Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Damia

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 1p. 46).

DAMIA, divinité grecque et romaine, dont le culte a été souvent confondu avec celui de Cérès et de Proserpine, et qu’il est, en effet, assez difficile de bien distinguer de ces deux déesses. Il est pourtant nécessaire de montrer avec soin les différences établies à ce sujet par les anciens eux-mêmes. D’où vient d’abord ce nom de Damia ? Les étymologies les plus diverses ont été proposées. Les uns ont dit que Damia voulait dire déesse du peuple (de démos, peuple), c’est-à-dire celle qui nourrit le peuple, Ôèmêter. Mais ce n’est pas Demia que s’appelle la déesse, c’est Damia ; on ne peut donc accepter cette première étyinologjie. M. Welcker fait venir Damia de damaô, je dompte, et rapproche Cérès Damia de Neptune Damaios. Il faut repousser toutes ces explications forcées, et dire avec M. Alfred Maury que Damia vient de dâ ma, c’est-à-dire la terre mère, la terre nourricière. Damia serait alors un surnom de Cérès.

En tout cas, voici, d’après les témoignages les plus anciens, les cérémonies particulières que l’on célébrait en l’honneur de Damia. Une des fêtés principales de son culte portait le nom de Lithobohe, c’est-à-dire lapidation. Une légende, relativement moderne, explique l’origine de cette fête. Pausanias nous raconte que deux jeunes filles Cretoises, du nom de Damia et d’Auxesia, seraient venues à Trézène, en Argolide, pendant une émeute, et auraient été lapidées avec beaucoup d’autres. On leur aurait élevé des statues, et on les aurait divinisées ensuite pour rendre hommage à leur innocence et à leur malheur.


Touchante légende, qui se sera sans doute facilement accréditée en Grèce à cause de son caractère poétique. Mais il est très-probable que l’origine du culte de Damia et d’Auxesia, et en particulier la cérémonie de la lapidation, avaient une tout autre origine. Damia et Auxesia étaient, selon nous, Cérès et Proserpine. Une légende rapportée par Hérodote nous confirme dans cette opinion. À l’époque d’une grande disette, un oracle de la Pythie ordonna aux Epidauriens d’élever des statues à Damia et à Auxesia, c’est-à-dire aux déesses qui font germer et grandir les biens de la terre. Leurs statues devaient être faites de bois d’olivier, et d’olivier d’Athènes. Peu après, les Eginètes s’emparèrent de ces statues. Dans les deux villes furent institués, en l’honneur de Damia et de sa compagne, des chœurs de femmes placés sous la conduite de dix choréges, et qui harcelaient, dans des chansons moqueuses, les femmes du pays. Les Grecs goûtaient fort ce genre de plaisir, qui consiste à proférer des injures les uns contre les autres. On se rappelle les procèssions des Bacchanales et des Eleusinies. Les fêtes de Damia étaient remarquables en ce que c’étaient des femmes qui se livraient entre elles à ces railleries parfois très-vives et très-mordantes. Il y avait aussi, dans le culte de Damia, des mystères qui se célébraient à huis clos, et auxquels les femmes seules pouvaient se faire initier. On rapprochera tout naturellement de ces cérémonies bouffonnes les fêtes égyptiennes en l’honneur de Bubastis, où les femmes jouaient encore un grand rôle, et pas toujours un rôle bien honnête.

Damia était aussi une divinité romaine qu’on invoquait dans les famines et les disettes. La prêtresse de Damia s’appelait Damiatrix, et te sacrifice que l’on faisait à cette déesse portait le nom de damium.