Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MACPHERSON (James), littérateur écossais, célèbre surtout par la publication de ce qu’on a appelé les ''Poèmes d’Ossian

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 3p. 879-880).

MACPHERSON (James), littérateur écossais, célèbre surtout par la publication de ce qu’on a appelé les Poèmes d’Ossian ; né à Ruthven, village du comté d’Inverness, en Écosse, en 1738, mort le 17 février 1796. Il était le petit-fils d’un simple fermier, assez pauvre, mais appartenant à l’un des plus antiques clans de l’Écosse. Son père, malgré son peu de fortune, lui fit donner les premiers éléments de l’éducation dans l’une des écoles du district de Badenoch, et le mit, en 1752, au collège royal d’Aberdeen. Il le destinait à l’Église ; mais Macpherson, ne se sentant pas de vocation, se fit, au sortir du collège, maître d’école (schoolmaster) dans son village natal, et il occupait encore cet emploi, lorsqu’il publia son premier ouvrage intitulé : The Highldander, an heroïc poem in six cantos (1758, in-12) [le Montagnard, poème héroïque en six chants]. C’était un ouvrage en mauvais vers qui n’eut aucun succès ; bientôt après, il envoya au Scots Magasine quelques autres essais aussi médiocres, entre autres une pièce intitulée : Death(Mort), imitation de Young, et The Hunter (le Chasseur). Ces divers morceaux furent rappelés dans la suite, pour prouver que Macpherson, n’ayant fait preuve d’aucun talent poétique personnel, ne pouvait être l’auteur des Poèmes d’Ossian.

En ce moment, un certain courant d’idées littéraires portait quelques érudits à se préoccuper des traces laissées par les vieux peuples erses et gaéliques. Adam Ferguson, le docteur Carlyle, John Home recherchaient les restes de leur langage et de leur poésie. Macpherson, avide à la fois de réputation et d’argent, vit là une occasion de fortune pour l’homme adroit qui saurait obéir à cette impulsion et flatter ces tendances. Il ne tarda pas à montrer à Home et à Carlyle de prétendus fragments gaéliques, exhumés par lui d’une poussière de quinze ou dix-huit siècles, et commença une ébauche de traduction, qui attira l’attention de Hugh Blair. C’étaient des morceaux d’une prose vague, redondante et cadencée, empreints toutefois d’une certaine poésie, qu’il intitula : Fragments of ancient poetry, collected in the highlands of Scotland and translated from the gaëlic or erse language (1760, in-8o) ; Fingal, an ancient epic poem, in six books, composed by Ossian, son of Fingal (London, 1762, in-4o) ; Temora, an ancient epic poem, in eight books, together with several other poems, composed by Ossian, son of Fingal (London, 1763, in-4o).

Ce volume ravit tout le public littéraire d’Édimbourg. Un célèbre poëte anglais, qui cherchait l’originalité par calcul de goût, plus qu’il ne l’avait par instinct, esprit à la fois imitateur et curieux du nouveau, Gray, témoigna surtout un vif enthousiasme pour cette poésie singulière. Ce furent même ces premiers chants qui inspirèrent à Gray une de ses plus belles odes : celle où il déplore le massacre des bardes. L’entreprise de Macpherson, qui devait plus tard soulever de vives oppositions, fut accueillie avec un zèle extrême et presque une passion de parti. Ces chants incultes et sauvages semblent ne respirer que des sentiments naturels et primitifs, le fanatisme de la guerre, l’amour des combats, une sorte d’héroïsme rude et naïf ; ils ne retracent que des images primitives : l’Océan, les bruyères, les pins des montagnes, les sifflements de la bise de mer. Ces choses si simples en elles-mêmes et si monotones étaient une nouveauté originale pour un siècle rassasié de raisonnement et de philosophie ; elles expliquent la grande fortune des Poésies d’Ossian.

