Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LOUIS XI, fils de Charles VII et de Marie d’Anjou

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 701-703).

LOUIS XI, fils de Charles VII et de Marie d’Anjou, né à Bourges la 3 juillet 1423, mort au Plessis-lez-Tours le 30 août 1483. Il accompagna son père dans plusieurs expéditions, mais conçut de bonne heure une haine profonde et vivace contre la favorite Agnès Sorel, qu’on l’accusa plus tard d’avoir fait empoisonner. Encore adolescent, il joignait déjà à l’humeur emportée de son âge l’ambition froide et réfléchie de l’âge mûr, « Vive et infatigable intelligence, dit Henri Martin, il ne tenait de son père que la sécheresse d’âme et le goût du libertinage ; aussi défiant, aussi dénué de sens moral, moins envieux et plus vindicatif, il avait les vices de la force, comme son père ceux de la faiblesse. »

Dévoré de la soif du pouvoir, il regardait toutes les influences qui gouvernaient Charles VII comme autant d’usurpations sur ses droits d’héritier présomptif. Aussi fut-il mêlé, dès sa première jeunesse, à mille intrigues obscures, jusqu’au moment où il se jeta dans la révolte ouverte. À dix-sept ans, en effet, il se laissa entraîner dans le soulèvement féodal de la Praguerie et se mit à la tête d’une partie de la noblesse poitevine. Cette insurrection fut rapidement étouffée par les troupes royales, et le dauphin se trouva fort heureux de faire sa soumission (10 juillet 1440). Néanmoins, dans le but de l’adoucir et de donner un aliment à son ambition précoce, le roi le mit de suite en possession du Dauphiné. En 1443, il reçut le commandement des pays entre la Seine et la Somme. Secondé par Dunois, Saint-Pol et autres capitaines, il marcha sur Dieppe et contraignit les Anglais à en lever le siège. L’année suivante, il alla combattre les Suisses à la sanglante affaire de la Birse, et, rempli d’admiration pour l’héroïsme de ces montagnards, qui se firent tous tuer jusqu’au dernier, il sentit combien la position et le caractère de ce petit peuple pouvaient en faire un allié utile à la France. Aussi, avant de quitter le pays, conclut-il un traité d’alliance avec Berne, Bâle, Lucerne et autres villes. Dans ces diverses campagnes, d’ailleurs, ses bandes de routiers et d’escorcheurs portaient partout la dévastation, même dans les pays qu’ils étaient chargés de défendre, sans qu’il voulût ou qu’il pût l’empêcher. C’étaient là, au reste, les mœurs militaires du temps, et l’on sait que ce ne fut qu’en 1445 qu’une armée régulière fut établie.

Cependant, après plusieurs années d’une réconciliation qui avait paru sincère, le roi et son fils retombèrent dans une mésintelligence croissante qui fit surtout de rapides progrès après la mort de la dauphine, Marguerite d’Écosse, aimable princesse qui mourut à vingt ans. Accusé d’un nouveau complot, le dauphin se retira dans son apanage du Dauphiné (1446). Le père et le fils ne devaient plus se revoir. Depuis cette époque, en effet, Louis demeura étranger à tous les événements importants qui se passèrent en France et n’eut aucune part aux guerres finales de l’indépendance, à l’expulsion des Anglais de la Normandie et de la Guyenne. Il vécut en souverain indépendant au fond de son Dauphiné, instituant un parlement à Grenoble, une université à Valence, faisant de petites guerres à ses voisins, exerçant ses aptitudes administratives et son esprit novateur, et surtout accablant les Dauphinois d’impôts pour payer les nombreux soldats qu’il entretenait. Il ne cessait point, au milieu de toutes ces occupations, d’intriguer contre son père et d’entretenir des intelligences avec tous les mécontents de la cour. Ces manœuvres, les plaintes des Dauphinois, les craintes que lui inspirait ce redoutable fils, dont l’attitude et les armements étaient une menace permanente, déterminèrent Charles VII à marcher en personne avec des troupes, pour obliger le dauphin à revenir à la cour et à congédier les conseillers auxquels on imputait sa conduite ; à tort sans doute, car, s’il consultait tout le monde, il n’écoutait guère que lui-même.

Louis protesta de sa soumission filiale, mais finalement il ne céda point. Son caractère était un mélange de duplicité, d’astuce et d’opiniâtreté. Il faut ajouter à ces traits de sa curieuse physionomie, qu’il était dévot jusqu’à la superstition la plus puérile, jusqu’au fétichisme, multipliant les offrandes à tous les saints, aux Notre-Dame de toutes les contrées, les considérant comme autant d’êtres distincts, prenant même le Saint-Sauveur, un des noms du Christ, pour un saint particulier, bien mieux, pour autant de saints particuliers qu’il y avait de lieux de pèlerinage sous cette invocation. C’est ainsi qu’il adressait naïvement des vœux spéciaux à « monsieur » Saint-Sauveur de Redon, en Bretagne, absolument comme il eût envoyé une dépêche au commandant de la ville. Sous tous les autres rapports, c’était l’esprit le plus hardi, le plus net et le plus positif, absolument dénué, d’ailleurs, de tout scrupule et de tout sentiment de moralité, et mêlant avec la bonne foi la plus cynique, si l’on peut s’exprimer ainsi, les actes les plus répréhensibles et même les plus criminels aux momeries d’une piété intéressée et fétichiste.

