Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Essling (BATAILLE D’), une des plus terribles de ce siècle

Administration du grand dictionnaire universel (7, part. 3p. 954-955).

Essling (bataille d’), une des plus terribles de ce siècle, qui en a vu de si acharnées et de si sanglantes. En 1809, l’Autriche, excitée par l’Angleterre, crut mettre habilement à profit l’éloignement de Napoléon, alors en Espagne. À la première nouvelle de ses armements, Napoléon revint à Paris, dressa son plan de campagne avec sa rapidité accoutumée, puis se rendit sur le théâtre des opérations. Après avoir battu l’archiduc Charles en différentes rencontres et s’être emparé de Ratisbonne, il marcha sur Vienne, où les Français entrèrent pour la seconde fois (13 mai). Mais, quoique la capitale d& l’Autriche fût en notre pouvoir, la campagne était loin d’être terminée : il nous fallait conquérir le Danube, derrière lequel se tenait l’armée de l’archiduc Charles, attendant celle de l’archiduc Jean, qui arrivait d’Italie à son secours. C’était donc une grande bataille k livrer sous Vienne avant qu’une telle concentration de forces se fût opérée, et Napoléon ne demandait qu’une pareille occasion de porter un coup décisif k l’armée autrichienne qu’il avait devant lui. Il ne lui en restait pas moins une redoutable et décisive difficulté k vaincre, c’était de franchir le plus grand fleuve de l’Europe en face de l’ennemi, et de livrer une bataille en ayant ce fleuve k dos, c’est-k-dire avec la perspective d’y être précipité en cas de revers. Mais cette difficulté résultait du cours même des événements, que Napoléon n’avait pas été le maître de modifier à son gré ; autrement, ce n’est pas un tel homme qui eût choisi une position si désavantageuse. Et cependant son incomparable armée avait accompli tant de prodiges, qu’il ne douta pas un seul instant du succès, malgré les périls effroyables qui menaçaient l’audacieuse tentative de faire traverser un cours d’eau de 1,000 mètres de largeur h 150,000 hommes, qui traînaient avec eux 500 à 000 bouches k feu, et cela devant une armée d’égale force qui les attendait pour les précipiter dans l’abîme. C’est néanmoins dans ces termes mêmes que le problème était posé et qu’il fallait le résoudre. Napoléon était arrivé sur Vienne par la rive droite ; l’archiduc Charles occupait la rive gauche, d’où il se préparait a écraser nos troupes en détail, à mesure qu’elles franchiraient le Danube. De» ponts k établir sur une telle largeur offraient d’énormes difficultés, qu’augmentait encore l’imminence de la crue des eaux dans cette saison où la fonte des neiges, enflant le fleuve, le transformait subitement en un torrent immense, irrésistible. Aussi Napoléon ne cessait-il de méditer sur le point qu’il choisirait près de Vienne pour effectuer son passage, n’osant s’éloigner de cette capitale frémissante, que sa présence parvenait seule k contenir. Après avoir étudié attentivement le cours et la largeur du fleuve, tant au-dessus qu’au-dessous devienne, il essaya de jeter deux ponts sur deux points opposés, l’un à Nussdorf, plus haut que Vienne, et l’autre k Ebersdorf, k deux lieues plus bas que cette ville. La tentative ayant échoué k Nussdorf il résolut de concentrer tous ses efforts sur le second point. Là, le Danube se divise en deux bras inégaux, enfermant une île qui est devenue k jamais célèbre par les événements prodigieux dont elle fut alors le théâtre : c’est l’Ile Lobau. Présentant une lieue de longueur et une lieue et demie de largeur, elle était on ne peut plus heureusement conformée pour les projets de Napoléon. Le grand bras du Danube, situé du côté de la rive droite, qu’occupait notre armée, se divisait lui-même en deux larges bras, l’un de 480 mètres, l’autre de 240 mètres de large, séparés par un banc de sable. Une fois arrivé dans l’Ile Lobau, il ne restait plus k franchir qu’un bras de 120 mètres, opération difficile encore, mais loin d’être impossible, surtout sous les yeux de Napoléon. Malheureusement, nous manquions des matériaux nécessaires pour établir le grand pont, celui qui devait relier la rive droite k 1 île Lobau ; on parvint néanmoins k se procurer, k Vienne, les bateaux et les cordages nécessaires k cette opération ; on les fit descendre le Danube, et, dès que le matériel se trouva prêt, le général Molitor, un des plus intrépides de 1 armée, passa le fleuve sur des barques avec sa division, et aborda k l’Ile-Lobau, où il refoula les avant-postes autrichiens jusqu’k un petit canal qui traverse l’île, en évitant toutefois de les pousser plus loin, pour ne point appeler leur attention sur l’entreprise qui allait s’exécuter. En effet, bien que le courant fût devenu rapide par suite d’une crue dont les progrès prenaient un caractère menaçant, le général d’artillerie Pernetti réussit, dans les journées du 19 et du 20 mai, k jeter le grand pont au moyen de 70 bateaux reliés ensemble par des cordages et fixés par d’énormes poids qu’on avait plongés dans le fleuve, k défaut d’ancres. Plusieurs divisions, tant d’infanterie que de cavalerie, passèrent alors, ainsi que des trains d’artillerie, et le général Molitor, qui avait fait jeter un pont de chevalets sur le petit canal. put balayer complètement l’île Lobau, où Ion recueillit quelques prisonniers. Il n’y avait plus alors qu’a établir lépont destiné k relier l’île k la rive gauche du fleuve ; c’est ce que le lieutenant-colonel Aubry, de l’artillerie, exécuta en trois heures au moyen de quinze pontons. Le général Lasalle passa ensuite sur la rive gauche avec quatre régiments de cavalerie légère, suivis aussitôt par les voltigeurs des divisions Molitor et Boudet. Le pont franchi, on trouvait un bois au delà duquel le terrain s’élargissait ; k gauche s’élevait le village d’Aspern, à droite celui d’Essling, dieux immortels dans l’histoire des hommes, qui rappellent sans doute pour l’humanité des souvenirs lugubres, mais qui rappellent aussi pour les deux nations française et autrichienne des souvenirs k jamais glorieux. » (Thiers). Le général Lasalle se lança en avant avec son impétuosité ordinaire, et rencontra un assez fort détachement de cavalerie autrichienne, que nos voltigeurs reçurent par un feu k bout portant et mirent E&SL