Ces livres, que tout le monde lut alors et dont Napoléon portait avec lui un exemplaire dans ses campagnes, comme Alexandre faisait d’Homère, rapportèrent au prétendu traducteur de fabuleux bénéfices. Mais, du milieu de l’enthousiasme général, le premier critique de l’Angleterre, Johnson, avec son sens profond des choses littéraires, reconnut la supercherie et la dénonça, peut-être trop violemment. Le tort de Macpherson fut de n’en pas convenir, de ne pas avouer dans quelle proportion il s’était servi de traditions vagues et de lambeaux poétiques pour confectionner son œuvre. Sentant qu’il tenait une bonne veine de popularité et que tout ce bruit même lui rapportait gros, il se tint coi, n’essayant d’abord ni de se justifier ni de se défendre. Une fortune rapide, par n’importe quels moyens, tel était le but de ce jeune homme, plein d’esprit et surtout d’esprit d’aventure ; il mit à l’acquérir une ténacité vraiment remarquable.

Déjà enrichi à vingt-trois ans par les éditions de ses poèmes, il résolut d’accompagner dans les Florides, en qualité de secrétaire, le capitaine Johnstone, nommé gouverneur de Pensacola et trouva le moyen de doubler son capital. De retour à Londres en 1766, il eut la bonne fortune d’y devenir l’agent d’un de ces nababs des Indes orientales qui avaient toujours besoin d’avoir à Londres quelqu’un pour défendre leurs intérêts auprès de la cour des directeurs. C’était un emploi très-lucratif ; le nabab d’Arcot, qui l’avait choisi, fut, d’ailleurs, assez bien défendu par lui, comme on en peut juger par une de ses publications intitulées : Letters from Mohammed-Ali-Chan, nabab of Arcot, to the court of directors (1777 et 1779). Pendant la guerre d’Amérique, Macpherson se mit à la solde du cabinet et publia un grand nombre de pamphlets contre les treize États insurgés. D’autres écrits, en l’honneur du ministère de lord North, et une glorification emphatique du parti tory : Histoire de la Grande-Bretagne depuis l’avènement de la maison de Hanovre (1775, 2 vol. in-4o), lui ouvrirent les portes de la Chambre des communes. On ne peut s’empêcher de voir dans ces publications des traces non équivoques de vénalité. Macpherson avait voulu parvenir à tout prix. Quatre ou cinq fois millionnaire dès lors, il n’aspirait plus qu’à vivre en paix, lorsque les vives polémiques à propos d’Ossian le forcèrent à descendre dans l’arène et à donner de sa personne.