Dans la conjoncture assez grave où il se trouvait, il se recommanda d’abord à ses saints habituels, puis essaya vainement d’une levée en masse parmi ses vassaux, et enfin, au moment où les troupes royales entraient dans le Dauphiné, quitta précipitamment sa résidence et se retira à la cour de son oncle Philippe, duc de Bourgogne, qui le reçut et le traita magnifiquement (1456). Le duc s’entremit même inutilement pour le faire rentrer en grâce, Charles VII disait à ce sujet : « Mon cousin de Bourgogne ne sait ce qu’il fait ; il nourrit le renard qui mangera ses poules. »

Ce renard, cependant, continua prudemment de séjourner dans les États du duc Philippe, en Brabant, et les années s’écoulaient sans amener aucun changement dans cette situation. De laborieuses négociations furent poursuivies ; mais Louis refusa constamment de revenir, soit qu’il craignît réellement pour sa sûreté personnelle, soit pour toute autre cause. Il n’ignorait point que depuis longtemps Dammartin et autres favoris du roi poussaient ce prince à déshériter son fils aîné au profit du puîné, le jeune Charles. Après bien des hésitations et des alternatives, Charles VII refusa de bouleverser ainsi les lois fondamentales du royaume. Néanmoins, comme il craignait toujours, et avec quelque raison, les intrigues du dauphin, il finit par tomber dans une espèce de maladie noire, se croyant environné de complots et trahi par les siens. La crainte d’être empoisonné vint s’ajouter à ses terreurs, et il en arriva à refuser toute espèce de nourriture. Il mourut de faim, comme on le sait, le 22 juillet 1461.

Louis XI ne vit pas autre chose dans la mort de son père qu’une succession longtemps attendue, un trône vide. Il ne s’attarda pas à simuler une douleur hypocrite et manda simplement de procéder aux funérailles sans attendre son arrivée. Puis il expédia aux « bonnes villes » l’autorisation de s’assembler librement et de pourvoir elles-mêmes à leur sûreté. Ces précautions contre les gouverneurs et seigneurs, cet appel aux notables, à la bourgeoisie, marquaient assez bien le cachet du règne qui allait s’ouvrir. Louis avait craint des tentatives de rébellion, des complots en faveur de son jeune frère ; mais, dans ce premier moment, ses ennemis de la veille ne luttèrent que de servilité pour tâcher de faire oublier le passé. D’Avesne, en Hainaut, il alla directement se faire sacrer à Reims (18 août 1461), accompagné du duc de Bourgogne, qui le conduisit également à Paris. Le puissant duc d’Occident, comme on nommait Philippe, éblouit les peuples par sa magnificence, et, suivant l’expression d’un chroniqueur, semblait un empereur, tandis que le roi, de mine vulgaire et de mince équipage, avait l’air du vassal plutôt que du suzerain.

Ce dernier, d’ailleurs, commençait à trouver un peu pesante la protection de son bel oncle, et, tout en l’accablant de témoignages de reconnaissance, il laissait percer la gène que lui causait sa présence. Bientôt, il lui fit ses adieux, sous le prétexte d’aller visiter à Amboise sa mère, Marie d’Anjou. Les deux princes se quittèrent, le roi pour se diriger vers la Loire, le duc pour retourner en Brabant.

La réaction contre les hommes et les choses du règne précédent avait déjà commencé. Louis changea les grands officiers, les baillis, les sénéchaux., donna successivement les hautes charges à ses créatures, enfin autorisa solennellement la révision du procès de Jacques Cœur. En outre, il renouvela en partie le parlement et fit commencer des poursuites contre ses vieux ennemis, Dammartin, Brezé et autres. Tous ses actes, où le bon et le mauvais étaient indifféremment mêlés, annonçaient d’ailleurs une absence complète de toute préoccupation morale. Il faisait telle ou telle chose parce qu’il la jugeait utile à ses intérêts, sans s’arrêter à aucune autre considération. Ainsi, au début de son règne, il poussa le mépris de l’opinion jusqu’à donner les sceaux de la justice à Pierre de Morvilliers, évêque d’Orléans, conseiller au parlement de Paris, qui, dans le moment même, était poursuivi pour malversations.

