Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LYON, ville de France (Rhône)

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 3p. 827-833).

LYON, ville de France (Rhône). Lyon, en latin Lugdunum, en grec Lougdounon, est un mot celtique, ainsi que nous l’apprend Clitophon, d’après un traité attribué à Plutarque : « Auprès de l’Arar est une éminence qui s’appelait Lougdounon, et qui reçut ce nom pour le motif que je vais rapporter. Momoros et Atepomaros, qui avaient été détrônés par Séséronéos, entreprirent, d’après la réponse d’un oracle, de bâtir une ville sur cette éminence. Ils en avaient déjà jeté les fondements lorsqu’une multitude de corbeaux dirigèrent leur vol de ce côté et vinrent couvrir les arbres d’alentour. Momoros, versé dans la science des augures, donna à la ville le nom de Lougdounon, attendu que dans leur langue les Gaulois appellent le corbeau lougon et une éminence dounon. » On trouve en effet en celtique dun, hauteur, colline, tertre, dune. Camden donne une autre explication, qu’il tire de dunum et d’un autre mot celtique lugum auquel il donne le sens de tour. D’autres ont dérivé Lucdunum de Licius Plancus, qui rebâtit la ville de Lyon après qu’elle fut brûlée. Wachter adopte l’explication donnée par Plutarque. Elle est d’autant plus vraisemblable que lug signifie encore corbeau en armoricain et en erse.

La plus importante ville de France après Paris, Lyon est chef-lieu de département et de 8 cantons, au confluent de la Saône et du Rhône, à 512 kilom. S.-E. de Paris, par 45° 45′ de latit. N. et 2° 29′ de longit. E. ; pop. aggl., 270,755 hab. — pop. tot., 323,417 hab. Lyon est en outre chef-lieu de la 8e division militaire, de la 7e des ponts et chaussées, de la 4e des mines, de la 19e légion de gendarmerie. L’arrondissement comprend 19 cantons, 132 communes et 498,294 hab. La ville est elle-même divisée en 6 arrondissements municipaux, et au point de vue religieux en 23 paroisses. Archevêché, dont le titulaire est primat des Gaules ; grand et petit séminaire, nombreux couvents et établissements religieux. Cour d’appel, tribunaux de Ire instance et de commerce ; huit justices de paix ; conseil de prud’hommes. Académie comprenant dans son ressort les départements de l’Ain, de la Loire, de Saône-et-Loire et du Rhône ; Facultés de théologie, des sciences, des lettres ; École préparatoire de médecine et de pharmacie. Lycée ; école professionnelle ; école de commerce ; cours normal d’institutrices ; école vétérinaire ; école des beaux-arts ; bibliothèques publiques très-riches. Musées de peinture et de sculpture, des antiques, d’histoire naturelle ; jardin botanique. Huit hôpitaux, dont le plus important est celui de la Charité ; nombreux établissements de bienfaisance. École des arts et métiers, dite École La Martinière, destinée à l’enseignement gratuit des sciences et des arts appliqués à l’industrie ; institution de sourds-muets des deux sexes ; gymnase civil ; nombreuses sociétés savantes, dont les principales sont : l’Académie des sciences, belles-lettres et arts ; la Société d’agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles ; la Société littéraire ; la Société académique d’architecture ; la Société d’horticulture pratique ; les Sociétés des amis des arts, de médecine, de pharmacie et linnéenne.

Aspect général. Même aux yeux de celui qui a vu Paris, Rome et Londres, Lyon peut passer pour une grande et belle ville. Celui qui y arrive pour la première fois par une des hauteurs qui la dominent reste émerveillé devant le spectacle que présente cette cité, assise au bord de ses deux fleuves, et groupée en partie entre les deux montagnes de Fourvières et des Chartreux. Toutefois, l’intérieur de la ville ne répond pas entièrement à l’impression produite par cette vue d’ensemble. La vieille ville, dont on peut voir un spécimen dans les quartiers Saint-Jean, Saint-Georges et Saint-Paul, est composée de rues étroites et obscures, de maisons noires et incommodes ; la nouvelle ville, qui occupe l’espace compris entre les deux fleuves et la rive gauche du Rhône, a été mise au goût du jour. On y voit ces longues et immenses rues qui laissent pénétrer le froid en hiver et le soleil en été, mais que des raisons de salubrité rendent nécessaires dans de grandes agglomérations de population. Les maisons qui les bordent sont fort élevées, bâties avec luxe, mais sans cachet et sans caractère. Toutefois, au point de vue monumental, certaines parties sont vraiment dignes d’une grande cité. La rue de Lyon, qui traverse la ville d’un bout à l’autre, et qui en est le véritable centre, est belle partout. Quoiqu’un peu lourd et massif, le palais de justice, avec son portique à colonnade, assis sur la rive même du fleuve et adossé à la verdoyante colline de Fourvières, produit un grand effet ; quant à la place de Bellecour, il en est peu en Europe qui puissent lutter avec elle pour l’étendue et la régularité. Mais le côté vraiment remarquable de Lyon, c’est le pittoresque de sa situation et la beauté de ses environs, grâce aux collines élevées qui la dominent de tous côtés ; Dresde et Rouen sont les seules villes qui rappellent un peu cette capricieuse disposition de la nature. Sur la Saône, entre les deux montagnes qui descendent à pic et qui la resserrent, la ville a l’air d’une cité du moyen âge avec ses forteresses ; sur le Rhône au contraire, l’aspect change : la rapidité du fleuve, l’immensité de l’horizon produisent une impression singulière à laquelle ne peut échapper celui qui la visite pour la première fois. « C’est surtout de Fourvières, dit M. Joanne, que l’on distingue bien les principaux groupes de l’agglomération lyonnaise. Sur la rive droite de la Saône s’étend Vaise, ville industrielle et commerçante, détruite en partie par l’inondation de 1840, reconstruite depuis. En face de Vaise est le faubourg de Serin, que dominent les hauteurs de la Croix-Rousse, le quartier des ouvriers. La Croix-Rousse est ainsi nommée d’une croix en pierre de couleur jaune, tirant sur le rouge, érigée sur le plateau de Saint-Sébastien, lors des processions solennelles ordonnées par le cardinal de Tournon, après la conspiration d’Amboise. La commune de Lyon proprement dite occupait tout l’espace compris entre la Croix-Rousse et la jonction du Rhône et de la Saône. Autrefois le Rhône se réunissait à la Saône près d’Ainay. En 1779, un sculpteur, nommé Perrache, conçut le projet de reculer leur jonction au point où elle a lieu aujourd’hui. Le quartier qu’il a conquis sur leurs rives a depuis lors porté son nom. Les Brotteaux, sur la rive gauche du Rhône, ne datent que du commencement de ce siècle. C’est aujourd’hui le plus beau quartier de Lyon. On y trouve un grand nombre de lieux de réunion et de plaisir. Il est, depuis peu, défendu contre les inondations par une digue insubmersible. Les Brotteaux touchent à la Guillotière, ville populeuse et malpropre.

Les quais de Lyon sont une de ses principales curiosités ; ils offrent de tous côtés des points de vue pittoresques. Les principaux quais de la Saône sont : le quai de Vaise, l’un des plus beaux de la ville ; les quais de Serin, de l’Observance, d’Halincourt ; le quai de Pierre-Scise, dominé par un rocher (petra scissa) qu’Agrippa fit couper pour le passage d’une voie militaire ; le quai Bourg-Neuf, à l’extrémité duquel s’élève la statue de Jean Cléberger, conseiller de la ville de Lyon en 1548 ; les quais de Paris, Saint-Benoît, de la Peyrollerie, de Bondy, des Augustins, Villeroy, Saint-Antoine, des Célestins, Fulchiron, de la Quarantaine, de Tilsitt, des Chaînes, d’Occident ; le quai Rambaud, planté d’arbres et offrant une délicieuse promenade. Parmi, les quais du Rhône nous signalerons : le quai Saint-Clair, le plus beau quai de Lyon, terminé par le port qui porte son nom ; le quai de Retz, vers le milieu duquel s’élève le bâtiment qui contient le lycée et la bibliothèque ; les quais des Cordeliers, de Bon-Rencontre, de Joinville ; le quai Monsieur, le long duquel viennent s’amarrer les bateaux à vapeur du Rhône ; le quai de la Charité, planté d’arbres et sur lequel s’élèvent la manufacture des tabacs, l’hôpital de la Charité et l’hôpital Militaire, et la chaussée de Perrache.

Les ponts de Lyon sont, sur la Saône : les ponts suspendus de la Gare et du Port-Mouton ; le pont Serin ; la passerelle Saint-Vincent ; le pont suspendu de la Feuillée ; le pont de Nemours, ainsi nommé parce que le duc de Nemours en posa la première pierre en 1843 ; le pont de l’Archevêché, regardé comme le plus beau pont de Lyon ; le pont de la Mulatière ; sur le Rhône : le pont du Midi ; le magnifique pont du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée, etc.

Quelques places de Lyon méritent une mention particulière ; de ce nombre est la place Bellecour, qui occupe une surface de 6 hectares. Au milieu s’élève une belle statue équestre de Louis XIV, par le sculpteur Lemot, artiste lyonnais. Cette place, plantée d’ormeaux, ornée de bassins, de jets d’eau et de jardins, est la promenade favorite des habitants de Lyon. À l’extrémité des bassins se dressent deux élégants pavillons.

Les autres places sont : la place des Terreaux ou de l’Hôtel-de-Ville, décorée d’une jolie fontaine et bordée par l’hôtel de ville, le palais des Arts et le cercle du Divan dont l’aspect est imposant ; la place des Cordeliers, où l’on remarque une fontaine monumentale en fonte, le palais de la Bourse, le grand marché couvert et l’église Saint-Bonaventure ; la place des Célestins, décorée d’une fontaine en fonte ; la place Sathonay, plantée de marronniers, au milieu de laquelle a été placée une fontaine surmontée de la statue de Jacquard, par Foyatier ; la place de Lyon, décorée de jardins et d’une fontaine monumentale ; la place Saint-Jean, qui se fait remarquer par un charmant monument en marbre blanc servant de fontaine et couvrant un groupe sculpté par M. Bonnassieux ; la place Tholozan, où a été érigée une statue en bronza du maréchal Suchet, et la place Morand, décorée de squares et d’une fontaine surmontée de la statue de Lyon, par M. Bonnet.

Les plus belles promenades de Lyon sont celles de Rouville et de la Tête-d’Or. La promenade de Rouville se compose de jardins anglais qui dominent la rive gauche de la Saône, et d’où l’on découvre de charmants points de vue. Le parc de la Tête-d’Or, le bois de Boulogne de Lyon, couvre, sur la rive gauche du Rhône, une superficie de près de 120 hectares. On y remarque des parterres, des jardins botaniques, des collections d’arbustes exotiques, une galerie d’histoire naturelle, des serres, une riche pépinière, des pièces d’eau, des ponts rustiques, des cafés, etc.

Un service inauguré en 1856 par la Compagnie générale des eaux de France alimente toute la ville, à l’aide d’un puisard établi en amont de Lyon, et de deux réservoirs placés sur le flanc et au sommet du coteau de Montessuy. Un réservoir spécial de 5,000 mètres cubes fournit l’eau nécessaire à l’arrosage public.

Le système de fortification qui couvre Lyon et les villes suburbaines se compose de trois parties distinctes : celle de la rive du Rhône, qui entoure la Guillotière et les Brotteaux ; celle de la rive droite de la Saône, qui défend l’accès de Vaise, de Fourvières et de Sainte-Foy ; enfin celle d’entre Saône et Rhône, qui protège la Croix-Rousse et la ville proprement dite. La première partie comprend, en allant du N. au S., les forts de la Tête-d’Or, des Charpennes, des Brotteaux, de la Part-Dieu, de Villeurbanne, de Lamothe, du Colombier, et enfin celui de la Vitriolerie, situé au bord du Rhône, près du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée. Entre les Brotteaux et le fort de la Part-Dieu, on remarque un grand établissement d’artillerie, de construction toute récente. En avant du fort des Charpennes se trouve le Grand-Camp, terrain de manœuvre de l’armée de Lyon. La deuxième partie se compose des forts Sainte-Foy, Saint-Irénée, et de ceux de Loyasse, de Vaise et de la Duchère. Ces ouvrages sont soutenus par une enceinte continue, qui, commençant au-dessus du pont d’Ainay, au fort Saint-Just, contourne le plateau de Fourvières et se termine sur le rocher de Pierre-Scise. La troisième partie comprend l’enceinte continue de la Croix-Rousse, qui commence au fort Saint-Jean, et en avant de laquelle s’élèvent les forts de Caluire et de Montessuy. Du haut de leurs parapets, ainsi que des torts Sainte-Foy et Saint-Just, on jouit de points de vue magnifiques.

Monuments. Lyon est riche en monuments religieux et civils.

L’église primatiale, dédiée à saint Jean et classée parmi les monuments historiques, fut commencée à la fin du XIIe siècle, et terminée en 1470. C’est un bel édifice gothique. La façade et le chevet sont flanqués de deux tours carrées, dont l’une renferme une cloche du XVIIe siècle, pesant 10,000 kilog. La partie supérieure du portail date de la fin du XVe siècle. Les voussures de la façade offrent encore, malgré les mutilations qu’elle a subies, surtout en 1562, des bas-reliefs très-curieux. Les principales curiosités de l’intérieur de l’édifice sont : les boiseries du chœur, apportées de Cluny ; les vitraux ; deux croix conservées à droite et à gauche de l’autel depuis la tenue du concile général de 1274 ; l’horloge astronomique, construite en 1598 par Nicolas Lippius, de Bâle ; une belle chaire en marbre blanc ; deux statues en marbre blanc, saint Jean et saint Étienne ; la chapelle de Saint-Louis, bâtie au XVe siècle par le cardinal de Bourbon et son frère Pierre de Bourbon, gendre de Louis XI.

L’église d’Ainay, qui occupe l’emplacement d’un temple dédié à Rome et à Auguste par soixante nations des Gaules, fut bâtie au VIe siècle. Détruite par les Sarrasins au VIIIe siècle, et reconstruite plus tard dans le style byzantin, elle fut consacrée en 1106 par le pape Pascal II. « La façade, dit M. Mérimée, est ornée d’un cordon de losanges incrustés en couleur rouge. À l’extérieur, l’abside présente un appareil varié, composé de pierres taillées en losanges, en carrés, etc., dont la forme se dessine au moyen d’incrustations semblables. » La porte principale paraît remonter au XIIIe siècle ; la tour qui la surmonte semble être postérieure à la construction primitive. On remarque à l’intérieur les quatre colonnes de granit qui soutiennent la coupole et qui appartiennent à l’époque romaine ; les peintures sur fond d’or, dont H. Flandrin a décoré les trois chapelles absidales, et le marchepied du maître-autel, magnifique mosaïque exécutée par M. Morat et se composant de trois médaillons qui représentent : le Bon pasteur, des Colombes buvant dans une coupe et des Colombes becquetant des raisins entassés dans une corbeille ; la chapelle de la Vierge, qui contient une belle statue de Bonnassieux, des bas-reliefs de M. Fabisch, un confessionnal du style byzantin, chef-d’œuvre de menuiserie ; le beau portail antique qui forme l’entrée des fonts baptismaux ; la chapelle Saint-Martin, dont la voûte est décorée de fresques. Près de l’église d’Ainay se voit une ancienne église dans laquelle se trouve la crypte qui passe pour avoir été la prison de saint Pothin et de sainte Blandine.

