Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Histoire de), par Mézeray


◄  France
Index alphabétique — F
France (Histoire de)  ►
Index par tome


France (Histoire de), par Mézeray, publiée de 1643 à 1651. La meilleure édition est celle de 1775 (14 vol. in-12). Cet ouvrage, trop négligé pendant assez longtemps, a reconquis une place honorable aux yeux des critiques et des historiens. Les premiers siècles sont imparfaitement racontés chez Mézeray, parce que les matériaux n’en étaient pas connus alors ; mais, au sentiment des meilleurs écrivains, aucun de nos historiens ne l’égale pour l’exactitude, la profondeur du jugement et la vivacité de la narration, pour les temps oui s’écoulèrent de saint Louis à Louis XIII. Il y a des parties où il est incomparable. Suivant le président Brussel, on ne peut rien écrire sur les fiefs de meilleur ni de plus assuré que certaines pages de son Histoire, et le traité qui a fait la réputation du docte feudiste n’est que le développement des propositions de Mézeray sur cette matière. Cette profondeur du vieil historien sur certains points a été constatée par d’excellents juges, unanimes à reconnaître que son ouvrage, comme son Abrégé chronologique, renferme, dans un langage approprié, mille choses de l’ancienne France, que les meilleures histoires modernes ne sauraient suppléer. « On n’écrira jamais mieux quelques parties de notre histoire, dit Chateaubriand, que Mézeray n’en a écrit quelques règnes. Son Abrégé est supérieur à sa grande histoire, quoiqu’on n’y retrouve pas quelques-uns de ses discours débités à la manière de Corneille. Ses vies des reines sont quelquefois des modèles de simplicité. » Une autre qualité chez Mézeray, qualité bien rare de son temps, c’est qu’il s’intéresse au peuple, à ses souffrances. La manière dont il parle des impôts, la nation ayant seule le droit de les consentir, amena Colbert à supprimer la pension de 4,000 livres qui lui était accordée.

Le style, autant et plus encore peut-être que le fond des choses, assure à Mézeray le titre de grand historien. Sous beaucoup de rapports, son langage garde le cachet du xvie siècle. Mézeray emploie l’archaïsme par goût. Souvent sa phrase est embarrassée et incorrecte ; mais il est incontestable que ce style plaît par sa franche allure, par un mélange heureux de noblesse et de simplicité, par une animation chaleureuse, enfin par une diction si personnelle et si variée, que beaucoup de nos auteurs les plus vantés n’offrent pas une aussi riche mine d’expressions originales. Dans sa grande histoire, Mézeray ne se montre pas seulement historien, mais encore orateur ; il met quelquefois dans la bouche des princes et des seigneurs des harangues « dont le style est de soi simple et naïf. » Ces discours sont un ornement, et aussi un repos pour le lecteur, « fatigué de suivre toujours une armée par des pays ruinés et déserts. » La critique à Justine Mézeray en jugeant que, si les héros n’ont pas tenu exactement les discours qu’il leur prête, ils ont dû les penser, et en trouvant ces considérations en général si nécessaires, que l’historien, s’il ne les mettait dans la bouche de ses personnages, serait obligé de les faire lui-même. Plusieurs de ces harangues ont un grand mérite oratoire. À propos du célèbre discours prêté à Biron, se défendant devant ses juges, Voltaire a dit : » Mézeray s’élève au-dessus de lui-même en faisant parler ainsi le maréchal de Biron, et il est égal, pour le moins, aux anciens dans cette harangue du genre de celles dont ils parsemaient leurs ouvrages. » En aucun cas, on ne peut admettre ce mot injuste de MMme Roland, écrivant dans ses Mémoires que Mézeray est le plus sec des écrivains. De nos jours, des écrivains plus compétents ont mieux compris le vieil historien.

« Quand Mézeray publia son Histoire, c’est-à-dire entre les années 1643 et 1650, dit Aug. Thierry, il y avait dans le public français peu de science, mais une certaine force morale, résultat des guerres civiles qui remplirent la dernière moitié du xvie siècle et les premières années du xviie. Ce public, élevé dans des situations graves, ne pouvait plus se contenter de la lecture des Grandes chroniques de France abrégées par maître Nicole Gilles, ou de pareilles compilations, demi-historiques, demi-romanesques ; il lui fallait, non plus de saints miracles ou des aventures chevaleresques, mais des événements nationaux et la peinture de cette antique et fatale discorde de la puissance et du bon droit. Mézeray voulut répondre à ce nouveau besoin ; il fit de l’histoire une tribune pour plaider la cause du parti politique, toujours le meilleur et le plus malheureux. Il entreprit, comme il le dit lui-même, de faire souvenir aux hommes des droits anciens et naturels, contre lesquels il n’y a point de prescription… Il se piqua d’aimer les vérités qui déplaisent aux grands et d’avoir la force de les dire ; il ne visa point à la profondeur, ni même à l’exactitude historique ; son siècle n’exigeait pas de lui ces qualités dont il était mauvais juge. Aussi, notre historien confesse-t-il naïvement que l’étude des sources lui aurait donné trop de fatigue pour peu de gloire. Le goût du public fut sa seule règle, et il ne chercha point à dépasser la portée commune des esprits pour lesquels il travaillait. Plutôt moraliste qu’historien, il parsema de réflexions énergiques des récits légers et souvent faux. La masse du public, malgré les savants qui le dédaignaient, malgré la cour qui le détestait, malgré le ministre Colbert qui lui ôta sa pension, fit à Mézeray une renommée qui n’a point encore péri. »

On peut consulter, dans les Causeries du lundi de M. Sainte-Beuve (t. VI), une étude qui remet en plein jour les titres littéraires de Mézeray.


◄  France
France (Histoire de)  ►