« Peu soucieux de la moralité dans ses choix, a dit M. H. Martin, il préférait les consciences flexibles aux consciences rigides, aussi fut-il souvent trompé et trahi sans pouvoir s’en prendre qu’à lui-même... Il méprisait l’esprit chevaleresque pour ses vertus non moins que pour ses folies, dédaignait profondément les pompes théâtrales dans lesquelles ses pères avaient placé leur majesté. Il se montrait en habit court avec un vieux pourpoint de futaine grise, un feutre râpé et un « méchant chapelet » dans des conférences où les souverains avec lesquels il s’abouchait resplendissaient d’or, de soie, de velours et de pierreries. Ainsi, au retour du sacre, tandis que le duc Philippe éblouissait Paris des magnificences de l’hôtel d’Artois, Louis ne tenait pas à l’hôtel des Tournelles un plus grand état qu’à Genappe (château du Brabant que Philippe avait mis à sa disposition), et n’augmentait pas sa maison de dauphin exilé : il assignait à son argent des emplois plus utiles. L’utile était sa seule règle, et jamais il ne comprit quelle puissance il y a dans le juste. Il préférait en toute chose, parfois même à son détriment, la ligne tortueuse à la ligne droite, la ruse à la force, l’adresse au courage, quoiqu’il eût au besoin cet opiniâtre courage qu’inspire une volonté inébranlable. Il était la réaction incarnée contre le moyen âge, contre sa morale et son idéalité autant que contre ses aberrations, contre ses libertés autant que contre son anarchie. La dévotion même de Louis, seule inconséquence d’un caractère qui eût dû aller à l’incrédulité, n’avait plus rien du fanatisme austère et grandiose d’autrefois ; c’était un fétichisme matérialiste qui remontait, par-dessus le moyen âge, à ces temps où les rois barbares mettaient les saints du paradis de compte à demi dans leurs entreprises et dans leur butin. À cette faiblesse près, Louis XI fut le plus illustre disciple de cette politique dont les tyrans italiens contemporains, lui donnaient l’exemple, et dont Machiavel devait un peu plus tard donner la théorie en lui laissant son nom... Une différence pourtant sépare Louis de ses maîtres, une différence essentielle. Par les moyens, il est leur pareil ; par le but, il est autre. Ces tyrans d’outre les monts n’ont qu’un but personnel, tout au plus un but de famille ; lui a un but général. Il est le chef d’une vraie société politique, le chef d’une nation, et il en a conscience ; il a un vigoureux instinct d’avenir ; il veut laisser œuvre qui dure après lui. Ce mauvais homme n’est point mauvais Français. »

« Le despote Louis XI, dit de son côté Augustin Thierry, n’est pas de la race des tyrans égoïstes, mais de celle des novateurs impitoyables. »

Sans vouloir contredire ces historiens, on peut cependant faire quelques réserves sur les vues d’avenir de Louis XI, sur le but général qu’il poursuivait, sur son vigoureux instinct d’avenir, sur toutes les belles choses enfin que cette école historique ne manque pas de découvrir à toutes les époques et dans tous les événements ; thèses et synthèses plus brillantes que solides, que notre cadre ne nous permet pas d’analyser et de discuter. Nous pouvons du moins faire cette observation, que Louis XI, quels qu’aient été les résultats généraux de son règne, n’avait très-certainement pas les grandes vues qu’on lui prête, et qu’il ne songeait simplement qu’à augmenter son pouvoir en abattant autour de lui tout ce qui lui faisait obstacle. Que son œuvre fût utile, il s’en inquiétait peu et ne recherchait que son intérêt ; s’il a rendu des services, c’est à son insu ; on ne saurait donc lui faire un mérite du résultat, tandis qu’on peut toujours lui reprocher les moyens employés.

En prenant le pouvoir, il avait laissé espérer une diminution des impôts : pour don de joyeux avènement, il mit, au contraire, un nouvel impôt sur les vins, pour être perçu aux portes des villes. Il y eut en divers endroits des soulèvements cruellement réprimés ; une foule de malheureux furent décapités, pendus, essorillés (oreilles coupées). Cette taxe sur les vins ne suffisait point au roi ; il imagina de mettre la main sur les bénéfices ecclésiastiques en s’entendant avec Rome pour abolir la Pragmatique et disposer alors des bénéfices, de compte à demi avec un légat du saint-siège. Mais cette espèce de contre-révolution ecclésiastique ne profita qu’à la cour pontificale, et cet homme de ruse, joué par les renards sacerdotaux, se trouva avoir mécontenté tout son royaume sans aucun profit pour lui-même.

Il réussit mieux dans son entreprise contre le Roussillon, dont il s’assura la possession en accordant un secours au roi d’Aragon. Dans le cours de cette facile expédition, il établit un parlement à Bordeaux et s’attacha les villes de Guyenne et de Gascogne en leur restituant les privilèges dont elles avaient été dépouillées. Dans le même temps, il négociait la remise éventuelle de Calais avec la reine d’Angleterre, Marguerite d’Anjou, vaincue à Towton avec son époux et son fils, et pour le moment fugitive, pendant que, d’un autre côté, il nouait des intelligences secrètes avec les vainqueurs, Warwick et le parti de la Rose blanche. Toutefois, il échoua dans ses projets pour la reprise de Calais, et même il faillit perdre le Roussillon. Mais il parvint à racheter du duc de Bourgogne les villes de la Somme, Saint-Quentin, Péronne, Amiens, Abbeville, etc. (octobre 1463) ; affaire capitale qu’il poursuivit avec autant de prudence que de ténacité. L’acquisition du Roussillon, le rachat de la Picardie, c’était un brillant résultat pour le début d’un règne. Louis tourna alors ses efforts contre la Bretagne qui, sous forme de duché et de grand fief, était une sorte de royaume indépendant. Le duc François était d’ailleurs mêlé à toutes les intrigues contre le roi de France, et négociait avec l’Angleterre, avec le comte de Charolais, etc. Louis XI lui signifia la défense de s’intituler duc par la grâce de Dieu, de battre monnaie, de faire des levées d’hommes, en un mot d’exercer les droits régaliens. Le duc feignit de se soumettre ; mais il entra de plus en plus dans la coalition féodale contre le roi. Cette coalition grossissait de jour en jour, et bientôt allait éclater en une rébellion armée.