Saint-Nizier, bâtie au-dessus d’une chapelle souterraine, offre un beau portail de la Renaissance construit par Philibert Delorme et orné des statues de la Vierge, par Bonnassieux, de sainte Anne, de saint Joachim et de saint Nizier, par M. Fabisch. La tour méridionale et la flèche gothique qui la surmonte sont modernes. L’attention est attirée à l’intérieur par une belle Statue de la Vierge, œuvre de Coysevox, et le maître-autel, en marbre blanc de Carrare, remarquable par la délicatesse de ses ornements.

Saint-Irénée renferme une crypte qui remonte au IIe siècle, et qui contient les tombeaux de saint Irénée, de saint Epipode et de saint Alexandre. On y voit aussi une grande quantité d’ossements qui sont regardés comme ceux des dix-neuf mille martyrs immolés par ordre de Septime-Sévere.

L’église Saint-Bonaventure, commencée au XIVe et terminée au XVe siècle, vient d’être tout récemment restaurée ; les portails ont été relevés avec beaucoup de soin. On y remarque de très-beaux vitraux, style XVesiècle, peints par Steinheil, et plusieurs ouvrages de sculpture, en particulier la châsse de saint Donatien, par M. Bellot, d’après un dessin de Mme Benoist.

L’église Saint-Georges, récemment agrandie sur les plans de M. Bossan, est surmontée d’un fort joli clocher. Elle renferme également un maître-autel gothique, sculpté récemment sur les dessins du même architecte Cet autel est surmonté d’un retable représentant les saintes femmes au tombeau, sculpté par M. Fabisch.

Saint-Polycarpe possède le plus bel orgue de la ville. Cet instrument compte quarante-huit jeux et a été fabriqué par un artiste lyonnais, M, Zeiger. Tout récemment on a construit dans cette église une chapelle très-riche et d’un goût remarquable. De belles sculptures, dues au ciseau de M. Fabisch, ornent le maître-autel. Elles représentent un saint Jean l’Évangéliste se reposant sur le cœur de Jésus.

L’église de l’Hôtel-Dieu, qui a son entrée place de l’Hôpital, est richement ornée. On y remarque une chaire en marbre, des stalles et des boiseries de chapelle très-bien sculptées ; deux groupes très-remarquables, représentant l’un Jésus-Christ, Marthe et Marie, l’autre une Vierge soutenant le corps du Christ sur ses genoux, ont été sculptés dans le marbre, le premier par M. Fabisch, le second par M. Blanchet. On voit enfin dans cette église un bas-relief très-beau, représentant Notre-Dame de Pitié.

L’église de l’Immaculée-Conception, aux Brotteaux, qui vient à peine d’être terminée, est un monument assez vaste, construit dans le style roman. Les voûtes de la nef sont très-élevées et s’appuient sur des arcades à plein cintre surhaussées, dont les retombées portent sur des piliers formés de quatre cotonnettes accouplées. L’intérieur n’a rien de remarquable.

Parmi les autres églises de Lyon nous signalerons : Saint-Pierre, dont le portail roman date du IXe ou du Xe siècle ; Saint-Paul, dont la coupole et la porte latérale sont d’architecture byzantine ; Saint-Pierre-aux-Liens, belle église moderne dans le style du IXe et du Xe siècle, renfermant un magnifique maître-autel ; la chapelle de l’Enfant-Jésus ; la loge du Change, servant depuis 1810 de temple aux protestants ; le temple évangélique, etc.

Sur une colline de la rive droite de la Saône s’élève l’église Notre-Dame-de-Fourvières. De nombreux chemins y conduisent, notamment la montée Saint-Barthélémy. Cette église doit son nom au forum romain qui se trouvait jadis à cette place. C’est en grande partie une construction moderne en style roman. L’intérieur de cette église n’a rien de particulièrement remarquable ; elle est tapissée d’ex-voto apportés par les fidèles du culte catholique venus de tous les points de la France. Deux tableaux assez ordinaires ornent l’intérieur de l’église. Le premier est de M. Martin Daussigny et rappelle l’inondation de 1810. Il représente la ville de Lyon réfugiée sur des ruines que les eaux envahissent déjà et implorant la Vierge, Le second, dû à Victor Orsel, représente Lyon épargnée par le choléra grâce à l’intervention de la Vierge. Au bas de ce tableau on voit la colline de Fourvières, puis au-dessous le portrait du peintre, mort avant d’avoir terminé son œuvre, qu’ont achevée ses amis. La tour de Notre-Dame-de-Fourvières a des proportions énormes qui s’harmonisent mal avec l’ensemble du monument et l’écrasent. Elle a 52 mètres de hauteur et sur son sommet se trouve placée une statue de la Vierge en bronze doré. Cette statue a été payée par le produit de quêtes faites parmi les fidèles du culte catholique. Elle fut installée au commencement de décembre 1851. Elle a été fondue par MM. Lanfrey et Constant Baur, sur le modèle scupté par M. Fabisch. Sa hauteur est de 5m,60 ; le socle octogone sur lequel elle est placée mesure 3 mètres de hauteur. Les abords de la chapelle sont garnis de marchands d’objets de piété, qui cumulent ce commerce avec la location de puissantes longues-vues. En 1869 et 1870, avant la déclaration de guerre, on avait installé sur le sommet de la colline un véritable observatoire. La vue est du reste splendide à cette hauteur, et de ce point, mieux que de partout ailleurs, on distingue très-nettement les principaux groupes de l’agglomération lyonnaise.

L’hôtel de ville, construit de 1616 à 1655, incendié en 1671, réparé en 1702 par Mansart, récemment restauré sous la direction de M. Desjardins, se compose de deux façades et de deux ailes. La façade qui donne sur la place des Terreaux offre une statue équestre de Henri IV, par Legendre-Herald, sculpteur lyonnais, et une balustrade en pierre ornée des statues d’Hercule, par M. Fabisch, et de Pallas, par M. Bonnet. La tour de l’horloge, surmontée d’une coupole, a 50 mètres de hauteur. Dans le vestibule de la grande porte dont la voûte est d’une grande hardiesse, se voient les groupes en bronze dits la Saône et le Rhône, par les frères Coustou. La façade qui donne sur la place de la Comédie, reconstruite en 1858, est formée de plusieurs arcades que surmonte une galerie avec une balustrade en pierre. On remarque à l’intérieur : les salons de réception et les appartements du préfet ; la salle des Archives, renfermant, outre une riche collection d’archives, un musée historique ; la salle du Conseil municipal, ornée des portraits de Jacquard, par M. Bonnefond, et du célèbre abbé Rozier, par Genod, et le plafond du grand escalier peint à fresque par Blanchet.

Le palais du Commerce et de la Bourse a été inauguré le 18 août 1860. « Il a, dit M. Ad. Joanne, deux façades qui rivalisent de magnificence, l’une sur la place de la Bourse, l’autre sur la place des Cordeliers. La salle de la Bourse occupe le centre de l’édifice ; elle est décorée de huit statues en pierre représentant les quatre éléments et les quatre saisons, par MM. Bonnassieux, Fabisch et Roubaux. »

La façade principale du palais de justice, construit sur l’emplacement du palais des comtes de Roanne, consiste en une colonnade corinthienne supportée par un soubassement en pierre de taille.

Le palais des Beaux-Arts comprend l’école des beaux-arts, les musées de statues et de tableaux, les musées archéologiques, le musée d’histoire naturelle et la bibliothèque des beaux-arts. « C’est, dit M. Ad. Joanne, l’édifice le plus intéressant de la ville de Lyon, par les beautés mêmes de son architecture., heureux mélange des ordres dorique et corinthien, comme par les nombreuses richesses qu’il renferme. On vient d’en restaurer la façade, et il est question d’en construire une autre.

Le musée de peinture renferme un nombre très-considérable de tableaux, parmi lesquels nous allons indiquer ceux qui sont les plus dignes d’attirer l’attention, soit par leur mérite réel, soit pour le nom de leur auteur, soit enfin pour le sujet qu’ils représentent.

Galerie des peintres lyonnais. Animaux, fleurs et fruits, par Berjon ; Baie de La Madeleine, par Briard ; Marché d’animaux, Portraits, Vue de Rome, par Boissieu ; Origine de la fabrication des étoffes de soie à Lyon, par Bonirote ; la Cérémonie de l’eau sainte dans l’église des Grecs catholiques, à Rome, par Bonnefond ; le Dante, conduit par Virgile, visite et console les envieux frappés d’aveuglement, et Euripide écrivant ses tragédies dans une grotte de l’île de Salamine, par H. Flandrin ; Moïse présenté à Pharaon, Adam et Eve auprès du corps d’Abel, par Victor Orsel ; un Tournoi, par Revoll ; Offrande à la Vierge, par Saint-Jean ; Intérieur d’un atelier, par Trimollet ; Marché au bétail, par Louis Guy ; Vue d’une Chartreuse, par Paul Flandrin ; Portrait du général Gémeau, par Janmot.

École française. Portrait d’unmilitaire, par Sébastien Bourdon ; le Martyre de saint Gervais et de saint Protais, par Lesueur ; les Vendeurs chassés du temple, par Jean Jouvenet ; Animaux, fleurs et fruits, par Desportes ; Tête de jeune femme, par Girodet-Trioson ; Corinne au cap de Misène, par Gérard ; Interrogatoire de Savonarole, par Granet ; le bon Samaritain, par Drolling ; Lisière d’une forêt, par Marilhat ; Scène du déluge, par Court ; le Père du Cid, par Lehmann ; Songe de Jacob, par Ziegler ; Chœur des Capucins de la place Barberini, à Rome, par Granet.

Écoles allemande, flamande et hollandaise. L’Empereur Maximilien Ier et Catherine, sa femme, à genoux devant la sainte Vierge et l’Enfant Jésus, qui posent sur leurs têtes des couronnes de fleurs, par Albert Dürer ; Portraits, par Mirevelt ; Saint François, saint Dominique et plusieurs autres saints préservent le monde de la colère de Jésus-Christ, et l’Adoration des Mages, par Rubens ; Saint Jérôme dans le désert, par Gaspard de Crayer ; les Quatre éléments, par Jean Breughel ; la Visitation, Mercure et Argus, par Jordaens ; Deux têtes d’étude, par Van Dyck ; Découverte des reliques de saint Gervais et de saint Protais, la Cène, par Philippe de Champaigne ; Saint Jérôme, par Quellyn ; le Message, par Terburg ; Délivrance de saint Pierre, par Téniers ; le Pâtre, par Ferdinand Bol ; Intérieur de forêt, par Jean van Hagen ; le Ruisseau, par Jacques Ruysdaël ; Un jeune fumeur allumant sa pipe, par Schalken ; l’Atelier de maréchal ferrant, par Blœmen ; le Printemps, par Jean van Huysum ; Cavaliers en reconnaissance, par Van der Meulen.

École italienne. Saint Jacques et saint Grégoire, l’Ascension de Jésus, l’œuvre capitale du musée de Lyon, par le Pérugin ; le Repos de Jésus, par Sébastien del Piombo ; le Sacrifice d’Abraham, par Andréa del Sarto ; la Maîtresse du Titien, par Pâris-Bordone ; Ex-voto, Danaé, par Tintoret ; Moïse sauvé des eaux, par Paul Véronèse ; le Christ à la colonne, par Palma le Jeune ; le Baptême de Jésus, par Louis Carrache ; Portrait du chanoine de Bologne, par Annibal Carrache ; l’Adoration des rois, la Reine de Chypre, par Carletto Véronèse ; la Circoncision, par le Guerchin.

École espagnole. Saint François d’Assise placé après sa mort dans une grotte, sous le maître-autel d’une église, par François Zurbaran.

Le musée renferme aussi quatre mosaïques antiques, découvertes dans le département du Rhône. Elles représentent une course de chevaux et de chars, chez les anciens, dans l’enceinte du cirque ; la lutte de l’Amour et du dieu Pan ; Orphée, coiffé du bonnet phrygien, assis et pinçant de la lyre, etc.

Le musée d’histoire naturelle comprend ; une collection minéralogique générale et une collection minéralogique spéciale du département du Rhône ; une collection des roches et des terrains ; une collection générale des fossiles ; une collection des minéraux, des roches et des terres appartenant au département du Rhône, et une galerie de zoologie.

Les musées archéologiques, créés au commencement du siècle, sous l’administration de M. Fay de Santhonay, par Artaud, puis par M. de Comarmond, se composent du musée lapidaire, du musée des antiques et de celui du moyen âge. Le musée lapidaire occupe le portique du palais des Arts. Cette collection est une des plus riches de l’Europe. On y comptait plus de quatre cents inscriptions en 1872, un nombre considérable de fragments de sculpture, de nombreux vases d’argile, des coupes et des bassins de marbre de toutes dimensions. Le musée des antiques est reporté dans le premier étage. Les objets les plus curieux que contienne ce musée consistent en bracelets, bagues, pierres gravées, colliers trouvés sur la colline de Fourvières en 1841, à l’époque où l’on fit des fouilles pour l’aménagement et la construction de la chapelle. Tous ces bijoux réunis dans une vitrine, portent le titre d’Écrin d’une dame romaine, c’est ainsi que les a baptisés M. de Comarmond, un des fondateurs de ce musée. Avec cet écrin il convient de signaler, comme ayant une bien plus grande importance au point de vue historique, les célèbres Tables de bronze de l’empereur Claude. Ces tables, qui figuraient autrefois dans la galerie des tableaux, ont été découvertes à Lyon en 1528 sur la côte de Saint-Sébastien. Elles contiennent presque en entier un discours prononcé devant le Sénat par l’empereur Claude, discours qui avait pour but de faire admettre les chefs gaulois dans le Sénat romain. Ces tables, assez bien conservées, sont certainement ce qu’il y a de plus curieux dans ce genre.

Le musée du moyen âge, situé lui aussi dans les salles du premier étage, ne comprenait autrefois que des armures du XVe et du XVIe siècle. On l’a aujourd’hui (1873) enrichi d’une foule d’autres objets de la même époque, tels que tapisseries, étoffes, oratoires, etc., etc. La bibliothèque du palais des Arts se compose de plus de 160,000 volumes. Le cabinet des estampes renferme environ 40,000 pièces.

