Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Lettres sur l’histoire de)


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France (Lettres sur l’histoire de), par Augustin Thierry (1 vol., 1827 et 1828). Cet ouvrage est l’un de ceux auxquels l’auteur a fait subir le plus de changements. La première série de ces Lettres avait paru, en 1320. dans le Courrier Français. Ang. Thierry, qui avait renouvelé son éducation historique, les refit, ou, pour mieux dire, les retravailla pour le fond et pour la forme, et y ajouta quinze nouvelles Lettres dans lesquelles il traite avec plus de développement deux questions fondamentales qu’il n’avait fait qu’effleurer : celle de la formation de la nation française, et celle de la révolution communale. C’est de l’ouvrage définitif que nous devons entretenir le lecteur, et non de ce que l’auteur appelle sas travaux de jeunesse. Cependant il convient d’exposer au préalable le but qu’il s’était d’abord proposé.

Préoccupé du vif désir de contribuer pour sa part au triomphe des opinions constitutionnelles, Aug. Thierry se mit à chercher dans les livres d’histoire des preuves et des arguments à l’appui de ses croyances politiques. Bientôt il étudia les faits et les personnages pour eux-mêmes, et il s’aperçut que l’histoire de France, sous les premières races, était entièrement à écrire. Alors n’avaient point’encore paru les travaux de Sismondi, de M. Guizot, de M. de Barante. Il fallait renouveler la conviction publique faussée par les livres modernes, surtout par les ouvrages de Velly, de Mably, d’Anquetil. Thierry osa attaquer de front la science erronée, et remplacer par un peu de vrai les niaiseries de l’enseignement traditionnel et les préjugés du monde.

La plupart des Lettres d’Aug. Thierry sont des dissertations entremêlées de récits et de fragments des historiens originaux. « Tel événement particulier dont le caractère fut longtemps méconnu, présenté sous son véritable aspect, peut éclairer d’un jour nouveau l’histoire de plusieurs siècles. Aussi ai-je préféré, dit l’auteur, ce genre de preuve à tout autre, lorsqu’il m’a été possible d’y recourir. Dans les matières historiques, la méthode d’exposition est toujours la plus sûre, et ce n’est pas sans danger pour la vérité qu’on y introduit les subtilités de l’argumentation logique. C’est pour me conformer à ce principe que j’ai insisté avec tant de détails sur l’histoire politique de quelques villes de France. Je voulais mettre en évidence le caractère démocratique de l’établissement des communes, et j’ai pensé que j’y réussirais mieux en quittant la dissertation pour le récit, en m’effaçant moi-même et en laissant parler les faits. » Ainsi, l’auteur collationnait la version moderne de notre histoire avec les monuments et les récits originaux, et cela dans le but de démontrer la nécessité d’une réforme historique, que des hommes de savoir et de talent devaient bientôt réaliser.

Les dix Lettres anciennement publiées dans le Courrier français, lettres qui furent peu goûtées du public en raison même de leur solidité, eurent cependant pour résultat de soumettre à un examen sévère plusieurs ouvrages sur l’histoire de France regardés alors comme classiques. Los quinze dernières Lettres, traitant de nombreuses questions historiques, se rapportent toutes, comme nous l’avons dit, à deux chefs principaux, la formation de la nation française et la révolution communale. Dans cette série, l’auteur a cherché à déterminer le point précis où l’histoire de France succède à l’histoire des rois francs, et à marquer de ses véritables traits le plus grand mouvement social qui ait eu lieu depuis l’établissement du christianisme jusqu’à la Révolution française. On suit pas à pas la démonstration logique que l’auteur entreprend. Après avoir insisté sur le besoin d’une Histoire de France, et indiqué le principal défaut des ouvrages alors accrédités (c’est nommer les compilations de Mézeray, Daniel, Velly et Anquetil, historiens qui ont suivi une fausse méthode et qui ont donné une fausse couleur aux premiers temps de l'Histoire de France), il dessine à grands traits la méthode et le plan d’une histoire véritable. Il rejette cette fausse unité des premiers temps, imaginée par les historiens pour la commodité du récit ; l’histoire est dans le récit des luttes des diverses races qui se sont disputé le territoire de la Gaule ; lutte des Barbares contre la population gallo-romaine, puis des Barbares, Francs, Burgundes, Visigoths, entre eux ; puis des Francs neustriens contre les Francs austrasiens, second ban de l’invasion germanique. L’unité ne résulte point de ces luttes, non plus que des conquêtes de Karl le Grand ; elle est l’œuvre d’une seconde conquête, la conquête politique, qui se prolonge du xiiie siècle au xviie siècle. Toutes ces idées, exposées dans les dix premières lettres, joignaient alors au mérite de la vérité celui d’être neuves et originales. Dans les dernières lettres Augustin Thierry a voulu donner un exemple de la façon dont il entendait l’histoire, et il semble préluder aux Récits mérovingiens. Il cherche dans les vieilles chroniques de véritables romans, semblables à ceux de Walter Scott, qu’à cette époque toute l’Europe lisait. « À chaque nouvelle apparition d’un roman de Walter Scott, j’entends regretter que les moeurs de la vieille France ne soient présentées par personne sous un jour aussi pittoresque ; j’entends même blâmer de ce défaut notre histoire trop terne à ce qu’on imagine, et dont l’uniformité monotone n’offre point assez de situations diverses et de caractères originaux. Cette accusation est injuste : l’histoire de France ne manque pas au talent des poëtes et des romanciers. » Il le prouve en faisant revivre dans ces beaux récits où il excelle les mœurs barbares du ixe siècle (Episode de l’histoire de Bretagne, XIe lettre), ou l’existence agitée des premières communes (Histoire de ta commune de Laon, de la commune de Vézelay, XVIII, XXV). La conclusion, comme le début, répond aux préoccupations politiques de l’auteur : « Regardons avec admiration à travers quels obstacles la pensée de la liberté s’est fait jour pour arriver jusqu’à nous ; reconnaissons qu’elle a à jamais cessé de faire naître, comme de nos jours, de grandes joies et de profonds regrets, et que cette conviction nous aide à supporter en hommes de cœur les épreuves qui nous sont réservées. »

L’apparition des Lettres sur l’histoire de France produisit une sensation profonde dans le monde des savants, et tout d’abord la nouvelle école historique fut fondée, avec le concours des Naudet, des Desmichels, des Michelet et des Guizot. Selon Chateaubriand, « les Lettres de M. Thierry sur l’Histoire de France, ouvrage excellent, rendent à un temps défiguré par notre ancienne école son véritable caractère. M. Thierry, comme tous les hommes doués de conscience, d’un talent vrai et progressif, a corrigé ce qui lui a paru douteux dans les premières éditions de sa belle et savante Histoire de la conquête de l’Angleterre et dans ses Lettres sur l’histoire de France. » Il faut surtout voir dans Augustin Thierry un historien artiste, qui pousse parfois un peu loin la passion des détails ; en revanche, il élucide une foule de points controversés ou tout à fait obscurs, et, par ses aperçus ingénieux, il ouvre carrière aux travaux de ses successeurs. Les Lettres sur l’histoire de France ont été souvent réimprimées ; leur succès est encore aussi grand qu’au premier jour.


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