Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Dumas (René-François), président du tribunal révolutionnaire

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1372-1373).

nombreux ennemis dans son département, il le quitta et vint à Paris, où il se fit recevoir aux jacobins. Nommé vice-président, puis président du tribunal révolutionnaire, sur la désignation de Robespierre lui-même, il devint, pour ainsi dire, le chef du parti que celui-ci s’était ménagé en dehors de la Convention. Dans une liste, dressée par Robespierre, des hommes sur lesquels il pouvait le plus compter, liste saisie chez lut après sa mort, Dumas figure en tête avec cette mention : « Homme énergique et probe, capable des fonctions les plus importantes. » Dumas se donna beaucoup de mouvement au 9 thermidor, soit aux jacobins, soit dans les sections de Paris, pour organiser la résistance contre la Convention, mais en vain. Mis hors la loi par un décret et arrêté, il fut conduit à la mort sans jugement, avec une centaine d’autres personnes qui avaient plus ou moins joué un rôle dans cette journée. On cite de lui un horrible jeu de mots imaginé par les fabricants d’anecdotes de l’époque postthermidorienne. La maréchale de Noailles, femme fort âgée et sourde, amenée devant le tribunal de sang, répondait à toutes les questions par celle-ci : « Qu’est-ce que vous dites ? » Un juge, s’étant aperçu qu’elle était dure d’oreille, le fit observer à Dumas, qui aurait dit alors : « Eh bien, elle a conspiré sourdement. »


DUMAS (Charles-Louis), médecin français, né à Lyon en 1765, mort à Montpellier en 1813. Il passa son doctorat à Montpellier en 1785, puis se rendit à Paris, où il concourut pour une chaire, retourna ensuite à Montpellier, s’y fit connaître en donnant des leçons de physiologie et fut médecin de l’Hôtel-Dieu de Lyon pendant le siège de cette ville. Bientôt après, Dumas entra comme médecin dans l’armée, qu’il quitta pour occuper une chaire d’anatomie et de physiologie à Montpellier. Il devint par la suite recteur de la Faculté de cette ville, conseiller ordinaire de l’Université et membre correspondant de l’Institut. Savant théoricien et praticien consommé, Dumas a laissé plusieurs ouvrages qui lui valurent de son vivant une grande réputation.. Les principaux sont : Essais sur la vie, ou Analyse raisonnée des facultés vitales (Montpellier, 1785, in-8o), écrit dirigé contre l’école vitaliste alors naissante ; Mémoire dans lequel, après avoir exposé la nature de la fièvre et des maladies chroniques, on tâche de déterminer dans quelles espèces et dans quel temps des maladies chroniques la fièvre peut être utile ou dangereuse (1787) ; Système méthodique de nomenclature et de classification des muscles du corps humain (1797, in-4o) ; Principes de physiologie (Paris, 1800-1803, 4 vol. in-8o), ouvrage qui n’a plus d’intérêt aujourd’hui que comme histoire de la science à laquelle il est consacré ; Doctrine générale des maladies chroniques pour servir de fondement à la connaissance théorique et pratique de ces maladies (Montpellier, 1812, in-8o) ; Discours sur les progrès futurs de la science (Montpellier, in-4o) ; enfin des Mémoires, des Discours et des Éloges remarquablement écrits.


DUMAS (Alexandre Davy de La Pailleterie), général de division, père de notre romancier, né à Jérémie (Saint-Domingue) en 1762, mort à Villers-Cotterets en 1807. Il était fils naturel du marquis Alexandre Davy de la Pailleterie, riche colon, et d’une négresse. Envoyé par son père à Bordeaux pour y faire ses études, il s’engagea à quatorze ans dans les dragons de la reine, sous le nom de Dumas, qui était celui de sa mère. Les guerres de la Révolution lui fournirent l’occasion de se distinguer et de monter rapidement en grade. À l’ouverture de la campagne de 1792, il entra dans un corps franc, composé en grande partie d’hommes de couleur et commandé par le chevalier de Saint-Georges. Il n’était encore que brigadier lorsque, au camp de Maulde, il tomba dans une embuscade de chasseurs tyroliens, qu’il frappa de terreur par son audace ; il en fit treize prisonniers, qu’il amena au général en chef. Il devint bientôt lieutenant-colonel du régiment dont il faisait partie, général de brigade le 30 juillet 1793, général de division le 13 septembre suivant, puis général en chef de l’armée des Pyrénées-Orientales. Passé peu après à l’armée des Alpes, il enleva le mont Cenis et le Saint-Bernard aux Austro-Piémontais. On lui confia ensuite le commandement de l’armée de l’Ouest ; mais, préférant se battre contre l’étranger à la tête d’une simple division, il alla en Italie servir sous Bonaparte. Employé au siège de Mantoue, il battit Wurmser et l’obligea à se renfermer dans la place. Le général en chef l’envoya dans le Tyrol. Au combat de Brixen, il défendit seul un pont contre un gros de cavalerie, sabra tout ce qui voulut le passer et donna ainsi aux nôtres le temps d’accourir pour reprendre ce passage, qui était de la plus grande importance pour le succès des opérations de l’armée française. Ce trait héroïque le fit surnommer par Bonaparte l’Horatius Coclès du Tyrol. Dumas prit part à la campagne d’Égypte ; mais, contraint de revenir en Europe pour se guérir des nombreuses blessures dont son corps était couvert, il fut retenu deux ans prisonnier à Naples avec Dolomieu. Rendu à la liberté, la vigueur de ses opinions républicaines lui valut la disgrâce du premier consul. Il mourut dans une honorable pauvreté. On le citait pour sa force herculéenne et pour la beauté de sa physionomie, que semblait encore relever son teint de mulâtre.


