Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Guiscard et Sigismonde, roman latin de Léonard d’Arrezzo

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1637).

Guiscard et Sigismonde, roman latin de Léonard d’Arrezzo (1436). L’aventure tragique qui en fait le fond, soit qu’elle ait été inventée à plaisir, soit qu’elle ait quelque réalité, frappa sans doute bien vivement les conteurs du XVe siècle, car on la trouve narrée en latin, en français, en italien, en prose et en vers, Boccace en a fait une des nouvelles les plus intéressantes de son Décaméron. Jehan Fleury, qui signait Johannes Floridus, l’a mise en vers sous le titre assez singulier de : Traicté plaisant et récréatif des amours parfaictes de Guiscard et de Sigismonde ; Phil. Béroalde l’Ancien en fit un poëme latin, en vers élégiaques ; on en trouve aussi une version italienne en vers dans les Novelle de Sachetti ; elle est du Guasco. Cette fiction ou cette histoire rappelle Gabrielle de Vergy, l’héroïne contrainte de manger le cœur de son amant, qui a fourni à Du Belloy le sujet d’un tragédie. La belle Sigismonde, jeune veuve que son père ne songe pas à remarier, fait monter chez elle un écuyer, joli garçon, Guiscard, qui s’introduit à l’aide d’une porte secrète donnant dans une cave abandonnée. Un jour le père, un prince de Salerne assez fabuleux, entre dans la chambre de sa fille absente et se couche au pied du lit, sans soupçon aucun, pris du sommeil de la méridienne. Sigismonde entre ensuite sans bruit, ouvre la porte à son amant, et le père se trouve être témoin de la faute de sa fille. Il ne jette pas un cri et reste caché, pour ne rien ébruiter ; mais, dès qu’il peut sortir, il fait arrêter Guiscard et vient, les yeux pleins de larmes, se lamenter auprès de sa fille déshonorée. Celle-ci, loin de nier ou de mentir, se fait gloire d’avoir choisi pour amant un serviteur loyal de son père et rejette sa faute sur l’imprévoyance de celui-ci. Le prince fait étrangler Guiscard, ordonne qu’on lui arrache le cœur et qu’on le porte dans une coupe d’or à sa fille. Sigismonde, qui, prévoyant la mort de son amant, a préparé du poison, reçoit ce présent tragique sans changer de visage. « Un cœur si généreux ne pouvait recevoir une plus belle sépulture, dit-elle, et mon père a sagement agi. » Par un raffinement singulier, elle verse le poison sur ce cœur sanglant et le boit jusqu’à la dernière goutte. Le père, qui croyait que sa fille manquerait de résolution, arrive pour jouir de sa vengeance, et, voyant Sigismonde à moitié morte, se livre au désespoir. L’héroïne garde jusqu’au bout sa sérénité. « Mon père, lui dit-elle, réserve tes larmes pour un événement plus funeste que n’est celui-ci ; ne pleure pas sur moi qui ai désiré mourir. Qui jamais, autre que toi, a-t-on vu pleurer de voir que sa volonté s’exécute ? » Et Sigismonde meurt en étreignant le cœur de son amant contre sa poitrine.

Il est difficile de saisir la moralité de ce récit, que les conteurs italiens et français se sont plu à orner de toutes les grâces du langage et de l’imagination. Il eut une très-grande vogue, et, sous le titre de : Guiscard et Sigismonde ou Lettere di due amanti, ou encore De duobus amantibus, Guiscarde et Sigismonda, il eut de très-nombreuses éditions.