Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DUQUESNOY (Ernest-Dominique-François-Joseph), conventionnel montagnard, une des victimes de prairial an III

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1425).

DUQUESNOY (Ernest-Dominique-François-Joseph), conventionnel montagnard, une des victimes de prairial an III, né à Bouvignies-Boyefiles (Pas-de-Calais) en 1748, mort par suicide le 17 juin 1795 (29 prairial an III). Moine avant la Révolution, il devint agriculteur dans son pays et se rallia aux idées nouvelles avec une énergie empreinte encore de l’exclusivisme monacal. Nommé par ses concitoyens député à l’Assemblée législative, il s’y fit peu remarquer, proposa cependant, après le 10 août, l’arrestation de toutes les personnes soupçonnées d’incivisme,

firoposition qui fut le premier germe de la oi des suspects. Réélu à la Convention nationale, il vint siéger à la Montagne et fut dès le mois d’octobre envoyé une première fois en mission dans le département du Nord. Dans le procès du roi, il vota la mort sans appel ni sursis, en demandant que toutes les opinions se donnassent par appel nominal, k haute voix. Dans le duel émouvant de la Montagne et de la Gironde, il se prononça avec une grande véhémence contre les girondins. Envoyé à l’armée du Nord, il donna aux soldats l’exemple de l’intrépidité en combattant à leur tête et en les guidant au feu. Mais il signala sa mission par des rigueurs qu’on a sans doute exagérées, et dont sa correspondance officielle contient plus d’une preuve. On était alors dans une situation terrible, en face de l’ennemi, enveloppé de trahisons, et Duquesnoy dut ordonner des incarcérations et renvoyer un certain nombre

de suspects devant la juridiction révolutionnaire. Il était en correspondance suivie avec Joseph Lebon, son collègue et son compatriote, et il faut bien reconnaître que quelques-unes des lettres qu’il lui écrivit sont d’une grande violence. Mais il est nécessaire de se reporter au temps et de tenir compte de l’état d’exaltation dans lequel ces hommes passionnés, ces patriotes farouches-et sincères avaient été jetés par la grandeur des périls publics et par la guerre à mort que faisaient a la France.nouvelle les ennemis du dehors et ceux de l’intérieur. Il serait superflu, d’ailleurs, de réfuter les fables rapportées par la biographie Michaud : que Duquesnoy fit fusiller un conducteur de convois militaires parce qu’il avait aperçu une fleur de lis sur la poignée du sabre de ce malheureux ; qu’il lit emprisonner plusieurs de ses propres parents ; qu’il assomma à moitié une de ses cousines qui l’implorait pour quelques détenus, etc. Ces absurdes anecdotes ne reposent sur aucun fondement et ont été puisées dans de misérables pamphlets de police ou de réaction, comme la dégoûtante et inepte Histoire des crimes de la Révolution de Prudhomme. Duquesnoy, malgré sa véhémence politique, était un homme honnête et bon, un ami sûr et dévoué, un père de famille et un époux attaché à ses devoirs. Il avait dans son pays des enfants qui grandissaient, une femme aimée, vivant pauvrement en un logis de fermier. Dans l’intervalle de ses missions, il était tout entier a ses fonctions de député, assidu aux séances de l’Assemblée et aux travaux des commissions, et ne.fréquentant guère que deux ou trois de ses collègues, avec lesquels il se rencontrait chez son ami le citoyen Scribe, marchand de la rue Saint-Denis et patriote estimé (le père même du célèbre auteur dramatique).

Rentré dans la Convention après le 9 thermidor, Duquesnoy se prononça hautement contre les réactionnaires, fit une motion pour assurer aux pauvres la facilité d’acquérir des biens nationaux, accusa les thermidoriens de n’avoir abattu Robespierre que pour substituer leur tyrannie à la sienne, s’éleva contre les persécutions dont les meilleurs patriotes étaient les victimes, et enfin fit appel à la Concorde, à la réconciliation des républicains de toutes nuances, à l’oubli du passé, à l’a Îiaisement des haines funestes qui déchiraient a République et ne profitaient qu’au royalisme et au parti de l’étranger. On était alors au plis fort de la réaction, et le peuple, exalui par la misère croissante et par les violences de ses ennemis, so souleva et envahit la Convention dans les journées du 12 germinal et du lor prairial an 111, qui ne forment en réalité qu’un seul épisode révolutionnaire. Dans la dernière de ces deux séditions de la misère et du désespoir, Duquesnoy, suivant l’exemple da ses collègues de la Montagne, se prononça pour que 1 Assemblée donnât savj.

DUQU

tisfaction aux vœux populaires, par la mise en vigueur de la constitution do 93, la mise en liberté des patriotes, la répression de l’agiotage, le renouvellement des comités de gouvernement, et par des mesures énergiques pour sauver les citoyens de la famine. Il fut même nommé, dans le tumulte, membre de la commission qui devait remplacer les comités.

Mais le soir, après l’expulsion des enva— ( hisseurs et la fin de l’émeute, il se vit arra— ( cher de son siège et décréter d’arrestation, en même temps que Romme, Goujon et tous ceux dont la courageuse initiative avait peut-être sauvé la Convention dans cette malheu— i reuse journée. Transférés au château du Taureau, sur un îlot de la mer de Bretagne, ils furent tous ramenés à Paris après quelques : jours de détention et livrés à une commission militaire, qui les condamna à mort sans avoir entendu leur défense.

Ces hommes d’airain, qu’on a nommés les derniers montagnards, s’étaient juré de ne point livrer leur tête au bourreau, de mourir libres et fiers, comme ils avaient vécu. Au sortir de l’audience, après avoir acclamé la République, tous les six se poignardèrent, au moyen de deux couteaux qu’on avait pu leur faire parvenir et qu’ils se passaient tour à tour après s’être frappés. V, prairial (journées du 1er), Goujon, Romme, etc.

Les dernières paroles de Duquesnoy avaient été : « Je désire que mon sang soit le dernier sang innocent qui coule ; puisse-t-il consolider la République. Vive la République ! ■ Il avait écrit à sa femme une lettre d adieu aussi noble que touchante, dans laquelle nous relevons le passage suivant :

« Tâchez de conserver vos jours, afin de pouvoir faire donner à nos infortunés enfants une éducation républicaine. Rappelez-ieur souvent ceci : Ne faites jamais à un autre ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit.  »

Sa défense manuscrite est aux Archives.