aussitôt en désordre. Ainsi commençaitr le 20 mai au soir, la sanglante bataille d’Essling. Pendant ce temps, le grand pont de Ta rive droite se rompait une 'première fois par •l’effet d’une crue subite de trois pieds, occasionnée par la fonte précoce des neiges dans les Alpes, accident qui avait coupé en deux la cavalerie légère du général Marulaz ; mais les généraux Pernetti et Bertrand réparèrent le mal pendant la nuit, et la cavalerie de Marulaz, les cuirassiers du général Espagne, la division d’infanterie Legrand, ainsi qu’une partie de l’artillerie, franchirent le fleuve le 21 au matin. Vers midi, le major général Berthier, l’homme de son temps qui appréciait le mieux l’étendue d’un terrain et le nombre d’hommes qui l’occupaient, aperçut, du haut du clocher d’Essling, l’armée de l’archiduc Charles qui s’avançait en décrivant un vaste demi-cercle autour d’Essling et d’Aspern ; il en évalua la force à 90,000 combattants, et jugea, à sa marche résolue, qu’elle accourait pour accabler les Français au moment du passage. Napoléon n’avait alors autour de lui, sur la rive gauche, qu’une force de 22 à 23,000 soldats, avec lesquels il lui fallait tenir tète à toute l’armée autrichienne. Mais il n’hésita pas à. commencer cette lutte formidable, dans l’espoir fondé que ses troupes allaient arriver successivement sur le champ de bataille. Masséna fut chargé de l’aile gauche, qui avait le centre de ses opérations à Aspern ; Lannes prit le commandement de l’aite droite, du côté d’Essling, tandis que l’infanterie de Legrand était

filacée en arrière d’Aspern avec la cavaerie de Marulaz, et que celle du général Lasalle ainsi nue les cuirassiers d’Espagne remplissaient 1 espace entre Essling et Aspern. 23,000 hommes au plus attendaient donc le choc de 90,000.