DUMAS (Alexandre), romancier et l’auteur dramatique le plus fécond et le plus populaire de France, fils du précédent, né, le 24 juillet 1803, à Villers-Cotterets (Aisne), mort à Puits, près de Dieppe, chez son fils, le 5 décembre 1870.

Voici, tracé par lui-même, le portrait de Dumas enfant : « Je faisais, dit-il, un assez joli marmot. J’avais de longs cheveux bouclés qui tombaient sur mes épaules et qui ne crêpèrent que le jour où j’eus atteint ma quinzième année ; de grands yeux bleus, qui sont restés ce que j’ai encore de mieux dans le visage ; un nez droit, petit et assez bien fait ; de grosses lèvres roses et sympathiques ; des dents blanches et assez mal rangées; là-dessous, enfin, un teint d’une blancheur éclatante, et qui tourna au brun à l’époque où mes cheveux tournèrent au crépu. »

Des trois choses que les capitaines français trouvaient sur leur chemin, la mort, la gloire, la fortune, le général Dumas n’avait rencontré que les deux premières. Sa veuve resta sans fortune et, à dix-huit ans, Alexandre Dumas dut entrer comme troisième clerc dans l’étude de Me Menesson, notaire à Villers-Cotterets.

« Je venais d’avoir vingt ans, raconte A. Dumas, lorsque ma mère entra un matin dans ma chambre, s’approcha de mon lit en pleurant, et me dit : « Mon ami, je viens de vendre tout ce que nous avons pour payer nos dettes. — Eh bien, ma mère ? — Eh bien, mon pauvre enfant, nos dettes payées, il nous reste deux cent cinquante-trois francs. — De rente ? » Ma mère sourit amèrement. « En tout ! — Eh bien, ma mère, je prendrai ce soir les cinquante-trois francs et je partirai pour Paris. — Qu’y feras-tu, mon pauvre ami ? — J’y verrai les amis de mon père : le duc de Bellune, qui est ministre de la guerre ; Sébastiani, Jourdan… » On s’occupa le jour même des préparatifs du départ.

