Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARIE, en hébreu Mirjam, mère de Jésus-Christ

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1187-1188).

MARIE, en hébreu Mirjam, mère de Jésus-Christ. Les premiers historiens du christianisme, ne se doutant pas des développements que prendrait plus tard le culte de la Vierge, sont restés très-sobres de détails à l’égard de la mère du Christ ; encore ceux qu’ils nous ont transmis sont-ils souvent contradictoires. Aucun dès quatre évangélistes n’a mentionné l’époque de sa mort, comme si c’eût été un fait indifférent ; un seul, et le plus sujet à caution, saint Jean, a constaté sa présence au supplice de son fils. Il est hors de doute que Marie n’eut aucune influence sur la fondation de la religion nouvelle, et que ce n’est que bien postérieurement au Ier siècle que l’on s’avisa de lui créer un rôle prépondérant.

Si la généalogie que l’on trouve en tête de l’Évangile saint Luc est celle de Marie, comme le croient quelques théologiens, Marie eut pour père Héli ; sa mère s’appelait Anne. D’après saint Matthieu, Héli est, au contraire, le père de Joseph, et dans l’Évangile de la Nativité de Marie et le Protévangile de Jacques le Mineur, le père de Mario est appelé Joachim. Nous laisserons les théologiens prouver qu’il n’y a pas la moindre obscurité dans ces contradictions. Le Talmud donne aussi Héli pour père à Marie ; mais dans l’Église catholique Joachim a prévalu. Ces généalogies inconciliables ont pour but de faire remonter à David, puis à Adam, la souche d’où sortit le sauveur du monde ; mais la race de David, qui vivait plus de dix siècles avant le Christ, était éteinte depuis longtemps. Il est probable que Marie était originaire de Cana, aujourd’hui Kana-el-Djetil, petite bourgade située dans la plaine d’Asochis, à quelques heures de Nazareth. Elle y avait des parents, témoin ces fameuses noces où Jésus changea l’eau en vin ; c’est à Cana qu’elle se retira lorsqu’elle perdit son mari. Ces deux circonstances, à défaut de renseignements plus précis, suffisent pour justifier l’hypothèse. Elle vint s’établir à Nazareth avec Joseph et, bien loin de vivre en descendante des rois de Judée, elle y était pauvre et ignorée. Elle eut plusieurs enfants, dont Jésus parait avoir été l’aîné, des garçons et des filles. Nous savons, d’après Matthieu et Marc, que les filles se marièrent à Nazareth : « Ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? » dit Matthieu (XIII, 54)- ; quant aux fils, ils sont effacés dans l’histoire du Christ par leurs cousins germains, fils de Marie Cléophas, lesquels ayant les premiers adhéré à la doctrine du jeune maître furent considérés par lui comme ses véritables frères. Ce qui jette de l’obscurité dans la parenté de Jésus, c’est que ses frères et ses cousins portaient les mêmes noms ; les théologiens se fondent là-dessus pour affirmer qu’il n’eut pas de frères, malgré le texte précis de Matthieu. Le voyage à Bethléem, pour obéir à un édit d’Auguste, les couches dans une étable, la fuite en Égypte, sont du domaine de la légende. Toutes ces circonstances ont été inventées pour réaliser les prophéties, absolument comme la généalogie remontant à David, parce qu’il fallait que le Messie fût fils de David et naquît à Bethléem. Il semble que Marie n’ait jamais voulu croire à ce rôle messianique de son fils. Malgré le soin avec lequel les Évangiles ont été expurgés, dès les premiers temps de la religion, il est resté des traces visibles de sa répugnance à cet égard. Dès que Jésus commença à parler de sa mission céleste, c’est dans sa famille qu’il rencontra les premiers incrédules. Un miracle qu’il voulut faire à Nazareth ne réussit pas du tout. Marc le dit naïvement ; il ajoute que sa mère et ses frères soutinrent alors qu’il avait perdu le sens et, le traitant comme un rêveur exalté, prétendirent l’arrêter de force (Marc, III, 21 à 31). Le dépit que conçut Jésus de cette opposition perce encore dans cette phrase sèche qu’il adressa à sa mère aux noces de Cana : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » (Jean II, 4.) À partir du moment où le rôle de Jésus se dessine, il n’est plus question d’elle, ce qui s’explique aisément ; elle se tint à l’écart d’une prédication à laquelle elle ne croyait point et qu’elle désapprouvait. Elle n’accompagna même pas son fils au Calvaire : le silence de trois des évangélistes est d’autant plus significatif qu’ils nomment expressément toutes les femmes qui de loin et avec douleur virent l’agonie du Christ. Comment n’auraient-ils pas mentionné sa mère si elle se fût trouvée là ? Le récit de Jean est suspect, pour beaucoup de raisons. « Il est très-remarquable, dit M. E. Renan, que la famille de Jésus, dont quelques membres durant sa vie avaient été incrédules et hostiles à sa mission, fit partie de l’Église à l’époque des apôtres et y tint une place très-élevée. On est porté à supposer que la réconciliation se fit durant le séjour des apôtres en Galilée. La célébrité qu’avait prise tout à coup le nom de leur parent, ces cinq cents personnes qui croyaient en lui et assuraient l’avoir vu ressuscité purent faire impression sur leur esprit. Dès l’établissement définitif des apôtres à Jérusalem, on voit avec eux Marie, mère de Jésus, et les frères de Jésus. En ce qui concerne Marie, il paraît que Jean, croyant obéir en cela à une recommandation de son maître, l’avait adoptée et prise avec lui. Il la ramena peut-être à Jérusalem. Cette femme, dont le rôle et le caractère sont restés profondément obscurs, prenait dès lors do l’importance. » D’après certaines traditions catholiques que rien ne vient corroborer, Marie serait morte à Éphèse dans sa soixante-douzième année. M. Renan conjecture, au contraire, qu’elle dut mourir fort peu de temps après le supplice de son fils ; quelques auteurs ecclésiastiques assignent, en effet, à sa mort la date de l’an 44 après J.-C. et disent qu’elle a été ensevelie au pied du mont des Oliviers.