Dans ses luttes continuelles pour s’attribuer les nominations ecclésiastiques et l’octroi des bénéfices, Louis avait tourné contre lui tout le clergé et ses innombrables clients. D’un autre côté, en enlevant leurs emplois aux plus grands personnages pour les donner à des hommes de basse naissance, les seuls dont il aimât à s’entourer ; en restreignant les droits de justice et de chasse, en attaquant successivement toutes les prérogatives féodales, il avait suscité des haines ardentes dans tous les rangs de la noblesse. Une ligue formidable se forma contre lui ; son propre frère, le duc de Berry, le comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne, les ducs de Calabre, de Bourbon, de Lorraine, d’Alençon, de Nemours et un grand nombre d’autres seigneurs formèrent la coalition fameuse à laquelle ils donnèrent le nom décevant de ligue du Bien public (mars 1465). Dans cette crise suprême et au moment d’être attaqué de tous les côtés à la fois, Louis déploya une activité au niveau du péril ; il avait renouvelé sa trêve avec l’Angleterre ; il resserra son alliance avec Liège, réclama des secours du duc de Milan, traita avec le roi de Naples, tira quelque argent des Médicis de Florence, fit des efforts pour se réconcilier avec Rome, établit la poste, qui lui assura des communications rapides avec tout le royaume, enfin ne dédaigna pas de faire appel à l’opinion en exposant ses actes et sa conduite dans des lettres justificatives, en convoquant des réunions de notables des villes, etc. Son ennemi le plus redoutable était le fils du duc de Bourgogne, le comte de Charolais (le fameux Charles le Téméraire), qui dominait son père, le vieux Philippe, et agissait déjà comme s’il régnait lui-même. Il était important de dompter la révolte dans le centre avant que ce redoutable auxiliaire fût en mesure de se joindre aux confédérés. La campagne commença heureusement. La plus grande partie du Berry et du Bourbonnais fut réduite en quelques jours. Bourbon, Nemours et d’Armagnac, pressés dans Riom, signèrent un arrangement. Le roi se hâta alors de reprendre la route de Paris ; car la grosse armée de Charolais et celle du duc de Bretagne, mollement combattues par le comte du Maine et le comte de Nevers, étaient sur le point de faire leur jonction sous les murs de la capitale. Louis rencontra les Bourguignons à Montlhéry, où fut livrée cette bataille singulière dans laquelle les deux armées finirent par prendre la fuite l’une devant l’autre (10 juillet 1465). Abandonnés d’une grande partie de leur monde, le roi et le comte Charles ne pouvaient plus se faire grand mal et n’avaient guère qu’à rallier les fuyards. Louis rentra le surlendemain dans Paris et se donna comme le vainqueur (il l’était d’ailleurs, ni moins ni plus que son adversaire) ; il caressa les Parisiens, qui ne l’avaient point secouru et n’étaient sortis que pour piller les fuyards bourguignons ; il s’attacha à les gagner en leur promettant tout ce qu’ils voulurent, et même un peu plus, car les promesses ne lui coûtaient rien. La possession de Paris était à ce moment pour lui de la plus haute importance ; car les diverses bandes de la coalition féodale se réunissaient successivement entre la Marne et la Seine, et, malgré leur incohérence et leurs éternelles divisions, pouvaient encore être redoutables. Louis ne se pressait pas de tenter un nouveau combat ; il se fiait surtout au temps et à sa dextérité pour dissoudre la ligue. À part quelques escarmouches autour de Paris, le temps se passait en négociations ; le rusé monarque gagnait un à un ses ennemis par des traités secrets, accordant avec d’autant plus de facilité tout ce qu’on lui demandait, qu’il était bien décidé à violer sa parole et sa signature dès qu’il le pourrait. Enfin il arrêta à Conflans et signa à Saint-Maur la paix avec les princes, à des conditions désastreuses pour la couronne, donnant la Normandie à son frère, et gorgeant Charolais et les principaux confédérés des dépouilles du royaume (29 octobre). La contre-révolution féodale semblait triompher définitivement. Les princes et les seigneurs se séparèrent pleins de confiance, et Louis XI se prépara en silence à reprendre son œuvre de nivellement et d’absorption.

Pendant qu’il protégeait secrètement les Liégeois révoltés contre la maison de Bourgogne, il s’attachait à fomenter des discordes entre ses ennemis et, par négociations ou par argent, il intriguait de tous les côtés. Au mois de janvier de l’année suivante, il avait déjà repris la Normandie à son frère. En 1468, il assembla les états à Tours et fit annuler les clauses du traité de Conflans et de Saint-Maur. Cependant, Charles le Téméraire avait succédé à son père, et pendant que son cousin de France était occupé au recouvrement de la Normandie, il se préparait à écraser dans le sang la révolte des Liégeois. À ce moment, Louis XI, malgré sa défiance habituelle, alla trouver Charles à Péronne, pour régler avec lui tous ses différends, comptant sur sa finesse et sa supériorité d’esprit. Pendant qu’il était ainsi entre les mains de son ennemi, celui-ci apprit que les Liégeois se confirmaient de plus en plus dans leur révolte, en annonçant hautement leur alliance avec le roi de France. Outré de colère, il retint le roi prisonnier dans le château. Celui-ci paya son imprudence et ses intrigues en signant un traité ignominieux, avec la parfaite indifférence d’un homme que ni la parole ni les écrits n’engageaient à rien (octobre 1468). Par ce traité, qui renouvelait les conventions de Saint-Maur, il s’était engagé, en outre, à marcher en personne contre Liège, que sa politique même avait soulevée. Il ne recula pas devant cette infamie et marcha en effet à la suite des Bourguignons contre la malheureuse cité, qui, du haut de ses remparts, l’accueillit aux cris de : Vive la France ! auxquels il répondit, dit-on, par ceux de : Vive Bourgogne ! Il combattit furieusement contre cette petite France wallonne, qui fut écrasée, brûlée et pillée pour son dévouement à notre pays, pour sa confiance vaillante dans l'alliance et la politique du roi Celui-ci revint déshonoré de cette infâme expédition, mais fort heureux d’être sorti des mains de son ennemi, et si bien disposé à fausser en toute sûreté de conscience sa parole et sa signature, que ce fut peu après qu’il convoqua, comme il est dit ci-dessus, les états qui déclarèrent les traités nuls.

