Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GABORIAU (Émile), littérateur et romancier français (Supplément 1)

Administration du grand dictionnaire universel (16, part. 3p. 861-862).

GABORIAU (Émile), littérateur et romancier français, né à Saujon (Charente-Inférieure) en 1835, mort à Paris en septembre 1873. Lorsqu’il sortit du collège, son père, conservateur des hypothèques, le fit entrer comme clerc dans une étude de notaire. Émile Gaboriau, dont l’imagination était des plus vives, se sentit pris d’une telle aversion pour la carrière qu’on voulait lui faire suivre, qu’il s’engagea dans la cavalerie. Il devint maréchal des logis chef ; puis, le temps de son engagement expiré, il partit pour Paris, avec l’idée depuis longtemps arrêtée de tenter la fortune des lettres. Pour vivre, il entra dans une maison de roulage, où il obtint un emploi des plus modestes. « Le soir, dit M. d’Aunay, il faisait des chansons et des devises pour les confiseurs. Pendant deux ans, il fut le fournisseur attitré de la rue des Lombards, dont son patron camionnait les caisses. » Un quatrain en l’honneur de Paul Féval, qu’il publia dans un petit journal, le mit en relation avec le célèbre romancier, dont il devint le secrétaire. Gaboriau entra alors en relation avec divers gens de lettres et des éditeurs. En 1860, il publia les Cotillons célèbres (2 vol. in-12), puis il fit paraître successivement des volumes de fantaisies et de nouvelles qui furent assez bien accueillis, sans toutefois le mettre complètement en évidence. Tels sont : le 13e hussards, types, profils, esquisses et croquis militaires (1861, in-12) ; L’Ancien Figaro, études satiriques, bigarrures, etc. (1861, in-12), extraits du Figaro de la Restauration ; Ruses d’amour (1862, in-12) ; les Mariages d’aventure (1862, in-12) ; les Gens de bureau (1862, in-12) ; les Comédiennes adorées (1863, in-12). Quelque temps après, il fit paraître dans le Pays le premier de ses romans judiciaires, L’Affaire Lerouge. C’était une œuvre très-curieuse, dans laquelle l’auteur initiait le public au fonctionnement exact de la justice et de la police. Le Pays était peu lu. Le roman du Gaboriau eût fait peu de bruit si, par suite d’un hasard, quelqu’un n’avait attiré l’attention de Millaud, fondateur du Petit Journal, sur l’Affaire Lerouge. Millaud lut le roman, en fut vivement frappé et traita avec l’auteur pour une reproduction dans le Soleil. Dans ce journal, l’Affaire Lerouge eut un succès énorme. À peine connu jusque-là, Gaboriau arrivait tout à coup à la réputation. Millaud engagea le jeune romancier à continuer un genre dans lequel il avait montré des qualités brillantes, et il passa avec lui un traité par lequel il lui assura 18 000 francs par an. À partir de ce moment, Gaboriau continua la série de ses romans judiciaires, et il publia successivement : le Crime d’Orcival (1867, in-12) ; le Dossier n° 113 (1867, in-12) ; les Esclaves de Paris (1869, in-12) ; M. Lecoq (1869, 2 vol. in-12) ; la Vie infernale (1870, 2 vol. in-12) ; la Clique dorée (1871, in-12) ; la Dégringolade (in-12) ; la Corde au cou (1873, in-12).

Gaboriau était un romancier de talent, trop tôt enlevé aux lettres ; il avait le don d’intéresser et d’émouvoir. Dans des cadres qui avaient tous entre eux quelques points de ressemblance, car il s’agit presque toujours, chez lui, d’un policier émérite aux prises avec les difficultés d’une enquête judiciaire très-embrouillée, il savait trouver des éléments nouveaux d’intérêt et d’émotion. Les premières pages de ses romans piquent vivement la curiosité ; les faits et gestes du policier mis sur la piste du coupable ou parfois se trompant de voie et revenant au point de départ pour recommencer ses investigations tiennent le lecteur en haleine. Malheureusement, Gaboriau dénoue presque toujours d’une manière assez faible les fils qu’il a si bien enchevêtrés ; un suicide, une mort subite, une disparition mystérieuse mettent trop souvent fin dans ses romans à une situation inextricable, et montrent l’impuissance de l’auteur à satisfaire complètement la curiosité qu’il avait éveillée. Sans être un écrivain du premier ordre, il savait écrire, et son style a toujours de la correction et du nerf, qualités généralement négligées dans les feuilletons.

Les dernières œuvres de Gaboriau sont : l’Argent des autres (1874, 2 vol. in-12) et le Petit vieux des Batignolles (1876, in-12). Citons encore l’Affaire Lerouge, drame en cinq actes, avec Hostein (1872, in-12). Il venait de faire un voyage dans la Charente-Inférieure, et il arrivait à Paris en bonne santé lorsqu’il mourut tout à coup d’une attaque d’apoplexie pulmonaire. En ce moment, il avait résolu, dit-on, de rompre avec l’improvisation du feuilleton quotidien et de publier une œuvre véritablement littéraire, dont il avait fait le plan et qui avait pour titre Ninette Suzor.