Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Hohenlinden (BATAILLE DE), la plus célèbre qu’ait gagnée Moreau

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 334-335).

Hohenlinden (BATAILLE DE), la plus célèbre qu’ait gagnée Moreau ; livrée le 3 décembre 1800 entre les Français et les Autrichiens. Après Marengo, un assez long armistice fut conclu, pendant lequel les plénipotentiaires français et autrichiens ouvrirent à Lunéville des conférences pour la paix ; mais, par une bizarrerie assez étonnante, tandis que les vainqueurs souhaitaient ardemment le repos, les vaincus semblaient vouloir s’obstiner à continuer la guerre, sans doute dans l’espoir que le hasard des combats leur rendrait les avantages perdus. L’Autriche, par la bouche de son représentant, M. de Cobentzel, déclara qu’elle ne pouvait traiter sans la présence au congrès d’un plénipotentiaire anglais, ce qui heurtait de front les intentions du premier consul, qui voulait négocier avec chaque puissance séparément. Il fit aussitôt annoncer à M. de Cobentzel que les hostilités seraient reprises à la fin de l’armistice, c’est-à-dire aux derniers jours de novembre, et que les armées françaises ne s’arrêteraient dans leur marche que lorsque le plénipotentiaire autrichien consentirait à traiter sans l’Angleterre. Au reste, tout était prêt pour cette campagne d’hiver, une des plus célèbres et des plus décisives de notre histoire : Augereau était campé avec 20,000 hommes sur le Mein ; Moreau se trouvait sur l’Inn avec 130,000 ; Macdonald, chez les Grisons, avec 15,000 ; Brune, en Italie, avec 125,000 ; enfin Murat s’acheminait sur ce dernier point avec 10,000 grenadiers. Moreau, chargé du commandement de la principale armée, franchit le Rhin sur trois points différents, venge, en passant dans les plaines de Hochstædt, notre défaite de 1704, et s’avance sur les bords de l’Inn, dont l’archiduc Jean, commandant de l’armée autrichienne, s’apprête à le repousser. Un premier engagement eut lieu, à la suite duquel l’aile gauche de Moreau, commandée par le général Grenier et forte de 26,000 hommes, dut abandonner les positions qu’elle occupait. après avoir vaillamment résisté à 40,000 Autrichiens. Moreau se retira alors dans la vaste forêt de Hohenlinden, et c’est là que l’archiduc Jean, infatué d’un premier et facile succès, eut l’imprudence d’aller le chercher. Deux routes traversent la forêt : l’une à droite, aboutissant directement à l’Inn par Ebersberg et Wasserbourg ; l’autre à gauche, passant par Hohenlinden, Mattenboett, Aag, Ampfing, et joignant l’Inn à Mühldorf par un trajet plus long. C’est par cette dernière route que les Autrichiens s’engagèrent dans les défilés et les replis de la forêt. Moreau jugea sur-le-champ la situation des ennemis. En conséquence, il résolut de les laisser s’engager, à fond dans la forêt, puis de rabattre son centre de la route d’Ebersberg sur celle de Hohenlinden pour les surprendre dans ce coupe-gorge et les y détruire. Cette route de Hohenlinden suivie par les Autrichiens formait dans la forêt un long défilé, bordé de hauts sapins ; mais à Hohenlinden même, la forêt s’éclaircissait tout à coup et laissait a découvert une petite plaine semée de quelques hameaux, au milieu desquels se détachait le village de Hohenlinden. C’est là que devait aboutir la masse de l’armée autrichienne. Moreau y déploya son aile gauche commandée par Grenier et renforcée d’une division détachée du centre, sous les ordres de Grouchy ; il établit cette division à droite de la route et du village de Hohenlinden ; à gauche, il plaça la division Ney, et plus à gauche encore, en avant des villages de Preisendorf et de Harthofen, les divisions Legrand et Bastoul, défendant, sur la lisière du bois, les têtes des chemins par lesquels devaient déboucher les colonnes autrichiennes qui remontaient la vallée de l’Isen. Au milieu de la plaine et en arrière de ces quatre divisions, se déployaient les réserves de cavalerie et d’artillerie. Les deux divisions Richepanse et Decaen, qui formaient le centre, se trouvaient aux environs d’Ebersberg, à quelques lieues de Hohenlinden. Moreau leur fit parvenir l’ordre de se jeter de la route de droite sur celle de gauche, de marcher sur Mattenboett, et de surprendre l’armée ennemie engouffrée dans la forêt. Quant à la droite de Moreau, elle était trop éloignée pour pouvoir prendre part à l’action qui se préparait. C’était donc avec moins de 60,000 hommes qu’il allait lutter contre 70,000 Autrichiens ; mais c’étaient les vieux soldats de la République.