Sommé de produire les originaux, il éluda la difficulté jusqu’à sa mort ; mais Johnson et Malcolm Laing ne lui laissèrent pas de repos. Afin de résoudre une des questions personnelles les plus controversées, son aptitude à traduire les grands poëtes, il donna, en 1773, une traduction de l’Iliade, à laquelle il appliqua les mêmes procédés qu’aux poésies d’Ossian ; mais dans ce décalque du génie grec, sa prose poétique, vague et incolore n’obtint aucun succès. Sur ces entrefaites, le docteur Johnson ayant fait un voyage aux îles Hébrides en rapporta tout ce qu’il avait pu trouver sur la langue et les traditions erses ; c’était si peu de chose que la question sembla résolue, mais peut-être y avait-il mis un peu de mauvaise volonté. Il racontait, dans un livre bien fait et d’une lecture agréable, qu’il n’avait vu, en fait de bardes, que quelques vieux imbéciles absolument illettrés ; il mettait au défi de trouver cinq cents lignes de vieille écriture dans ce pays où personne ne savait lire ni écrire, et déclarait que ce qui avait surnagé des traditions erses consistait en quelques noms de lieux, dont Macpherson s’était emparé, pour donner quelque corps à ses récits. Il concluait en appliquant les mots de fourberie, de crime, de vol à la supercherie dont l’inventeur d’Ossian s’était rendu coupable. Qu’aurait-on pu dire de plus si, au lieu de donner ses propres vers, sous le nom d’Ossian, Macpherson avait volé l’ouvrage, le labeur d’un autre ? Car il faut bien réduire cette grosse querelle à ses justes proportions et ne pas se payer de mots. Si Macpherson est l’auteur des poésies d’Ossian, s’il n’a fait que s’en dépouiller pour les attribuer à un autre, où est le vol ? Un homme dont les œuvres ont passionné deux générations était assurément d’une valeur bien supérieure au docteur Johnson lui-même. Si, au contraire, il a pu rassembler quelques vestiges des anciennes poésies gaéliques, s’il les a coordonnées et rendues lisibles, il n’aurait à encourir de reproches qu’au cas où, simple éditeur, il se fût fait passer pour créateur. Or, il a précisément fait tout le contraire et soutenu son rôle jusqu’à la fin, si toutefois c’était un rôle. Il paraît néanmoins que, pour répondre aux accusations, et poussé par un esprit assez injustifiable, il entreprit de traduire en langue erse ses propres compositions, et de faire passer ce travail bizarre pour le manuscrit original. Nous croyons qu’il ne faut voir là que la dernière moquerie d’un homme qui veut jouer ses adversaires. Mais ses disciples prirent ce travail au sérieux et l’éditèrent après sa mort, en 1807. Ce qui est hors de doute, c’est que Macpherson, poète médiocre, n’eût jamais composé à lui seul l’œuvre d’Ossian ; qu’il dut en trouver, çà et là, des lambeaux épars et que, s’il ne fut pas à proprement parler un simple éditeur, il travailla sur des matériaux d’une antiquité certaine. Quel homme, ayant créé de toutes pièces une série de poèmes dont le retentissement occupa l’Europe entière, de Voltaire à Napoléon, eût résisté à l’enivrement du succès et n’eût déclaré qu’il en était le seul et véritable auteur ?

Macpherson avait à peine rendu l’âme, dans son domaine de Belleville-Castle, à Ruthven (1796), que la polémique se réveilla contre lui plus ardente et plus agressive. Des enquêtes furent dirigées pour et contre l’authenticité des poèmes ossianiques. Un Écossais, Malcolm Laing, dépensa une somme prodigieuse d’érudition, à prouver que toutes ces poésies étaient apocryphes. Il publia tout ce qu’il avait pu trouver d’anciens chants gaéliques et cela se bornait, d’après ses investirions, à de courtes chansons de geste, qui avaient dû servir de base à Macpherson, mais dont il avait altéré le style et changé le caractère. Le fait est assez vraisemblable. D’un peuple grossier et barbare, Macpherson avait tiré des types de générosité chevaleresque, de vertus guerrières ; il avait transporté à des Gaëls des croyances scandinaves et une partie de la mythologie d’Odin. Ce mélange hybride avait été goûté ; mais il n’en constituait pas moins, aux yeux de la science, une mystification. Cette partie du travail de M. Laing était inattaquable. Son second argument consistait à rapprocher du texte d’Ossian, à l’aide de citations qui dénotaient une grande érudition, d’innombrables fragments d’Homère et de la Bible, évidemment imités et dénonçant, par la physionomie même de l’imitation, une main toute moderne. Ainsi, en même temps que, sous prétexte de restaurer une ancienne langue, une poésie perdue depuis des siècles, Macpherson enlevait aux documents originaux tout ce qu’il y avait, dans les mœurs et dans les faits, de rude, de barbare, d’inculte, et y substituait la délicatesse des pensées et les effusions sentimentales ; non content de cette altération, il mélangeait, aux éléments primitifs des mythes scandinaves, des fragments de la Bible, des descriptions d’Homère. Les emprunts faits ainsi aux littératures anciennes, grecque et hébraïque, furent rassemblés par M. Laing au nombre de plus de mille ; mais ils étaient déguisés avec une telle industrie et Macpherson les avait si bien fondus dans son style, qu’il fallait pour les reconnaître toute la sagacité, tout le flair de l’érudit. Les formes nouvelles, bizarres et nuageuses dont il avait su envelopper des idées ou descriptions depuis longtemps classiques, la transposition des lieux, des noms, des formes connues, la nouveauté des couleurs, avaient fait illusion, au point que l’imitation n’avait été soupçonnée de personne. Une fois le genre adopté, Macpherson, dans les nombreuses séries de poëmes, travaillés de la même manière, qu’il continua de donner pour entretenir la curiosité publique, put être impunément monotone, manquer d’invention et d’art, épuiser le sujet par de longues et uniformes descriptions ; tous ces défauts étaient mis sur le compte de la rudesse et de la simplicité des premiers âges.