L’archiduc Charles avait divisé son armée en cinq colonnes : les trois premières, commandées par le général Hiller, le lieutenantgénéral Bellegarde et le prince de Hohenzollern, devaient converger sur Aspern et emporter à tout prix cette position ; les deux autres avaient ordre de marcher sur Essling. Les trois colonnes de droite et les deux colonnes de gauche étaient reliées par la réserve de cavalerie du prince de Lichtenstein, qui formait le centre. Le vice de cette disposition n’échappa point au coup d'œil sûr et rapide de Napoléon, et il prit aussitôt ses mesures pour percer le centre de l’armée autrichienne. Cette épouvantable lutte s’engagea vers trois heures de l’après-midi. Les premiers efforts des Autrichiens se portèrent sur Aspern, que le généra ! Molitor avait d’abord occupé, puis abandonné à la suite de nouveaux ordres. Sa division y rentra tète baissée et la baïonnette en avant, poussant devant elle les soldats du général Hiller. Celui-ci ne tarda pas à revenir à la charge, appuyé dé la colonne de Bellegarde. Tous deux se précipitèrent de nouveau sur Aspern, où s’engagea une effroyable mêlée, sorte d’ouragan humain où Français et Autrichiens, s’abordant, s’étreignant, ondulaient comme la surface houleuse d’une mer soulevée par la tempête. C’était une lutte véritablement héroïque, car 7,000 Français soutenaient les efforts furieux de 30,000 Autrichiens. De nouveaux ennemis accourent encore ; alors Masséna lance sur eux les six régiments do cavalerie légère de Marulaz. L’intrépide général charge impétueusement et enfonce plusieurs carrés, mais il ne peut entamer des masses profondes qui se trouvent’au delà, et il se replie en ramenant plusieurs pièces de canon dont il s’est emparé, et disputant le terrain a l’ennemi, qu’il empêche de porter toutes ses forces sur Aspern, où le général Molitor se maintient avec une valeur indomptable.

Pendant que ce sanglant combat se livrait. dans l’intérieur et autour d’Aspern, Lannes, de son côté, se maintenait à Essling avec la plus grande ténacité. La quatrième et la cinquième colonne de l’armée autrichienne, formant le corps de Rosenberg, avaient débouché d’Enzersdorf pour se jeter sur Essling. En même temps, la colonne de Hohen’zollerh, appuyée par la cavalerie de prince de Lichtenstein, marchait sur notre centre et menaçait d’isoler Aspern d’Essling, ce qui eut rendu certaine la perte de l’armée française. Lannes, qui observait les mouvements de l’ennemi, eut bientôt aperçu le danger, et il ordonna au maréchal Bessières.de charger à fond les Autrichiens avec las quatre régiments de cuirassiers du général Espagne, tandis qu’il tiendrait en réserve, pour leur servir d appui, les quatre régiments de cavalerie légère du général Lasalle. Bessières et Espagne s’élancent avec fureur, à la tête de 16 escadrons de cuirassiers, sur l’artillerie et l’infanterie de l’ennemi, enfoncent la première ligne, mais en trouvent une seconde qu’ils ne peuvent atteindre. Ils sont chargés à leur tour par la masse de la cavalerie autrichienne, violemment assaillis et ramenés. Le général Lasalle se précipite alors, à la tête du 16e chasseurs, au secours de nos cuirassiers, fond sur les cavaliers autrichiens et les rejette en désordre sur leur point de départ. Malheureusement, au milieu de ce tumulte, le général Espagne, le premier officier de grosse cavalerie de l’armée, fut frappé mortellement par un biscaïen. Nos cuirassiers exécutèrent ainsi plusieurs charges sur l’infanterie autrichienné., qui ne put percer no ESSL.

tre centre et envoyer du renfort aux colonnes [ de Hiller et de Bellegarde, qui continuaient à s’acharner sur Aspern. Là., nos soldats avaient accompli des prodiges d’héroïsme, électrisés par la bravoure du général Molitor et des colonels Petit et Marin. Cependant, brisés de fatigue, écrasés par le nombre, ils sont menacés do perdre cette précieuse position d’Aspern, qui empêche l’ennemi de se placer entre le Danube et nous, et de nous enfermer dans un cercle de feux. Heureusement déjà le grand pont a été rétabli et la brigade des cuirassiers Nansouty, celle de Saint-Germain et la division d’infanterie de Carra Saint-Cyr ont pu effectuer leur passage. Masséna, qui avait tenu constamment la division Legrand en réserve derrière Aspern, peut alors lui commander d’entrer en action. L’intrépide Legrand entre dans Aspern au pas de charge, ranime les soldats de Molitor épuisés, et avec eux, se ruant sur les troupes de Bellegarde, -les refoule à l’autre extrémité du village. Au centre, Bessières exécute de nouvelles charges ; Nansouty, à la tête des cuirassiers de Saint-Germain, renverse encore une fois l’infanterie autrichienne. L’archiduc Charles lance de nouveau sa cavalerie sur nos cuirassiers ; alors Marulaz, prenant la place de Lasalle, épuisé de fatigue, recommence avec le 23^ de chasseurs ce que Lasalle avait fait avec le 16° ; il se précipite sur les cavaliers ennemis, dégage nos cuirassiers, et se rabat ensuite sur plusieurs carrés d’infanterie, qu’il charge impétueusement et qu’il enfonce. Il était entré lui -même dans un de ces carrés, lorsque son cheval fut tué sous lui. Il allait être tué lui-même ou fait prisonnier, lorsqu’à sa voix ses chasseurs accoururent pour le dégager, lui donnèrent un autre cheval, et revinrent en passant sur la corps d’une ligno d’infanterie.