Un ami de Mme Dumas obtint de M. Darné, électeur influent du département de l’Aisne, une lettre de recommandation pour le général Foy, dont il avait puissamment appuyé l’élection l’année précédente. Muni des cinquante-trois francs, Alexandre Dumas embrassa sa mère et se rendit au bureau des messageries. Il a raconté lui-même qu’avant de partir il joua au billard avec l’entrepreneur des diligences et lui gagna le prix de sa place, de sorte qu’il put arriver à Paris avec son petit trésor intact. Nous l’y trouvons installé dans un très-modeste hôtel de la rue Saint-Germain l’Auxerroîs. Il vit successivement Sébastiani, Bellune, Jourdan, anciens amis de son père, et n’en reçut qu’un accueil très-indifférent, accompagné de ces vaines promesses, avec lesquelles on éconduit un solliciteur qu’on ne veut ou qu’on ne peut obliger. A. Dumas fut plus heureux auprès du général Foy, probablement à cause de la lettre de M. Darné. Sous la Restauration, un électeur influent était un personnage, et les célébrités du jour traitaient avec lui de puissance à puissance. Voici comment Alexandre Dumas a raconté lui-même son entrevue avec le général Foy. « Voyons, que ferons-nous ? lui dit-il. — Tout ce que vous voudrez, général. — Il faut d’abord que je sache à quoi vous êtes bon — Oh ! pas à grand’chose. — Voyons, que savez-vous ? Un peu de mathématiques ? — Non, général. — Vous avez au moins quelques notions de géométrie, de physique ? — Non, général. — Vous avez fait votre droit ? — Non, général. — Vous savez le latin et le grec ? — Très-peu. — Vous vous entendez peut-être en comptabilité ? — Pas le moins du monde. » Et à chaque question, ajoute A. Dumas, je sentais la rougeur me monter au visage ; c’était la première fois qu’on me mettait ainsi face à face avec mon ignorance. « Donnez-moi votre adresse, dit le général Foy ; je réfléchirai à ce qu’on peut faire de vous. » A. Dumas écrivit son adresse. « Nous sommes sauvés, s’écria le général en frappant dans ses mains : vous avez une belle écriture. » Je laissai, dit Alexandre Dumas, tomber ma tête sur ma poitrine ; je n’avais plus la force de la porter ; une belle écriture !… voilà tout ce que j’avais ! » Trois jours après, le futur auteur d’Antony entrait dans les bureaux du duc d’Orléans, en qualité de simple expéditionnaire, aux appointements de douze cents francs. Il passa une année dans son modeste emploi, complètement ignoré et s’ignorant lui-même ; ses appointements venaient d’être portés à quinze cents francs ; il songea alors à refaire son éducation, et prit des leçons de physiologie, de chimie, de physique, d’un jeune médecin avec lequel il s’était lié intimement. Il passait une partie de ses nuits, soit à faire des études de linguistique, soit à lire les principaux auteurs de la littérature française. « Alors, dit-il, commença cette lutte obstinée de ma volonté, lutte d’autant plus bizarre qu’elle n’avait aucun but fixe, d’autant plus persévérante que j’avais tout à apprendre. Occupé huit heures par jour à mon bureau, forcé d’y revenir chaque soir de sept à dix heures, mes nuits seules étaient à moi. C’est pendant ces veilles fiévreuses que je pris l’habitude, conservée toujours, de ce travail nocturne qui rend mon œuvre incompréhensible à mes amis eux-mêmes, car ils ne peuvent deviner ni a quelle heure ni dans quel temps je l’accomplis. Cette vie intérieure qui échappait à tous les regards dura trois ans, sans amener aucun résultat, sans que je produisisse rien, sans que j’éprouvasse même le besoin de produire. Je suivais bien avec une certaine curiosité les œuvres théâtrales du temps dans leurs chutes ou dans leurs succès ; mais comme je ne sympathisais ni avec la construction dramatique, ni avec l’exécution dialoguée de ces sortes d’ouvrages, je me sentais seulement incapable de produire rien de pareil, sans deviner qu’il existât autre chose que cela. Vers ce temps, des acteurs anglais arrivèrent à Paris. Je n’avais jamais lu une seule pièce du théâtre étranger ; ils annoncèrent Hamlet ; je ne connaissais que celui de Ducis ; j’allai voir celui de Shakspeare. Supposez un aveugle auquel on rend la vue, qui découvre un monde tout entier dont il n’avait aucune idée ; supposez Adam s’éveillant après sa création… Oh ! c’était là ce que je cherchais… » Ce que Dumas ne raconte pas, c’est qu’avant son départ de Villers—Cotterets il avait déjà (d’après M. Eugène de Mirecourt, il est vrai) essayé de se faire vaudevilliste. La petite cité picarde abritait alors la famille de Leuven, exilée de Paris, en 1815, au retour des Bourbons. Adolphe de Leuven, qui avait déjà obtenu des succès, répondit un jour au jeune Dumas, qui manifestait un désir violent d’arriver à la fortune : « Faites-vous auteur dramatique. Le théâtre est une mine d’or, et je vous offre ma collaboration. » A. Dumas le prit au mot. Trois pièces ayant pour titres : le Major de Strasbourg ; un Dîner d’amis et les Abencérages, furent expédiées aux directions parisiennes et refusées partout. Cependant A. Dumas avait dit au général Foy : « Je vais vivre de mon écriture ; mais je vous promots de vivre un jour de ma plume ; » il s’agissait de tenir parole. Un vaudeville, fait en collaboration avec MM. de Leuven et Rousseau, porté d’abord au Gymnase, eut le sort des pièces expédiées de Villers-Cotterets. La Chasse et l’amour, tel était le titre de la pièce que l’Ambigu, trois mois plus tard, consentît à mettre à' l’étude, en stipulant pour chaque auteur quatre francs par soirée. Elle fut représentée le 22 septembre 1825.Voici un des couplets du vaudeville final ;

Heureux sous l’olivier chéri,
De la paix nous goûtons les charmes.
Sans craindra que quelque ennemi
Vienne nous proposer les armes.
Grâce aux temps passés, il comprend,
Par nos exploits héréditaires,
Que ce n’est pas impunément
Que l’on vient chasser sur nos terres.