L’archiduc Jean, tout fier d’avoir fait reculer de quelques pas la redoutable armée du Rhin, et n’imaginant pas que les Français osassent lui opposer la moindre résistance, se disposa à traverser, le 3 décembre, la forêt de Hohenlinden. Il avait divisé son armée en quatre corps. Le principal, celui du centre, comprenait les grenadiers hongrois, les Bavarois, une grande partie de la cavalerie et 100 pièces de canon. Il devait suivre le défilé que la route de Mühldorf à Hohenlinden forme à travers la forêt, et était flanqué à sa gauche d’un corps de 12,000 hommes commandé par le général Riesch. À l’autre extrémité, les corps de Baillet-Latour et de Kienmayer devaient continuer à remonter la vallée de l’Isen, où ils étaient engagés, et déboucher tous deux dans la plaine déboisée de Hohenlinden.

Le 3 décembre 1800, au matin, Moreau monta à cheval avant le jour ; son armée était déployée entre Hohenlinden et Harthofen, et déjà, de leur côté, les généraux Richepanse et Decaen exécutaient le mouvement qui leur avait été prescrit. Pendant ce temps, le centre des Autrichiens, avec l’archiduc Jean en tête, s’enfonçait dans le défilé de Mattenboett à Hohenlinden ; il atteignit ce dernier point bien avant que les généraux Riesch, Baillet-Latour et Kienmayer, embarrassés dans des chemins impraticables, pussent arriver sur le champ de bataille. L’archiduc déboucha sur la lisière du bois, en face des divisions Ney et Grandjean (commandant Grouchy), rangées en bataille en avant de Hohenlinden. De part et d’autre s’ouvrit alors un feu très-vif d’artillerie. La neige tombait à gros flocons. Les Autrichiens, après avoir abordé la 108e, qui leur résista vaillamment, essayèrent de la tourner en faisant filer par le bois huit bataillons hongrois, et réussirent à lui faire perdre du terrain ; mais alors les généraux Grouchy et Grandjean, accourant avec la 46e engagèrent un combat furieux avec les grenadiers hongrois au milieu des sapins, parvinrent à les refouler, et empêchèrent ainsi la colonne autrichienne de se déployer dans la plaine de Hohenlinden. Une seconde attaque, dirigée par l’archiduc sur la division Grandjean, fut repoussée comme la première ; mais la mêlée fut sanglante, et l’on combattit corps à corps ; en un instant, Ney eut enlevé 10 pièces de canon aux Autrichiens et leur eut fait une multitude de prisonniers.

