Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MORELLET (André), littérateur et philosophe français
MORELLET (André), littérateur et philosophe français, né à Lyon le 7 mars 1727, mort à Paris le 12 janvier 1819. Il fit ses études chez les jésuites de Lyon, puis vint à Paris et fit sa théologie à la Sorbonne (1748-1752). Ce fut là qu’il connut Turgot et Loménie de Brienne. Vers la même époque, par l’intermédiaire de l’abbé de Prades, il entra en relation avec Diderot, qui le produisit dans le monde philosophique. Mais Morellet cessa de le fréquenter lorsqu’il quitta la Sorbonne, en 1752, pour devenir précepteur du fils de M. de La Galaizière, chancelier de Lorraine, et, peu après, il partit pour l’Italie avec son élève. Sa première œuvre littéraire est un opuscule intitulé : Petit écrit sur une matière intéressante (1756), qui promettait un adepte de talent aux encyclopédistes. C’était un pamphlet où, sous prétexte de défendre les protestants persécutés par l’Église et les jansénistes du parlement, il se moquait agréablement des mœurs du clergé et des croyances catholiques. Diderot et d’Alembert furent enchantés de leur néophyte. On lui offrit immédiatement de collaborer à l’Encyclopédie, ce qu’il accepta. Ses patrons lui donnèrent à faire des articles de théologie et de métaphysique. Quelques-uns, par exemple les articles Fatalité, Figures, Fils de Dieu, Foi, Fondamentaux (articles), méritent encore d’être cités. Il s’occupait en même temps des arts industriels, et un nouvel opuscule : Réflexions sur les avantages de la fabrication et de l’usage des toiles peintes (1758), provoqua de la part du gouvernement une décision conforme à ses vues. Pendant son voyage en Italie, l’abbé Morellet avait rencontré dans une bibliothèque privée le Directorium inquisitorum. Il en publia, avec l’autorisation de M. de Malesherbes, un extrait sous le titre de Manuel des inquisiteurs (1762, in-12). Depuis son retour à Paris, il était admis dans les salons les plus courus, notamment chez Mme Geoffrin, où se réunissaient les gens de lettres et les gens du monde les plus distingués du temps, et sa conversation spirituelle y était fort goûtée.
Lorsque Palissot eut fait paraître sa comédie intitulée : les Philosophes, dans laquelle il attaquait avec une ardeur venimeuse l’école encyclopédique, l’abbé Morellet se chargea de lui répondre, dans un écrit plein de verve spirituelle et mordante : la Préface de la comédie des Philosophes (1760), qui eut un énorme succès. Mais un trait décoché en passant à la princesse de Robecq, ennemie des philosophes, et l’envoi de la brochure à cette dame par Palissot, comme de la part de l’auteur, valurent à celui-ci deux mois de séjour à la Bastille, d’où le tira l’intervention de la maréchale de Luxembourg, intéressée par J.-J. Rousseau en faveur de Morellet.
Au sortir de prison, l’abbé philosophe put se poser en martyr et n’y manqua point : sa réputation était faite. Le public le lisait ; l’élite de la société le choyait, et il trouvait un ami dévoué dans le baron d’Holbach, dont il devint un des hôtes assidus.
En 1766, l’abbé Morellet publia une bonne traduction du Traité des délits et des peines de Beccaria. Les travaux économiques qu’il publia vers la même époque contribuèrent activement à la suppression du privilège de la compagnie des Indes en 1769. Il mettait au jour presque en même temps le Prospectus d’un nouveau dictionnaire du commerce. Vingt ans de travail, employés à la rédaction de cette œuvre importante ou à la réunion des matériaux nécessaires, furent infructueux, car l’auteur dut abandonner l’entreprise quand la Révolution française éclata. Cette besogne ardue ne l’empêchait pas d’intervenir chaque année dans les querelles littéraires et politiques du temps, par des pamphlets ou opuscules nombreux, qui remplaçaient alors la presse périodique.
Une mission commerciale, qui lui fut confiée en 1772 en Angleterre, mit l’abbé Morellet en relations directes avec lord Shelburne, depuis marquis de Lansdowne, qu’il avait déjà rencontré à Paris, puis avec Franklin et les membres les plus distingués du parlement et de l’aristocratie anglaise. En 1775, Voltaire le reçut à Ferney avec une bienveillance marquée. Il le connaissait d’ailleurs de longue main, car dès 1760 on lit dans une lettre de lui à Thiriot : « Embrassez pour moi l’abbé Mords-les. Je ne connais personne qui soit plus capable de rendre service à la raison. » Sa liaison avec Marmontel était aussi fort ancienne et elle fut resserrée en 1777 par le mariage de l’auteur des Incas avec une nièce de l’abbé.