Cette épouvantable lutte durait depuis six heures, et la nuit seule put y mettre un terme. L’incendie jetait ses lueurs sinistres sur ce champ de bataille ensanglanté, que nous n’avions conservé que par d’incomparables prodiges de valeur. Masséna gardait les ruines d’Aspern ; et le général autrichien Bellegarde avait cherché un appui dans le cimetière et l’église de ce village. La division Boudet, du corps de Lannes, passa la nuit sur les débris d’Essling. Pendant ce temps, nos troupes continuaient de passer de la rive droite sur la rive gauche ; mais le grand pont se rompit encore vers minuit, sous une crue rapide de quatorze pieds. Cependant, grâce aux efforts des généraux Bertrand et Pernetti, il fut réparé vers le point du jour, "et la division Saint-Hilaire, les deux divisions d’Oudinot, la garde à pied, une seconde brigade des cuirassiers de Nansouty, deux divisions de cavalerie légère, toute l’artillerie des corps de Lannes et de Masséna, et d’autres troupes entore, purent effectuer leur passage, ce qui porta notre effectif de la rive gauche à environ 601,000 hommes. Néanmoins, nous n’avions que 144 bouches à feu à opposer aux 300 canons des Autrichiens, et 60,000 combattants, avec un fleuve à dos, devaient lutter contre 90,000. Dès que le jour parut (12 mai 1809), le feu recommença. Masséna à Aspern et Lannes à Essling avaient complété de savantes dispositions et s’étaient reliés solidement. Le général Legrand s’avança, en marchant sur les cadavres qui encombraient les rues d’Aspern, contre les généraux Hiller et Bellegarde, chargés de conserver cette position, et parvint à les expulser de l’église et du cimetière. Mais c’était sur le centre des Autrichiens que Napoléon avait préparé un redoutable mouvement offensif ; la, les deux colonnes de Rosenberg étaient tenues à distance d’Essling par les décharges meurtrières de la division Boudet, et, au milieu du demicercle formé par l’armée autrichienne, on n’apercevait que le corps de Hohenzollern, que reliait à peine à celui de Rosenberg la cavalerie de Lichtenstein. Lannes. qui allait précipiter sur ce point dégarni une masse de 20,000 fantassins et de 6,000 cavaliers, devait couper en deux tronçons l’armée de l’archiduc Charles. Il ébranle, en effet, ses troupes avec l’irrésistible vigueur qui lui était habituelle ; la division Saint-Hilaire marche la première, et bientôt l’impulsion, se communiquant à toute la ligne, les. Autrichiens commencent à plier, puis à se retirer en désordre. L’archiduc, à la vue de la catastrophe dont son centre est menacé, accourt de sa personne pour ranimer ses soldats. Ce prince, aussi intrépide que le plus brave grenadier de son armée, saisit le drapeau du régiment de Zach qu’il essaye vainement de ramener en avant ; il voit tomber autour de lui ses meilleurs officiers sans pouvoir réussir à arrêter le mouvement rétrograde de son centre. Napoléon lui-même se jette avec la témérité d’un soldat au plus fort de cette mêlée terrible, Jietires-vous, sire, lui dit alors le général Walther, commandant des grenadiers de la garde, retirez-vous, ou je vous fais enlever par mes grenadiers. Lannes continue toujours sa marche offensive et fait enfoncer par sa cavalerie l’infanterie du corps de Hohenzollern. Il touche enfin à Breitenlée, point où l’archiduc avait placé sa réserve de grenadiers : la victoire paraît certaine. Tout à coup Napoléon reçoit la nouvelle d’un sinistre accident : sous la crue de plus en plus forte du Danube, le grand pont s’est rompu de nouveau au moment où d’autres troupes allaient passer. Mais ce qui était plus terrible que la privation de ce renfort,

