Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LABÉ (Louise), surnommée la Belle Cordière

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 6).

LABÉ (Louise), surnommée la Belle Cordière, une des illustrations féminines de Lyon, née dans cette ville en 1526, morte en 1566. Elle est aussi célèbre par ses galanteries que par ses vers. Son père, Charly, dit Labé, quoique simple marchand, fit donner à sa fille la plus brillante instruction ; elle apprit le grec, le latin, l’espagnol, devint excellente musicienne, excella dans les travaux à l’aiguille et brilla tout autant dans les salles d’armes et les manèges. Elle se délassait de l’étude par l’équitation, l’escrime, aimait à s’habiller en homme et à courir les aventures. Ses contemporains la décrivent comme douée d’une beauté séduisante ; les poëtes célébrèrent à l’envi son front de cristal, l’arc d’ébène de ses sourcils, les roses épanouies de son teint, ses cheveux d’or, qu’ils comparaient au Pactole, sa belle main et ses petits pieds. À seize ans, sous le nom de capitaine Loys, elle suivit les troupes envoyées par François Ier en Riussillon, sous la conduite du dauphin ; elle aimait alors un jeune chevalier, disent les uns, un simple gendarme, disent les autres, et se comparait à Bradamante. Au retour de l’expédition, elle déposa lance et hoqueton pour se marier à un riche cordier, Ennemond Perrin, d’où lui vint son surnom de Belle Cordière. Sa maison, qui était une des plus belles de la ville, entourée d’immenses jardins sur l’emplacement desquels on a ouvert la rue qui porte encore le nom de Belle-Cordière, devint le rendez-vous de la société élégante, des grands seigneurs comme des poètes et des artistes. Son luxe et le mépris dans lequel elle tenait les esprits vulgaires excitèrent l’envie et la médisance ; les dames de Lyon s’efforcèrent de la faire passer pour une courtisane éhontée, et Du Verdier s’est fait leur écho. « Elle recevoit en sa maison, dit-il, seigneurs, gentilshommes et autres personnes de mérite, avec entretiens de devis et discours, musique, tant à la voix qu’aux instrumens, où elle étoit fort duicte, lecture de bons livres latins et vulgaires, italiens et espagnols, dont son cabinet étoit copieusement garni ; collations exquises, confitures, enfin leur communiquoit les pièces les plus secrètes qu’elle eût, Mais, pour dire en un mot, elle faisoit part de son corps à ceux qui fonçoient, non toutefois à tous, et nullement à gens mécaniques et de Vile condition, quelque argent que ceux-là lui eussent voulu donner. » Du Verdier ajoute: « Elle préféroit l’homme de lettres au plus grand seigneur, et faisoit, dit-il, courtoisie à l’un plutôt gratis, qu’à l’autre pour grand nombre d’escus, qui est contre la coustume de celles de son métier et qualité. » On ne sait ce qu’il y a de vrai là-dedans; car quelques auteurs et tous les poëtes de son temps la représentent, au contraire, comme un modèle de fidélité conjugale. Après la mort de son mari, qui lui légua tous ses biens (1565), elle paraît toutefois avoir vécu très-libreinent. Elle-même a fait dans une pièce de vers la confession suivante :

À faire gain jamais ne me soumis,
Mentir, tromper et abuser autrui,
Tant m’a déplu, que médire de lui.
Mais si en moi rien y a d’imparfait,
Qu’on blâme amour, c’est lui seul qui l’a fait.

Quoi qu’il en soit, Louise Labé mérite d’être classée parmi les meilleurs écrivains, en prose et en vers, du XVIe siècle. Sa prose est élégante et pleine de nerf : elle court alerte et dégagée, comme celle des maîtres ; son vers est dur, heurté, et sent trop l’imitation de Ronsard, dont il reproduit les défauts, sans en avoir le souffle. Son œuvre capitale, en prose, est le Débat de la Folie et de l’Amour, scènes dialoguées d’un grand style. Parmi ses vers nous citerons l’Ode à Vénus, qui est adressée, non pas à la déesse des amours, mais à l’étoile du soir ; l’Ode à une femme aimée, imitation de Sapho ; une Épître ou Élégie aux dames de Lyon, et un certain nombre de sonnets remarquables. Le tout forme un recueil peu considérable, mais précieux au point de vue de l’étude de la langue. Il en a été fait, à Lyon surtout, un grand nombre d’éditions ; la première : Œuvres de Louise Labé, Lionnoise (à Lyon, par Jean de Tournus, 1555, petit in-8o) est fort rare ; il n’y en a que deux exemplaires, l’un à Lyon, l’autre à Paris, à la Bibliothèque nationale. Celle de 1556 est presque aussi introuvable. Parmi les réimpressions, nous citerons : Œuvres de Louise Labé, Lyonnaise (Lyon, 1762, petit in-8o) ; Annales poétiques : Louise Labé, poésies (Paris, 1778, in-12), avec notice sur Louise Labé, par Sautereau de Marsy ; Œuvres de Louise Labé, Lyonnaise (Brest, 1815, in-8o) ; les Poètes français depuis le XIIe siècle jusqu’à Malherbe, Louise Labé (Paris, 1824, iin-8°, t. IV) ; Œuvres de Louise Labé, Lyonnoise (Lyon, 1824, in-8o) ; Œuvres de Louise Labé, précédées d’une notice, par M. Collombet (Lyon, 1844, l vol. in-18) ; Œuvres de Louise Labé, Lyonnaise (Paris, 1853, 1 vol. petit in-8o), publiées par Montfalcon et Cailhava.