En 1784, Louis XVI lui accorda une pension de 4,000 livres et, en 1785, il remplaça l’abbé Millot à l’Académie française. Des connaissances étendues en linguistique, un admirable talent pour l’analyse et les définitions le mirent à la tête des rédacteurs du Dictionnaire de cette société, dont il était directeur lorsqu’elle fut supprimée en 1792. Les principes de 1789 le trouvèrent bien disposé pour eux. Ces bonnes dispositions s’étaient manifestées d’abord par des conseils au cardinal de Brienne, membre de l’Assemblée des notables de 1787, puis ministre des finances et chef du ministère. Quand en 1788 on discuta la question des états généraux, il se mit à l’œuvre à son ordinaire et produisit des Observations sur la forme des états de 1614. Il y était de l’avis que le tiers devait avoir une représentation double. Une nouvelle brochure, Réponse au mémoire des princes, fut également bien accueillie. En 1789, il continua d’intervenir dans les affaires courantes par les Réflexions du lendemain et le Moyen de disposer utilement des biens ecclésiastiques. Mais lorsqu’il vit s’accomplir tout à coup l’effondrement de l’ancien régime, lorsqu’il vit émettre des théories pleines de hardiesse, il se sentit pris d’une vive inquiétude, et la suppression de ses pensions, jointe à la suppression de l’Académie française, le jeta complètement du côté de la réaction. Lorsque la dissolution de l’Académie fut prononcée (1792), il emporta chez lui les archives, les registres, les titres de création, jusqu’au manuscrit du Dictionnaire, enfin tout ce qu’il était intéressant de conserver parmi les papiers de l’Académie, et ne les rendit qu’en 1803. Morellet vécut dans une retraite profonde jusqu’après le 9 thermidor. Il reparut alors et publia une série de brochures inspirées par une haine profonde contre la Révolution : la Loi des familles ; la Cause des pères ; Supplément à la Cause des pères ; Dernière défense, appel à l’opinion publique ; Discussion du rapport fait par le représentant Audouin, etc.
De toutes ses pensions, qui s’élevaient à une somme considérable, il ne lui restait que 1,200 francs en inscription de rente. Il se mit, pour vivre, à traduire des ouvrages de voyageurs et de romanciers anglais. Ses traductions sont : l’Italien ou le Confessionnal des pénitents noirs ; les Enfants de l’abbaye ; Clermont ; Phédora ; Constantinople ancienne et moderne ; le tome III du Voyage de Vancouver, et les livres IX et X de l’Histoire d’Amérique par Robertson. Il traduisit ainsi 20 volumes in-4o dans l’espace compris entre l’année 1797 et l’année 1800. On n’a de lui, durant cette période, qu’une brochure contre la loi des otages (1799). Il ne fut pas rappelé à l’Institut lors de sa création (1795) ; mais le premier consul l’y fit réadmettre en 1803, lors de la réorganisation de ce corps. Il rentra dans la classe de la langue et de la littérature française (ancienne Académie française) et fut nommé secrétaire de la commission du Dictionnaire. Nommé en 1807 membre du Corps législatif, il traversa sans encombre une vieillesse alerte et sans infirmités. Malheureusement, à l’âge de quatre-vingt-huit ans (1815), une chute, dans laquelle il se brisa le fémur, le rendit tout à fait impotent. Mais cela ne l’empêcha pas de travailler et de mettre au jour, en 1818, des Mélanges de littérature et de philosophie au XVIIIe siècle (4 vol. in-8o). Ces Mélanges ne contiennent guère que des fragments déjà publiés par l’auteur. L’abbé Morellet n’était pas un talent du premier ordre ; mais il avait l’intelligence étendue, de l’instruction, une facilité de style qui excluait la profondeur, non l’élégance. En philosophie, en matière littéraire, dans les arts industriels, il n’a laissé son nom à aucune œuvre remarquable. Cependant, il savait mettre en lumière les idées et les découvertes d’autrui. En définitive, il parvint à jouer un rôle important dans les lettres et la politique du XVIIIe siècle. S’il combattit la Révolution, il resta du moins fidèle aux idées de tolérance, à la liberté de la pensée, et, malgré la réaction très-prononcée qui avait alors de puissants organes, il défendit la philosophie du XVIIIe siècle jusqu’à sa mort. Outre les travaux cités plus haut et des articles publiés dans le Publiciste, les Archives littéraires et le Mercure de l’an VIII, on a encore de l’abbé Morellet : Réflexions sur les préjugés qui s’opposent au progrès de l’inoculation en France, traduites de Gatti (1704, in-8o) ; Éloge de Mme Geoffrin, qui n’a pas été imprimé à part ; des Mémoires sur la seconde moitié du XVIIIe siècle, publiés par Lemontey (1821, 2 vol. in-8o).