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c’était celle des caissons de l’artillerie, qui se-trouvaient ainsi arrêtés sur la rive.droite, et cela au moment où nos munitions achevaient de s’épuiser sur la rive gauche. C’était un malheur irréparable. À cette triste nouvelle, Napoléon, craignant de n’avoir bientôt plus que des sabres et des baïonnettes à opposer a un ennemi qui résistait encore vaillamment, fait porter à Lannes l’ordre de suspendre son mouvement et de se replier lentement sur Essling et Aspern, car les munitions vont bientôt lui manquer. L’archiduc, menacé d’un désastre imminent, voit tout à coup, sans pouvoir s’en expliquer la cause, nos colonnes demeurer immobiles et ralentir leur feu. Il profite de ce moment de répit pour renforcer son centre, où il réunit 200 bouches à feu, qui ouvrent sur Lannes une effroyable canonnade. La division Saint-Hilaire est écrasée sous une pluie de mitraille, et son intrépide chef, qu’on appelait dans l’armée le chevalier sans peur et sans reproche, tombe frappé à mort par un biscaïen. L’archiduc Charles n’a pas tardé à connaître le secret du ralentissement subit qui s’est manifesté dans l’armée française, et il tente à son tour des efforts désespérés sur notre centre pour nous précipiter dans le Danube. Mais si le maréchal Lannes recule, c’est à la manière des lions, dont il est imprudent de braver de trop

firès les atteintes. Après avoir repoussé vioemment à la baïonnette les corps qui le serraient de trop près, il s’abrite derrière le fossé qui relie Aspern à Essling, et tient tête à tous les efforts de l’ennemi. Il laisse approcher à demi-portée de fusil la masse épaisse du corps de Hohenzollern, la couvre de mitraille, puis lance ses cuirassiers et la cavalerie légère de Lasalle et de Marulaz sur la cavalerie du prince de Lichtenstein. Le mouvement de l’armée autrichienne sur notre centre paraît alors suspendu. Nos fantassins, abrités dans le fossé, appuyés par notre cavalerie, qui forme un rideau en arrière, remplissent l’espace d’Aspern à Essling, et reçoivent impassiblement le feu des canons autrichiens. L’infatigable Lannes galope d’un corps à un autre pour soutenir la fermeté de ses soldats. Un officier, effïrayé de le voir exposera une canonnade si meurtrière, le supplia alors de mettre pied à terre. Quoique peu habitué à ménager sa via, Lannes suivit ce conseil, mais à peine était-il descendu de cheval, qu’un boulet lui fracassait, les deux genoux. On l’emporta hors duchampde bataille, noyé dans son sang et presque inanimé.

L’ennemi, se voyant arrêté au centre, porta alors toute la fureur de ses efforts sur nos deux ailes, à Aspern et à Essling. C’est la position d’Aspern qui est assaillie la première. Là, Carra Saint-Cyr, Legrand et Molitor opposent de nouveau leur indomptable énergie a l’élan des Autrichiens, que le feu si redouté de notre artillerie n’épouvantait plus. Désespérant de nous forcer sur ce point, l’archiduc reporte ses efforts sur Essling, qu’il fait envelopper par les deux colonnes de Rosenberg, tandis que lui-même, à la tête des grenadiers, dirige une attaque furieuse sur le centre du village. -Napoléon, qui suit d’un regard dévorantles péripéties sanglantes de cette lutte sans nom, envoie l’intrépide général Mouton, avec les fusilliers de la garde, au secours de Bessières, qui a remplacé le maréchal Lannes. ■ Brave Mouton, lui dit-il, faites encore un effort pour sauver l’armée ; mais finissezen, car, après ces fusiliers, je n’ai plus que les grenadiers et les chasseurs de la vieille garde, dernière ressource qu’il ne faut dépenser que dans un désastre. » Mouton s’élance, et, avec le concours du général Rapp, dégage nos troupes enveloppées de tous côtés par un ennemi quatre fois plus nombreux. Cinq fois les grenadiers autrichiens, conduits par le feld -maréchal d’Aspre, reviennent à I attaque ; cinq fois ils sont rejetés hors d’Essling par la fusillade ou les charges à la baïonnette. Enfin l’artillerie de l’île Lobau, prenant en écharpe les masses qui avaient passé entre le fleuve et le village, les couvre d’une pluie de mitraille. Essling est alors délivré.

