Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LA VALETTE (Émilie-Louise DE BEAUHARNAIS, comtesse DE), femme du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 263-264).

LA VALETTE (Émilie-Louise de Beauharnais, comtesse de), femme du précédent, célèbre par l’énergie et le dévouement dont elle fit preuve pour sauver son mari, morte en 1855. Fille du marquis de Beauharnais, frère aîné du premier mari de Joséphine, nièce par alliance de Napoléon Ier, elle devint l’épouse d’Antoine-Marie Chamans, comte de La Valette. Après la seconde Restauration, le comte de La Valette, qui était resté à Paris, fut arrêté (18 juillet 1815) et traduit, le 19 novembre suivant, devant la cour d’assises de la Seine, pour s’être emparé de l’administration des postes au retour de Napoléon de l’île d’Elbe ; il fut condamné à mort le 21 novembre. Le pourvoi en cassation ayant été rejeté, Mme de La Valette résolut de mettre tout en œuvre pour sauver son mari. Elle tenta d’abord d’obtenir sa grâce et demanda une audience au roi. Le duc de Richelieu se chargea d’intéresser la duchesse d’Angoulême au sort de La Valette et de l’amener à parler en sa faveur à Louis XVIII. De son côté, Marmont, ami du condamné, s’engagea à conduire la jeune femme aux Tuileries. Mais, le jour fixé pour l’audience, une consigne sévère défendit de laisser entrer toute femme qui se présenterait à la porte du château. Cet ordre inattendu venait de ce que la duchesse d’Angoulême avait résolu, sur le conseil de ses amis, de rester impitoyable et d’empêcher le roi de faire grâce. Mais Marmont prit sur lui de forcer la consigne et introduisit Mme de La Valette dans un salon par lequel passaient Louis XVIII et la duchesse d’Angoulême pour se rendre à la messe. À la vue de la suppliante qui s’agenouilla, la duchesse détourna la vue, le roi reçut le placet, prononça quelques paroles évasives et passa (20 décembre). C’en était fait de toute espérance de grâce, et le lendemain devait avoir lieu l’exécution du condamné.

En prévision de ce qui venait d’arriver, Mme de La Valette avait formé le projet d’essayer de faire évader son mari, et, dans ce but, elle s’était entendue avec un ancien ami de ce dernier, nommé Baudus, qui lui-même, en cas de réussite, avait trouvé un asile sûr pour le comte chez un ancien conventionnel, Bresson, alors chef de division au ministère des affaires étrangères. Le soir même du jour où elle était allée aux Tuileries, « Mme de La Valette, dit M. Louvet, se fit transporter à la Conciergerie dans une chaise à porteurs, accompagnée de sa fille, âgée de quatorze ans, et d’une vieille gouvernante. Les deux époux dînèrent ensemble dans un appartement séparé. La comtesse prit les vêtements de son mari et lui donna les siens. Pendant ce temps, un domestique inintelligent eut l’imprudence de dire aux porteurs qu’ils seraient plus chargés en revenant, mais qu’il n’y aurait pas loin à aller. « Vingt-cinq louis à gagner, ajouta-t-il. — C’est donc M. de La Valette que nous ramènerons ? » répondit l’un des porteurs. Cet homme se retira, mais en gardant le secret qu’il avait deviné. Un charbonnier vint pour le remplacer. Enfin, après des adieux pénibles, trois femmes reparurent dans le greffe de la prison ; une d'elles, abîmée dans sa douleur, se couvrait le visage de son mouchoir et poussait des sanglots, s’appuyant sur l’épaule de la jeune fille. Le concierge, attendri, l’aida à sortir sans oser soulever son voile. Rentré dans la chambre du prisonnier, il n’y trouva plus que Mme de La Valette. « Ah ! madame, s’écria-t-il, je suis perdu ! vous m’avez trompé. » Ce qu’il y avait de plus singulier, c’est que Mme de La Valette était grande et mince, tandis que La Valette était un petit homme gros et ramassé. » En sortant de la Conciergerie, le comte trouva Baudus, qui le fit monter en voiture et le conduisit chez Bresson. Celui-ci le cacha au ministère des affaires étrangères jusqu’au 10 janvier 1816. Ce jour-là, trois Anglais, Bruce, le capitaine Hutchinson et le général Robert Wilson, firent sortir La Valette sous l’uniforme de colonel anglais et le conduisirent jusqu’à Mons, d’où il gagna la Bavière et alla chercher un asile auprès d’Eugène de Beauharnais.

Lorsqu’il apprit l’évasion du condamné, Louis XVIII ne put s’empêcher de faire cet aveu : « De nous tous, Mme de La Valette est la seule qui ait fait son devoir. » Arrêtée à la Conciergerie, où on la trouva portant les vêtements de son mari, la jeune et héroïque femme fut relâchée au bout de quelque temps ; mais les trois Anglais qui avaient conduit La Valette en Belgique furent condamnés à trois mois d’emprisonnement, et le porte-clefs à deux années. Peu après, la raison de la comtesse de La Valette, qui dans toute cotte affaire avait fait preuve d’une présence d’esprit et d’une force d’âme véritablement extraordinaires, s’ébranla, et elle devint folle. Lorsque son mari revint en France, en 1822, elle ne le reconnut plus, et elle continua à vivre dans ce triste état jusqu’en 1855. C’est en partie sur les papiers réunis par elle que son mari composa les intéressants Mémoires publiés par sa famille en 1831.