Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MATELOTE

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1326-1327).

MATELOTE s. f. (ma-te-lo-te — fém. de matelot). Femme d’un matelot.

MATELOTE s. f. (ma-te-lo-te — rad. matelot). Art culin. Mets généralement composé de poisson apprêté au vin et aux oignons : Une matelote marinière, à la marinière. Une matelote normande. Une matelote d’anguille, de brochet. Mme de Cornuel comparait les contes à ces matelotes dont on dit que la sauce fait manger le poisson. (Noël.)

— Chorégr. Danse en usage parmi les matelots : Danser la matelote. || Air sur lequel on exécute cette danse.

À la matelote, à la manière, à la façon des matelots : On a porté pendant un temps des chausses à la matelote, serrées sur la cuisse. (Trév.)

— Encycl. Art culin. On appelait autrefois matelote une manière d’accommoder le poisson frais, ragoût fort à la mode d.-ms les auberges situées près des rivières ; aujourd’hui, le mot matelote a pris de l’extension ; il s’applique, non-seulement à un ragoût de poisson, mais encore à une sauce qui accommode des cervelles de bœuf et de veau, ainsi que des ailes de volaille ; la matelote de poisson est devenue matelote à la marinière.

Dans tous les cas, il est plus facile de donner la formule de ces sauces que de les réussir ; voici ces formules :

Matelote de cervelles. Après avoir fait dégorger les cervelles dans de l’eau chaude, on enleve les membranes qui les recouvrent ; on les fait cuire dans moitié bouillon et moitié vin ; on sale et on poivre. Lorsqu’elles sont cuites à point, on les met de nouveau dans une casserole avec un verre de vin et un verre de bouillon ; on ajoute un bouquet garni, du sel, du poivre, des petits oignons et des champignons passés dans le beurre ; après quelques moments d’ébullition, on lie la sauce à l’aide d’un roux.

Les langues braisées se préparent de même en matelote, ainsi que les ailerons de volaille et principalement ceux du dindon. Mais ce n’est pas là la véritable matelote, la vieille matelote de poisson ; à peine est-ce une imitation de la sauce des matelotes que nous appelons à la marinière.

Matelote à la marinière. Kretz, dans le Pécheur français, nous apprend comment se fait cette matelote : « Comme l’art de bien faire une matelote est un talent qui doit être au nombre de ceux qui distinguent un pêcheur, j’ai cru devoir en donner la recette, dit-il.

» Une carpe, une anguille, un barbillon et une lotte sont les quatre poissons préférés pour la composer. Prenez-les vivants, si cela se peut, au moment même de les faire cuire ; après les avoir nettoyés, vidés et bien essuyés sans les laver, il faut les couper par tronçons. Mettez-les dans un chaudron qui ne soit pas trop grand pour cet usage, les têtes et les tronçons d’anguille les premiers. Ajoutez sel, poivre, ail, thym, laurier et persil ; arrosez le tout de bon vin rouge, dont le poisson sera à peine couvert ; placez le chaudron sur un feu de bois clair ; aussitôt que le vin commence à bouillir, mettez un demi-verre d’eau-de-vie que vous allumez, et laissez cuire et brûler le tout pendant un quart d’heure ; ôtez alors le chaudron du feu, et avec du beurre mariné dans de la farine liez la sauce. Si vous voulez la garnir, ajoutez oignons, champignons, culs d’artichauts, cuits dans le beurre.

» Dressez enfin sur un plat, en mettant les croûtes les premières et ornant le tout d’une douzaine d’écrevisses cuites à l’avance.

» Une telle matelote prouve le bon goût du pécheur qui l’offre, et laisse toujours un agréable souvenir dans la mémoire de ceux qui sont appelés à en prendre leur part. »

En quelques pays, on jette des œufs cassés dans le vin bouillant de la matelote ; on casse les œufs les uns après les autres, et on les met dans une cuiller à potage, laquelle plonge dans le vin bouillant jusqu’à ce que le blanc des œufs soit pris. « Ce plat, dit Grimod de La Reyniere, exige, pour être réussi, une attention continue, une surveillance active ; dès qu’il est sur le feu, il ne faut pas le quitter d’un seul instant ; il faut être exclusivement occupé de lui. Quelque actif que soit un cuisinier, il ne peut se multiplier et se fixer auprès du chaudron, tandis que ses casseroles l’appellent. Il est donc obligé d’aller sans cesse de l’un aux autres et, pendant ce temps, la matelote languit ou brûle ; car l’on sait qu’un simple coup de feu de trop peut lui faire perdre une grande partie de ses qualités.

» On mange presque toujours la matelote à la mi-carême ; mais elle n’est pas moins bonne dans l’avent que dans le carême. La Râpée a le monopole des matelotes ; il faut aller faire une station dans ses guinguettes, où, chose singulière, le simple fricotier s’élève beaucoup au-dessus de nos artistes pour cette spécialité. »

Chez les matelots normands, une matelote s’appelle une caudrée (chaudronnée).