Le théâtre de la Porte-Saint-Martin joua, le 21 novembre 1826, la Noce et l’enterrement, vaudeville de Vulpian, Lassagne et D… (Dumas). Ces deux ouvrages obtinrent du succès. La direction de la Porte-Saint-Martin octroya six francs par représentation à chacun des auteurs de la Noce et l’enterrement. A. Dumas, croyant déjà à son étoile, décida sa mère à quitter la province pour venir habiter avec lui un modeste appartement du faubourg Saint-Denis. Ajoutons ici que A. Dumas s’est toujours montré un admirable fils, et qu’il aimait jusqu’à l’adoration celle à laquelle il devait le jour. Au milieu de ses travaux, le jeune homme avait trouvé le temps de composer une tragédie intitulée : les Gracques, qu’il brûla lui-même, et une Conjuration de Fiesque, imitée de Schiller. L’avènement de l’école romantique encouragea le débutant, modeste encore. Il écrivit son drame de Christine à Fontainebleau. Un biographe dit que « l’idée de cette pièce lui fut suggérée par un bas-relief de Mlle de Fauveau, représentant Monaldeschi assassiné dans la grande galerie de Fontainebleau, par ordre de la reine Christine de Suède. » A. Dumas raconte, au contraire, qu’il en conçut le plan avec Frédéric Soulié, en lisant l’article de Christine dans la Biographie Michaud- Dans ce cas, il se serait contenté de peu. Les essais littéraires de l’expéditionnaire avaient été mis sous les yeux du duc d’Orléans, qui donna des ordres secrets pour qu’on le déchargeât du poids le plus incommode de ses fonctions bureaucratiques. On lui donna une pièce séparée, et, au bout de quelques mois, il se présenta chez le baron Taylor, commissaire royal, portant sous le bras le volumineux manuscrit de son drame de Christine. Le baron Taylor l’accueillit avec empressement. Cette Christine, recommandée par Charles Nodier et le baron Taylor, fut dédaignée d’abord par les sociétaires de la Comédie-Française. Sur la juste réclamation de l’auteur, on convint de part et d’autre de s’en rapporter à la décision de M. Picard. « Avez-vous de la fortune, demanda celui-ci au futur auteur d’Antany ? - Pas l’ombre, monsieur, répondit celui-ci. - Quels sont vos moyens d’existence ? — Une place de quinze cents francs. — Eh bien, mon ami, dit Picard, retournez à votre bureau. » Ce jugement un peu risqué ne découragea pas Dumas. Il se mit à étudier l’histoire de France, qu’il devait plus tard si singulièrement travestir. En parcourant les mémoires de L’Estoile, il fut frappé du récit de la mort de Saint-Mégrin et conçut l’idée do son drame de Henri III. En deux mois, la pièce fut écrite, présentée et reçue. « Ce fut toute une affaire, dit M. Alfred Nettement, dans son Histoire de la littérature française sous la Restauration. Les défenseurs de l’école classique du XVIIIe siècle, voyant les foyers de la tragédie menacés, tentèrent une sortie désespérée. Dans les bureaux mêmes du Constitutionnel, où l’on avait peu d’enthousiasme pour la légitimité de la royauté française, on signa une requête au roi en faveur de la légitimité d’Aristote. Le souverain fut supplié d’intervenir pour empêcher le scandale de la représentation de Henri III sur la scène de la Comédie-Française ; Charles X répondit avec beaucoup de bon sens aux promoteurs de ce coup d’État classique : « Messieurs, quand il s’agit de théâtre, je n’ai, comme tout bourgeois de Paris, que ma place au parterre. » On poursuivit donc les répétitions de Henri III, dont la première représentation fut annoncée pour le 10 février 1829. Dès le matin de ce jour si impatiemment attendu, Dumas alla chez le duc d’Orléans pour le prier d’assister à cette épreuve solennelle qui devait décider de son avenir. Le duc répondit que cela lui était difficile, pour ne pas dire impossible ; il avait je ne sais combien de princes à dîner ce jour-là. « Oh ! monseigneur, s’écria Dumas, c’est une chose bien malheureuse pour moi que cette impossibilité ! Il y a quatre ans que je pousse péniblement les jours devant moi pour arriver à cette soirée, et cela dans un but, c’est celui de vous prouver que j’avais seul raison contre tous, et même contre Votre Altesse. Il n’y a donc pas de succès pour moi, ce soir, si vous n’êtes pas là quand je l’obtiendrai. C’est un duel où je joue ma vie… Soyez mon témoin, cela ne se refuse pas. — Je ne demande pas mieux ; je serais même curieux de voir votre ouvrage, dont Vatout m’a dit beaucoup de bien ; mais comment faire ? — Avancez l’heure de votre dîner, monseigneur ; je retarderai celle du lever du rideau. — Le pouvez-vous jusqu’à huit heures ? — Je l’obtiendrai du théâtre. — Eh bien ! allez me retenir toute la première galerie. Je vais, moi, faire prévenir mes convives d’arriver à cinq heures au lieu de six. » Le duc d’Orléans, fidèle à sa promesse, arriva à huit heures précises, suivi d’un bataillon de princes, de princesses, d’ambassadeurs, de généraux : cette claque aristocratique donna le signal des bravos. « À partir du troisième acte, dit A. Dumas, ce ne fut plus un succès, ce fut un délire. Puis, lorsque Firmin reparut pour nommer l’auteur, le prince se leva lui-même, afin d’écouter, debout et découvert, le nom de son employé. » Ce que Dumas n’avoue pas, c’est que son drame de Henri III n’est qu’une habile compilation dont Anquetil, le Journal de Pierre de L’Estoile, Walter Scott et Schiller ont fait les frais. A. Dumas a copié presque littéralement, dans la première scène de son quatrième acte, la quatrième scène du second acte du Don Carlos de Schiller, ainsi qu’on peut s’en convaincre par la double citation suivante.

