Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LOUSTALLOT et non LOUSTALOT (Élisée), publiciste

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 733-734).

LOUSTALLOT et non LOUSTALOT (Élisée), publiciste, né à Saint-Jean-d’Angely en décembre 1761, mort le 19 septembre 1790. Il était fils d’un avocat distingué ; il suivit la même carrière, fut reçu à Bordeaux, et vint se faire inscrire au barreau de Paris au commencement de 1789. Il paraît qu’il écrivit quelques brochures et fit des traductions de l’anglais. Dès le début de la Révolution, il se jeta dans le mouvement et fut un des orateurs des rassemblements du Palais-Royal, le rendez-vous de la jeunesse patriote.

Prudhomme l’avait apprécié, dit-on, en l’entendant plaider au palais. Il l’attacha à son journal, dont il fut le rédacteur principal jusqu’en septembre 1790, c’est-à-dire pendant près de quatorze mois. On sait quel fut le succès inouï de cette feuille, dont certains numéros eurent jusqu’à dix éditions et plus. C’est dans ce sens qu’on a pu dire qu’elle tirait à 200, 000, ce qui, pour le temps surtout, serait prodigieux. Mais sans doute qu’il n’en fut pas de même pour tous les numéros.

Quoi qu’il en soit, c’était le journal le plus répandu. Il était hebdomadaire, et chaque numéro formait une brochure in-8o de 48 pages très-compactes et très-serrées. V. Révolutions de Paris.

Loustallot y rédigea, jusqu’à sa mort, ce que nous appelons aujourd’hui les articles de fond, avec la passion qui était alors dans tous les esprits, mais avec autant de gravité que de modération et de sobre énergie. Ce n’est point par l’éclat littéraire qu’il se distingue, mais par la force du raisonnement, la gravité judicieuse, la sincérité, la dignité de sa polémique, le soin avec lequel il évitait les excès de langage au milieu de luttes si ardentes, enfin par son éloignement des théories abstraites, sa sollicitude très-politique pour les questions positives, pratiques et les besoins de chaque jour.

Lamartine, qui l’a deviné plutôt qu’étudié, a dit de lui : « Il avait ce caractère excessif et ombrageux du républicain probe et désintéressé qui conquiert l’estime du peuple en lui disant des vérités quelquefois sévères et en ne flattant que ses passions honnêtes. Les factions, les séditions, les crimes du peuple lui faisaient horreur ; mais plus philosophe que politique, il s’armait contre toute-espèce de force, comme si toute force eût été une tyrannie. Loustallot, par son enthousiasme, par son honnêteté, par ses illusions même de jeunesse, répondait complètement à la majorité de la France en ce moment : il popularisa des erreurs, jamais des crimes. Il eut un auditoire immense, et tel qu’il n’en exista pas un pareil pour un écrivain politique. »

La libertê de la presse eut en lui un défenseur énergique et constant ; il la voulait pour ses adversaires comme pour ses amis, et il défendit avec la même vigueur contre les persécutions l’Ami du peuple et l’Ami du roi, et jusqu’aux Actes des apôtres, qui cependant couvraient les patriotes d’insultes et de calomnies.

On connaît son éloquent appel aux publicistes patriotes pour les engager à la résistance contre les tentatives de corruption et contre les persécutions du despotisme. Si le gouvernement, dit-il en substance, voulait consommer l’attentat d’écraser la presse, d’éteindre la pensée, beaucoup d’écrivains baisseraient la tête ; mais quelques-uns sans doute opposeraient la plus vigoureuse résistance.

« S’il en reste un seul qui soit tout à la fois intrépide et inflexible, qui ne craigne ni les coups de l’autorité, ni le couteau des lois, ni les fureurs populaires, qui sache être au-dessus des honneurs et de la misère, qui dédaigne la célébrité, et qui se présente quand il le faut pour défendre légalement ses écrits, ah ! qu’il ne cesse d’abreuver l’esprit public de la vérité des bons principes, et nous lui devrons la Révolution et la liberté ! Écrivains patriotes, voyons qui de nous cueillera cette palme ! Qu’il serait glorieux d’être vaincu ! »

Il proposait, dans ce numéro (n° 49), une sorte de pacte fédératif entre les écrivains, un engagement de défendre la liberté jusqu’à la mort.

L’inflammable Camille Desmoulins et Marat répondirent avec enthousiasme à cet appel, qui trouva un écho dans toutes les feuilles patriotiques.