Le palais des Arts, où se trouvent ces musées et la bibliothèque, était jadis le monastère de Saint-Pierre, appartenant à des religieuses de l’ordre de Saint-Benoît, qui n’y étaient admises qu’après avoir fait preuve de noblesse. Au XIVe siècle, ce monastère possédait les plus beaux immeubles de la ville, et augmentait sans cesse ses richesses en prêtant à gros intérêts aux autres chapitres, ou en achetant leurs biens à bas prix quand ils avaient besoin d’argent. Pour mieux écouler les produits de leurs vignobles, les dames de Saint-Pierre établirent un cabaret dans l’abbaye. L’archevêque de Lyon leur ayant ordonné de fermer le cabaret, l’abbesse en appela au saint-siège, accusant le chapitre de vouloir vendre seul ses récoltes. Le pape donna raison aux religieuses et défendit de les inquiéter, sous peine d’excommunication. Saccagé par le terrible baron des Adrets, le couvent fut reconstruit tel que nous le voyons aujourd’hui. Il fut habité par les dames de Saint-Pierre jusqu’à la Révolution. En 1802, il devint le palais du Commerce et des Arts, et prit le nom de palais des Arts, après la construction du palais du Commerce.

Au deuxième étage de ce palais du Commerce se trouve le musée des arts et de l’industrie, créé en 1858. Il sa compose de trois sections principales. La première est affectée aux arts et comprend des tableaux de différentes époques, des modèles d’architecture et tout ce qui peut permettre de suivre à travers les âges le développement du sentiment artistique. La deuxième est consacrée à l’industrie. Les soies y tiennent une place naturellement considérable. À côté des soies, des cotons, des fils, etc., de toute nature se trouvent des réductions d’appareils destinés à faire connaître du même coup la matière employée et l’outil. Enfin, une troisième section est consacrée à l’historique de la fabrication des soies et de l’industrie lyonnaise en général. Un cabinet de dessin, une bibliothèque et une salle d’étude sont annexés à ce musée.

Nous mentionnerons encore parmi les monuments : le palais de l’Archevêché, édifice du XVe siècle, dont on vante la chapelle ; l’hôtel de la division militaire ; l’hôtel des Monnaies ; la manufacture des tabacs ; la manutention militaire ; la manutention civile ; l’abattoir ; l’arsenal d’artillerie ; l’entrepôt des douanes ; le grenier à sel ; le mont-de-piété ; le marché couvert ; les casernes de Serin, des Collinettes et de la Part-Dieu ; le Grand-Théâtre, construit de 1827 à 1830 ; le cercle Musical ; le Casino ; le Jardin d’hiver ; le Colisée ; les gares, etc.

Enfin, Lyon compte de nombreux établissements de bienfaisance, parmi lesquels nous citerons : l’Hôtel-Dieu, construit par Soufflot, et dont le jardin renferme le tombeau de Narcissa, fille de Young ; l’hospice de la Charité, qui reçoit les vieillards des deux sexes, infirmes et indigents, les orphelins, les enfants abandonnés et les enfants malades au-dessous de seize ans ; l’hospice de l’Antiquaille, où sont admis les aliénés des deux sexes, les individus des deux sexes atteints de maladies psoriques ou secrètes, et les vieillards des deux sexes à titre de pensionnaires ; l’hôpital militaire ; l’hôpital de la Croix-Rousse ; le dépôt de mendicité ; l’asile des vieillards des deux sexes ; l’hospice des frères de Saint-Jean-de-Dieu ; la Société de charité maternelle ; des crèches ; de nombreuses sociétés de secours mutuels, etc.

Industrie, commerce. La fabrication des soieries, qui occupe le premier rang dans l’industrie lyonnaise, a su conquérir dans le monde entier une réputation justement méritée. Des Italiens, exilés par les luttes sanglantes des guelfes et des gibelins, importèrent à Lyon, au commencement du XVe siècle, le tissage des étoffes de soie. Ils trouvèrent chez les ouvriers lyonnais un esprit inventif, une activité prodigieuse et un grand amour du travail ; aussi l’industrie nouvelle grandit-elle avec rapidité. Henri II la réglementa par des statuts en 1552 ; Henri IV, voulant favoriser la production de la soie en France, fit planter partout une immense quantité de mûriers. Avant l’introduction du tissage des étoffes de soie à Lyon, Avignon et Tours possédaient déjà cette industrie ; mais Lyon l’emporta bientôt par la perfection de la main-d’œuvre, la beauté du dessin, la richesse des étoffes. Chaque année vit naître une combinaison d’où résultait un tissu nouveau destiné à durer autant que la mode, à disparaître avec elle pour faire place à un autre ; et, de nos jours, c’est encore ce qui caractérise la fabrique lyonnaise et fait une grande partie de sa supériorité. « L’industrie des soieries, dit M. Arlès-Dufour, occupa à Lyon, depuis 1650 jusqu’à 1680, de 9,000 à 12,000 métiers ; après la révocation de l’édit de Nantes jusque vers 1760, ce nombre était réduit à 3,000 ou 4,000 environ. De 1760 à 1789, il se releva à 18,000, pour retomber à 3,000 ou 4,000 en 1794. De 1804 à 1812, il remontait à 12,000, et en 1816 à 20,000 ; en 1827, il atteignit 27,000 ; en 1837 il était de 40,000, et à l’époque de la révolution de Février, 50,000 métiers fonctionnaient à Lyon. » De nos jours, le nombre de métiers fonctionnant dans le département du Rhône et les départements voisins est évalué à 120,000. Ces métiers produisent une valeur de plus de 460 millions et occupent près de 140,000 ouvriers, dont une moitié est concentrée dans la ville même. « La fabrique lyonnaise, dit M. Kauffmann, n’a pas, comme l’industrie des toiles de coton, de grandes manufactures où travaillent en commun une quantité considérable d’ouvriers des deux sexes, les femmes séparées de leurs maris, les jeunes filles loin de la surveillance de leurs parents ; le tissage, au contraire, se fait en famille ; les ateliers se composent de 2 à 6 métiers, rarement d’un plus grand nombre, qui sont occupés par les membres de la famille et par les compagnons. La femme tient le ménage, fait les cannettes et donne au tissage le reste de son temps. Les enfants vivent sous les yeux de leurs parents et sont envoyés à l’école, double gage de moralité. Les instruments de travail, c’est-à-dire les métiers, les mécaniques à la Jacquard, les lisses, les plombs, les maillons, les navettes, appartiennent au chef d’atelier. Le prix des façons est payé au mètre courant : il varie naturellement suivant les genres d’étoffes, suivant leur largeur, etc. Ce prix, débattu entre le fabricant et le chef d’atelier, est généralement uniforme pour chaque genre d’ouvrage. La possession en propre des instruments de travail fait à l’ouvrier lyonnais une position bien préférable à celle des autres ouvriers des manufactures, lui assure une sorte de liberté, lui inspire l’ordre, le soin de ses ustensiles. » Si cette organisation du travail au moyen d’ateliers contenant rarement plus de 4 à 5 métiers a de grands avantages au point de vue de la moralité, elle n’est pas néanmoins sans inconvénients au point de vue de la continuité de la production. Sauf quelques étoffes unies, d’un placement régulier et sûr, les fabricants ne font presque jamais confectionner de tissus à l’avance, en sorte qu’aussitôt que les demandes cessent d’arriver les métiers cessent de battre. Les autres branches de l’industrie lyonnaise sont : la fabrication des tulles de soie et des foulards ; la passementerie, qui occupe 800 métiers ; la teinturerie (80 ateliers et 1,500 ouvriers) ; la construction de métiers à tisser, battants, navettes et autres outils ; les fonderies de cuivre, de cloches, de bronze ; l’orfèvrerie ; la bijouterie ; la boutonnerie ; l’ébénisterie ; la peausserie, la chapellerie ; la fabrication d’huiles, de chandelles, de bougies, de liqueurs, de bière, de pâtes alimentaires, de savon, de chocolat, de produits chimiques, de parfumerie, de toiles cirées, de fleurs artificielles, d’aiguilles, d’épingles, etc.

Si Lyon est une ville industrielle de premier ordre, c’est aussi une grande place de commerce. Cette ville, placée presque au centre de la France, à peu de distance des frontières de l’E., est la route des produits allant du N. au S., du S. au N., de l’E. à l’O. C’est la station principale du grand transit des marchandises qui, venant des contrées orientales de l’Afrique et de l’Espagne, débarquent à Marseille et dans les autres ports de la Méditerranée, pour être disséminées en France. Le commerce proprement dit de la place de Lyon s’exerce principalement sur les riches et nombreux produits de son industrie. Lyon achète annuellement pour environ 200 millions de soies de France, d’Italie, du Japon, de l’Inde et de la Chine, et exporte ses soieries principalement en Amérique, en Angleterre et en Russie. D’après le Compte rendu des travaux de la chambre de commerce de Lyon, publié en 1869, l’exportationdes soieries de toute nature s’est élevée :

En 1864, à 408,179,476 fr.
     En 1865, à 428,502,578
     En 1866, à 467,713,083
     En 1867, à 422,944,177

Lorsqu’on embrasse la période décennale qui s’étend de 1859 à 1868, on constate ceci : de 1867 à 1872, la moyenne de l’exportation a été de 465 millions de francs.

1° La profonde décadence du façonné, qui, de 66,152,457 fr. en 1859, est tombé, en 1868, à 7,431,465 fr. ;

2° L’accroissement des exportations d’unis, qui de 201,217,200 fr. se sont élevées, en 1868, à 329,322,360 fr.

À la fin de l’Empire, les affaires se ralentirent considérablement, et ce ralentissement ne fit qu’augmenter en 1870 et 1871, par suite de la guerre néfaste faite à l’Allemagne. Depuis cette époque, le marché de la soierie lyonnaise s’est relevé sensiblement. La draperie et la toilerie, les vins et eaux-de-vie, la houille, les fromages, les marrons, l’épicerie et la droguerie complètent le tableau général du commerce de Lyon,

Lyon est le centre de sept lignes de chemins de fer, qui aboutissent à quatre gares principales, les gares de Vaise, de Perrache, de la Guillotière et des Brotteaux, et qui mettent la ville en communication avec Paris, Marseille, Grenoble, Saint-Étienne, le Bourbonnais, Genève, Bourg. Pour entrer dans Lyon et aller de la gare de Vaise à celle de Perrache, le chemin de fer passe sous le tunnel de Saint-Irénée, appelé aussi tunnel de Fourvières ou de la Quarantaine. Il a 2,175 mètres de longueur, et se trouve à 192 mètres au-dessous de Saint-Irénée. Le plus curieux chemin de fer de Lyon est celui de la Croix-Rousse, appelé communément le chemin de fer de la Ficelle. Il n’a guère que 600 mètres de long et conduit, par une pente de 0m,16 par mètre, aux hauteurs de la Croix-Rousse. Les voitures y sont remorquées par une machine fixe et des cordages en fer, et tandis qu’un train monte, il en descend toujours un autre. On est en train d’en établir un semblable pour monter à Saint-Just et à Saint-Irénée. Le produit des octrois s’est élevé à Lyon, en 1872, à 8,966,792 fr.

Cette ville possède des compagnies d’assurances contre l’incendie, contre la grêle, sur la vie, contre les accidents de tous genres, contre les risques de la navigation sur le Rhône et sur la Saône. La Compagnie lyonnaise d’assurances contre les risques de la navigation est la plus importante.

Mœurs, usages, société, population, etc. La ville de Lyon a longtemps conservé une physionomie à part ; elle avait ses coutumes, ses usages, ses fêtes, qui rappelaient celles du moyen âge, entre autres la fête des Merveilles, établie en l’honneur de saint Pothin. Ce jour-là, une grande procession de bateaux avait lieu sur la Saône ; après cette cérémonie, de jeunes taureaux tout vivants étaient jetés dans la rivière, et des hommes vigoureux combattaient à outrance ces animaux que l’on traînait ensuite dans la rue Écorche-bœuf, pour y être abattus. Sans remonter si loin, il y a une quarantaine d’années seulement, les fêtes populaires étaient encore nombreuses, et se sentaient même parfois de la grossièreté des mœurs du temps passé. Ainsi, le vendredi saint, les bouchers célébraient à Sainte-Foy leur fête de l’Agneau pascal. Un agneau était mis dans une cage à barreaux de fer et suspendu en l’air ; les bouchers, à cheval et munis d’un bâton garni de crocs de fer, passaient au galop, lâchant de dépecer le pauvre animal. Les joutes sur l’eau étaient nombreuses : deux bateaux, maniés par des rameurs forts et vigoureux, passaient rapidement à côté l’un de l’autre. Sur chacun d’eux un homme se tenait debout, tenant une longue lance à la main et portant un plastron sur la poitrine ; un choc terrible avait lieu, comme dans les anciens tournois ; parfois un des adversaires tombait dans l’eau, parfois la chose arrivait à tous les deux ; il n’était pas rare de voir les lances se briser ou même un des deux lutteurs enlever son adversaire à la pointe de sa lance. C’étaient des jeunes gens de la ville ou des lieux voisins qui se livraient à ce divertissement. Le dimanche des Brandons, appelé à Lyon dimanche des Bugnes, de nombreuses bandes de masques s’en allaient en voiture, à cheval, à âne, dans la plaine de Saint-Fons, où toute la ville se portait. Les lazzis, les plaisanteries, les allusions politiques étaient échangés de toutes parts dans ce jour de gaieté, que terminait un bal masqué donné au théâtre, et auquel les damnes du plus grand monde assistaient. Mais le divertissement le plus usuel, le plus répandu, était le jeu de boules. Les Brotteaux étaient alors des terrains vagues appartenant aux hôpitaux ; on n’y voyait que des jeux de boules et des guinguettes. Chaque jour le Lyonnais, après son dîner (tout le monde dînait alors à deux heures), venait faire sa partie de boules ; il y avait le jeu de boules des notaires, celui des avoués, celui des avocats, celui des marchands de soie. Des paris énormes se faisaient sur les parties, et des joueurs venaient de Grenoble, de Valence, de Genève, pour y assister. Une guinguette bien connue alors, celle de la mère Brugousse, attirait de nombreux chalands ; on y buvait de la bière, on y mangeait du jambon, et, dans les chansons populaires du temps, un amoureux promettait à son amoureuse de la mener aux « Brottiaux manger une salade et danser un rigodon. » Aujourd’hui le cercle a remplacé le jeu de boules ; les habitudes de luxe, de faste et d’ennui qui en est la conséquence, ont remplacé cette simplicité charmante, cette gaieté facile. Cette transformation s’est principalement accomplie sous le second Empire et grâce à son action démoralisatrice. Nulle part peut-être cette influence funeste ne s’est fait autant sentir que sur la population lyonnaise, qui comptait le travail, l’économie et la simplicité parmi ses principales vertus. Non-seulement la ville a été fatalement endettée par ses administrateurs, exempts de tout contrôle et ordonnant les dépenses les plus insensées ; non-seulement il y a eu des tripotages et des gaspillages sans nombre ; mais cet amour du luxe, ce besoin de la représentation, dont l’exemple venait d’en haut, ont ébranlé les fortunes les plus sûres, et fait perdre à la place de Lyon une partie du crédit sans bornes dont elle avait joui jusque-là.

