Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FABRE D’ÉGLANTINE (Philippe-François-Nazaire), poëte dramatique, conventionnel

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 1p. 19-20).

FABRE D’ÉGLANTINE (Philippe-François-Nazaire), poëte dramatique, conventionnel, né à Limoux en 1755, décapité le 5 avril 1794. Sa famille, sans être riche, jouissait d’une certaine aisance qui lui permit de donner à l’enfant une éducation très-convenable. Fabre étudia chez les doctrinaires, à Toulouse. Ayant obtenu aux jeux floraux, pour une pièce de vers dont on ignore le titre et la date, une églantine d’or, il ajouta à son nom celui de cette fleur. La jeunesse de Fabre fut, parait-il, assez orageuse. Un instant professeur chez les doctrinaires de Toulouse, il sortit du collège pour se faire comédien. On pense qu’une intrigue amoureuse le détermina à monter sur les planches. Mais l’amour de la gloire et des lettres l’attirait irrésistiblement vers Paris. Déjà, dans sa carrière de comédien, il avait essayé sa verve naissante. À Liège, il avait lu devant une foule venue pour l’inauguration du buste du célèbre musicien, le Triomphe de Grétry, poème dans lequel on trouve de la force et, malgré un certain nombre d’incorrections, des vers bien frappés, comme celui-ci :

Le cri d’un peuple libre est le cri de la gloire !

Un peu plus tard, se trouvant à Chalon-sur-Saône, il composa sur cette ville un poëme en quatre chants. À Lyon, il publia l’Amateur chagrin.

C’est en 1787 qu’il vint à Paris tenter la gloire et la fortune, qui lui firent chèrement payer leurs faveurs. Les Gens de lettres ou le Provincial à Paris, tombèrent à la première représentation (Italiens, 21 septembre 1787) ; Augusta, représentée au Théâtre-Français le 8 octobre, subit à peu près le même sort et provoqua les sifflets d’une foule irritée. Le Présomptueux ou l’Heureux imaginaire fut victime d’une cabale organisée par les ennemis assez nombreux de l’auteur ; cette comédie, jouée de nouveau le 20 février 1790, obtint alors un succès d’estime. Fabre supportait ces échecs sans sourciller, et il n’en croyait pas moins à sa vocation dramatique. Le Collatéral ou l’Amour et l’intérêt réussit, en dépit des envieux ; le public redemanda la pièce pour le lendemain. L’auteur, enflammé par le succès, composa ensuite sa belle pièce du Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope, qui est restée son chef-d’œuvre. Cette comédie est bien conçue et parfaitement conduite, les caractères y sont fermement tracés ; mais, à côté de cela, on est choqué par une versification pénible, des locutions incorrectes et beaucoup d’expressions impropres. La Harpe y trouve bien d’autres défauts ; heureusement nous savons que c’est la passion qui les lui fait trouver ; l’auteur du Lycée n’aimait pas les révolutionnaires. On raconte qu’il entra dans une fureur presque comique en écoutant cette pièce fameuse ; aussi son jugement mérite-t-il d’être reproduit. « Le titre même de la pièce, s’écrie-t-il, est une fausseté et une ineptie. C’est calomnier ridiculement Molière que de faire du complaisant Philinte, qu’il a fort à propos opposé au misanthrope Alceste, un homme dénué de toute morale et de toute humanité, en un mot, parfait égoïste, ce qu’est véritablement le Philinte de Fabre. Molière opposait un excès à un excès, celui de la douceur à celui de la sévérité ; mais il en savait trop pour mettre sur la même ligne les vices du cœur et les travers de l’esprit... Quand le règne dos bienséances sera rétabli, l’on effacera cette insulte publique à la mémoire de Molière, et la pièce sera intitulée ce qu’elle est : Philinte ou l’Égoïste, etc. »

L’Apothicaire suivit de près le Philinte et fut joué avec succès au théâtre Montansier, en 1790. L'Aristocrate ou le Convalescent de qualité excita de chaleureux applaudissements au théâtre Favart (1791). Cette pièce s’attaquait aux gens de cour, dont elle bafouait les ridicules et les prétentions avec une verve pleine d’énergie. L’Intrigue épistolaire, qui mit encore une fois La Harpe hors de lui, renferme des situations amusantes ; le caractère comique du peintre Fougère y est excellemment tracé ; aussi cette pièce est-elle restée au répertoire (Palais-Royal, 1791). Isabelle de Salisbury, opéra en trois actes, avec musique de Mengozzi, fut froidement accueillie au théâtre Montansier. Le talent du machiniste et du décorateur put seul la faire vivre quelques jours. Mentionnons encore l’Héritière, le Sot orgueilleux et l’Usurier, comédie en un acte, jouée au théâtre de la Cité, et nous en aurons fini avec l’auteur dramatique. Quant à l’homme politique, nous lui devons une appréciation dégagée de toute partialité. Fabre accueillit la Révolution avec enthousiasme, Devenu l’ami de Danton et de Camille Desmoulins, il fonda, de concert avec ces deux révolutionnaires, le club des Cordeliers, dont il fut nommé secrétaire. Élu, lors du 10 août, membre de la commune de Paris, il fut presque aussitôt appelé au ministère de la justice comme secrétaire de Danton, puis à la Convention nationale comme député de Paris. Il fit une motion en faveur du général de génie Caffarelli du Falga, qui venait d’être suspendu de ses fonctions. Cet acte le compromit un instant et le fit accuser de modérantisme. Cependant il siégeait à la Montagne. Dans le procès de Louis XVI, il vota la mort sans appel ni sursis. Membre du comité de Salut public, il eut part à toutes les mesures révolutionnaires ainsi qu’à la confection du calendrier républicain ; ce fut lui qui trouva cette charmante nomenclature des mois et qui présenta le rapport définitif. V. d’ailleurs calendrier républicain.

