Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/JOUBERT (Joseph), moraliste français


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JOUBERT (Joseph), moraliste français, né à Montignac (Pêrigord) en 1754, mort à Paris en 1824. Son père, qui était médecin, l’envoya faire ses études à Toulouse, où pendant quelque temps il se livra à l’enseignement chez les Pères de la doctrine chrétienne. En 1778, Joubert se rendit à Paris, où il se lia avec Laharpe, Marmontel, d’Alembert, Diderot, puis avec Fontanes, qui devint son ami intime. En 1790, il retourna dans sa ville natale, où il venait d’être élu juge de paix. Deux ans plus tard, il se démit de ces fonctions pour vivre dans la retraite, à l’écart de toute agitation politique, se rendit à Villeneuve-le-Roi, en Bourgogne, et s’y maria.

De retour à Paris, sous le Directoire, il y retrouva Fontanes, qui le mit en relation avec Chateaubriand, devint un des hôtes assidus de Mme  de Beaumont, qui réunissait dans ses salons une société d’élite, et acquit dans ce centre restreint la réputation du causeur le plus fin et le plus spirituel de son temps. En 1809, Fontanes, alors grand maître de l’Université, le nomma inspecteur général, fonctions qu’il conserva sous la Restauration. Joubert, qui, selon l’expression de Sainte-Beuve, aimait qu’il fît doux et tiède autour de lui, resta toute sa vie étranger aux passions ardentes des partis. Rien, jusqu’à la fin de sa vie, ne vint altérer la sérénité de son intelligence, l’agrément de son commerce, « et il eut le rare bonheur d’arriver au terme de son existence, dit M. Raynal, sans avoir perdu une seule des amitiés formées pendant la route. » Lorsque Joubert s’éteignit, il n’avait publié que quelques articles de journaux. Mais on trouva chez lui de nombreux manuscrits, dont Chateaubriand a publié un extrait, sous le titre de Pensées. Ce livre, de beaucoup augmenté, a été réédité par M. Raynal, sous le titre de Pensées, Essais, Maximes et Correspondance (1842 et 1849, 2 vol. in-8o). Il est plein de traits piquants et originaux. Sainte-Beuve, dans ses Portraits littéraires, n’hésite pas à mettre Joubert au rang de nos plus grands moralistes.

« On aurait, dit-il, beaucoup à tirer des chapitres de M. Joubert sur la critique et sur le style, de ses jugements sur les divers écrivains ; il y paraît neuf, hardi, vrai presque toujours. Il étonne au premier abord, il satisfait le plus souvent quand on y songe. Il a l’art de rafraîchir les préceptes usés, de les renouveler à l’usage d’une époque qui ne tient plus à la tradition qu’à demi. Par ce côté, il est un critique essentiellement moderne. Malgré tous ses regrets du passé, on distingue aussitôt en lui le cachet du temps où il vit. Il ne hait pas un certain air de recherche, et y voit plutôt un malheur qu’un défaut. 11 va même jusqu’à croire « qu’il est permis de s’écarter de la simplicité, lorsque cela est absolument nécessaire pour l’agrément, et que la simplicité seule ne serait pas belle. » S’il veut le naturel, ce n’est pas le naturel vulgaire, mais le naturel exquis. Y atteint-il toujours ? Il sent qu’il n’est pas exempt de quelque subtilité, et il s’en excuse : « Souvent on ne peut éviter de passer par le subtil pour s’élever et arriver au sublime, comme pour monter aux cieux il faut passer par les nuées. » Il s’élève souvent aux plus hautes idées, mais ce n’est jamais en suivant les grandes routes ; il a des sentiers qui échappent. Enfin, pour tout dire, il a de la singularité et de l’humeur individuelle dans ses jugements. C’est un humoriste indulgent, qui rappelle quelquefois Sterne, ou plutôt Charles Lamb. Il a une manière qui fait qu’il ne dit rien, absolument rien, comme un autre. Cela est sensible dans les lettres qu’il écrit, et ne laisse pas de fatiguer à la longue. Par tous ces coins, M. Joubert n’est pas un classique, mais un moderne »