Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/HYPATIE, femme illustre par sa beauté et son éloquence

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 2p. 510).

HYPATIE, femme illustre par sa beauté et son éloquence, une des gloires de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, née dans cette ville vers 380 de notre ère, massacrée en 415 par la populace chrétienne à l’instigation de saint Cyrille, évêque d’Alexandrie. Son père Théon était un philosophe péripatéticien, à qui ses connaissances mathématiques avaient acquis une réputation considérable. Il enseigna lui-même à sa fille l’astronomie, les sciences exactes et les principes d’Aristote. Pour étudier la philosophie, Hypatie se rendit à Athènes, où elle suivit les leçons de plusieurs maîtres célèbres, notamment de Plutarque le Jeune et de sa fille Asclépigénie, qui professait avec succès. De retour à Alexandrie, la fille de Théon entreprit d’enseigner publiquement la philosophie, et elle devint l’objet de l’admiration de tous. Son sexe, sa beauté, l’étendue de son savoir se réunissaient pour lui concilier la sympathie universelle. L’attrait qu’elle inspirait était commun aux chrétiens et aux sectateurs de l’ancien culte. Après l’avoir entendue, l’évêque Synésius, qui n’était qu’à moitié chrétien, dans une lettre écrite à elle-même, l’appelle sa mère, sa sœur, sa dame, sa bienfaitrice. Si elle exerçait un tel prestige parmi ses adversaires, il n’est pas étonnant qu’elle plût encore davantage aux païens ; ils ne parlaient d’elle que sous le nom de la philosophe, ή φιλόσοφος. À ces cours assistait une affluence considérable d’auditeurs venus de fort loin, et elle ne pouvait sortir sans être environnée d’admirateurs qui lui faisaient un glorieux cortège. D’après Damascius, saint Cyrille, nommé évêque d’Alexandrie en 412, passant un jour devant la porte d’Hypatie, fut arrêté dans son chemin par la foule qui se précipitait pour entendre la fille de Théon, et il en conçut un tel sentiment de jalousie qu’il résolut alors de faire mettre à mort la noble et savante jeune fille.

À cette époque, les trois quarts de la population d’Alexandrie étaient encore païens. Dans les classes inférieures de la société, les vieilles mœurs continuaient à régner ; dans les classes élevées, la philosophie ne consentait point à abdiquer. D’autre part, les meneurs du parti chrétien et le pouvoir croissant de l’évêque, qui était leur chef, inquiétaient le préfet de la ville, Oreste. Il s’appuyait volontiers sur les éléments hostiles au christianisme, pour tenir les chrétiens en respect et conserver un lambeau d’autorité. Hypatie, dont il demandait les conseils, l’encourageait dans sa résistance ; c’était un nouveau grief à lui imputer. Les années 413 et 414 s’écoulèrent dans des tiraillements continuels entre Cyrille et le préfet Oreste, soutenu par Hypatie. Un jour de carême de l’année 415, comme Hypatie sortait de chez elle, une troupe de forcenés, conduits par un nommé Pierre, attaché comme lecteur à l’église de Cyrille, l’arrache de son char et la traîne jusqu’à la grande église appelée la Césarie. Là on la dépouille de ses vêtements, on la massacre sous une grêle de pierres, de tuiles, de débris de poteries ; on coupe son corps en morceaux, on promène dans les rues d’Alexandrie ces honteux trophées, et on les brûle enfin dans un lieu nommé Cinaron. Ainsi périt, victime du fanatisme religieux, cette femme remarquable, qui fut une des dernières gloires des écoles d’Alexandrie et d’Athènes ; Hypatie avait écrit deux commentaires, le premier sur le canon astronomique de Ptolémée, le second sur les sections coniques d’Apollonius de Perga ; il n’en reste qu’un fragment sans importance. On lui a longtemps attribué une lettre à Cyrille, qui se trouve dans la collection des conciles de Baluze, et dans laquelle elle plaide la cause de Nestorius et se plaint qu’on l’ait banni. Cette lettre est évidemment fausse, car Nestorius ne fut exilé qu’en 436, c’est-à-dire dix-neuf ans après la mort d’Hypatie. Son souvenir se conserva longtemps. Plusieurs siècles plus tard, on qualifiait encore de seconde Hypatie les femmes distinguées par leur savoir ou leur talent de parole. Il y a, dans l’Anthologie grecque, une épigramme de Paul le Silentiaire, composée en l’honneur d’Hypatie, et dans Synésius plusieurs lettres adressées à la célèbre néoplatonicienne par l’évêque philosophe. On peut consulter à son sujet les quatre Dissertations sur Hypatie, par Wernsdorf (Wittemberg, 1848, in-4o).