Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Indes (HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQUE DES ÉTABLISSEMENTS DES EUROPÉENS DANS LES DEUX), par l’abbé Raynal

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 2p. 639).

Indes (histoire philosophique et politique des établissements des Européens dans les deux), par l’abbé Raynal (Amsterdam, 1770). Cet ouvrage, assez oublié aujourd’hui, donna à son auteur, quand il parut, une prodigieuse célébrité. Au milieu de documents statistiques qui, forcément, ont perdu de leur exactitude, on y trouve quelques pages d’une éloquence réelle et de violentes attaques contre tous les abus. C’était d’ailleurs une matière instructive et neuve, que l’histoire des relations politiques et commerciales des peuples européens avec les peuples de l’Asie et de l’Amérique. Aussi le succès fut-il immense et l’Histoire philosophique, traduite dans toutes les langues, compta bientôt vingt éditions et plus de cinquante contrefaçons. L’abbé Raynal avait reçu d’Holbach, de Naigeon, de Deleyne, des comtes d’Aranda et de Souza, de Jean de Pechmeja, de Diderot enfin, des matériaux, des documents, des appréciations, des passages, des chapitres entiers. Diderot surtout, qui prodiguait si généreusement son talent, a été l’un des collaborateurs les plus assidus de Raynal, et a fourni à cet ouvrage célèbre les pages les plus hardies et les plus éloquentes. De cette diversité d’informations, il a dû résulter nécessairement quelques erreurs, et ces documents si nombreux ont été parfois entassés pêle-mêle. Mais ces imperfections n’expliquent pas, tant s’en faut, toutes les attaques dont Raynal et son livre ont été l’objet Son crime irrémissible, c’est d’avoir osé dire le premier : « Peuples lâches, vous vous contentez de gémir, quand vous devriez rugir. » Et dans un autre passage resté non moins célèbre : « Quand viendra donc cet ange exterminateur, qui abattra tout ce qui s’élève et qui mettra tout au niveau ? »

Le peuple, dont le cœur s’était soulevé de dégoût à la vue des orgies du Parc-aux-Cerfs et qui n’avait plus en face de lui que l’imbécillité d’un roi sans vices, mais aussi sans vertus, le peuple était tout préparé à entendre ces énergiques paroles. Aussi la frayeur fut-elle grande chez les défenseurs du trône et de l’autel. Palissot, d’abord, le jésuite Feller ensuite essayèrent de combattre par la plume les théories incendiaires de Raynal. D’après l’ancien oratorien, comme d’après le disciple de Loyola, on ne trouvait dans l’ouvrage de l’abbé Raynal que « des déclamations audacieuses, dans lesquelles ni les principes moraux, sauvegarde des États, ni les États eux-mêmes n’étaient respectés... ; de la confusion, même des absurdités, des attaques fatigantes contre les lois, les usages établis, les gouvernements, et surtout contre les rois et les prêtres. »

Mais le succès du livre allait croissant ; Raynal répondit à ces attaques par une édition nouvelle. On eut alors recours à d’autres moyens : le gouvernement ordonna la suppression de l’ouvrage le 29 décembre 1772. L’ouvrage se répandit plus encore. Le parlement intervint, et, en 1781, il rendit un arrêt qui condamna l’Histoire philosophique et politique des établissements des Européens dans les deux Indes à être brûlée par la main du bourreau. Cette condamnation eut son effet naturel, et explique, au moins autant que le mérite de l’ouvrage, le prodigieux succès du livre de Raynal.

L’abbé Raynal ne mit pas d’abord son nom aux diverses éditions de son ouvrage ; l’édition de Genève (1780, 10 vol. in-8°) est la première qui ait paru avec le nom de l’auteur.