Les Parisiens célébrèrent par un persiflage cette nouvelle aventure de leur souverain, en apprenant à leurs pies et à leurs geais à répéter incessamment : Péronne ! Péronne ! Les archers de la ville n’étaient occupés qu’à tuer du matin au soir des myriades de ces oiseaux insolents et séditieux.

Louis XI, humilié par ces échecs, mais non pas abattu, renoua ses trames de tous côtés. Trahi par le cardinal La Balue et ne pouvant livrer au supplice un prince de l’Église, il le fit enfermer dans une cage de fer, dans les cachots d’Onzain, près de Blois, où il le retint dix années.

Les années suivantes furent marquées par une expédition dans le Midi, pour réprimer de nouvelles révoltes d’Armagnac et de Nemours, par une réconciliation plus ou moins sincère entre le duc de Berry et le roi, qui finit par faire accepter à son frère la Guyenne, en échange de la Normandie (qui lui était assurée par les traités), et par divers autres événements de moindre importance, tels que l’institution de l’ordre de Saint-Michel. Bientôt le duc de Berry forma contre le roi une ligue plus formidable que celle du Bien public, et mourut empoisonné au moment le plus favorable pour Louis XI (1472). Charles le Téméraire prit prétexte de cette mort tragique pour envahir la Picardie et la dévaster ; mais il vint échouer sous les murs de Beauvais, devant l’héroïsme des habitants et de Jeanne Hachette (1473). Pendant que ses lieutenants refoulaient le duc de Bourgogne, Louis entra en Bretagne et imposa au duc un traité avantageux pour la couronne. Sa situation s’était améliorée au sortir des grandes crises où il avait failli sombrer. Charles le Téméraire, désespérant de vaincre la France, se tourna vers l’Allemagne avec son aveugle impétuosité. Néanmoins, il avait fait contre nous un traité avec le roi d’Angleterre, Édouard IV, qui vint à Calais en 1475 et envoya un héraut à Louis XI pour lui réclamer son royaume de France. Celui-ci ne s’émut guère de cette étrange sommation ; mais, comme il aimait mieux négocier que combattre, il désarma le monarque anglais par des présents et finit par conclure avec lui le traité de paix de Picquigny. Il conclut ensuite une trêve avec Charles, d’ailleurs occupé à d’autres entreprises. Dans l’intervalle de ces événements, il saisissait toutes les occasions pour se débarrasser de ses ennemis intérieurs ; c’est ainsi qu’il s’était déjà défait de Jean d’Armagnac et qu’il livra successivement au supplice Nemours, le connétable de Saint-Pol et autres, qui d’ailleurs l’avaient trahi, comme lui-même les avait tour à tour comblés de biens, abattus et environnés de pièges et de trahisons. Dans ces luttes entre des hommes d’une mauvaise foi égale, il serait difficile d’établir la balance et de prendre un parti. On a rapporté que Louis avait fait placer les enfants de Nemours sous l’échafaud de leur père afin qu’ils fussent arrosés de son sang ; mais cet épouvantable épisode n’est rapporté par aucun écrivain contemporain, et tout indique qu’il est entièrement fictif.

La mort de Charles le Téméraire devant Nancy, après ses folles entreprises (1477), avait débarrassé le roi de France de son plus redoutable adversaire. Il put donner carrière à ses convoitises et commencer la confiscation des États de la puissante maison de Bourgogne. Charles ne laissait qu’une fille, Marie de Bourgogne ; Louis songea un moment à lui faire épouser le dauphin, qui n’avait que huit ans. Mais, pressé d’entrer en possession et de tirer parti des événements, il reprit les villes de la Somme et la Bourgogne proprement dite, qui furent définitivement réunies à la couronne, malgré les efforts de Maximilien d’Autriche, devenu l’époux de Marie, et qui cependant avait remporté sur les troupes royales un succès à Guinegate (7 août 1470). Quelques années plus tard, la mort de Marie livrait à la France l’Artois et quelques autres portions de territoire. Le roi avait également repris la Franche-Comté en 1477. Enfin la soumission de la Provence, l’acquisition, par des combinaisons de testaments, de l’Anjou et du Maine (1480-1481) achevèrent la ruine des grandes maisons féodales. Dans cette dernière partie de son règne, Louis XI avait obtenu les plus brillants résultats, constitué l’unité nationale, ou du moins réuni à la France de vastes et riches provinces qui lui appartenaient de droit et porté des coups mortels à la féodalité. Ce fut là l’œuvre utile de sa vie, et dont l’importance fait presque oublier son despotisme et ses perfidies.