La société lyonnaise se divise en trois groupes bien distincts, bien tranchés, bien séparés les uns des autres. Le premier, appelé la société de Bellecour, se compose de tous ceux qui appartiennent à la noblesse, très-nombreuse à Lyon et dans les environs. Tous ses membres vivent entre eux, hostiles aux idées de leur temps ; pétris d’intolérance, prosternés devant le trône et devant l’autel. L’inintelligence, la morgue, l’exclusivisme, naturels aux aristocraties tombées dans une décadence définitive, sont encore augmentés chez eux par l’étroitesse et les petites passions de l’esprit de province. Le second groupe est celui du haut commerce, des fabricants, des marchands de soie, des banquiers, du barreau et de la magistrature. C’est, à proprement parler, l’élite de la société lyonnaise, qui travaille et possède la richesse et le talent. Malgré ces précieuses qualités, on y trouve encore quelque chose d’étroit dans les idées, qui tient aussi bien à la province qu’à la ville elle-même, et, à part quelques honorables exceptions, on y cherche vainement cet amour des lettres et de l’étude qui a fait jadis de Lyon un centre littéraire important. Le troisième groupe est composé des ouvriers en soie, qui forment un monde distinct par le langage, par les habitudes, par le nombre et par la position topographique. L’ouvrier en soie, appelé vulgairement canut, occupe la Croix-Rousse, qui est une ville dans une autre ville. Le canut a son langage à lui, qui se distingue non-seulement par l’accent traînant dont est affectée toute la population lyonnaise, mais surtout par un langage à part, une sorte de patois imagé et pittoresque, où l’on trouve les restes de l’ancienne langue du Lyonnais. Ce langage, qui de plus en plus tombe en désuétude, a été l’objet de recherches philologiques importantes, et quelques petits journaux du cru en usent parfois pour le plaisir de leurs lecteurs. L’ouvrier en soie est économe, travailleur, rangé, et on l’a trop souvent représenté comme un révolté, sans cesse disposé à s’insurger contre l’ordre social. C’est une erreur des plus grossières ; s’il est descendu deux ou trois fois dans la rue depuis le commencement du siècle, c’était ou dans ces moments de crise politique auxquels les autres villes n’ont pas échappé, ou pour cette question des salaires, dans laquelle, il faut bien le dire, tous les torts n’étaient pas de son côté ; le haut commerce lyonnais a toujours montré trop d’âpreté et pas assez d’esprit de conciliation. Ceux qui parlent en termes si injustes de l’ouvrier lyonnais montrent une ignorance profonde, que l’esprit de parti a contribué à propager. Certes, à Lyon comme dans toutes les grandes agglomérations, il existe des éléments mauvais et corrompus. Mais ce n’est point parmi la laborieuse population de la Croix-Rousse qu’il faut les chercher. Là, ce qu’on trouve à peu près partout, c’est l’ordre, le travail, l’esprit de famille. Les repris de justice, les gens sans aveu, les paresseux qui ne veulent pas demander au travail les moyens d’existence, les hommes impurs que le plus souvent la police soudoie dans le but d’amener des émeutes destinées à justifier des mesures compressives, cherchent généralement un refuge dans des repaires immondes, à la Guillotière.

Lyon est incontestablement, en France, la foyer le plus puissant des intrigues jésuitiques, la ville où, surtout dans les classes riches, l’esprit clérical a le plus d’empire. Les passions religieuses ont toujours agité fortement cette ville ; lors de la Saint-Barthélemy, Maudelot, lieutenant du duc de Nemours, fit incarcérer les protestants sous prétexte de les protéger ; puis il laissa des bandes d’assassins se jeter sur eux et les égorger dans les prisons. Plus de 1,000 victimes tombèrent dans ce jour néfaste. Sous la Restauration, Lyon eut beaucoup à souffrir de la réaction royaliste et cléricale ; les prêtres jetaient dans la boue le chapeau de ceux qui passaient à côté d’eux sans les saluer. Pendant le règne de Louis-Philippe, le clergé se contenta d’intriguer sourdement ; mais, avec le second Empire, sous la protection du maréchal Castellane, l’esprit clérical reprit toute son insolente fierté et domina en maître. On ne pourrait compter les couvents, les maisons religieuses, les séminaires qui couvrent le sol lyonnais. La colline de Fourvières est parsemée d’établissements de ce genre, placés fort en vue, comme pour bien signifier que ce sont eux qui dominent. Lyon a été la première à accueillir avec transport le dogme de l’Immaculée Conception, et le 8 décembre est la plus grande fête de la ville. Mais si le cléricalisme y est puissant, s’il y est l’allié naturel de la réaction, s’il travaille activement en faveur d’idées politiques surannées, compressives, d’une intolérance véritablement odieuse, il s’en faut qu’il règne en maître sur les consciences. En face de lui, séparé comme par un abîme qui va sans cesse s’élargissant, se dresse l’esprit démocratique, l’esprit de libre pensée, dont les progrès sont incessants. Nulle part en France, on peut le dire, il n’existe une démarcation si tranchée, si fortement accusée entre ces deux grands partis dont la lutte est le fait capital de l’histoire de notre temps.

La ville de Lyon a été autrefois un centre littéraire important. Son Académie, fondée en 1700, a eu un certain éclat au siècle dernier. En 1754, Voltaire, de passage en cette ville et membre honoraire de l’Académie, assista à une séance tenue exprès pour lui. Parmi les membres figuraient deux abbés et un jésuite, qui ne secouèrent pas la poussière de leurs souliers, mais qui firent très-gracieux accueil à leur collègue. Parmi les personnages illustres ou distingués que Lyon a vus naître, nous citerons : Germanicus, les empereurs Claude, Marc-AUrèle, Curacalla et Géta ; Sidoine Appollinaire, saint Ambroise, Louise Labbé, Philibert Delorme, Audrun, Coysevox, Coustou, le Père Ménétrier, Terrasson, Montucla, les Jussieu, Bonnet, Rolland, Camille Jordan, Jacquard, le maréchal Suchet, Claude Martin, Aimé Martin, Lemot, De Gérando, Jean-Baptiste Say, Bignan, Jal, les deux Ampère, Ballanche, Mme Récamier, Mme Gay, Saint-Jean, Paul et Hippolyte Flandrin, l’éditeur Louis Perrin, mort en 1866, et dont les éditions sont très-recherchées, Hénon, etc.

Le mouvement intellectuel est surtout représenté par les journaux, qui y sont très-nombreux, en y comprenant les feuilles catholiques spéciales. Les journaux politiques importants sont : le Progrès de Lyon, le Journal de Lyon, la France républicaine, le Salut public, la décentralisation.

Nous ne saurions passer ici sous silence deux établissements qui ont rendu et rendent à Lyon de très-grands services. Nous voulons parler de l’École des beaux-arts, dite École de Saint-Pierre, et de l’École La Martinière.

C’est à l’École des beaux-arts que Lyon doit une partie de sa splendeur industrielle. C’est déjà que sortent tous les dessinateurs de la fabrique lyonnaise. Cet établissement, entretenu aux frais de la ville et dont les cours sont suivis par 1,000 à 1,200 jeunes gens, comprend neuf classes : dessin et peinture de la figure, dessin d’après le plâtre, peinture pour la fleur, composition appliquée aux manufactures, architecture, sculpture, gravure et lithographie, principes.

L’École La Martinière, fondée grâce à un legs du major général Claude Martin, est un établissement d’où sortent chaque année d’excellents contre-maîtres et des ouvriers instruits. On y enseigne les mathématiques, le dessin, les travaux manuels et la théorie de la fabrication des étoffes.

Antiquités. Lyon et ses environs conservent quelques antiquités fort curieuses. Ce sont d’abord les restes de trois aqueducs : du Mont-d’Or ou d’Écully, du Mont-Roman ou de Craponne et du Mont-Pilat. Ces monuments historiques paraissent avoir été construits au début de l’occupation romaine. Sur la route de Tarare, à quelques kilomètres de Lyon, on voit encore les arcs rampants qui soutenaient l’aqueduc du Mont-d’Or. L’aqueduc du Mont-Pilat, qui mesurait plus de 80 kilom. de long, a laissé de magnifiques vestiges à Beaunant, tout près de Lyon, et à Chaponost, où l’on compte 90 arcades. Au quartier Saint-Just, non loin de la place des Minimes, on voit encore, dans un enclos appartenant à un couvent, les ruines de l’hémicycle d’un théâtre qui devait avoir d’énormes proportions. De Miribel à Lyon, le long de la rive droite du Rhône, on trouve de nombreux restes d’un canal souterrain qui était fort probablement destiné à conduire les eaux du Rhône à la naumachie du Jardin des plantes. Dans le grand jardin de l’Antiquaille, au milieu de l’hospice, on voit sur le chemin qui va de la place des Minimes à Fourvières un réservoir antique. Enfin, place Saint-Just, dans le clos d’un monastère occupé autrefois par des ursulines et devenu aujourd’hui une maison de santé, on voit une ancienne conserve d’eau, connue sous le nom de Bains romains. Cette piscine, qui pour la grandeur et la beauté n’approche pas des Bains romains de Nîmes (Gard), est cependant remarquable.

Histoire. L’origine de Lyon se perd dans la nuit des siècles. À l’époque de la conquête des Gaules par Jules César, c’était déjà une place de quelque importance. Mais tout porte à croire que cette ville a été édifiée dans la situation où elle existe aujourd’hui par le consul Lucius Munatius Plancus, l’an 40 av. J.-C. Voici comment A. Thierry, l’historien des Gaulois, explique l’origine de Lyon : « De graves dissensions domestiques s’étaient élevées dans l’enceinte des murs de Vienne durant les guerres de César et de Pompée, une partie des habitants avait chassé l’autre ; réfugiés sur les bords du Rhône, près de la Saône, les bannis viennois y vécurent longtemps campés dans des cabanes ou sous des tentes. L’année qui suivit la mort du dictateur, le sénat romain forma le projet de les coloniser et de leur bâtir une demeure ; il chargea de ce soin le gouverneur de la province, Plancus, dont il redoutait et voulait occuper l’esprit turbulent. À l’endroit où la Saône se jette dans le Rhône, sur le penchant d’une colline qui la borde à l’occident, était situé un village ségusien, nommé Lugdunum. Plancus s’en empara, le reconstruisit et y établit les exilés. Plus tard Auguste, charmé de la beauté du site, y attira une colonie militaire. » Admirablement placée pour la navigation, la nouvelle ville s’enrichit et acquit en peu de temps une assez grande importance commerciale. Auguste en fit la métropole de la Gaule celtique, qui dès lors changea de nom et prit celui de Lyonnaise ; il la visita lui-même, la combla de bienfaits, et les soixante nations des Gaules y élevèrent en son honneur un temple superbe au confluent de la Saône et du Rhône. Agrippa, gendre d’Auguste, contribua aussi beaucoup à la prospérité de Lugdunum ; il en fit le point de départ des quatre grandes voies militaires qui traversaient les Gaules. Caligula habita le palais impérial de Lyon ; durant son séjour, il fonda des jeux et une célèbre académie, appelée Athénée. L’empereur Claude orna la ville de Lyon de magnifiques aqueducs et d’autres monuments ; il ordonna qu’elle prît le nom de Colonia Claudia Augusae, auquel on ajouta celui de Copia ; mais cet arrêté tomba promptement en désuétude. L’état florissant de cette cité ne fut pas de longue durée ; cent ans après sa fondation, la ville fut détruite en une nuit par un affreux incendie. Néron la fit bientôt renaître de ses cendres. Trajan, Adrien et Antonin concoururent aussi au rétablissement de sa prospérité en y faisant construire de somptueux édifices et en lui accordant plusieurs privilèges. À la mort de Pertinax, Lyon s’était déclarée pour Albin qui disputait l’empire à Sévère ; ce dernier, après avoir vaincu son compétiteur, entra dans Lyon en vainqueur et livra cette malheureuse ville à la fureur de ses soldats, qui n’en firent qu’un monceau de cendres (197). À peu près vers la même époque, les persécutions commencèrent à Lyon contre les chrétiens ; saint Pothin y propagea le christianisme, et y périt avec 58 de ses disciples. Saint Irénée, qui lui succéda, succomba avec 19,000 chrétiens dans une seconde persécution qui eut lieu en 202. Lyon fut encore prise d’assaut et pillée par les peuples du Nord, qui se disposaient à y mettre le feu, lorsqu’ils furent surpris et exterminés par Julien. Vers le milieu du Ve siècle, Attila saccagea cette ville, et en 458 Sidoine Apollinaire livra Lyon à Théodoric, roi des Visigoths. Peu de temps après, en 476, les rois de Bourgogne y établirent le siège de leur royaume, qui subsista pendant près d’un siècle. Vers la fin du VIe siècle, Lyon passa sous la domination des rois francs. Dans le VIIIe siècle, une armée de Sarrasins venus d’Espagne renversa les temples et les monuments qui existaient encore, et passa au fil de l’épée un grand nombre d’habitants. Charlemagne ne tarda pas à relever les ruines de cette ville ; plus tard, Lyon devint la capitale du royaume de Bourgogne cisjurane ou de Provence, qui avait été légué par Lothaire à Charles, le plus jeune de ses fils. Vers 965, Lothaire II céda cette ville pour la dot de sa sœur Mathilde au roi de Bourgogne transjurane, Conrad le Pacifique. En 1032, après la mort de Rodolphe III, fils de Conrad, Lyon passa sous la puissance temporelle de son archevêque, Burchard, frère de ce Rodolphe. C’est de cette époque que datent les droits de souveraineté que les archevêques de Lyon ont exercés si longtemps sur la ville, d’abord comme feudataires de l’empire, ensuite comme seigneurs indépendants. Peu après, prit naissance à Lyon la secte des Vaudois. Au commencement du XIIIe siècle, les Lyonnais se soulevèrent contre la juridiction ecclésiastique et se créèrent un gouvernement municipal, ou consulat, dont les premières assemblées se tinrent en 1228 ; de là surgirent des hostilités continuelles entre les citoyens et les chanoines, hostilités qui durèrent jusqu’au règne de Philippe le Bel, qui fit rentrer la ville sous le sceptre des rois de France en 1312. Quelques années plus tard, des Italiens fugitifs importèrent à Lyon l’industrie du tissage de la soie, et dotèrent cette ville d’un grand avenir de prospérité. Le mouvement religieux du XVIe siècle se fit cruellement sentir à Lyon ; la Réforme y fit dès le principe de grands progrès, et, en 1562, les protestants s’emparèrent de la ville et en restèrent maîtres pendant onze mois. Dix ans après, le massacre de la Saint-Barthélemy s’y effectua comme à Paris sur une grande échelle. Sous Henri III, la ville suivit le parti de la Ligue, et ne reconnut Henri IV qu’en 1594. Cependant le calme qui succéda aux tempêtes religieuses, sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII, ne tarda pas à développer la prospérité de Lyon. Cette ville marchait paisiblement dans la voie de la fortune lorsque la révocation de l’édit de Nantes porta un coup fatal à son industrie. Elle se relevait à peine de ce dernier désastre quand éclata la Révolution française. Les époques de révolution, de mouvement populaire, de transformation sociale ne sont pas favorables aux industries de luxe ; les Lyonnais, tous adonnés aux arts et au commerce, furent vivement irrités de voir leur commerce et leur industrie à peu près anéantis. À l’excitation du parti royaliste, ils s’insurgèrent contre leur municipalité, et vinrent à bout de lui arracher le pouvoir dans la nuit du 29 au 30 mai 1793. Cependant Toulon venait de se livrer aux Anglais, et les Marseillais envoyaient une armée de secours aux Lyonnais. La Convention, pour éviter une séparation de tout le midi de la France, dut prendre des mesures énergiques. Elle envoya contre Lyon une armée de 60,000 hommes, qui s’en empara après un siège de deux mois (v. plus loin Lyon [siège de]). La prise de cette ville produisit une joie extraordinaire à Paris ; la Convention ne négligea rien pour en tirer le plus grand parti possible. Elle l’annonça solennellement aux armées du Nord et de la Vendée, rendit à ce sujet un décret célèbre dont nous parlerons plus loin, et fit frapper avec une extrême sévérité par Collot-d’Herbois et Couthon ceux qui avaient fait cause commune avec l’ennemi en s’insurgeant contre la République. Son nom fut changé alors en celui de Commune-Affranchie ; mais après le 9 thermidor elle reprit son premier nom. Lorsque le calme revint après la période militante de la Révolution, les Lyonnais virent renaître leur commerce et leur industrie, qui acquirent en peu d’années un haut degré de prospérité. À la fin de l’Empire, Augereau ne put défendre cette ville contre les Autrichiens (1814). En 1815, Lyon ouvrit ses portes à Napoléon Ier, à son retour de l’île d’Elbe. Après les agitations de cette époque, l’industrie et le commerce lyonnais prirent un nouvel et brillant essor. Mais la révolution de 1830 et surtout l’insurrection des ouvriers en novembre 1831 leur imprimèrent un temps d’arrêt. Cette insurrection, dont nous parlerons longuement plus loin (v. LYON [insurrection de novembre 1831]), fut vaincue au bout de trois jours.