Cependant, le corps de Baillet-Latour commence à se montrer à notre gauche, prêt à déboucher dans la plaine de Hohenlinden ; la neige a cessé momentanément de tomber, ce qui permet de distinguer facilement ces nouvelles troupes qui, toutefois, ne sont pas encore en mesure d’agir, et que les divisions Bastoul et Legrand s’apprêtent à recevoir. Tout à coup une sorte d’ondulation, annonçant l’incertitude et la frayeur, se manifeste parmi les troupes autrichiennes, qui n’ont pu parvenir encore à sortir du défilé ; évidemment quelque chose d’extraordinaire se passe sur leurs derrières. Moreau devine aussitôt, avec une sagacité qui fait honneur à son coup d’œil militaire, qu’un événement imprévu menace les Autrichiens, et il ne peut l’attribuer qu’à l’heureuse exécution du mouvement qu’il a ordonné aux généraux Richepanse et Decaen. Il commande alors aux généraux Ney et Grandjean de charger les Autrichiens, qui commençaient à aborder la plaine de Hohenlinden, et de les refouler dans le défilé. Chargés de front par Ney, de flanc par Grouchy, ils s’accumulent pêle-mêle dans cette gorge étroite avec leur artillerie et leur cavalerie, et, en un instant, ils laissent de nouveau entre nos mains une foule de prisonniers.

À Mattenboett, en effet, se passaient les événements qu’avait prévus et préparés Moreau : Richepanse et Decaen, abandonnant la route d’Ebersberg, s’étaient rabattus sur celle de Hohenlinden. Richepanse, parti le premier, s’était hardiment lancé à travers les terrains sillonnés de bois et de ravins qui séparaient les deux routes, faisant des efforts inouïs pour traîner avec lui ses pièces de petit calibre. Pendant quelques instants, sa colonne fut forcée de s’arrêter : son guide s’était égaré et l’avait conduite dans des chemins affreux qu’il n’était pas même possible de suivre, car des tourbillons de neige empêchaient de distinguer les objets à dix pas. Cependant la tête de la colonne continue de s’avancer intrépidement, tandis que la brigade Drouet reste en arrière et engage une vive fusillade avec les troupes du général Riesch, qui vient d’arriver à Saint-Christophe. Richepanse, inspiré par son instinct militaire, continue sa marche offensive, et fait dire au général Drouet d’occuper fortement l’ennemi jusqu’à ce que le général Decaen arrive pour le dégager ; puis il se dirige rapidement sur Mattenboett avec 6,000 hommes seulement, traînant à bras sa petite artillerie dont les affûts étaient à moitié enfoncés dans la boue. Il arrive enfin à Mattenboett, à l’autre extrémité du défilé dont Ney occupait la tête à Hohenlinden. Là, il se heurte tout à coup contre les cuirassiers de Nassau, qu’il trouve à terre, la bride de leurs chevaux passée à leurs bras. Sans leur donner le temps de se remettre en selle, il fond sur eux et les force à se rendre. Il traverse alors le village à la tête de ses troupes, et va les former parallèlement à la route de Hohenlinden, qui passe à une portée de fusil de Hohenlinden ; puis il établit ses 6 pièces de canon au centre de sa ligne, sur son front. 8 escadrons autrichiens se trouvaient rangés vis-à-vis du général Richepanse, ayant 8 bouches à feu pour les appuyer. Tandis que la 48e demi-brigade se forme, le premier de chasseurs charge la cavalerie ennemie ; mais il est pris en flanc par un escadron que masquait un ravin, et ramené en arrière. Toutefois, la e, croisant la baïonnette, arrête l’élan des cavaliers ennemis. La position de Richepanse n’en devient pas moins critique, car il se voit sur le point d’être cerné de toutes parts. Alors, pour ne pas donner aux Autrichiens le temps de se rendre compte de sa faiblesse, il marche résolument sur la grande route avec la 48e et confie au général Walther le soin d’arrêter l’arrière-garde ennemie avec la 8e demi-brigade et le premier de chasseurs. Mais les Autrichiens se préparent à défendre l’entrée de la forêt avec trois pièces d’artillerie ; Richepanse, mettant l’épée à la main, s’avance au milieu de ses grenadiers, essuie impassiblement un horrible feu de mitraille, et rencontre trois bataillons hongrois qui s’avancent en colonnes serrées pour le charger. Richepanse, s’adressant à ses soldats : « Grenadiers de la 48e, s’écrie-t-il, que dites-vous de ces hommes-là ? — Général, répondent les grenadiers, ils sont à nous ; marchons ! » Puis ils se précipitent comme un torrent et renversent tout ce qui tente de leur résister. Un affreux désordre éclate au sein de la colonne autrichienne, et, à l’extrémité du défilé, des cris confus se font entendre ; c’est que Ney, parti de Hohenlinden, refoule dans cette gorge fatale les ennemis, qui essayent inutilement d’en déboucher, et qui se trouvent broyés comme entre les deux branches d’un étau. Ney et Richepanse se rejoignent et se donnent la main en passant sur des monceaux de cadavres ; ils se jettent dans les bras l’un de l’autre en se félicitant d’un si beau résultat De toutes parts, les Autrichiens se dispersent dans les bois ou demandent grâce au vainqueur ; on fait des prisonniers par milliers, on prend toute l’artillerie et les bagages. Richepanse, laissant alors à Ney le soin de compléter la victoire sur ce point, s’empresse de voler au secours de Walther, qu’il avait laissé à Mattenboett aux prises avec des forces supérieures ; en arrivant, il rencontre cet intrépide général porté sur les bras de ses soldats ; une balle lui avait traversé le corps ; mais son regard rayonnait de joie et lui faisait oublier les douleurs de sa blessure, qui, heureusement, n’était pas mortelle. Richepanse se rabat aussitôt sur Saint-Christophe pour dégager le général Drouet, luttant contre le corps du général Riesch ; mais déjà, suivant sa prévision, Drouet avait été dégagé par le général Decaen, qui avait fait lui-même beaucoup de prisonniers aux Autrichiens. Ainsi, le centre de l’armée ennemie était presque anéanti.