Voilà tout ce que la critique historique peut raisonnablement extraire des Évangiles en ce qui concerne la personnalité de Marie. Nous ne pouvons cependant passer entièrement sous silence sa légende miraculeuse, mais nous serons bref, ces renseignements se trouvant partout. Anne et Joachim étaient mariés depuis vingt ans et n’avaient pas eu d’enfants, lorsqu’un ange apparut le même soir, à la même heure, à Joachim dans le courtil de ses bergers, et à sa femme dans le jardin de sa maison ; à tous deux et dans les mêmes termes il annonça qu’il leur naîtrait bientôt une fille. Quelques jours après, le 8 décembre, Anne conçut celle qui devait porter Jésus dans ses flancs. « Elle fut conçue sans péché originel, disent les Pères, Dieu la préservant avec une abondance de grâces, et cette innocence étant convenable à celle qu’il avait prédestinée pour sa mère. » Neuf mois après, l’enfant naquit à Nazareth, et on lui donna le nom de Marie. Ces détails sont tirés de l’Évangile apocryphe connu sous le nom de Protévangile de Saint-Jacques.

Lorsque Marie eut atteint l’âge de trois ans, elle fut consacrée à Dieu et fut reçue au nombre des vierges qui desservaient le temple. Lorsqu’elle fut en âge d’être mariée, vers onze ans, les prêtres lui choisirent pour époux Joseph, de la tribu de Juda, né à Bethléem, qui vint avec elle s’établir à Nazareth. Mais il ne devait être que le gardien de sa virginité. L’heure que Dieu avait fixée pour son incarnation étant venue, il envoya à Marie l’ange Gabriel lui annoncer qu’elle allait être mère, et comme elle s’étonnait, n’ayant jamais connu charnellement son mari, l’ange lui révéla que le Saint-Esprit descendrait en elle et que le fruit de sa conception serait le fils de Dieu. Un ange expliqua le même mystère à Joseph qui, dans les premiers temps de sa grossesse, avait eu des doutes injurieux sur la chasteté de sa femme. Le voyage à Bethléem, la naissance de Jésus dans l’étable, la purification au temple, la fuite en Égypte, sont des faits qui se rapportent autant à la biographie de Jésus qu’à celle de Marie. Il en est de même de la recherche à laquelle elle se livra par toute la ville, Jésus ayant, à douze ans, disparu sans que Joseph et Marie sussent ce qu’il était devenu ; elle le trouva au temple expliquant la loi aux docteurs. À partir de cette époque, les Évangiles ne font plus de Marie que de courtes mentions. Elle assistait aux noces de Cana et nous avons relaté plus haut le trait le plus caractéristique de cet épisode ; elle était près de Jésus lorsqu’il chassa les vendeurs du temple ; enfin une autre fois, le voyant accablé par la foule de ceux qui se pressaient pour l’entendre, elle essaya de l’en tirer, et les assistants dirent à Jésus : « Voilà votre mère et vos frères qui vous cherchent. » À partir de ce moment, il n’est plus question de Marie dans les Évangiles synoptiques ; mais la légende catholique ne pouvait s’arrêter là : elle a voulu suivre la Vierge jusqu’au moment où elle fut réunie à son fils dans le ciel. Où les auteurs ecclésiastiques ont-ils puisé le fond de leur récit ? c’est ce que nous avons examiné en parlant de l’Assomption. Quoi qu’il en soit, voici ce que dit le Père Ribadeneyra :