Lyon fut encore ensanglanté par une insurrection en avril 1834. V. avril 1834.

En 1849, le 13 juin, on sait qu’un mouvement avorté eut lieu à Paris contre la campagne de Rome et la restauration du pape par l’armée française. Ce mouvement eut son contre-coup dans plusieurs villes. À Lyon, surtout, l’émeute fut sérieuse ; il y eut une véritable bataille à la Croix-Rousse, où il fallut l’artillerie pour enlever les barricades, ainsi que sur plusieurs autres points de la ville. Deux compagnies du 17e léger furent désarmées, et quelques soldats se joignirent aux insurgés, ainsi que plusieurs élèves de l’École vétérinaire. Le combat dura pendant toute la journée du 15. Le soir, les généraux Gémeau et Magnan étaient maîtres du mouvement. Il y eut beaucoup d’arrestations et de condamnations par les conseils de guerre (la ville était en état de siège).

À cette époque, Lyon devint le centre d’une vaste association républicaine dont les membres furent poursuivis en août 1851. V. plus loin Lyon (complot de).

Chose assez remarquable, Lyon, qui était cependant un centre de républicanisme ardent, n’essaya pas de résister par les armes au coup d’État du 2 décembre 1851 ; mais il n’en fut pas moins décimé par les proscriptions.

À partir de ce moment jusqu’à la fin de l’Empire, Lyon n’eut plus de municipalité élue. La bourgeoisie et le peuple en conçurent un vif mécontentement. Pour donner le change à l’opinion, on bouleversa la ville comme on bouleversait Paris. Une cité de travail et d’industrie devint une cité de luxe et d’agiotage. Les logements renchérirent, la vie devint plus coûteuse, les salaires restèrent à peu près les mêmes. La population ouvrière en fut vivement irritée. Sous le joug de fer qui écrasait alors la France, elle resta silencieuse, mais frémissante, et l’Internationale y trouva un nombre considérable d’adhérents. Lorsque la guerre fut déclarée à la Prusse, les affaires s’arrêtèrent, et une vive inquiétude s’empara des esprits. À la nouvelle de nos premiers revers, la masse de la population entrevit l’abîme dans lequel l’Empire avait plongé la nation. La haine qu’avait le peuple lyonnais pour le gouvernement impérial redoubla.

Quelques jours avant le 4 septembre, les autorités militaires avaient essayé de refouler le peuple réuni sur la place des Terreaux et sur celle de la Comédie. L’émotion était grande dans tous les groupes, et partout on prévoyait de graves événements.

Lorsque M. Sencier, préfet de l’Empire, reçut la nouvelle de la capitulation de Sedan, il fut prié par le général Espivent de La Villeboisnet, commandant à Lyon, de ne point la publier avant que certaines mesures militaires eussent été prises. Peine inutile ! le peuple connaissait la nouvelle avant l’affichage du placard, et, dès sept heures du matin, la place de l’Hôtel-de-Ville était envahie par une foule compacte, qui réclamait à grands cris la déchéance de la famille impériale et la proclamation de la République. Quelques sergents de ville essayèrent vainement de s’opposer à l’envahissement de la préfecture ; les portes durent s’ouvrir, et bientôt, du haut d’un balcon, la République était proclamée, avant qu’elle le fût à Paris, par MM. Beauvoir et Chaverot. Quelques heures plus tard, à neuf heures du matin, un comité provisoire de Salut public faisait connaître la décision prise à la préfecture. MM. Hénon et Barodet, plus tard maires de Lyon, étaient présents. La foule victorieuse pensa tout d’abord à mettre en liberté les prisonniers politiques incarcérés sur l’ordre des parquets de l’Empire. M. Andrieux, qui devint peu après procureur de la République, fut extrait de la prison de Saint-Joseph. Le préfet, le procureur général Massin, l’avocat général Bérenger et plusieurs notabilités compromises avec le régime impérial furent arrêtés. L’état de siège fut levé. Le comité provisoire, composé en grande majorité de républicains radicaux, s’occupa de pourvoir immédiatement à la réorganisation des services publics. Ce comité, composé d’abord de treize membres, parmi lesquels nous citerons MM. Charles Beauvoir, Chaverot, Soubrat, Cordelet, Lombail, s’adjoignit presque aussitôt un grand nombre d’autres membres, notamment MM. Hénon, ancien député, Castanier, Crestin, Varambon, Favier, Andrieux, Barodet, etc.

La nouvelle de la proclamation de la République à Paris arriva le soir à Lyon. Elle y causa une vive joie, et il fut décidé qu’on se mettrait immédiatement en rapport avec le gouvernement de la capitale. Le comité prit quelques mesures radicales ; il décida notamment que la levée en masse serait faite et que nul, fût-il congréganiste ou prêtre d’un culte quelconque, ne pourrait échapper à l’obligation de servir la patrie. Le général Espivent faillit être arrêté, et, sentant l’impossibilité de lutter contre le mouvement, s’abstint de toute immixtion. Le peuple demandant des fusils, on força l’entrée des forts Lamothe et de la Vitriolerie ; puis, sous le coup de l’indignation excitée depuis longtemps par la domination cléricale, les établissements religieux furent fouillés dans la soirée du 4 septembre et on procéda à l’arrestation des jésuites. Le 5 septembre, à midi, le comité de Salut public reçut une dépêche lui annonçant que M. Challemel-Lacour, un républicain irréprochable, un homme de rare mérite, nommé préfet de Lyon par le gouvernement de Paris, arriverait le lendemain. Cette dépêche causa quelque émotion aux membres du comité ; mais le soir, au balcon de l’hôtel de ville, on annonça au public qu’un délégué de Paris arrivait le lendemain matin. M. Challemel eut une première entrevue avec le comité le 6 au matin. Après explications données des deux parts, il fut convenu que le délégué de Paris respecterait l’autorité municipale et n’interviendrait dans aucune des affaires dévolues à cette autorité. Une proclamation fut affichée annonçant que le délégué de Paris, de concert avec le pouvoir municipal, prendrait toutes les mesures nécessaires au salut de la République.

Le comité de Salut public ne songeait pas à se perpétuer. Les 15 et 16 septembre, les élections municipales eurent lieu, et le comité remit ses pouvoirs aux élus du suffrage universel. Le conseil municipal, composé en grande majorité de républicains ardents, commença par décréter l’emprunt forcé, puis revint sur sa décision et accepta un emprunt volontaire de 4 millions ; les scellés furent mis sur les biens des corporations religieuses ; l’octroi, considéré comme vexatoire, avait été supprimé par le comité de Salut public et fut remplacé par le doublement des contributions de 1870. La police fut réorganisée et l’élément bonapartiste soigneusement exclu. À cette date, vers le 23 septembre, la situation du préfet, M. Challemel-Lacour, était très-délicate ; mis en présence d’un conseil animé d’un esprit révolutionnaire, il devait nécessairement employer toute son autorité à modérer un parti dont l’ardeur pouvait provoquer de nombreux conflits. Le gouvernement central de Paris ayant donné l’ordre, le 11 septembre, de mettre en liberté les détenus politiques incarcérés le 4 septembre au soir, M- Andrieux, nommé procureur de la République, les fit élargir le 12 septembre, et faillit pour ce fait être maltraité par la foule. Une situation aussi tendue devait nécessairement amener un conflit. Il éclata le 28 septembre. Dans plusieurs réunions tenues du 24 au 27 septembre, le parti ultra-radical avait décidé qu’il était temps d’en finir avec les parlementaires, qui compromettaient le salut de la patrie. Il voulait qu’immédiatement on prononçât la séparation de l’Église et de l’État, qu’on révoquât tous les fonctionnaires anciens serviteurs de l’Empire, et qu’on destituât les officiers supérieurs qui avaient servi ce régime. Pour atteindre ce but, les organisateurs de ces réunions firent décider qu’une manifestation se rendrait le 28 septembre à la préfecture, et sommerait le conseil municipal d’entrer immédiatement dans la voie révolutionnaire. Le 28, à midi, une foule compacte envahissait la place des Terreaux et forçait les portes de la préfecture. Le chef de la manifestation, le plâtrier Saigne, prononça quelques paroles au balcon, et termina sa harangue en proclamant Cluseret général en chef des armées révolutionnaires du midi de la France. La foule envahit alors l’hôtel de ville. Durant ce temps, M. Challemel-Lacour, prisonnier dans son cabinet, parvenait, au moyen d’amis dévoués, à faire battre le rappel dans la ville. Quelques heures plus tard, près de 80,000 hommes de garde nationale étaient sous les armes, et la place des Terreaux se couvrait de citoyens armés. Cluseret comptait sur la garde nationale. Cette dernière se prononça en faveur du délégué de Paris, et ceux qui plusieurs heures auparavant s’étaient emparés de l’hôtel de ville se sauvèrent comme ils purent. L’ordre rétabli, le préfet se contenta de faire expulser Cluseret et quelques-uns des chefs de la manifestation. Celui qui n’avait pas voulu maintenir en état d’arrestation les anciens complices de l’Empire ne pouvait se montrer rigoureux à l’endroit de citoyens dont le plus grand nombre n’avait qu’un tort, celui de trop aimer la République. Le mouvement du 31 octobre tenté à Paris contre le gouvernement de la Défense nationale, qu’on accusait, non sans raison, de mollesse et d’incapacité, eut son contre-coup à Lyon. Toutefois, la lutte ouverte contre le préfet ne commença qu’aux environs du 15 décembre. À la nouvelle de la bataille de Nuits, où la légion du Rhône avait fait des pertes énormes, la population s’émut et les bruits les plus étranges coururent à propos de cette défaite. On répéta ce mot de trahison qui tant de fois avait retenti depuis le début de la campagne. Le 20 décembre, on battit la générale dans le quartier de la Croix-Rousse ; une réunion nombreuse se tint ensuite à la salle Valentino. Là il fut décidé qu’on irait demander au préfet des renseignements sur ce qui s’était passé. C’est à cet instant que se place la mort du commandant Arnaud. De nombreuses versions ont circulé à propos de ce regrettable événement. Ce qui parait certain, c’est que M. Arnaud, sollicité de prendre part, en sa qualité de commandant, aux délibérations qui avaient lieu dans la salle Valentino, refusa d’entrer dans cette salle, et se vit subitement entouré par les partisans de la nomination de Cluseret comme général en chef. Soit qu’il voulût intimider la foule, soit qu’il se crût assez sérieusement menacé pour songer à vendre chèrement sa vie, M. Arnaud tira un coup de revolver en l’air. On se jeta sur lui et, quelques minutes après, il était fusillé. Cet attentat produisit une grande émotion dans la ville. M. Challemel télégraphia aussitôt au ministre de la justice pour demander une répression exemplaire et, de concert avec M. Le Royer, fit arrêter les coupables qu’on put saisir. M. Gambetta, qui venait de dissoudre la ligue du Midi et d’ordonner l’arrestation de l’incorrigible agitateur Cluseret, arrivait, dès le 21 décembre, à Lyon pour juger de près la situation, et, le lendemain, il assistait au milieu d’une foule immense aux funérailles du commandant Arnaud.

À partir de cette date et bien que le préfet et le conseil municipal ne fussent pas dans un parfait accord, la lutte ouverte cessa et l’on atteignit l’armistice du 29 janvier 1871 sans événement notable. La nouvelle de la capitulation de Paris fut accueillie bien diversement à Lyon. Toutefois, la grande majorité désirait la paix, dont les préliminaires furent votés par l’Assemblée le 1er mars 1871. Deux jours plus tard, en vertu d’une délibération municipale, le drapeau tricolore remplaçait à l’hôtel de ville le drapeau rouge qui y flottait depuis le 24 septembre 1870..

