Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Derniers montagnards (LES), par M. Jules Claretie

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 2p. 510).

Derniers montagnards (LES), par M. Jules Claretie (1867). Il était à craindre, en voyant un romancier aborder l’histoire sérieuse, qu’il ne se perdît et que son style ne se ressentît de la liberté des allures du roman feuilleton. On est agréablement surpris, en lisant l’ouvrage de M. Claretie, de reconnaître que ces craintes n’étaient pas fondées. Pour son début, il s’est attaché à une grande époque et s’est proposé de mettre en relief les derniers montagnards et les suprêmes convulsions du régime de la Terreur. C’est toute l’histoire de l’insurrection de prairial an III, racontée d’après des documents nouveaux et inédits. L’auteur reprend, dans tous les détails où peut entrer une monographie, « un terrible drame, navrant chapitre de l’histoire de la réaction thermidorienne. » Dans quelques hommes, qui méritaient d’être plus connus, il nous montre la protestation la plus ferme contre ces excès tyranniques que les réactions amènent si facilement, sans avoir, comme les excès révolutionnaires, l’excuse des dangers de la patrie : « Honnêtes dans un temps où l’immoralité était remise à l’ordre du jour, convaincus à ces heures d’abjurations et de défaillances, dévoués à la cause de tous, quand personne ne s’occupait plus que de ses intérêts privés, ils sont tombés à leur poste, soldats du droit, mourant sans phrases et vraiment sublimes dans leur héroïsme bourgeois. » Ces quelques lignes donnent la note du récit de M. Claretie. Avec le ferme désir de rester impartial, il se livre à la sympathie, à l’admiration, en plaignant un martyre aussi inutile qu’héroïque. « Le peuple, dit-il, désintéressé dans la lutte, replié sur lui-même, regarda passer, sans bouger, sans gémir, les cadavres qu’on emportait au cimetière de la Madeleine et les condamnés qu’on emmenait place de la Révolution. » M. Claretie s’applique surtout à démontrer comment l’abdication du peuple vient en aide à l’audace de la réaction. La Révolution devait dévorer tous ses enfants ; les thermidoriens tout-puissants n’eurent plus d’ennemis qu’eux-mêmes, et leur lâcheté, leur aveuglement, leurs intrigues livrèrent la France révolutionnaire au sabre d’un audacieux officier de fortune qui les dévora. « Une figure bien peu connue jusqu’ici, fait remarquer M. Vapereau, se détache en relief du groupe des derniers montagnards : c’est celle du Picard Brutus Magnier, l’un des types complets et originaux de l’esprit révolutionnaire, constant et fidèle à lui-même. Son nom n’est pas même prononcé dans l’Histoire de la Révolution de M. Thiers. M. Claretie le tire de l’oubli et le venge par une monographie des dédains de l’histoire générale. »

Non-seulement l’auteur a rendu à chacun ce qui lui était dû, mais il a su tirer de l’étude de cette révolution, dans les sphères du pouvoir républicain, tous les enseignements qui s’y trouvaient compris. Les études sérieuses lui ont porté bonheur, car ce livre est bien mieux écrit que ses meilleurs romans et ses plus fins articles.