En outre.il est certain que, dans sa guerre contre la haute noblesse, il prenait son point d’appui sur les classes industrielles. Il établit les premières fabriques de soieries, protégea l’imprimerie naissante, et tenta même l’unité de législation et l’unité de poids et mesures. Mais sa popularité intéressée ne l’empêcha nullement de tripler les charges publiques, d’accabler ses peuples de taxes et d’impôts pour subvenir à ses énormes dépenses, à ses entreprises, à ses armements, à sa police universelle, à sa diplomatie corruptrice, etc. La bourgeoisie des villes, sur laquelle il s’appuyait, n’avait que peu d’affection pour lui ; et le peuple des campagnes et des cités, qu’il épuisait et comprimait durement, le détestait autant que la noblesse et les grands. Aussi évitait-il le séjour des grandes villes, et surtout de Paris. Confiné dans son château de Plessis-lez-Tours, il y végétait dans la terreur et le soupçon, gardé comme s’il eût été enveloppé d’ennemis et de trahisons, faisant mettre à mort par son prévôt, le fameux Tristan l’Ermite, les passants et les voyageurs qui osaient rôder autour de cet antre redoutable. Sa cruauté, fille de la peur plutôt que de la haine, est assez connue. Il tenait ses prisonniers les plus illustres dans des cages de fer de 8 pieds carrés, chargés de ces chaînes qu’on nommait les fillettes du roi. Il était d’ailleurs lui-même le premier de ses captifs, ne communiquant guère avec le dehors que par lettres, entouré seulement de créatures qu’il avait tirées du néant, comme son barbier, Olivier Le Daim. C’est dans cette retraite qu’il passa tristement ses derniers jours et qu’il mourut à la suite de plusieurs attaques d’apoplexie.

Le règne de Louis XI eut pour résultat, comme nous l’avons indiqué plus haut : le recouvrement de la Picardie, depuis les sources de l’Oise jusqu’à Boulogne, de la Bourgogne, de l’Anjou, du Maine, du Barrois, du Roussillon ; l’acquisition, du moins à titre provisoire, de l’Artois et de la Franche-Comté. Il avait appuyé la France aux Pyrénées orientales, au Jura, aux Alpes maritimes ; abattu la grande et la petite féodalité, enfin favorisé le développement de la bourgeoisie et des forces industrielles et commerciales. On a été trop loin en justifiant les moyens employés ; mais il serait injuste et puéril de méconnaître la grandeur des résultats. Louis XI avait épousé en secondes noces Charlotte de Savoie, dont il eut Charles VIII, son successeur ; Anne, qui fut mariée au sire de Beaujeu ; Jeanne, qui épousa Louis d’Orléans, successeur au trône de France de Charles VIII, sous le nom de Louis XII ; enfin trois autres enfants qui moururent jeunes.

Pour terminer l’esquisse de cette remarquable figure, nous allons donner l’appréciation de divers écrivains :

« Quoique brave, dit Sismondi, Louis n’aimait pas la guerre ; sa figure était ignoble, ses idées étaient toutes bourgeoises, ses penchants le portaient à la simplicité, et le luxe lui était odieux ; il ne s’était point livré à ce libertinage qui avait été le fléau de sa race et avait réduit à l’imbécillité son aïeul, ses oncles, son père lui-même. Il cherchait dans l’esprit toutes ses jouissances, Aucun prince de la maison de France n’avait tant réfléchi sur l’art de régner, n’avait tant étudié la politique, le caractère et les passions des hommes, les moyens de les dominer par leurs vices ; aucun ne parlait avec tant d’élégance ou d’adresse, ne maniait mieux la flatterie, ne savait avec plus d’art être caressant ou familier dans le discours, entraînant par sa verve ou persuasif par ses arguments. Mais aussi aucun n’avait moins de respect pour sa parole ou pour la vérité ; car si son esprit était supérieur à celui de tous ses prédécesseurs, son cœur n’avait point d’égal en dureté ou en perfidie. Défiant, tourmenté par une curiosité insatiable, il s’exposait à tous les dangers ; il sacrifiait son or, son pouvoir, son secret lui-même, pour pénétrer le secret d’autrui. On l’aurait cru étranger à la nation française et à la race royale ; il n’avait de sympathie pour aucun de ceux au milieu desquels il était né. Il voulait régner réellement. Il voulait non-seulement forcer à l’obéissance tous les princes entre lesquels la France était partagée, mais encore leur enlever le pouvoir ; il voulait détruire ces bandes d’aventuriers qui s’étaient emparées du pouvoir militaire ; il voulait punir les confidents, les conseillers de son père, qui l’avaient tenu si longtemps exilé, et ôter aussi tout pouvoir de lui nuire à son jeune frère qu’on avait destiné à le supplanter.