Les tendances monarchiques de l’Assemblée s’étant nettement révélées dès ses premières séances, une insurrection formidable éclata à Paris le 18 mars. Cette insurrection eut encore son contre-coup à Lyon. Le 23 mars, une sédition éclata et des bataillons de la Guillotière s’emparèrent de l’hôtel de ville, où la Commune fut proclamée et où s’installa un comité démocratique. Mais, dès le 25, la garde nationale se soulevait contre le comité, dont les membres étaient contraints de fuir, et délivrait le préfet Valentin, qui avait été fait prisonnier. Peu de jours après, le conseil municipal envoyait à l’Assemblée nationale une adresse pour lui demander de reconnaître à Paris le droit de s’administrer et de déclarer qu’aussitôt son mandat rempli par la conclusion définitive de la paix, elle convoquerait une Constituante.

Le 30 avril suivant, jour des élections municipales, une nouvelle insurrection éclata à la Guillotière ; mais elle fut bientôt réprimée grâce à l’énergie déployée par le préfet Valentin, qui paya de sa personne et reçut un coup de feu, et à l’attitude non moins courageuse du procureur de la république, Andrieux.

Le conseil municipal qui venait d’être élu était entièrement composé de membres républicains. Il rétablit l’octroi, vota 20,000 francs pour la fête des Écoles, qui eut lieu le 15 août, et supprima l’enseignement religieux dans les écoles communales. Cette dernière mesure, annulée comme constituant une violation de la loi, attira à la municipalité lyonnaise la haine des cléricaux, qui ne devaient pas tarder à la renverser. Grâce à leur pression, le préfet républicain, M. Valentin, fut remplacé le 24 janvier par un préfet monarchiste, M. Pascal, et à partir de ce moment l’administration préfectorale et l’administration municipale furent presque constamment en lutte. Cette lutte s’accentua encore après la nomination, comme maire, de M. Barodet, qui succéda, le 23 avril 1872, à M. Hénon, décédé. Elle avait principalement pour objet la question de l’enseignement. Le conseil municipal s’était prononcé pour l’enseignement laïque et avait péremptoirement refusé de subventionner les écoles congréganistes. Le préfet, M. Pascal, cassa les délibérations du conseil, qui en appela au conseil d’État et persévéra dans ses délibérations, dont il ne fut tenu aucun compte.

Cette même année, Lyon eut une Exposition universelle internationale. Ouverte le 2 juin 1872 et inaugurée officiellement le 30 juin, elle fut fermée le 31 octobre. Cette exposition, due à l’initiative privée de MM. Cochard, Jame, Chatron et Besson, occupait un vaste emplacement sur la rive gauche du Rhône, tout près du bois de la Tête-d’Or. La série des bâtiments se succédant l’un à l’autre mesurait 1,200 mètres de longueur ; la superficie totale était de 55,000 mètres carrés, 5,000 de moins que l’Exposition universelle de Paris au Champ de Mars. Elle comprenait treize galeries différentes, dont la première et la plus considérable était celle des machines. Sous le promenoir couvert qui longeait les galeries se trouvaient des restaurants, des cafés, des brasseries, des salles de concert. Malgré les efforts les plus louables de l’administration et des exposants, cette exposition a peu réussi.

Au mois de janvier 1873, M. de Ségur présenta à l’Assemblée un rapport sur les marchés faits à Lyon pendant la guerre, et la discussion auquel il donna lieu eut un tel retentissement que nous ne saurions la passer sous silence. Durant le guerre de 1870-1871, depuis le 4 septembre 1870 jusqu’au 27 janvier 1871, l’administration du Rhône dut pourvoir à l’équipement et à la mise en état des mobilisés de ce département. Elle conclut à cet effet des marchés avec les grandes maisons d’équipement et d’armement. Le désarroi dans lequel l’Empire avait laissé la France entière ne permettait point de recourir aux maisons ordinairement chargées de ces fournitures. Des commandes furent faites dans les meilleures conditions et surtout à des personnes qui s’engageaient à livrer tout de suite. La commission des marchés, nommée par l’Assemblée de Versailles pour la vérification des opérations faites, bien qu’elle fût animée d’un esprit hostile aux membres du gouvernement de la Défense et à ses délégués, ne put articuler un grief sérieux contre les administrateurs du Rhône ; elle dut reconnaître leur parfaite honorabilité et se contenter de blâmer certaine précipitation fort naturelle en ces circonstances. Toutefois, l’occasion s’offrait d’attaquer à la fois Lyon et les républicains, et on s’empressa de leur faire un procès en règle dans les séances des 30 et 31 janvier 1873. MM. Ferrouillat et Challemel-Lacour se chargèrent de répondre, de rétablir les faits dénaturés par l’esprit de parti, et leur réponse fut tellement lumineuse et écrasante, que l’attaque des hommes de la droite se changea en une véritable déroute. Ajoutons que le comte de Ségur, qui a publié son rapport sous ce titre ; les Marchés de la guerre à Lyon et à l’armée de Garibaldi (Paris, 1873, in-8o), y a joint le discours prononcé par M. d’Audiffret-Pasquier ; mais il s’est bien gardé de publier celui de M. Challemel-Lacour.

Deux mois plus tard, l’Assemblée était saisie d’un projet de loi, élaboré par une de ses commissions, et ayant pour objet de supprimer la municipalité de Lyon et d’établir dans cette ville le régime d’exception imposé à Paris. Cette loi, qui confère au préfet du Rhône les attributions et les fonctions remplies à Paris par le préfet de la Seine et par le préfet de police, qui supprime la mairie centrale et établit six maires d’arrondissement chargés de la tenue des registres de l’état civil, cette loi fut votée le 4 avril 1873. Aussitôt tous les conseillers municipaux, à l’exception de M. Ducarre, donnèrent leur démission. Sur ces entrefaites, une élection partielle ayant eu lieu à Paris (27 avril), M. Barodet, le dernier maire de Lyon, était porté candidat et nommé député à une énorme majorité ; puis, le 11 mai, le département du Rhône répondait à cette manifestation en envoyant à l’Assemblée deux républicains, le docteur Guyot et un membre du conseil municipal de Paris, M. Ranc.

Le 6 juin, des élections municipales avaient lieu à Lyon, et bien que le scrutin de liste eût été remplacé par le vote par section, les 36 sections lyonnaises élisaient 36 conseillers municipaux républicains.

En ce moment, une coalition des partis monarchiques avait renversé du pouvoir M. Thiers (24 mai), et le nouveau ministre de l’intérieur, M. Beulé, avait remplacé à Lyon, comme préfet, M. Cantonnet par M. Ducros. Chargé par le gouvernement de combat d’engager la lutte contre Lyon et d’y abattre l’esprit républicain, ce fonctionnaire, qui du premier coup a surpassé les plus étonnants préfets à poigne de l’Empire, s’est avisé d’établir « l’ordre moral » par des mesures vexatoires d’une intolérance odieuse, par un système d’avanies préméditées qui frappent les élus mêmes de la cité. Dans cette ville inflammable, où l’esprit de conciliation, de tolérance, d’apaisement, de justice s’impose comme une nécessité de premier ordre, M. Joseph Ducros semble avoir pris pour tâche unique de jeter le trouble et l’irritation. Ses arrêtés sur les porteurs de journaux, sur l’heure des enterrements civils, sur le nombre des personnes qui peuvent y assister, sur l’interdiction de la vente du vin par les épiciers, sur la défense faite aux conseillers municipaux de pénétrer dans l’hôtel de ville et d’assister aux séances du conseil s’ils ne sont munis d’une carte du préfet, etc., sont des monuments administratifs à la fois odieux et burlesques et bien faits pour inspirer des doutes sur la parfaite santé d’esprit de leur auteur.

Plusieurs traités ont été conclus à Lyon. Tels sont : le traité fait entre Philippe le Bel et Ferdinand de Castille (1306), et dans lequel les deux princes prirent l’engagement de ne pas recevoir dans leurs royaumes les bannis navarrais ; le traité du 10 juillet 1349, conclu entre Jean de France et Jean de Chalon, relativement à la possession du Dauphiné ; le traité de paix conclu le 5 avril 1502 par Louis XII et Ferdinand et Isabelle d’Espagne, relativement au royaume de Naples ; le traité d’alliance conclu le 26 septembre 1523 par François Ier et Henri de Navarre ; le traité du 22 septembre 1593, par lequel Henri IV, Philippe II et la confédération suisse s’engagèrent à maintenir la neutralité entre le duché et le comté de Bourgogne ; le traité du 17 janvier 1601, par lequel Henri IV et le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, échangèrent le marquisat de Saluces contre le Bugey, la Bresse et les pays de Gex et de Valromey.

Environs de Lyon. La beauté des environs de Lyon est connue et célèbre depuis longtemps, et Jean-Jacques Rousseau n’a pas été le Seul à la proclamer. Les rives de la Saône, depuis Neuville jusqu’à Lyon, ont un aspect véritablement enchanteur ; elles offrent une succession de collines couvertes de verdure et semées de blanches villas. Au sortir de Lyon, la Saône n’est pas moins gracieuse, surtout le long du quai des Étroits, qui est une promenade des plus agréables et très-fréquentée. Cette belle route n’était naguère qu’un chemin, à l’entrée duquel fut fusillé en 1816 le général Mouton-Duvernet. Presque tous les environs de la ville sont ravissants, par la beauté du site, par la fraîcheur et l’abondance de la verdure, par les pittoresques accidents du terrain. Mais c’est surtout en s’élevant sur les collines environnantes qu’on peut juger de la situation vraiment exceptionnelle de Lyon. Il faut gravir la hauteur de Fourvières, qui s’élève à pic au-dessus de la ville, par ces chemins étroits, roides, escarpés, que sillonnent en tout temps de nombreux groupes de pèlerins. Il faut visiter tous les lieux charmants de cette hauteur, tels que Champvert, les Massues, Sainte-Foye, lieux presque déserts il y a un demi-siècle, aujourd’hui couverts de maisons de campagne et qui vont bientôt être englobés dans l’enceinte de la ville, tant l’accroissement de la population a été rapide. Mais pour bien juger de Lyon et de toute la vallée du Lyonnais, il faut les voir du haut du mont d’Or, montagne éloignée d’environ 8 kilomètres, qui compte trois sommets peu distants l’un de l’autre, le Montoux, le mont Verdun et le mont Ceindre. Sur ce dernier est un ermitage qui sert encore plus de lieu d’excursion que de lieu de pèlerinage. Il est impossible d’exprimer la magnificence du spectacle qui s’offre en cet endroit aux regards éblouis ; sur le premier plan, derrière les bois de Rochecardon, la colline de Fourvières se dessine comme une immense arête, terminée brusquement par l’église au toit pointu et disgracieux ; la ville, avec ses maisons, ses clochers, ses usines, est groupée tout autour ; le Forez, le Bugey succèdent au Lyonnais, puis la plaine du Dauphiné s’étend immense et va mourir au pied des contre-forts des Alpes, dont les sommets neigeux, le mont Blanc en tête, apparaissent distinctement par le vent du midi. Vu au soleil couchant, alors que les rayons de feu vont embraser les vitres des nombreuses maisons semées dans cette plaine et revêtir les montagnes lointaines des teintes les plus douces, ce spectacle est d’une beauté incomparable : la Suisse en a de plus nombreux et de plus variés, mais elle ne peut en offrir de plus grandioses et surtout de plus riches. C’est au pied du mont Ceindre que se trouvent les bois de Rochecardon, où Rousseau aimait à s’égarer. Enfin, il ne faut pas oublier Charbonnières, petit village de 621 habitants, situé à l’ouest de Lyon, et où l’on voit un beau château, dont le parc renferme une source d’eau minérale sulfuro-ferrugineuse, renommée pour la guérison des maladies de peau ; de nombreux visiteurs y affluent chaque année, les uns pour prendre les eaux, les autres pour se promener dans le beau bois de l’Étoile, qui en est voisin.

— Bibliogr. Le Père Ménestrier, Des divers caractères des ouvrages historiques, avec le plan d’une nouvelle histoire de Lyon, le jugement de tous les auteurs qui en ont écrit, et dissertations sur sa fondation et sur son nom (1694, in-12) ; Clerjon, Histoire de Lyon depuis sa fondation jusqu’à nos jours (1829-1840, in-8o) ; Brossette, Histoire abrégée ou Éloge de la ville de Lyon (1711, in-4o) ; Grandperret, De l’état politique de la ville de Lyon depuis le Xesiècle jusqu’en 1789 (1843, in-8o) ; Guillon, Histoire du siège de Lyon (1797, in-8o) ; Lyon ancien et moderne, sous la direction de Léon Boitel (1843, in-8o) ; Balbis, Flore lyonnaise (1827, in-8o) ; Artaud, Cabinet des antiques du musée de Lyon (1816, in-8o) ; et Inscriptions du musée de Lyon (1816, in-8o) ; Delandine, Bibliothèque historique et raisonnée des écrivains de Lyon et des ouvrages manuscrits ou imprimés qui ont quelque rapport à l’histoire ecclésiastique et civile de cette ville (1789, in-8o) ; Breghot du Lut, Biographie lyonnaise, catalogue des Lyonnais dignes de mémoire (1839, in-8o) ; Gonon, Bibliographie historique de la ville de Lyon (1845, in-8o).

Lyon (conciles de). Un grand nombre de conciles ont été tenus à Lyon. Dans le premier concile tenu dans cette ville en 177, les chrétiens condamnèrent Montan, ainsi que la prophétesse Maximille. La même année, dans un second concile, on rédigea l’histoire du supplice des martyrs de Lyon, qu’on envoya aux églises d’Asie.

En 197, saint Irénée, évêque de Lyon, présida dans cette ville une nouvelle assemblée conciliaire. Après avoir accepté le décret du pape saint Victor sur la célébration de la pique, il écrivit, avec l’assentiment du concile, au pape pour l’exhorter à suivre l’exemple de ses prédécesseurs en ne rompant point la communion avec les asiatiques quartodécimans.

Au concile de 199, saint Irénée fit condamner la doctrine des valentiniens.

Un seul canon nous reste du concile de 401. Il concerne la chasteté des prêtres.

À celui de 475, saint Patient fit condamner la doctrine du prédestinianisine.

En 500 ou 501, au moment où l’arianisme trouvait de nombreux adhérents chez les Bourguignons et avait été adopté par leur roi Gondebaud, un concile fut tenu à Lyon, dans lequel saint Avit de Vienne obtint la condamnation des ariens.

En 517, l’archevêque de Lyon, Viventiolus, convoqua dans cette ville des évêques qui firent six canons. On y condamna le préfet du fisc du roi Sigismond, Étienne, pour avoir épousé sa belle-sœur, et on vota diverses mesures disciplinaires.