Schiller (Don Carlos, acte II, scène IV).

DON CARLOS, UN PAGE.

Don Carlos. — Une lettre pour moi… Pour qui cette clef ? Et toutes deux remises avec tant de mystère… Où t’a-t-où remis ceci ?

- Le Page. — Autant que j’ai pu le remarquer, la dame aime mieux être devinée que nommée.

- Carlos. — La dame ? Quoi ! Comment ? Qu’es-tu donc ?

- Le Page.— Un page de Sa Majesté, de la reine.

- Carlos, lui mettant la main sur la bouche. — Tu es mort, silence ! J’en sais assee.(Il lit.) Elle t’a elle-même remis cette lettre ?

- Le Page. — De sa propre main.

Dumas (Henri III, acte IV, scène Ire).

arthur, s.-mégrin.

- Saint-Mégrin — Cette lettre et cette clef sont pour moi, dis-tu ? Oui… À M.le comte de Saint-Mégrin. De qui les tiens-tu ?

- Arthur. — Quoique vous ne les attendissiez de personne, ne pouviez-vous les espérer de quelqu’un ?

- Saint-Mégrin. — De quelqu’un ? Comment ? Et qui es-tu toi-même ?

- Arthur. — Ne pouvez-vous reconnaître les armes de deux maisons souveraines ?

- Saint-Mégrin. — La duchesse de Guise ! (Lui mettant la main sur la bouche.) —Tais-toi ! je sais tout. (Il lit.) Elle-même t’a remis cette lettre ?

- Arthur. — Elle-même.

Ainsi de suite jusqu’au bout. Qu’en pense le lecteur ? demande M. de Mirecourt, qui fournit bien d’autres preuves ?

Henri III rapporta trente mille francs à son auteur, qui collabora, dit-on, au Roi Pétaud, parodie de sa pièce, afin d’en augmenter les produits. « Comme étourdi de son passage subit de l’obscurité à la gloire, M. Dumas, dit M. de Loménie, se plonge avec ardeur dans un luxe exagéré ; il porte des habits fantastiques, des gilets éblouissants, abuse de la chaîne d’or, donne des dîners de Sardanapale, crève une grande quantité de chevaux et aime un grand nombre de femmes. » Le lendemain, M. Dumas devenait bibliothécaire du duc d’Orléans.

La Comédie-Française ne parlait pas de mettre Christine à l’étude, lorsque Dumas reçut du directeur de l’Odéon la lettre suivante : « Mon cher Dumas, votre Christine restera indéfiniment enfouie dans les cartons de la Comédie-Française : portez-la à l'Odéon ;