Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LA MOTTE (les époux)

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 122-123).

LA MOTTE (les époux). Ils ne doivent leur triste célébrité qu'à la fameuse affaire du collier, à laquelle le Grand Dictionnaire a consacré un long article. On ne trouvera donc ici que les renseignements biographiques qui n’ont pu trouver place dans l’ample récit que nous avons donné de cette ténébreuse intrigue.

Jeanne de Luz, de Saint-Rémy, de Valois, comtesse de La Motte, née à Fontète (Champagne) le 22 juillet 1756, morte à Londres en 1791, était fille d’un gentilhomme champenois, qui descendait d’un fils naturel du roi de France, Henri II ; mais, malgré cette origine, la famille était tombée depuis plusieurs générations dans une telle pauvreté, que le baron de Saint-Rémy, après avoir vécu de braconnage et même de vol, alla mourir, en 1761, à l’Hôtel-Dieu de Paris, laissant un fils et deux filles, dont l’aînée, qui devait être la fameuse comtesse, fut recueillie d’abord par la comtesse de Boulainvilliers. On chercha ensuite à obtenir pour ces orphelins l’aide du gouvernement, et Chérin, généalogiste des ordres du roi, ayant vérifié leur généalogie et certifié qu’ils descendaient bien réellement par les mâles du fils naturel de Henri II, le roi accorda au fils une pension de 1,000 livres et l’admission gratuite à l’École de la marine ; chacune des deux filles reçut une pension de 600 livres, et elles furent placées gratuitement à l’abbaye de Longchamps, où elles étaient destinées à prendre le voile plus tard. Mais la vie religieuse ne pouvait guère convenir au caractère ardent et à l’esprit aventureux de l’aînée, et, après quelques années passées au couvent, elle s’enfuit un beau jour avec sa sœur. Toutes deux allèrent se réfugier à Bar-sur-Aube, auprès d’une dame de Surmont, qui les garda chez elle par pure bienfaisance, mais qui en fut assez tristement récompensée, car les deux sœurs ne se firent pas remarquer précisément par la régularité de leur conduite. Jeanne noua des relations avec un jeune homme du nom de Beugnot, qui joua depuis un rôle politique assez important, et enfin fit la connaissance du comte de La Motte, neveu de M. de Surmont, mauvais sujet sans fortune et criblé de dettes. Il finit par l’épouser. Deux mois à peine après son mariage, elle mit au monde deux enfants, qui moururent en naissant. Mme de Surmont, indignée, chassa de chez elle les deux époux, qui allèrent alors chercher fortune à Paris.

Là, Mme de La Motte retrouva Beugnot, qui l’aida de ses conseils et de sa bourse ; mais c’était une ressource trop précaire, et la comtesse, après avoir fatigué la cour et la reine de ses sollicitations, se mit en quête d’une intrigue qui lui offrlt une perspective plus brillante. En 1781, elle noua des relations intimes avec le cardinal de Rohan, et ne tarda pas à prendre un grand ascendant sur ce prélat, aussi débauché qu’il était ambitieux. Toutefois, ce ne fut qu’en mars 1784 qu’elle ébaucha la fameuse intrigue dont nous avons raconté toutes les péripéties, et sur laquelle nous ne reviendrons pas. Arrêtée, condamnée, elle s’évada, comme on le sait, de la Salpêtrière, probablement avec la connivence de l’autorité (1787), et se réfugia à Londres, où elle retrouva son digne époux, qui, lui, n’avait pas été arrêté, mais avait jugé prudent de passer à l’étranger. On sait aussi qu’elle rédigea des Mémoires, où elle accusait formellement Marie-Antoinette de complicité dans l’affaire du collier, et que ce pamphlet, dont l’édition entière fut rachetée à prix d’or par la cour de France, fut néanmoins réimprimé à plusieurs éditions, sous le titre de Vie de la comtesse de La Motte, d’après quelques exemplaires qui avaient échappé à la destruction.

À la fin de 1789, la comtesse était venue à Paris, au grand effroi de Marie-Antoinette. La fameuse aventurière voulait, disait-on, faire reviser son procès ; mais on parvint à la faire repartir, probablement en la soudoyant de nouveau. Elle eut encore de nouvelles aventures dont le détail est peu connu. Il y a aussi diverses versions sur sa fin ; mais la plus généralement admise, c’est qu’elle périt à Londres, en 1791, en tombant d’une fenêtre dans la rue.

Le comte de La Motte lui survécut longtemps. Il avait été condamné par contumace, et il revint, lui aussi, en France, pour faire reviser son procès et se constitua prisonnier. Déjà il avait obtenu un arrêt qui pouvait lui donner quelque espérance, lorsque éclata la révolution du 10 août. Il était à la Force lors des massacres de septembre et fut mis en liberté par les exécuteurs. Depuis, il mena l’existence la plus aventureuse dans toutes les parties de l’Europe, vivant du jeu, de l’escroquerie et de la mendicité. Sous la Restauration, chose assez étrange, il recevait une pension de 4,000 francs de Louis XVIII, plus 200 francs par mois de la police, qui lui fit écrire ses Mémoires, Il mourut misérable et abandonné, en 1831. Beaucoup de personnes, à cette époque, le connaissaient, sans savoir qui il était, pour l’avoir vu, vieux, misérable et cassé, se promener journellement dans le jardin du Luxembourg. Outre les Mémoires qu’il avait rédigés sous l’inspiration de la police, il en avait écrit secrètement une autre version, qui tomba néanmoins entre les mains de l’autorité, et qui fut mutilée de tout ce qui traitait de l’affaire du collier. C’est cette version fragmentaire qui a été publiée en 1858 par M. Lacour (Paris, in-18).