Le concile de 566 fut tenu, sous la présidence de Nicet, par ordre du roi Gontran, pour juger des accusations intentées contre deux évêques, l’évêque d’Embrun et l’évêque de Gap, qui furent déposés. On y fit six canons, principalement relatifs à la juridiction des évêques, et dont le troisième excommunie ceux qui entreprennent de réduire en servitude les personnes libres.

En 583, sous le règne du roi Gontran, Prisque, évêque de Lyon, présida un concile qui promulgua six canons. On y défendit aux prêtres de garder chez eux des femmes ; on excommunia les religieuses qui quittent leur monastère ; on condamna les mariages incestueux et on ordonna que les lépreux seraient nourris aux frais de l’Église dans des lieux désignés.

Les actes du concile de 829 ne sont point parvenus jusqu’à nous.

En 1245 s’ouvrit à Lyon, dans le couvent de Saint-Juste, un concile œcuménique, présidé par le pape Innocent IV, entouré de cardinaux, qui, pour la première fois, portaient le chapeau rouge, et d’un grand nombre d’évêques. Ou s’y occupa de l’invasion des Tartares, du schisme de l’Église grecque, des hérésies, de la chute de Jérusalem et des embarras suscités à la papauté par l’empereur Frédéric II. Des mesures importantes y furent prises. On condamna et excommunia Frédéric II ; on abandonna, comme subside, à l’empire latin la moitié des revenus des dignités personnelles, des prébendes et bénéfices ecclésiastiques, en exceptant toutefois de cette charge les hauts dignitaires de l’Église ; on décida qu’on mettrait, par l’érection de places fortes, les pays chrétiens à l’abri des incursions des Tartares ; on ordonna que, sous peine d’excommunication, une paix générale existerait pendant quatre ans dans toute la chrétienté ; enfin on y prit toute une série de décisions relatives à l’administration de la justice, à la conservation des biens ecclésiastiques, etc.

Un second concile œcuménique fut tenu à Lyon, sous Grégoire X, en 1274. Les canons qui y furent votés ont trait à la réforme des mœurs, à l’élection des papes, à la réunion de l’Église grecque à l’Église latine, aux moyens de secourir les chrétiens de la terre sainte, aux élections des évêques et aux ordinations des prêtres.

Enfin le concile de 1449 fit dix-huit canons, pour la plupart relatifs à l’ordination, au costume des clercs, à l’abus des indulgences, aux mariages clandestins, etc. Un des canons punissait avec la plus grande sévérité les blasphémateurs et en appelait à l’intervention du bras séculier.

En 1563, un synode protestant, présidé par Viret, a été tenu à Lyon. V. synode.

Lyon (siège de). Après la journée du 31 mai (1793), qui était une nouvelle et sanglante inauguration de la Terreur, soixante départements, excités par les girondins qui avaient échappé à la proscription, se soulevèrent contre la Convention. Ce mouvement formidable se fit surtout sentir dans le Midi, où Lyon, Bordeaux et Marseille prirent les armes en même temps. La première de ces villes devint le chef-lieu de l’insurrection royaliste. Lyon, qui avait vu tarir la source de sa prospérité dans l’anéantissement de son riche commerce de soie et de broderies en or et en argent, avait fait un froid accueil aux idées révolutionnaires. Devant l’émigration des nobles et la proscription des riches qui alimentaient son commerce de luxe, cette ville dut se déclarer de bonne heure contre un bouleversement social qui ruinait ses manufactures et abaissait la noblesse et le clergé. Là comme ailleurs, après le 10 août, on voulut établir le gouvernement de la multitude ; Châlier, imitateur de Marat, se mit à la tête des jacobins, des sans-culottes et de la municipalité de Lyon. Sa hardiesse s’accrut encore après les massacres de septembre et, le 21 janvier, deux partis se dessinèrent nettement dans Lyon : la municipalité, qui recevait son mot d’ordre de Châlier, et les sections, qui obéissaient à la réaction royaliste. Une lutte sanglante ne tarda pas à éclater ; Châlier fut pris et envoyé à l’échafaud ; puis les Lyonnais, croyant la Convention sur le point d’être abattue par la révolte qui menaçait d’embraser la France tout entière, levèrent ouvertement l’étendard de l’insurrection. Ils mirent leur ville en état de défense, formèrent une armée de 20,000 hommes, reçurent les émigrés au milieu d’eux, donnèrent le commandement au royaliste Procy et au marquis de Virieu, et concertèrent leurs opérations avec l’armée sarde, que l’armée des Alpes, commandée par Kellermann, ne pouvait plus arrêter.

La Convention, agissant avec sa résolution accoutumée, décida que Lyon serait assiégé par Kellermann, tandis que le général Carteaux, le futur vainqueur de Toulon qui venait de se livrer aux Anglais, marcherait sur l’armée marseillaise qui remontait le Rhône dans l’intention de secourir les Lyonnais. Carteaux la battit en deux rencontres, la dispersa, et Lyon dut se défendre avec ses propres ressources. Kellermann n’avait que le commandement nominal de l’année assiégeante ; la véritable autorité était exercée par Dubois-Crancé, commissaire de la Convention et ingénieur habile, ayant aussi sous ses ordres 5,000 hommes de troupes réglées et 7,000 à 8,000 réquisitionnaires. Menacé d’avoir bientôt les Sardes sur ses derrières, il s’établit au nord, entre la Saône et le Rhône, en présence des redoutes de la Croix-Rousse ; de ce point, il restait en communication avec la frontière des Alpes, d’où l’armée républicaine pouvait se porter à son secours, et il occupait le cours supérieur des deux fleuves, ce qui lui permettait d’intercepter les vivres qui arrivaient à Lyon par cette double voie. Grâce au système de réquisition qu’il employa avec autant d’habileté que d’activité, il eut bientôt à sa disposition une armée de 60,000 hommes, tirés pour la plupart des villes et des campagnes voisines, 14,000 bombes, 34,000 boulets, 300 milliers de poudre, 800,000 cartouches et 130 bouches à feu. De leur côté, les Lyonnais comptaient environ 15,000 hommes de troupes réglées, et, parmi la population, toutes les têtes étaient exaltées. Les jeunes gens s’enrôlaient, les femmes se montraient près des redoutes ; une caisse militaire se forma et l’insuffisance du numéraire fut couverte par des billets des principaux négociants. Les maisons furent crénelées, on établit des batteries, on fondit de l’artillerie, on fabriqua de la poudre ; tous se préparèrent à une défense terrible. Bientôt, néanmoins, Dubois-Crancé parvint à établir un blocus presque complet ; mais les opérations furent lentes, car il ne disposait pas de troupes assez nombreuses pour ordonner des attaques de vive force. Les fortifications de la Croix-Rousse, entre la Saône et le Rhône, devant lesquelles se trouvait le corps d’armée du centre, commandé par Kellermann, ne pouvaient être emportées par un assaut. Sur la rive gauche du Rhône et du côté de l’est, le pont Morand était protégé par une redoute en fer à cheval, très-habilement construite ; à l’ouest, enfin, les hauteurs de Fourvières et de Sainte-Foy., dont l’occupation était décisive, ne pouvaient être enlevées que par une armée vigoureuse ; aussi Dubois-Crancé se borna-t-il d’abord à intercepter les vivres, à serrer la ville et à l’incendier, opérations qui absorbèrent tout le mois d’août et la première moitié de septembre (1793). En quelques jours, un bombardement terrible eut livré aux flammes la magnifique place de Bellecour, l’arsenal, le quartier Saint-Clair, le port du Temple ; il endommagea même le bel édifice de l’hôpital, qui s’élève majestueusement sur la rive du Rhône. Les Lyonnais, néanmoins, continuaient à résister avec la plus grande opiniâtreté, trompés par l’émigration qui ne cessait de leur répéter que 50,000 Piémontais descendaient des Alpes à leur secours. Mais, pendant ce temps-là, le général Kellermann s’était porté à la rencontre des ennemis, à l’issue des deux vallées de la Tarentaise et de la Maurienne, et les attaquant audacieusement dans la position d’Espierre, qu’ils avaient prise sur la chaîne du Grand-Loup, il jeta l’épouvante et le désordre parmi eux et les força à se retirer au delà des Alpes. Cette puissante diversion, qui devait sauver Lyon des colères de la Convention, lui fit donc tout à coup défaut, et la ville rebelle ne dut plus compter que sur ses propres ressources, et cela au moment où, de tous les départements voisins, accouraient des gardes nationales pour renforcer l’armée assiégeante. Le 24 septembre, à minuit, Dubois-Crancé fit enlever la redoute du pont d’Oullins, qui conduisait au pied des hauteurs de Sainte-Foy, et quelques jours après cette position fut enlevée. Mais, pour pénétrer dans la place, il restait à emporter les hauteurs de Fourvières, qui étaient encore plus fortement retranchées. Dubois-Crancé, militaire savant et systématique, sachant que les Lyonnais n’avaient plus de vivres que pour quelques jours, voulait qu’on attendît l’effet de la famine plutôt que de s’exposer aux hasards d’un nouvel assaut. Couthon arrivait en ce moment avec une nouvelle levée de 25,000 paysans de l’Auvergne. « Je n’entends rien, s’écria-t-il dans son exaltation révolutionnaire, aux raffinements de votre tactique ; j’arrive avec le peuple : sa sainte colère emportera tout. Il faut inonder Lyon de nos masses et l’emporter de vive force. D’ailleurs, j’ai promis congé à mes paysans pour lundi, et il faut qu’ils aillent faire leurs vendanges. » Couthon ne voulut écouter aucun des conseils de la prudence, et il fit décider, pour le 8 octobre, une attaque générale avec les 60,000 hommes dont on disposait en ce moment ; puis il écrivit au comité de Salut public pour demander la révocation de Dubois-Crancé, révocation qui arriva immédiatement, de sorte que Couthon se trouva véritablement seul chargé de la conduite du siège, malgré la présence de deux autres commissaires de la Convention, Laporte et Maignet. Le 7 octobre, Couthon adressa aux Lyonnais une dernière sommation, et, sur la fin de la journée, une députation de la ville se présenta enfin au camp républicain pour négocier. Pendant ces pourparlers, Précy et 2,000 des habitants les plus compromis s’échappèrent en colonne serrée par le faubourg de Vaise pour se retirer vers la Suisse. Mais cette troupe, forcée de se disperser, fut presque entièrement massacrée ; une centaine d’hommes à peine, parmi lesquels se trouvait Précy, réussirent à franchir la frontière.

Le 9 octobre (1793), l’armée républicaine, ayant les représentants en tête, entra dans Lyon consternée, Couthon commença par réintégrer l’ancienne municipalité montagnarde et lui donna mission de chercher et de désigner les rebelles, qu’une commission populaire fut chargée de juger militairement. Puis il écrivit à Paris qu’il y avait à Lyon trois classes d’habitants : 1° les riches coupables, dont il fallait faire tomber les têtes et détruire les maisons ; 2° les riches égoïstes, qu’il fallait faire contribuer de toute leur fortune ; 3° les ouvriers ignorants, qu’il fallait dépayser et remplacer par une colonie républicaine. À la réception de cette lettre, le comité de Salut public prépara des décrets terribles, afin de rendre plus formidable et plus respectée l’autorité de la Convention, et Barrère présenta le décret suivant, qui fut immédiatement rendu :

Art. Ier. Il sera nommé par la Convention nationale, sur la présentation du comité de Salut public, une commission de cinq représentants du peuple, qui se transporteront à Lyon sans délai, pour faire saisir et juger militairement tous les contre-révolutionnaires qui ont pris les armes dans cette ville.

Art. 2. Tous les Lyonnais seront désarmés ; les armes seront données à ceux qui seront reconnus n’avoir point trempé dans la révolte et aux défenseurs de la patrie.

Art. 3. La ville de Lyon sera détruite.

Art. 4. Il n’y sera conservé que la maison du pauvre, les manufactures, les ateliers des arts, les hôpitaux, les monuments publics et ceux de l’instruction.

Art. 5. Cette ville cessera de s’appeler Lyon. Elle s’appellera Commune-Affranchie.

Art. 6. Sur les débris de Lyon sera élevé un monument où seront lus ces mots : Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus.

Mais ce terrible décret, destiné à empêcher d’autres villes de suivre l’exemple de Lyon, ne fut point exécuté en ce qui touche la démolition de la ville. La Convention se contenta de faire un simulacre qui consista à frapper d’un petit marteau d’acier les murs de l’un des palais de Bellecour.

La prise de Lyon porta un coup terrible à l’insurrection ; celle de Toulon allait achever de l’étouffer, et tout se tut, dès lors, devant l’inexorable Convention.

En 1815, Louis XVIII institua une médaille pour récompenser le petit nombre de royalistes survivant au siège de Lyon de 1793. Elle se portait suspendue à un ruban complètement identique à celui de la médaille des volontaires, moiré blanc, bordé de deux lisérés rouges. La croix était d’argent, à quatre branches émaillées blanc, cantonnées de fleurs de lis, et portait au centre la date de 1793, et en exergue, dans un cercle d’émail bleu, l’inscription : Siège de Lyon.

Lyon (insurrection de) [novembre 1831]. Ce triste épisode de nos guerres civiles n’eut pas comme à Paris, à la même époque, la politique pour cause. Le mal avait des racines plus profondes. Ce fut un de ces drames industriels, comme il en éclate de temps à autre dans nos sociétés modernes, au grand effroi des classes privilégiées, et dont la gravité est de nature à attirer la sérieuse attention du philosophe, de l’économiste et de l’homme d’État.

On sait que l’industrie principale de Lyon est la soierie. Elle occupait à cette époque de trente à quarante mille ouvriers, désignés sous le sobriquet dédaigneux de canuts, plus environ huit à dix mille chefs d’atelier, possesseurs de métiers et employant des compagnons, qui devaient leur abandonner moitié de leur gain en échange de l’usage de l’instrument de travail. Au-dessus se trouvaient les fabricants, au nombre d’environ huit cents, intermédiaires et distributeurs des commandes ; et enfin, au sommet de la fabrique lyonnaise, les commissionnaires chargés de fournir la matière première, hauts parasites et véritables sangsues de l’industrie de la soie. L’ouvrier proprement dit supportait seul toutes ces charges et non-valeurs superposées. À ces causes de misère s’ajoutaient l’augmentation du nombre des fabricants depuis sept à huit ans, la concurrence désastreuse qu’ils se faisaient entre eux, et les nombreuses fabriques de soieries établies successivement en Suisse, en Italie, à Cologne, en Angleterre, etc. ; en sorte que le salaire de l’ouvrier capable et laborieux, qui, au temps de la prospérité de la fabrique lyonnaise, était de 4 à 5 francs, s’avilit jusqu’à descendre peu à peu à 25 sous, et même moins pour les travaux inférieurs, et cela pour un travail de dix-sept à dix-huit heures.