Il n’est pas nécessaire d’ajouter que, dans toutes les questions qui se présentèrent, Loustallot se prononça énergiquement dans le sens des principes de la Révolution. Bien que ses articles ne fussent point signés et que sa modestie dédaignât la célébrité à laquelle il avait droit ; bien que le journal qu’il avait placé au premier rang par son talent et son patriotisme n’eût guère mis en lumière que le nom de Prudhomme, c’est-à-dire du libraire qui le publiait, il avait acquis personnellement une grande autorité parmi les écrivains-patriotes.

Mais ce travail incessant, les émotions de chaque jour, son excessive sensibilité, la crainte de voir la cause populaire vaincue, la tristesse que lui causait chaque événement défavorable à la cause qu’il servait, la préoccupation virile des affaires publiques, avaient altéré sa santé délicate. La nouvelle du massacre de Nancy lui porta le coup mortel ; il crut la liberté perdue, la France destinée à s’abîmer dans la guerre civile. Il tomba gravement malade quelques jours après, au commencement de septembre 1790. Le bruit courut qu’il avait été empoisonné ; mais sa maladie fut classée comme fièvre putride. La souffrance morale avait sans aucun doute été pour lui une prédisposition funeste. Il mourut le 19, avant d’avoir atteint sa vingt-neuvième année. Il y eut une véritable explosion de douleur. Les jacobins, les cordeliers, nombre de sociétés populaires en province votèrent un deuil de trois jours. Sur le bord de sa fosse, Legendre, le boucher patriote, proféra quelques paroles énergiques, en jurant que le massacre de Nancy serait vengé. Camille Desmoulins prononça devant les jacobins l’éloge funèbre du noble publiciste, du courageux champion que perdait la cause populaire. Fréron et Brissot déplorèrent en termes touchants cette mort prématurée. Enfin Marat écrivit à ce sujet une page admirable. Après avoir critiqué, mais avec bienveillance, la modération du jeune écrivain, il concluait ainsi :

« Doué d’un esprit calme, juste, méthodique, mûri par le temps, il eut été merveilleusement propre à former à la liberté un peuple nouveau. Chez une nation heureuse, sa perte eût été sensible ; elle eût été douloureuse chez une nation opprimée ; mais chez une nation menacée de la servitude, sa perte est amère et cruelle. Chère patrie ! ce n’est donc pas assez qu’environnée d’ennemis implacables tu sois menacée par les uns, déchirée par les autres ; fallait-il encore que l’aspect de tes enfants égorgés fît mourir d’effroi l’un de tes plus zélés défenseurs !… Tant que le soleil éclairera la terre, les amis de la liberté se souviendront avec attendrissement de Loustallot ; leurs enfants béniront chaque jour sa mémoire, et son nom, inscrit dans les fastes glorieux de la Révolution, passera avec éloges jusqu’à nos derniers neveux. Ombre chérie et sacrée, si tu conserves encore quelque souvenir des choses de la vie dans le séjour des bienheureux, souffre qu’un frère d’armes que tu ne vis jamais arrose de ses pleurs ta dépouille mortelle et jette quelques fleurs sur ta tombe. »

Prudhomme fut quelque peu piqué qu’on attribuât à Loustallot tout le mérite et le succès des Révolutions de Paris, et, craignant pour l’avenir de son journal, il donna à entendre que lui seul était l’inspirateur et le directeur. Camille Desmoulins le redressa vertement et lui reprocha de vouloir diminuer la gloire de Loustallot après avoir exploité son talent. Il paraît qu’en effet l’habile éditeur avait gagné des sommes considérables avec son journal (on parle de 200,000 livres), tandis que l’éminent publiciste était resté pauvre.

Ce jeune homme, du plus noble caractère, d’un talent sobre et contenu, d’une conviction profonde, avait conquis la sympathie universelle parmi les patriotes et mérité l’estime de ses adversaires les plus passionnés. Il eût certainement joué un rôle important dans la Révolution ; mais il périt dans sa fleur ; et sa mort, à cette époque de tant de passion, fut regardée comme une calamité publique et causa une impression de douleur aussi intense et aussi profonde que celle qui se produisit à la mort d’Armand Carrel, qui ne l’a point égalé.

M. Marcellin Pellet a publié : Élisée Loustallot et les Révolutions de Paris (1872, 1 vol.). Dans ce travail, l’auteur a pieusement réimprimé ou analysé les principaux articles de Loustallot et rassemblé les rares renseignements qu’il a pu recueillir sur cette existence si tôt et si brusquement éteinte.