Dans la lutte des partis, Fabre marchait toujours sur les traces de Danton, dont l’ardeur révolutionnaire s’était bien refroidie et qui semblait ne plus aspirer alors qu’à savourer sa popularité dans un repos voluptueux. Il entraîna Desmoulins et Fabre dans les idées de clémence et dans le projet de désarmer la terreur. Fabre ouvrit la campagne en dénonçant à la tribune Vincent, le secrétaire de la guerre, et Mazuel, un des officiers de l’armée révolutionnaire. Ces hostilités lui attirèrent naturellement les attaques du parti hébertiste ; et, d’un autre côté, sa liaison avec Danton le rendait suspect à Robespierre, qui l’attaqua violemment aux Jacobins, feignant de le croire ou le croyant réellement un des inspirateurs du Vieux Cordelier, de Camille Desmoulins.

Trois jours après, l’auteur du Philinte était arrêté par ordre du comité de sûreté générale, sous la prévention d’avoir falsifié un décret de la Convention nationale relatif à la liquidation de l’ancienne compagnie des Indes. Le 13 janvier 1794, l’assemblée sanctionna l’arrêté du comité, et Robespierre prépara un rapport véhément qui ne fut pas présenté à la Convention, et dans lequel, d’ailleurs, il ne dit pas un mot de la prétendue falsification du décret, preuve qu’il ne croyait guère à cette accusation. Ce rapport a été imprimé dans la seconde édition de la compilation de Courtois (Papiers trouvés chez Robespierre).

Dans cette triste et obscure affaire du décret falsifié, quatre autres représentants se trouvaient impliqués. Il est certain qu’il y avait eu des tentatives de corruption, dont Chabot avait été l’intermédiaire, des manœuvres d’agiotage qui se liaient à des complots royalistes. Delaunay (d’Angers), Jullien (de Toulouse) et autres trempaient dans ces intrigues semi-financières et semi-politiques. Chabot reçut pour lui-même des sommes importantes, ainsi que cent mille livres pour corrompre Fabre, qui avait souvent attaqué la compagnie des Indes et dont on voulait au moins acheter le silence. Mais aux premières ouvertures de Chabot, suivant le témoignage même de ce dernier, Fabre se récria avec indignation. Il n’en fut pas moins enveloppé dans l’accusation. La passion politique aidant, le malheureux fut confondu avec des intrigants et des concussionnaires ; mais son innocence est aujourd’hui démontrée (v. Louis Blanc, Michelet, etc.). Le docteur Robinet la met tout à fait en lumière dans la seconde partie de son travail sur Danton et les dantonistes. Sa probité, en dehors même de cette affaire, a été mise en doute, attaquée ; on l’a accusé d’avoir commis des malversations lorsqu’il était secrétaire de la justice ; mais aucune preuve péremptoire n’a jamais été donnée. Quoi qu’il en soit, il fut emprisonné au Luxembourg, et, malgré ses défenses, impliqué dans l’affaire Chabot, perfidement confondu dans le procès de Danton et de ses amis. Au tribunal, il réclama vainement, avec la plus grande énergie, la production de la pièce qu’on l’accusait d’avoir falsifiée. Cette pièce existe aux Archives, mais la falsification n’est pas de la main de Fabre, qui néanmoins fut condamné à mort (15 avril 1794). Il marcha au supplice avec courage. On rapporte qu’à cette heure suprême toutes ses préoccupations étaient pour le manuscrit d’une comédie satirique et politique qui lui avait été saisi (et qui fut en effet perdu), et que, sur la charrette, Danton aurait répondu à ses plaintes par ce jeu de mots lugubre : « Des vers ! nous en ferons bientôt tous dans le sépulcre. »

Certains pamphlets ont accusé Fabre d’Églantine de s’être enrichi dans les fonctions publiques. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’a laissé qu’une fortune médiocre à sa veuve, qui, après le 9 thermidor, reçut même des secours de la Convention. Il laissait un fils, qui entra à l’École polytechnique, devint ingénieur de la marine et construisit les fameux bateaux destinés à transporter en Angleterre les troupes du camp de Boulogne.

Fabre d’Églantine avait collaboré au journal les Révolutions de Paris. On a publié sous son nom : 1° Correspondance amoureuse, précédée d’un précis historique de son existence morale, physique et dramatique, et d’un fragment de sa vie écrite par lui-même ; 2° les Précepteurs, comédie en cinq actes et en vers, représentée et imprimée aux frais de la République et au profit de la veuve et du fils de l’auteur ; 3° Œuvres mêlées et posthumes de Fabre d’Églantine, comprenant, outre les ouvrages déjà cités, en exceptant toutefois les comédies, une Satire à un poëte comique, réponse du pape à F.-G. Andrieux, quelques contes et épîtres, et un grand nombre de romances, de chansons, parmi lesquelles on distingue : Il pleut, il pleut, bergère ; Je t’aime tant ; À peine encor le couchant brille, et la chanson de Laure et Pétrarque.