Pendant que M. Laing éclairait un des côtés de la question, la Highland Society faisait faire des recherches dans les montagnes où Macpherson disait avoir entendu des fragments de poésies ossianiques, conservés par la tradition, et recueilli quelques vieux manuscrits. De ceux-ci, elle n’en retrouva pas un, et tous ceux dont les amis de Macpherson étayèrent leurs affirmations ne purent jamais être montrés ; mais l’enquête, sur laquelle les adversaires essayèrent de jeter du ridicule en disant que la commission avait mandé à sa barre « un ministre puritain, un aveugle, un artisan, un paysan, une bonne femme et un vieux gentilhomme retiré dans son manoir, » cette enquête confirma l’existence d’anciennes poésies en langue erse, encore récitées au foyer des montagnards.

Le témoignage d’écrivains érudits et consciencieux vint s’ajouter à celui de la Highland Society. Cesarotti, le traducteur italien des poèmes d’OSsian, s’écrie dans sa préface : « Un poëte qui, sous le masque d’un barde antique, a su se faire admirer comme un homme de génie ne devrait-il pas avoir donné précédemment, dans sa langue maternelle, des effets éclatants de son mérite poétique ? » C’est un argument sans réplique lorsque l’on considère la médiocrité des poésies originales de Macpherson. Le docteur Blair publia une dissertation gaélique, avec de nombreux fragments originaux, évidemment imités par Macpherson. Enfin John Smith, ministre de Kilbrandon, put réunir quatorze de ces poëmes complets, dont Macpherson n’avait pas fait usage, mais qui, pour le fond et la forme, dit Cesarotti, « sont tellement semblables à ceux de Macpherson que, pour imiter ainsi Ossian, il faudrait être Ossian lui-même. » La question serait ainsi parfaitement résolue si, en 1807, les amis et disciples de Macpherson, continuant la tâche qu’il leur avait léguée, n’avaient mis au jour les prétendus manuscrits originaux. C’était commettre une véritable supercherie ; mais Macpherson avait accepté une souscription de 1,000 livres sterling (25,000 fr.) faite en Écosse en sa faveur, pour qu’il publiât les originaux, et ses exécuteurs testamentaires, trouvant dans ses papiers le manuscrit en question, le publièrent, quoiqu’il fût entièrement de la main du maître et que rien ne révélât qu’il fût la copie d’un autre plus ancien : The poems of Ossian, in the original gaëlic, with notes and observations by John M. Arthur (Londres, 1807, 3 vol. in-8o). Dans l’état de la question, une telle publication, que n’entourait aucune garantie, était tout à fait inopportune. M. Villemain a finement raillé cette édition des originaux, qui devait donner définitivement gain de cause à Macpherson et qui, au contraire, lui fut tout à fait défavorable.

Nous croyons avoir montré qu’aujourd’hui tous les doutes sont levés et qu’il est facile de faire la part de ce que Macpherson a inventé, retouché, plus ou moins ingénieusement et de ce qui lui a servi de fond. La nouvelle supercherie des éditeurs d’Ossian exaspéra le docteur Johnson, mais il fallait bien en prendre son parti ; le succès de ces poëmes était immense et resterait inexplicable s’ils n’avaient répondu, non pas seulement par leur mystérieuse origine, mais par leur mysticisme, leur exaltation, leur forme nuageuse, aux sentiments mêmes de l’époque.