« Louis, pour se défaire des princes, résolut de s’appuyer sur les peuples. Il fut le premier en France à reconnaître l’importance des bourgeois, la puissance de l’industrie et du commerce, les talents, la capacité qu’il pourrait trouver parmi des roturiers. Il fut aussi le premier à flatter le peuple, par sa familiarité et par la bonhomie qu’il affectait dans ses propos avec les dernières classes ; par le rétablissement des milices de Paris, par l’inamovibilité qu’il accorda aux juges, par son empressement à assembler les états généraux. Mais il était trop méfiant, trop jaloux de son pouvoir pour ne pas reprendre bientôt d’une main ce qu’il avait donné de l’autre. »

Voici en quels termes Aug. Thierry apprécie le rôle de Louis XI : « Les mêmes forces qui avaient fondé sous le règne de Charles VII le nouvel ordre administratif n’auraient pas su le maintenir intact ; elles étaient collectives, et comme telles trop sujettes à varier ; l’œuvre de plusieurs avait besoin, pour ne pas déchoir, d’être remise aux mains d’un seul. Ce seul homme, cette personnalité jalouse, active, opiniâtre, se rencontra dans Louis XI. S’il y a dans l’histoire des personnages qui paraissent marqués du sceau d’une mission providentielle, le fils de. Charles VII fut un de ceux-là ; il semble qu’il ait eu, comme roi, la conviction d’un devoir supérieur pour lui à tous les devoirs humains, d’un but où il devait marcher sans relâche, sans qu’il eût le temps de choisir la voie. Lui qui avait levé contre son père le drapeau des résistances aristocratiques, il se fit le gardien et le fauteur de tout ce que l’aristocratie haïssait ; il y appliqua toutes les forces de son être, tout ce qu’il y avait en lui d’intelligence et de passion, de vertus et de vices. Son règne fut un combat de chaque jour pour la cause de l’unité du pouvoir et du nivellement social, combat soutenu à la manière des sauvages, par l’astuce et par la cruauté, sans courtoisie et sans merci. De là vient le mélange d’intérêt et de répugnance qu’excite en nous ce caractère étrangement original. Le despote Louis XI n’est pas de la race des tyrans égoïstes, mais de celle des novateurs impitoyables ; avant nos révolutions, il était impossible de le bien comprendre. La condamnation qu’il mérite et dont il restera chargé, c’est le blâme que la conscience humaine inflige à la mémoire de ceux qui ont cru que tous les moyens sont bons pour imposer aux faits le joug des idées. »

M. Paul de Saint-Victor a écrit de son côté : « De tous les rois de France, Louis XI est peut-être celui qu’a le plus maltraité la postérité. Une impopularité diffamante frappe ce roi si essentiellement populaire. Il n’y a pas seulement de la haine, il y a du mépris dans l’image que le peuple a gardée de lui. D’accord avec l’histoire, la fiction le traita en personnage moitié tragique et moitié grotesque. Voyez-le sur la scène et dans les romans : il y paraît presque toujours méchant et lâche, cruel et avare, composé de Tartufe et de Tibère, de Malade imaginaire et de Pathelin. Il y a du vrai et du faux dans cette légende, comme il y a, dans une caricature, de la ressemblance et de la chimère. Qu’il fût lâche, c’est là une calomnie gratuite que l’histoire sérieuse n’a pas répétée... Dans cette lutte contre les grands vassaux, le droit est pour lui, sinon la moralité. Il se battit à armes déloyales contre une armée de félons ; il se fit traître contre les traîtres et parjure contre les parjures... Le droit est de son côté dans la guerre admirablement obstinée qu’il soutint contre ces rebelles ; la sympathie hésite à s’y ranger. Il luttait contre des traîtres, mais ses trahisons sont plus viles, sa perfidie est plus noire que celle de ses adversaires. »

Louis XI à Péronne, comédie en cinq actes et en prose, de Mély-Janin (Théâtre-Français, 15 février 1827). L’auteur s’est amusé à dramatiser le Quentin Durward de Walter Scott. Louis XI, défié, au milieu de son conseil, par le comte de Crèvecœur, ambassadeur du duc de Bourgogne, se rend lui-même à la cour de ce prince, accompagné de quelques chevaliers. À la nouvelle de la mort de Crëvecœur, le duc fait arrêter le roi, qu’il accuse de trahison. Mais Quentin Durward, qui a blessé l’ambassadeur en combat singulier, parvient à s’introduire à la tête de ses soldats, dans la prison où on a conduit Louis XI, et la paix est conclue entre le roi et le duc de Bourgogne. Mély-Janin a pris trop peu de chose à Walter Scott en ne conservant que l’action principale, car ce sont les détails qui rendent piquant l’ouvrage anglais. Il s’est appliqué à décolorer les caractères, à éteindre le dialogue, auquel il a enlevé à peu près tout ce qu’il avait de vif et d’original.