On devine quelles souffrances étaient au fond de cet état de choses.

La situation des chefs d’atelier était aussi fort pénible, l’abaissement du prix des façons diminuant d’autant leur quote-part, pendant que leurs frais, loyer, achat et entretien des métiers, etc., restaient les mêmes. Aussi faisaient-ils cause commune avec les compagnons.

« Au commencement d’octobre 1831, le conseil des prud’hommes, sur les plaintes réitérées des ouvriers, avait émis le vœu qu’un tarif au minimum fût fixé pour le prix des façons. Le préfet, M. Bouvier-Dumolard, se rangea à cette opinion, et, pour prévenir une crise imminente et terrible, il fit décider par les chambres de commerce, les maires de Lyon et ceux des trois villes-faubourgs, que les bases d’un tarif seraient discutées contradictoirement entre vingt-deux délégués des ouvriers et vingt-deux fabricants désignés par la chambre de commerce. Après diverses négociations dans lesquelles les ouvriers montrèrent la plus grande modération et les prétentions les plus modestes, le tarif fut arrêté, signé de part et d’autre, le 25 octobre, et le conseil des prud’hommes fut chargé d’en surveiller l’exécution.

Le même soir, les ouvriers illuminèrent leurs maisons et se livrèrent à toutes les démonstrations les plus pacifiques de la joie. La conciliation semblait donc faite dans ce grand centre industriel.

Mais l’agitation passa bientôt dans le camp des fabricants. La plupart de ceux-ci désavouèrent les délégués fabricants, protestèrent contre le tarif, malgré les décisions du conseil des prud’hommes, formèrent un comité, et en arrivèrent à publier des diatribes imprudentes où il était dit que les exigences des ouvriers provenaient de ce qu’ils s’étaient créé des besoins factices.

Accuser de dépenses de luxe des hommes qui (sans compter les chômages) gagnaient de 1 franc à 1 fr. 50 c. par jour, c’était vraiment par trop fort ! L’irritation gagna toute la population ouvrière ; la préfet, intimidé, déclara que le tarif était tout facultatif. En même temps, le commandant militaire, comte Roguet, très-disposé à ne voir dans les ouvriers qu’un troupeau de factieux, de plus ennemi de M. Bouvier-Dumolard et fort méprisant pour l’autorité civile, prit parti pour les ennemis de toute conciliation ; il fit afficher la loi contre les rassemblements, consigna la troupe, et prit avec fracas toutes sortes de mesures militaires, admirablement propres à déterminer une explosion.

Une partie de la garde nationale se prononça pour les ouvriers ; on le vit à une revue qui eut lieu le 20 novembre. En effet, ces pauvres gens excitaient la pitié par leurs souffrances, la sympathie par leur modération ; population timide, maladive à force de privations et de labeurs excessifs, et qui se montrait heureuse et reconnaissante des moindres concessions.

Le 21 novembre, les ouvriers cessèrent tout travail, dans le but d’obtenir l’acceptation du tarif. Un certain nombre d’entre eux, descendant de la Croix-Rousse, faubourg peuplé de canuts et qui domine la ville, furent arrêtés dans leur marche par un détachement de gardes nationaux, qui firent feu sur eux et leur tuèrent huit hommes. Cette foule, pacifique encore jusque-là, remonta précipitamment à la Croix-Rousse, et, par ses appels, détermina l’insurrection.

La garde nationale du faubourg se joint aux ouvriers, avec ses deux canons ; des barricades, auxquelles travaillent les femmes et les enfants, se dressent de toutes parts ; et sur ces hauteurs, sur cet Aventin de la misère et du travail, on voit flotter le drapeau noir, que ces malheureux ont pris pour insigne, et sur lequel ils avaient inscrit la devise tragique qui était comme le dernier cri de désespoir du prolétariat affamé :

VIVRE EN TRAVAILLANT OU MOURIR EN COMBATTANT !

Le préfet, accompagné du général Ordonneau, pénètre dans le faubourg dans des intentions d’apaisement ; mais comme la force armée agissait sur d’autres points, on crut à une trahison, et tous deux furent retenus prisonniers. Vers la fin du jour, cependant, M. Bouvier-Dumolard fut rendu à la liberté et reconduit aux cris de Vive le père des ouvriers !

Ce jour-là, la troupe dut renoncer à s’emparer de la Croix-Rousse. Une proclamation menaçante du général Roguet ne fit qu’enflammer les esprits. Le lendemain 22, l’insurrection s’étendit, se généralisa ; les insurgés de la Croix-Rousse descendirent en masse ; toute la ville fut bientôt soulevée ; une partie de la garde nationale ou cessa toute résistance ou se joignit aux ouvriers. Le quartier des Brotteaux, foudroyé par une batterie établie sur le pont Saint-Clair, n’en prit pas moins part au mouvement, avec la Guillotière et les autres faubourgs. Le soir, le triomphe des ouvriers était complet. La troupe avait été refoulée sur l’hôtel de ville, où les autorités civiles et militaires assemblées décidèrent l’évacuation de la ville, ce qu’ils nommèrent dans leur rapport, sans doute par euphémisme, quitter la position de l’hôtel de ville pour en occuper une plus avantageuse en dehors des murs. Le général Roguet et les troupes se retirèrent par Saint-Clair sur Montessuy, non sans avoir à lutter encore sur la route pour s’ouvrir un passage. Le préfet était resté à l’hôtel de ville avec quelques membres de la municipalité ; mais, réduits à l’impuissance, ils durent se retirer à la préfecture, pendant que les insurgés triomphants s’installaient à la maison commune.

Les ouvriers étaient entièrement maîtres de Lyon. Nous avons dit que le désespoir seul et des questions industrielles leur avaient mis les armes à la main. La politique n’avait été mêlée à leur insurrection qu’accessoirement, parce qu’un certain nombre de républicains s’y étaient jetés (et même quelques légitimistes). Les principaux chefs d’ouvriers, réunis à l’hôtel de ville, Lachapelle, Frédéric, Charpentier, ne voyaient guère dans le mouvement qu’une question de tarif. Quelques hommes sans consistance s’étaient joints à eux, entre autres un nommé Pérénon, agent du parti carliste. Dans cette situation, M. Bouvier-Dumolard, homme estimable, mais esprit fort délié, comprit que le meilleur moyen d’arracher aux ouvriers les fruits de leur victoire était de se servir de leurs propres mains. Dans le fait, ces hommes simples étaient déjà comme embarrassés de leur triomphe. Le préfet envoya chercher un des principaux chefs des insurgés, Lacombe, homme intrépide, très-honnête, et qui avait une grande influence sur la population ouvrière. Il le combla de marques de confiance et d’estime, et le nomma gouverneur de l’hôtel de ville ; puis il réunit les chefs des sections ouvrières, et les décida à signer une proclamation pour engager le peuple à respecter l’autorité légitime. En même temps, l’ancienne municipalité rentrait à l’hôtel de ville, semait la division entre les vainqueurs, et parvenait à éliminer les hommes politiques qui s’étaient mêlés au mouvement, et dont la clairvoyance était un embarras. Une journée de manœuvres habiles suffit pour faire retomber le peuple vainqueur sous l’ascendant de cette haute bourgeoisie, contre l’oppression de laquelle il s’était soulevé.

Ce peuple, d’ailleurs, ne songeait à commettre aucun excès ; il avait distribué des postes pour garder la Monnaie, la recette générale, etc., et l’on voyait des hommes en guenilles et affamés monter la garde autour des riches demeures des fabricants cités parmi les plus impitoyables. Deux malheureux, surpris emportant des objets volés, furent fusillés sur place.

L’ancienne autorité avait repris tout son empire. Pendant quelques jours encore, cependant, on amusa les ouvriers par des promesses et de vains simulacres. Enfin, le 3 décembre, une proclamation de la mairie annonça l’arrivée du prince royal et du maréchal Soult. Ils entrèrent à Lyon à la tête d’une armée nombreuse, tambour battant et mèche allumée. Leurrés de promesses menteuses, dissous, désorganisés, les ouvriers na pouvaient opposer aucune résistance à ces forces considérables.

Le maréchal Soult prit des mesures sévères. Les ouvriers furent désarmés, la garde nationale dissoute, Lyon traité en ville conquise, contenue par une garnison de vingt mille hommes. Plus tard, et successivement, on entoura la Croix-Rousse d’une ceinture de forts hérissés de canons.

Naturellement le tarif, objet de l’insurrection, ne fut pas exécuté. Non-seulement le gouvernement lui refusa sa sanction, mais encore il destitua brutalement M. Bouvier-Dumolard et l’éloigna de cette cité qu’il avait conservée à l’autorité royale.

Les ouvriers lyonnais furent encore une fois réduits à se renfermer silencieusement dans leur misère et dans leurs angoisses.

La nouvelle de l’insurrection lyonnaise causa dans toute la France une impression pénible ; cependant, tel était l’aveuglement des maîtres du pays, qu’ils furent tout à fait rassurés en apprenant que le mouvement n’était point politique.

Il n’en était que plus grave et plus inquiétant.

« C’était, dit M. Louis Blanc, la démonstration sanglante des vices économiques du régime industriel inauguré en 1789 ; c’était la révélation de tout ce que renferme de lâche et d’hypocrite cette prétendue liberté de transaction qui laisse le pauvre à la merci du riche, et promet une victoire aisée à la cupidité qui sait attendre sur la faim qui n’attend pas.

« vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Jamais plus déchirante et plus terrible devise n’avait été écrite sur un étendard à la veille d’un combat ; elle montrait dans l’insurrection des infortunés ouvriers de la Croix-Rousse une véritable guerre servile ; et à la puissance que venaient de déployer ces esclaves des temps modernes, esclaves auxquels pourtant avait manqué un Spartacus, il était facile de deviner quelles tempêtes le XIXe siècle portait dans ses flancs. »

Lyon (complot de). On donne ce nom à un prétendu complot contre la sûreté intérieure de l’État, qui donna lieu à un procès devant un conseil de guerre de Lyon, en août 1851. Il s’agissait au fond d’une vaste association secrète, organisée dans quinze départements du sud-est pour défendre la République contre les intrigues, les manœuvres et les coups d’État en perspective des partis réactionnaires.

Après les terribles journées de juin 1848 et les lois de réaction qui suivirent, les républicains comprirent la nécessité d’une forte organisation du parti, d’une entente et d’une action commune. Un premier essai fut fait, à la fin de 1848, par la Société de la solidarité républicaine, dont Delescluze fut le principal promoteur ; cette société ayant été poursuivie et dissoute, d’autres ligues, d’autres centres d’action se formèrent secrètement. On vit, notamment dans les départements riverains du Rhône, s’établir de tous côtés, dans les bourgades comme dans les villes, des réunions prenant la dénomination de Cercle des travailleurs, Cercle démocratique, Cercle national, Cercle philanthropique, Cercle montagnard ; ces cercles correspondaient entre eux, envoyaient des émissaires faire de la propagande et porter les nouvelles politiques et les mots d’ordre.

Cette association, qui fit des progrès de plus en plus considérables à mesure que la réaction déclarait plus ouvertement la guerre au principe républicain, prit le nom de Nouvelle Montagne. Elle s’organisa surtout d’une façon sérieuse dans le courant de 1850, sous la direction de M. Alphonse Gent, ancien membre de l’Assemblée constituante.

Voici quelle était son organisation.

Les affiliés étaient divisés en décuries ou sections de dix hommes commandées par un sergent, un fourrier et un caporal. Ils versaient des cotisations mensuelles, qui étaient quelquefois de 25 à 40 centimes, mais le plus ordinairement de 50 centimes. Les chefs de section versaient le montant de ces cotisations dans les mains du chef de la localité. Outre ces cotisations périodiques, on faisait souvent des collectes destinées à différents usages. Dans chaque département, il y avait un président et un vice-président, formant, avec un ou plusieurs membres de l’association, un comité en relation avec les autres comités, notamment avec les comités directeurs de Lyon, de Paris et de Londres. Il y avait des sous-comités dans les chefs-lieux d’arrondissement.

Comme dans toutes les sociétés secrètes, l’initiation était entourée de certaines solennités mystérieuses. Il y avait des signes de reconnaissance et des mots de passe, qui furent d’abord : Nouvelle… Montagne ; plus tard, après le 31 mai 1850 : Suffrage… Universel, Lyon. Chaque affilié devait se procurer des armes et être toujours prêt à marcher au premier signal : les chefs promettaient de fournir de la poudre au moment de la prise d’armes.

Après la loi du 31 mai, qui violait la constitution en supprimant d’un coup trois millions d’électeurs, il fut question d’insurrection dans les conciliabules de la société secrète ; mais ce projet fut abandonné, et l’on résolut d’attendre encore. C’est à ce moment que Gent s’empara de la direction du mouvement. Il lui imprima une énergie très-grande. Les quinze départements furent reliés entre eux par une organisation assez forte pour qu’à un jour donné et à un signal convenu, on pût y faire éclater simultanément l’insurrection. Le centre était à Lyon. Ces départements étaient : le Jura, l’Ain, Saône-et-Loire, le Rhône, l’Isère, la Drôme, l’Ardèche, le Gard, Vaucluse, les Hautes-Alpes, les Basses-Alpes, les Bouches-du-Rhône, l’Hérault, l’Aude et le Var.

Plusieurs congrès eurent lieu à Mâcon, à Valence, à Lyon ; les représentants montagnards y assistèrent, il fut convenu qu’on se tiendrait sur la défensive, et qu’on ne donnerait le signal d’une levée de boucliers que dans le cas d’un coup d’État. Autrement, on devait attendre paisiblement les élections de 1852 ; mais on avait compté sans la police de M. Carlier. Dans le courant d’octobre 1850, des poursuites furent dirigées contre les principaux chefs de la Nouvelle Montagne, qui furent mis en état d’arrestation. Trente-sept prévenus présents et douze fugitifs furent jugés, en août 1851, par le 2e conseil de guerre de la 6e division militaire, siégeant à Lyon.

Les principaux accusés présents étaient : Alphonse Gent, Claude Borel, Lazare Belischer, Éléonor Chevassus, Henri-Louis Delescluze, Antoine Bouvier, Alexandre Dupont, Caïus Gracchus Montaigut, Albert Ode Léonard Carle, Samuel Grill, Ulysse Barbut, etc.

Les défenseurs des accusés étaient Michel (de Bourges), Bancel, Émile Ollivier, Villiaumé, Madier de Montjau aîné, etc. Après avoir assisté leurs clients durant les débats, ils déclarèrent, par une lettre collective, que, la dignité et la liberté de la défense n’existant pas, ils se retiraient du débat.

Reconnus coupables de complot, les accusés furent condamnés à la déportation ou à des peines variant de quinze à vingt années de détention. Ils accueillirent leur jugement par le cri unanime de Vive la République !