Il y avait trente heures que durait cet épouvantable acharnement, sans précédent dans l’histoire. L’archiduc Charles, épuisé autant que nous, et sur le point lui-même de manquer de munitions, commença à désespérer de nous jeter dans le fleuve. Mais avant de lâcher prise, il lança ce qui lui restait d’obus et de boulets sur les corps placés d’Aspern à Essling. Dès lors, Napoléon put se croire assuré d’une retraite tranquille dans l’île Lobau, retraite qui devait s’exécuter dans la nuit. Il se rendit au petit bras du Danube, qui coulait, pomme nous l’avons dit, entre l’île et la rive gauche du fleuve. « L’aspect de ses bords, écrit M. Thiers, avait de quoi navrer le cœur. De longues files de blessés, les uns se traînant comme ils pouvaient, les autres, placés sur les bras des soldats ou déposés à terre, en attendant qu’on les transportât dans l’île de Lobau ; des cavaliers démontés jetant leurs cuirasses pour marcher plus aisément ; une foule de chevaux blessés se portant instinctivement vers le fleuve pour se désaltérer dans ses eaux, ou des centaines de voitures d’artillerie à moitié brisées, une indicible confusion et de douloureux gémissements, telle était la scène qui s’offrait et qui saisit Napoléon. Il descendit de cheval, prit de l’eau dans ses mains pour se rafraîchir le visage, et puis, apercevant une litière faite de branches d’arbres sur laquelle gisait

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Lannes, qu’on venait d’amputer, il courut à lui, le serra dans ses bras, lui exprima l’espérance de le conserver, et lo trouva, quoique toujours héroïque, vivement affecté de se voir arrêter sitôt dans cette carrière de gloire. iVous allez perdre, lui dit Lannes, celui qui fut votre meilleur ami et votre fidèle

■ compagnon d’armes. Vivez et sauvez l’ar ■ mée. » La’malveillance qui commençait à se déchaîner contre Napoléon, et qu’il n’avait, hélas ! que trop provoquée, répandit alors la bruit de prétendus reproches que Lannes lui aurait adressés en mourant. Il n’en fut rien cependant. Lannes reçut avec une sorte de satisfaction convulsive les étreintes de son maître, et exprima sa douleur sans y mêler aucune parole amère. Il n’en était pas besoin ; un seul de ses regards rappelant ce qu’il avait dit tant de fois sur le danger de guerres-incessantes, le spectacle de ses deux jambes brisées, la mort d’un autre héros d’Italie, Saint-Hilaire, ' frappé dans la journée, l’horrible hécatombe de 40 à 50,000 hommes couchés à terre, n’étaient-ce pas autant de • reproches assez cruels, assez faciles à comprendre ? Napoléon, après avoir serré Lannes dans ses bras, et se disant certainement à lui-même ce que le héros mourant ne lui avait pas dit, car le génie qui a commis des fautes est son juge le plus sévère, Napoléon remonta à cheval et voulut profiter de ce qui lui restait de jour pour visiter l’île Lobau et arrêter ses dispositions de retraite. »

Telle fut cette sanglante bataille d’Essling, qui coûta aux Autrichiens près de vingt-sept mille morts ou blessés, et quinze à seize mille aux Français, et qui commençait la série de ces abominables carnages qui signalèrent les derniers temps de l’empire. Les Autrichiens lui ont donné le nom de bataille d’Aspern. Certes, Napoléon ne fut pas vaincu, puisque, n’ayant que des forces très-inférieures et manquant de munitions, il parvint, dans une position des plus désavantageuses, à contenir un ennemi résolu, qu’un accident répété arracha seul à un désastre éclatant. L’armée française se couvrit de gloire, mais d’une gloire stérile, car elle n’amena aucun résultat. Non, Wagram ne fut pas la conséquence d’Essling. Quanta la faute que Napoléon put commettre-en cette circonstance, de traverser un fleuve tel que la Danube dans la saisons des crues rapides et subitts, au risque de l’avoir à dos avec la moitié de son urinée contre un ennemi résolu et commandé pur " un habile général, c’est une qutstion qua noua laissons à résoudre à de plus compétents que nous.