Louis XI, tragédie en cinq actes, par Casimir Delavigne (Théâtre-Français, 11 février 1832). Écrite pour complaire aux partisans du romantisme, tout en restant fidèle tant bien que mal aux vieux préceptes, cette tragédie est assez remarquable comme œuvre de transition entre les deux écoles. Une première objection se présente ici contre le sujet même. Pour qu’un seul personnage suffise à défrayer cinq actes, il faut que, comme dans les pièces historiques de Shakspeare, il en soit fait une biographie complète, où les vicissitudes d’une vie de héros intéressent par la variété des incidents, à défaut de la péripétie d’une action unique. Tel n’est pas le cas de la tragédie de Casimir Delavigne. L’auteur a eu la prétention de faire connaître Louis XI tout entier en faisant assister le spectateur aux quinze derniers jours de sa vie ; l’action unique qui sert au développement du caractère de Louis XI ne suffisant pas, l’auteur a dû rattacher épisodiquement aux scènes capitales où le roi joue le premier rôle toute une action secondaire qui ne se passe qu’en récits. L’historien Commines joue cependant un rôle assez important. C’est lui qui fait l’exposition de la pièce, d’abord en relisant à haute voix une partie de ses Mémoires, puis dans une conversation familière avec Coictier. Ces deux hommes, courtisans chacun à leur manière, mais également cupides, également ambitieux, se font de ces demi-confidences qui éclairent l’avenir du drame. Le médecin Coictier tient tête au roi pendant plusieurs scènes, si bien qu’on serait tenté de croire, en voyant les traits effacés de Tristan, d’Olivier et des autres, que Louis XI n’a plus d’autre confident que son médecin. Pour Louis XI malade, c’est possible ; mais il est un autre Louis XI autrement intéressant à connaître, et c’est celui-là que l’auteur eût dû s’efforcer de peindre. La plus belle scène de l’ouvrage est, sans contredit, celle de la confession du roi pénitent tombant aux pieds de François de Paule.

« Louis XI, dit M. Duviquet, est une tragédie moderne, dans ce sens que le poète y a introduit des personnages qu’eût repoussés la dignité du cothurne antique. Je n’entends pas parler du prévôt Tristan, puisqu’il a son pendant dans le Narcisse de Britannicus ; mais je parle du médecin Coictier, si utile cependant à l’action, et qui en est le principal et indispensable régulateur ; je parle de ces danses où de malheureux paysans sont condamnés il des démonstrations joyeuses, sous peine de la hart ; de cette entrée solennelle du pieux anachorète de la Calabre, au milieu des cantiques des jeunes villageoises, et de l’appareil pompeux des symboles les plus sévères de la religion ; je parle du barbier ministre, Olivier Le Daim ; de l’épisode un peu hasardé des amourettes du dauphin avec la jeune et innocente Marie. Tous ces détails sont nouveaux, il faut en convenir, et ils eussent paru, il y a quelques années, incompatibles avec les formes reçues et avec la sévérité de l’ancienne tragédie. »

Louis XI (la jeunesse de), drame en cinq actes et en vers, de M. Jules Lacroix (théâtre de la Porte-Saint-Martin, 8 septembre 1859). L’auteur n’a guère fait que jouer avec l’histoire. Le jeune prince, qui plus tard doit s’appeler Louis XI et qui n’est encore que dauphin, se met à la tête d’une rébellion contre son père : il est entré dans la ligue de la Praguerie avec les ducs d’Alençon et de Bourbon, les comtes de Vendôme et de Dunois, les chefs des écorcheurs. La ligue est vaincue et, à la prière de la belle et bonne dauphine Marguerite d’Écosse, Charles VII rouvre ses bras à son fils ; mais il comprend, sous son repentir hypocrite, toute son ingratitude et devine ses perfides projets. Une rencontre romanesque lui fait espérer de les déjouer. Un jeune capitaine, Raoul, qui pendant la guerre a sauvé Marguerite des mains d’une bande d’écorcheurs, lui est présenté. Il reconnaît en lui un frère jumeau du dauphin, qu’il a fait disparaître autrefois. Un astrologue lui avait prédit qu’un de ses enfants le tuerait et il en avait sacrifié un au hasard. Jeanne Darc sauva la victime pour rendre à la monarchie un héros à l’heure des périls et elle révèle à Charles VII, dès la première entrevue, l’existence de ce fils qu’il croyait mort ; ce fut ce qu’on appela le secret du roi. Le dauphin essaye de le pénétrer. Il fait subir à Marguerite !les plus violents traitements pour qu’elle sache de son père cette mystérieuse intrigue de Raoul ; Marguerite résiste. Une audacieuse tentative de Louis XI contre le roi le fait exiler en Dauphiné ; et le malheureux Charles VII presse sur son cœur son fils Raoul, son unique espoir. Mais Louis, qui n’est pas parti, surprend lui-même les épanchements paternels ; il préviendra le danger dont il se sent menacé : Marguerite succombe empoisonnée. Raoul vient lui dire un dernier adieu. Louis, qui a fait en sorte qu’on les laissât seuls, rentre tout à coup dans la chambré de la mourante et, sous prétexte de venger son honneur outragé, fait poignarder son frère. Il brave ensuite son père qui le menace de le livrer à la justice :

S’ils me trouvent coupable, en bien ! la hache est prête ;
Que Votre Majesté fasse tomber la tête
De son unique enfant, du royal héritier,
Et que Charles sept meure avec moi tout entier.

Le roi, stupéfait de tant d’audace, n’a plus qu’à offrir sa poitrine aux coups du parricide.

Le plus grand défaut de la Jeunesse de Louis XI est de donner comme une étude historique des combinaisons de fantaisie où l’histoire tient si peu de place, et de présenter des personnages si connus sous des traits qui ne leur appartiennent pas. Cette conception d’un prince royal mystérieux est une sorte de légende anticipée du Masque de fer ; Charles VII est représenté sous des traits trop flatteurs, et le futur Louis XI joint trop d’emportement à trop d’astuce. Mais la pièce se relève au point de vue littéraire. Le style poétique est pur, élégant, soutenu, et en général d’une bonne école.