« L’heure tant désirée par elle vint enfin ; chacun fondait en larmes autour d’elle ; elle les consolait en disant : « Mes chers enfants, demeurez avec Dieu, ne pleurez point de ce que je vous laisse, mais plutôt réjouissez-vous de ce je m’en vais voir mon fils. » Ayant aperçu Jésus accompagné d’une troupe d’anges, elle s’écria : « Je vous bénis, Seigneur de toute bénédiction, lumière de toute lumière, d’avoir daigné prendre chair humaine en mes entrailles. » Elle dit encore, tendant les mains en haut vers son fils qui l’appelait : « Votre parole soit accomplie en moi. » Et ayant laissé tomber sa tête, elle expira. C’était la nuit d’avant le quinze août, cinquante-sept ans après avoir enfanté Jésus, vingt-trois ans après la passion et à l’âge de soixante-douze ans moins vingt jours.

« Au même temps que la Vierge expira sur la terre, les anges qui accompagnèrent son âme chantèrent mélodieusement, comme firent aussi ceux qui demeurèrent autour de son corps sacré, pour célébrer les obsèques, et cette musique fut ouïe de toute l’assistance. Mais les apôtres et les disciples de Notre-Seigneur, quand ils virent la très-sainte Vierge trépassée, se prosternèrent en terre, baisant tendrement et dévotement ce saint corps, louant Notre-Seigneur qui avait pris chair de cette chair et qui, par son moyen, avait opéré de si grandes merveilles.

« Ils oignirent le corps, suivant la coutume, avec de précieux onguents, l’ensevelirent dans un beau linceul, parsemant le lieu de fleurs et d’odeurs ; néanmoins, il n’y en avait point qui approchât de la douceur de celle qui sortait de ce saint corps. Plusieurs malades de toutes sortes de maux y vinrent, et ils furent tous guéris par la vertu de cette très-sainte dame. Le matin du quinzième d’août, les apôtres portèrent sur leurs épaules le brancard de la bière où était le corps sacré, passant par le milieu de la ville jusques en Gethsémani, eux et tous les fidèles chantant les louanges de la très-sainte Vierge. En approchant de Gethsémani, alors qu’ils furent prêts à mettre le saint corps dans le tombeau, les pleurs se renouvelèrent, chacun le voulut baiser derechef et l’honorer en grande révérence, sans pouvoir détourner les yeux du lieu où ils avaient attaché leurs cœurs. Enfin le corps fut mis dans le tombeau ; toutefois les apôtres ne se retirèrent pas, mais ils demeurèrent trois jours, écoutant la musique des anges et louant Dieu conjointement avec eux.

