revient chez son père, il lui faut vivre dans la retraite. Bientôt son père, tourmenté de quelques doutes sur les croyances de l’Église anglicane, quitte son presbytère, et Marguerite le suit dans une ville manufacturière du Nord, où il compte donner à quelques élèves, à des bourgeois enrichis, des leçons d’histoire et de littérature. Élie frémit en se voyant au milieu d’une population inculte et grossière, égoïste ou corrompue.

Elle se trouve alors en présence de deux hommes placés aux deux extrémités de la société de Milton, la ville où son destin l’a conduite. L’un, M. Thornton, est un industriel grave et laborieux, mais inflexible ; l’autre, Higgins, un ouvrier aigri par les privations, par le scepticisme et par une étude superficielle des questions sociales. Entre ces deux adversaires, Marguerite se place comme la conciliation et la paix. La dignité de son attitude, la noblesse de son langage, la force de son intelligence, la grâce aristocratique de sa beauté séduisent les instincts élevés de M. Thornton, qui se sent dompté par une fermeté égale à la sienne. Une grève éclate. Au milieu de la lutte que Thornton soutient contre ses ouvriers avec une impitoyable ténacité, Marguerite se présente à lui comme capable de partager ses périls. Dans cette émeute populaire, si bien décrite par mistress Gaskell, lorsque le flot tumultueux des ouvriers vient battre le seuil de la maison du maître, c’est elle qui s’élance entre eux et lui ; c’est elle qui, par son admirable attitude, arrête et fait reculer la foule ivre de fureur ; mais en même temps c’est elle qui, sans vains discours, sans laisser paraître un amour qu’elle ne soupçonne pas encore elle-même, fait pénétrer dans le cœur d’airain du manufacturier des sentiments d’indulgence et de pitié. Tel est son rôle auprès de Thornton ; elle en a un aussi noble auprès de l’ouvrier Higgins. À cet homme que les soucis domestiques, la longue maladie d’une fille bien-aimée, sa propre misère et la vue de la misère des autres ont irrité contre la société, elle apparaît comme une lumineuse vision. Elle trouve pour lui, dans son cœur, des paroles de paix.