Tandis que ces événements se passaient au milieu de la forêt de Hohenlinden, les divisions Bastoul et Legrand, formant notre gauche, résistaient vaillamment à l’infanterie des généraux Baillet-Latour et Kienmayer, bien supérieure en nombre et ayant pour elle l’avantage de la position ; car elle occupait des ravins boisés dominant la petite plaine de Hohenlinden, et de là dirigeait sur nos soldats un feu plongeant et meurtrier. Heureusement, Bastoul et Legrand étaient appuyés par la réserve de cavalerie de d’Hautpoul et par une des deux brigades de Ney, qui s’était jeté dans le défilé avec une seule. Le général Grenier, qui commandait la division, apprend bientôt le succès de l’attaque du centre, et, quoique ses troupes fussent de moitié inférieures en nombre, il prend hardiment l’offensive sur toute sa ligne. La lutte fut opiniâtre ; les positions furent prises et reprises, et plusieurs fois des corps français et autrichiens se mêlèrent dans leur acharnement. Mais l’impulsion communiquée par la victoire rendit l’attaque de nos troupes irrésistible ; le général Legrand finit par culbuter l’ennemi dans les défilés de Lendorf, tandis que le général Bonnet, avec une brigade de la division Bastoul, le rejetait en désordre sur l’Isen. Dans ce combat partiel, les Autrichiens laissèrent entre nos mains 1,500 prisonniers et 6 pièces de canon.

La victoire était complète : il était cinq heures du soir, et la nuit couvrait de ses ombres le champ de bataille. Nous avions tué ou blessé 7,000 à 8,000 Autrichiens, fait 12,000 prisonniers, pris 300 voitures et près de 100 pièces de canon, résultat inouï jusqu’alors ; jamais nous n’avions enlevé aux Autrichiens, dans une seule bataille, une quantité aussi considérable d’artillerie.

Cette journée, la plus belle de Moreau, fut aussi une des plus grandes de ce siècle, qui en a vu pourtant de si extraordinaires ; le premier résultat qu’elle amena fut le traité de Lunéville, dont l’Autriche éperdue ne put, pour ainsi dire, discuter les conditions.