« L’apôtre saint Thomas, qui ne s’était pas trouvé à la mort de la très-sainte Vierge, arriva le troisième jour et, désirant voir et faire honneur au saint corps, il demanda que le sépulcre fût ouvert. Notre-Seigneur avait permis qu’il vînt après les autres, afin de manifester, par cette occasion, ce qui arriva ; car le sépulcre ayant été ouvert, on ne trouva point le corps sacré, mais seulement le linceul dont il avait été enveloppé, qu’ils baisèrent, et ils fermèrent le sépulcre, dont il sortit une très-suave odeur, plus céleste que terrestre. Ils s’en retournèrent bien joyeux à la ville, tenant pour chose certaine et assurée que ce corps très-sacré, déjà uni avec son âme, et glorieux, était ressuscité et était monté au ciel. »

Nous avons raconté, dans l’article consacré à l’immaculée conception, les développements que prit au moyen âge et dans les temps modernes le culte de Marie. Nous n’y reviendrons pas. Nous ne relaterons qu’une dernière singularité qui atteste la foi robuste des premiers chrétiens. On montrait autrefois plusieurs lettres autographes de Marie, l’une adressée à saint Ignace d’Antioche, l’autre aux habitants de Messine, une autre à ceux de Florence. Fabricius possédait une traduction latine de cette dernière, ce qui était plus facile que de posséder l’original.

Ses apparitions nombreuses et ses miracles méritent encore une mention. Parmi ses apparitions, les plus connues sont celles dont elle honora saint Grégoire le Thaumaturge, saint Jean l’Évangéliste, saint Mercure, saint Basile, saint Cyrille, puis dans ces derniers temps les petits bergers de la Salette, la jeune Bernadette de Lourdes et le P. Ratisbonne. Les miracles les plus célèbres sont ceux qu’elle fit en faveur de Jean Damascène, à qui elle remit la main droite coupée par le bourreau ; de saint Ildefonse, à qui elle fit présent d’une robe ; de Rupert, d’Albert le Grand, de Théophile, etc. Quant aux miracles opérés par ses statues et ses images, ils sont innombrables.

Notons encore, pour finir, les différentes fêtes par lesquelles Marie est honorée par l’Église et la date de leur célébration ; ces fêtes sont au nombre de huit : 1° l’Immaculée Conception fixée au 8 décembre ; 2° la Nativité, le 8 septembre ; 3° la Présentation, le 21 novembre ; 4° les Fiançailles de Marie et de Joseph, le 23 janvier ; 5° l’Annonciation, le 25 mars ; 6° la Visitation, le 2 juillet ; 7° la Purification, le 2 février ; 8° l’Assomption, le 15 août. Outre ces fêtes principales, il en est une foule d’autres particulières célébrées par les ordres très-nombreux d’hommes et de femmes qui ont pris la Vierge pour patronne, comme les carmes, les chartreux ; il en est d’autres encore pour honorer les objets qu’on dit avoir appartenu à la mère du Christ. Presque tous les anciens couvents, les vieilles églises possèdent de ces reliques : un morceau du voile de Marie, un peu de son lait, des cheveux, un fragment de sa robe, etc. La plus curieuse de ces reliques est la maison habitée par elle à Nazareth et qui, selon la légende, a été transportée par les anges en Dalmatie, puis à Lorette (anciens États romains) où elle se trouve actuellement.

— Iconogr. V. famille (sainte),madone et vierge.

Marie (ORDRE DE Sainte-). Nom donné à une association de gentilshommes formée à Vicence, en 1233, par un moine de l’ordre de Saint-Dominique, appelé Barthélemy, et dont les membres s’engageaient à arrêter les désordres commis par les guelfes et les gibelins, à soutenir les intérêts de la patrie et de la religion. Le pape Martin IV approuva cette institution et soumit les chevaliers à la règle de saint Augustin. En Italie, cet ordre possédait de riches commanderies ; mais ses membres, au milieu des richesses et des plaisirs, oublièrent leurs devoirs, et le peuple leur donna le surnom de Frères de la jubilation (fratres gaudentes). En 1559, à la mort du commandeur Camille Volta, l’ordre fut supprimé par Sixte-Quint et ses biens furent donnés au collège de Montalle. Une commanderie de l’ordre subsista pourtant sous le nom de Sainte-Marie de la Tour ; mais les chevaliers disparurent bientôt. Les insignes étaient une croix émaillée de bleu, à quatre branches et huit pointes pommelées d’or ; au centre un médaillon en or, de forme ovale et entouré de rayons d’or. Sur le médaillon était figurée la Vierge Marie, l’Enfant Jésus dans ses bras. Les membres de cet ordre étaient souvent appelés Chevaliers de la mère de Dieu.