Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Homme (L’), de René Descartes
Homme (L’), de René Descartes, avec les remarques de Louis de Laforge et un traité de la formation du foetus par le même Descartes (Paris, 1664, 1 vol. in-4o). C’est la première édition française. Deux ans auparavant, on en avait publié une traduction latine intitulée : Renatus Descartes de homine, figuris et latinitate donatus a Florentio Schuyl (Lugduni Batavorum, 1662, in-4o). Cet ouvrage est une suite du traité de la lumière, et dans l’original, que possédait Clerselier (éditeur de Descartes), il a pour titre : ch. XVIII. Descartes établit d’abord de quoi se compose l’homme qu’il veut décrire : « Ces hommes seront composés comme nous, d’une âme et d’un corps, et il faut que je vous décrive premièrement le corps à part, puis après l’âme aussi à part, et enfin que je vous montre comment ces deux natures doivent être jointes et unies pour composer des hommes qui nous ressemblent. Je suppose que le corps n’est autre chose qu’une statue ou machine de terre (c’est ici que Condillac a puisé l’idée de l’homme-statue), que Dieu forme tout exprès pour la rendre la plus semblable à nous qu’il est possible, en sorte que non-seulement au dehors il lui donne la couleur et la figure de tous nos membres, mais aussi qu’il met au dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu’elle marche, qu’elle mange, qu’elle respire et enfin qu’elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent être imaginées procéder de la matière et ne dépendre que de disposition des organes. »
Cela posé, Descartes rend compte de la digestion, de la formation et de la circulation du sang d’une manière tout à fait mécanique. Cette préoccupation constante de Descartes à rendre compte de tout au moyen des forces physiques de la nature lui était amèrement reprochée par Pascal, qui l’accuse de chasser Dieu de la nature le plus qu’il peut. Il n’y a, suivant Pascal, que le mouvement initial que Descartes n’ait pu réussir à faire produire aux éléments. Le rôle de Dieu se borne à donner une chiquenaude à la machine du monde, afin qu’elle marche.
« Pour ce qui est, dit Descartes, des parties du sang qui pénètrent jusqu’au cerveau, elles n’y servent pas seulement à nourrir et à entretenir sa substance, mais principalement aussi à y entretenir un certain vent trés-subtil, ou plutôt une flamme très-vive et très-pure, qu’on nomme les esprits animaux. Or, à mesure que ces esprits entrent ainsi dans les concavités du cerveau, ils passent de là dans les pores de sa substance, et de ces pores dans les nerfs, où, selon qu’ils entrent, ou seulement qu’ils tendent à entrer plus ou moins dans les uns que dans les autres, ils ont la force de changer la figure des muscles en qui les nerfs sont insérés et par ce moyen de faire mouvoir tous Les membres. »
Pour Descartes comme pour l’école phrénologique moderne, il existe dans le cerveau un lieu particulier affecté à chacune de nos facultés mentales. Il distingue le lieu de l’imagination, le lieu du sens commun, celui de la mémoire, et il ajoute : « Je désire que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement en cette machine (la machine humaine) de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d’une autre horloge, ou automate, de celle de ses contre-poids et de ses roues ; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative ou sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie que son sang et ses esprits agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés. »
Il n’est pas étonnant que de telles doctrines aient scandalisé les spiritualistes de l’école théologique, qui y trouvaient trop de ressemblance avec celles des matérialistes, quoique Descartes ne fût pas matérialiste au fond, comme cela résulte de ses autres ouvrages.